Rubrique
Rennes-le-Château

Juillet 2021











Par
Christian Doumergue


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Alfred Saunière, le Frère de l’Ombre


L’histoire mondialement connue du « Curé aux milliards » de Rennes-le-Château est cristallisée autour d’un seul homme : l’abbé Bérenger Saunière (1852-1917). Peu après son arrivée, en 1885, dans le petit village audois, ce jeune curé se lança dans des travaux de rénovation de son église, puis de constructions (villa style Renaissance, tour néo-gothique, parcs et jardins luxuriants, etc.) hors de ses conditions de fortune. Ce qui alimenta vite l’idée qu’il avait trouvé un trésor. Cette belle histoire, qui en ces temps de désenchantement a la capacité de nous ouvrir les portes du rêve, en cache cependant une autre. En faisant de Bérenger Saunière le seul héros de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Affaire de Rennes-le-Château », les nombreux ouvrages et articles parus sur le sujet ont oublié, ce faisant, un acteur tout aussi important pour l’histoire du lieu.

Cet « oublié », c’est Alfred Saunière (1855-1905), le propre frère de l’abbé, si longtemps resté dans l’ombre de celui-ci que, jusqu’en 1994, son portrait (retrouvé dans les papiers du curé de Rennes) a été confondu avec celui de Bérenger ! Ainsi, durant des décennies, le visage affiché sur les couvertures de livres et figurant dans l’iconographie des articles n’était pas celui de Bérenger mais d’Alfred. Confusion des plus symboliques, à l’image de cette affaire pleine de faux semblants et d’illusions cachant la vérité.

Un pourvoyeur de fonds.

L’étude des archives (longtemps négligées) laissées par l’abbé Saunière suffit à montrer l’importance d’Alfred en ce qui concerne les agissements de son frère à Rennes-le-Château. Bérenger, on le sait à présent depuis un certain temps, a pu commencer ses travaux de restauration de l’église (tombant littéralement en ruines à son arrivée) grâce à des donations. Celles de la comtesse de Chambord puis d’une certaine Marie Cavailhé, vivant à Coursan près de Narbonne. Mais cette œuvre ne fut possible dans son ampleur que par l’entremise des fonds apportés par son frère Alfred.

A partir de 1909, Bérenger fut inquiété par sa hiérarchie, qui le pressa de justifier l’origine des fonds grâce auxquels il put ériger son fastueux domaine (sur lequel l’évêque de Carcassonne voulait dès lors mettre la main). Le curé de Rennes s’efforça alors de minimiser au maximum le rôle d’Alfred.

Dans un premier justificatif envoyé à sa hiérarchie, Bérenger note avoir obtenu la somme de 600 Francs « De diverses familles par mon frère. » Mais, en mars 1911, contraint par les questions de sa hiérarchie, il est obligé d’avouer une somme plus conséquente. Une lettre qui lui est adressée en date du 19 mars indique en effet que Bérenger a désormais reconnu avoir reçu par l’intermédiaire de son frère la somme de… 55.000 Francs-or ! Cette somme, est-il précisé, a été remise pour une part directement par Alfred (25.000 Fr.), pour une part par des donateurs rentrés en contact avec Bérenger par l’intermédiaire de son frère.

La somme est importante. La commission chargée de clarifier la comptabilité de l’abbé demande donc au prêtre de se justifier sur ce point. Le 25 mars, Bérenger répond à cette question en notant : « Mon frère étant prédicateur avait de nombreuses relations : il servit d’intermédiaire à ces générosités. »

Le frère de l’ombre

Pourquoi Bérenger s’efforça-t-il de minimiser à ce point les fonds amenés par son frère ? Incontestablement, cela est lié à un leitmotiv des correspondances du prêtre à l’époque de son procès. Dans plusieurs lettres en effet, il mentionne l’idée que l’Evêché de Carcassonne lui fait payer les fautes d’Alfred. Dans un brouillon de l’année 1909, datant du tout début des démêlés de l’abbé, il affirme ainsi avoir été « depuis assez longtemps » prévenu que « le curé de Rennes-le-Château devait s’attendre à expier les fautes de son frère l’abbé mort trop tôt. »

Il ne dit absolument rien de ces fautes, qui apparaissent tout aussi discrètement évoquées dans plusieurs lettres de cette période. Ainsi, le 22 janvier 1909, l’abbé Rouanet, un des proches amis de Bérenger, lui recommande de ne pas s’engager dans un combat dont il ne pourrait sortir vainqueur. Comme argument, il utilise la façon dont la mémoire de son frère a été salie : « Que n’a-t-on pas dit de ton pauvre frère, garde ta mémoire intacte. »

Il est impossible, à ce jour, de se prononcer sur la nature de ces fautes. Alfred eut un fils, avec une jeune femme (Emilie Salière), mais ce fils ne naquit qu’après sa mort. Officiellement, les archives épiscopales de Carcassonne ne contiennent rien à son sujet, ce qui paraît difficile à croire… Ce mystère-là reste donc entier. Mais celui du rôle joué par Alfred auprès de son frère s’est par contre éclairci au fil de mes recherches.

 

L’engagement d’Alfred.

Selon Bérenger, c’est par ses activités de prédication qu’Alfred recueillit l’essentiel des fonds rapatriés à Rennes-le-Château. Très tôt en effet, Alfred met un terme à sa carrière de prêtre. Ordonné en 1878, il est nommé Vicaire à Alzonne. La paroisse est importante. En 1876, elle compte quelques 1546 habitants. Alfred n’y reste cependant pas. À partir de 1880, il est nommé professeur au Petit Séminaire de Narbonne, un poste qu’il va occuper durablement jusqu’en 1892.Vers 1893, soit deux ans avant qu’il devienne un important pourvoyeur de fonds pour son frère, un tournant radical s’opère dans sa carrière. Un rapport du sous-préfet de l’Aude daté du 13 octobre 1896, signale en effet qu’Alfred est alors « prêtre libre depuis environ 3 ans. » Le titre de « prêtre libre » est ambigu car il peut avoir plusieurs sens. Ici, il ne signifie pas qu’Alfred se soit émancipé de sa hiérarchie. Les rapports échangés durant cette période avec le Ministre des Cultes indiquent au contraire qu’il est encore prêtre. L’adjectif « libre » indique simplement qu’il n’est pas affecté à une paroisse en particulier. Cette « liberté » va permettre à Alfred d’entamer une carrière de missionnaire. Alfred, établi à Narbonne, a dès lors le statut de « prédicateur. » Or il va, dans ce rôle, très vite prendre une certaine envergure politique.

En 1896, l’Evêché le choisit pour devenir « aumônier militaire en cas de mobilisation du 16e corps d’armée. » Selon la procédure en vigueur, cette nomination doit recevoir l’aval du Ministre des Cultes. Une enquête est donc ouverte. Et c’est le Préfet de l’Aude qui en a la charge. Les éléments qui ressortent au fil de cette enquête ne seront pas favorables à Alfred. La nomination proposée lui est donc refusée. La cause de ce refus : son engagement politique. Les dernières lignes du rapport du Sous-Préfet au Préfet indiquent : « M. Saunière est hostile au Gouvernement et à la République. » Impossible, dès lors, de lui laisser la possibilité d’exercer une quelconque influence sur des militaires. La République est alors dans la crainte du coup d’état militaire. Quelques années plus tard, cette crainte sera à l’origine du scandale de l’ « Affaire des fiches ».

Cette enquête est précieuse, essentielle, pour éclairer la personnalité d’Alfred. Le rapport du Sous-préfet contient en effet plusieurs indications précises. Il indique que « pendant quelques années », Alfred a été « le directeur et le rédacteur principal du journal “ La Croix du Midi ” qui s’imprimait à Narbonne. »

Le Sous-Préfet commet ici une petite approximation. Si Alfred a bien dirigé un journal, c’est La Croix du Sud et non La Croix du Midi. La confusion s’explique par le fait suivant : en avril 1895, lorsque La Croix du Sud, qui s’imprimait à Narbonne, cessa sa publication, ses abonnés reçurent en échange La Croix du Midi, qui s’imprimait à Toulouse. Mais peu importe cette petite erreur. Le rapport du Sous-Préfet de 1896 met en lumière l’engagement politique d’Alfred !

Au sujet de celui-ci, des précisions supplémentaires sont données dans un autre rapport du Sous-Préfet de Narbonne au Préfet de l’Aude. Daté du 16 septembre 1902, ce nouveau rapport a été réalisé suite à une sollicitation d’Alfred auprès du Ministère des Cultes, sollicitation dont on ignore la teneur. Le rapport indique seulement qu’Alfred « a sollicité l’intervention de M. Douarche, bouiller général, auprès de la Direction Générale des Cultes. »

Plus précis et détaillé que le précédent, ce rapport indique : « M. l’abbé Saunière prêtre intelligent et actif a jusqu’ici mis au service de la cause anti républicaine les qualités qu’on se plait à reconnaître en lui. Placé à la direction du Cercle catholique de Narbonne où tous ses efforts tendent à recruter le plus d’adeptes possibles à la politique des réactionnaires, il n’est pas de circonstances où son intervention n’ait été motivée par le désir de combattre le Gouvernement et de lui faire échec par tous les moyens. Il est à peu près établi que la plupart des articles agressifs visant le Ministère et parus dans le “Courrier de Narbonne” ont été inspirés par cet ecclésiastique s’ils n’ont pas été écrits de sa propre main, et que lui-même n’est pas étranger aux manœuvres [et] aux faits de pression dont certains électeurs sont l’objet chaque fois qu’une élection a lieu dans cette ville. »

Le Cercle Catholique

Dans ce rapport, une information au sujet d’Alfred attire particulièrement l’attention : « Placé à la direction du Cercle catholique de Narbonne ».

Le Cercle Catholique de Narbonne s’inscrit dans un mouvement plus large de constitution, un peu partout en France, de Cercles catholiques ouvriers. Le premier est créé à Paris en 1873, à l’initiative du comte de Mun (1841-1914), de François René de la Tour du Pin Chambly, marquis de la Charce (1834-1924), Félix de Roquefeuil-Cahuzac et Maurice Maignen, désireux de ramener la France dans « les voies chrétiennes. » En l’espace de deux ans, 110 cercles du même type sont fondés un peu partout sur le territoire et regroupent quelques 12.000 ouvriers. En 1878, ce sont 375 cercles qui ont été constitués. Ils totalisent 37.500 ouvriers et 7600 membres issus des classes dirigeantes. C’est dans ce contexte qu’est créé le Cercle Catholique de Narbonne, le 16 avril 1875, par 23 membres fondateurs appartenant à de riches familles du Narbonnais.

Officiellement œuvres de bienfaisance offrant des avantages à leurs membres issus des classes populaires (bons de réductions dans certaines boutiques alimentaires, accès à des salles de jeux, à des bibliothèques, etc.), les Cercles Catholiques sont en fait de formidables outils de manipulation et de propagande politique, d’abord destinés à permettre le retour du comte de Chambord (1820-1883) en France – ensuite à répandre et entretenir l’idéalisme catholique et à lutter contre la République. Ce qui passe par la constitution d’un tentaculaire réseau d’influence (à Narbonne, la Commission Archéologique de la ville sera ainsi mise « sous influence ») et l’élaboration de puissants réseaux de financement occultes (le Cercle de Narbonne est particulièrement actif en ce domaine). Les Cercles sont de vrais instruments de guerre, dans ce climat où s’opposent encore, et pour quelques temps, farouchement deux France.

Le Courrier de Narbonne et le Cercle Catholique.

Le rapport du sous-préfet de Narbonne contient, à côté des informations sur Alfred et le Cercle Catholique de Narbonne, un autre détail important dès lors qu’il s’agit de reconstituer la vie oubliée du « frère de l’ombre ». C’est le fait que plusieurs articles du Courrier de Narbonne furent inspirés ou signés par Alfred (la difficulté à déterminer son rôle exact tient au fait que la plupart des articles parus dans le quotidien ne sont pas signés…).

Le Courrier de Narbonne se définit comme un « journal politique, agricole, commercial, scientifique, littéraire et d’annonces. » Dirigé par Louis Fenetau, imprimeur à Narbonne, il paraissait tous les jeudis. La ligne du journal n’est pas ouvertement réactionnaire. La rédaction se défend d’ailleurs d’une telle ligne. « Libre de toute attache, n’appartenant à aucune coterie, nous répudions hautement cette appellation de réactionnaire que nous n’avons, d’ailleurs, jamais mérité. » lit-on dans son édition du 9 février 1896. Mais, malgré cette affirmation, le Courrier de Narbonne n’en reste pas moins un journal qui porte des idées réactionnaires. Les articles hostiles au Gouvernement sont légion, et le journal se fait très clairement la voix du catholicisme militant. Ainsi, par exemple, sur la question de la séparation de l’Église et de l’État, publie-t-il plusieurs articles fortement hostiles au principe. Dans son édition du 21 février 1895, il affirme que « la séparation de l’Église et de l’État est impossible ». Dix ans avant que la loi de Séparation n’advienne, il pose la chose comme ne pouvant pas arriver : « Nous sommes encore loin du jour où la Chambre aura l’audace de se mettre en opposition avec les traditions séculaires de neuf dixième des Français. »

L’engagement religieux du journal est donc très clair et souvent affirmé. « Le sentiment religieux est chez nous une antique et chère tradition, et tous les efforts de l’impiété ne parviendront jamais à l’étouffer. » peut-on lire, par exemple, le 18 avril 1895. Ce genre de lignes – peut-être inspirées par Alfred – laisse deviner la place que celui-ci a pu occuper dans l’élaboration du journal.

Les mentions que le Courrier de Narbonne fait des activités du Cercle Catholique de Narbonne permettent en outre de mesurer l’aura que cette structure a pu avoir dans le milieu catholique conservateur. Placé à sa tête, Alfred a pu, par cette position, tisser un important réseau relationnel.

Outre ses réunions « clandestines » et plus ou moins confidentielles, où se dessinaient stratégies et lignes d’attaque, le Cercle Catholique organisait en effet de régulières manifestations qui drainaient un public important et choisi. Rendant compte d’une « Soirée récréative » conjointement organisée par le Cercle Catholique et le Patronage St Joseph (où Alfred a été nommé aumônier en 1897) le 31 mars 1895, le Courrier de Narbonne (4 avril 1895) consigne : « L’élite du clergé et de la population narbonnaise catholique, répondant à l’invitation qui lui avait été faite, se pressait dans cette enceinte trop étroite pour la circonstance, avide de spectacle, mais désireuse aussi de témoigner à Monsieur l’Archiprêtre Cantegril toute sa sympathie pour l’école du Sanctuaire. »

Ce milieu qualifié d’ « élite » par le quotidien constitua un vivier de donateurs pour Alfred. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que l’on retrouve dans les colonnes du Courrier de Narbonne, le nom de Louis Cavailhé qualifié d’ « ami » par la rédaction du journal. Comme je l’ai signalé en introduction de cet article, Marie Cavailhé fut la seconde grande donatrice de Bérenger à Rennes. Il est désormais établi qu’elle fut amenée à réaliser cette donation par l’intermédiaire du Cercle Catholique.

L’engagement public.

Incontestablement, l’engagement d’Alfred à la tête du Cercle Catholique comme dans la presse locale, lui valut une envergure d’homme public. Et ce d’autant plus qu’Alfred est reconnu par les membres du Cercle comme un orateur exceptionnel. Le 25 décembre 1900, à l’occasion des noces d’argent du Cercle, il fera plusieurs discours remarqués pour leur caractère saisissant. Pour Alfred, les Cercles Catholiques sont un instrument de lutte contre l’âge de ténèbres que prépare la République. Il est en guerre et, pour mener cette guerre, il cherche (conformément à la stratégie globale des Cercles Catholiques) à rallier à sa cause les ouvriers. Au cours d’un discours édifiant, il entend bien détourner ceux-ci des sirènes de la République, en leur rappelant l’aide apportée aux ouvriers par le christianisme, qui dès l’Antiquité abolit l’esclavage.

Ce talent oratoire, Alfred va l’utiliser lors de nombreuses réunions publiques. Un article paru dans L’Echo de Narbonne du dimanche 8 octobre 1899, en dit long à ce sujet. Alfred, simplement appelé l’abbé Saunière (l’implication des milieux réactionnaires narbonnais ne laisse cependant aucun doute sur son identité) est en effet présenté comme un acteur de premier plan des forces politiques réactionnaires locales.

Intitulé « La Réunion de Cuxac », l’article commence en ces termes : « Jeudi soir, M. Félix Liouville, allié de M. l’abbé Saunière et de M. de Beauxhostes, candidat malheureux, chaleureusement soutenu aux élections du 26 février dernier par toutes les feuilles réactionnaires et cléricales, depuis le Messager jusqu’à l’Express en passant par le Courrier et l’Éclair, était venu faire une conférence politique. »

Se concentrant sur Félix Liouville, la suite de l’article ne nomme plus explicitement Alfred Saunière. Mais il est d’un intérêt essentiel pour comprendre pourquoi certaines familles réactionnaires alimentèrent à ce point l’œuvre de Bérenger Saunière. Ce court article présente en effet Alfred comme un allié politique de premier rang de M. de Beauxhostes. Or, les Beauxhostes figurent parmi les plus importants donateurs de Bérenger. Bérenger reconnut avoir reçu de Mme de Beauxhostes la somme de 10.000 Francs-or. Une somme déjà importante, qu’il faut peut-être majorer à 25.000 Francs-or, somme attribuée, sur un autre actif de situation, à une certaine Mme X que Pierre Jarnac identifie à Mme de Beauxhostes.

J’ai pu ainsi établir que tous les premiers et plus importants donateurs de l’abbé Saunière sont, d’une façon ou d’une autre, rattachés au Cercle Catholique de Narbonne. La devise de ce dernier (à l’instar de tous les Cercles Catholiques de France) était : « In hoc signo vinces » (« Par ce signe tu vaincras ») que l’on retrouve sur le tympan de l’église de Rennes-le-Château. Comme une signature des donateurs de Bérenger Saunière.

Soulever le voile…

L’Histoire ne retient parfois que l’apparence des choses. Le mythe du « curé aux milliards » s’est construit autour de la figure de Bérenger Saunière. Elle a, ce faisant, oublié « l’homme derrière le rideau ». C’est progressivement que l’on redécouvre Alfred Saunière. Longtemps ignoré au profit de son frère, Alfred est resté méconnu à cause de l’importante carence documentaire à son sujet. Rien, ou presque, n’a été conservé le concernant dans les papiers de son frère. Diverses raisons expliquent sans doute cela, dont la raison morale n’est sans doute pas la moindre. Sans doute chercha-t-on à se débarrasser des papiers personnels de cet ecclésiastique dont la vie fut, de notoriété publique, entachée de « fautes » aujourd’hui oubliées. Les « archives de l’abbé Saunière » ne nous apprennent ainsi rien à son sujet. Il est pourtant un maillon essentiel pour comprendre les origines de l’ « Affaire de Rennes ». Par sa position, Alfred est celui des frères Saunière qui a le plus de relations et qui va mettre son frère Bérenger en contact avec certains milieux. Dans les dernières années du XIXe siècle et les toutes premières du XXe, c’est lui l’homme qui brille.

Difficile de suivre sa trace cependant. Mais la persévérance paye. Ainsi, je viens de retrouver ce qui semble être une preuve de sa fréquentation régulière des lieux mondains. Les stations thermales sont alors très fréquentées. On y vient pour se montrer, pour briller. Le journal hebdomadaire Aulus Mondain, organe officiel de la station thermale d’Aulus-les-Bains en Ariège, publiait ainsi dans chacune de ses éditions une « liste des étrangers » annonçant tous les nouveaux arrivés dans la petite ville. Rubrique mondaine par excellence. Or dans son édition du dimanche 15 août 1897 (n°4886), Aulus Mondain annonce l’arrivée, parmi les « étrangers » venant pour la plupart de la région, mais pour certains de beaucoup plus loin (de Bordeaux, de Paris, mais aussi d’Italie…) de « M. l’abbé Saunière, Montozels [sic] » Étant donné qu’à cette époque Bérenger est établi à Rennes-le-Château, et y officie, il ne fait pas de doute que l’abbé Saunière en question est Alfred. Ce qui soulève une question : dans quel but vint-il séjourner à Aulus-les-Bains ?   

Alfred s’impose ainsi, aujourd’hui, comme une piste de recherche des plus importantes pour continuer à comprendre ce qui se cache vraiment derrière l’Énigme de Rennes.

Les cercles réactionnaires de l’époque sont une des clés pour comprendre quels réseaux ont pu financer les travaux de l’abbé Saunière (ce qui n’exclut pas que ce dernier ait fait des découvertes trésoraires, ses recherches en la matière étant avérées et documentées !). Alfred est aussi, sans doute, une des clés pour comprendre certaines ramifications plus « occultes » de l’affaire. Car les Cercles Catholiques paraissent être le point de convergence de plusieurs milieux. Ouvertement, ils sont réactionnaires et incarnent un catholicisme dur (anti maçonnique et antisémite). Sur ce dernier point, L’Echo de Narbonne du 11 février 1900 rapporte une anecdote significative. On y voit Alfred démarcher chaque commerçant de Narbonne afin qu’ils s’abonnent au Messager, l’un des journaux réactionnaires sur lequel il exerce son influence. En échange de l’abonnement, Alfred leur promet une publicité gratuite dans le quotidien, afin « d’empêcher les consommateurs de s’adresser aux juifs ou bien à des maisons du dehors » (non situées à Narbonne).

Mais cette ligne dure s’efface vite lorsque l’on dépasse ces apparences. La lutte contre la République a poussé à certaines alliances et, sur ce sujet, j’ai relevé quelques indices, probants, voire des preuves, de liens entre les Cercles Catholiques et une certaine Franc-Maçonnerie. J’ai noté, ailleurs (dans mon livre Franc-Maçonnerie et Histoire de France, publié aux éditions de l’Opportun) que certains membres de Cercles Catholiques entretenaient des relations proches avec Oswald Wirth (1860-1943) qui mena, au sein de la Franc-Maçonnerie, un rude combat pour redonner à l’Ordre sa dimension spirituelle et contrer les forces matérialistes qui le dévoraient. Louis Amiable (1837-1897), Grand Orateur du Grand Collège des Rites, lors de violentes attaques contre Wirth, dira à propos de ce dernier : « Il est allé faire à Lyon et Clermont-Ferrand des conférences sur l’occultisme, ayant pour zélateurs deux jeunes prêtres, meneurs d’ouvriers, enrôlés dans les cercles catholiques. »

Cela met en lumière que certains ont cru, à l’époque, en une nécessaire « union des forces » spirituelles. D’autres essaieront par la suite de la porter, en vain. Une telle union a-t-elle eu lieu autour du Cercle de Narbonne ? Plusieurs présomptions existent à ce sujet, comme le lien passé entre certaines familles fondatrices du Cercle (en l’occurrence les Chefdebien) et la Franc-Maçonnerie. Poursuivant mes recherches à ce sujet, j’ai récemment découvert un autre indice de ce lien. Dans son édition du 22 mai 1898, L’Echo de Narbonne, journal républicain et anticlérical, attaque les rapports entre le Cercle Catholique de Narbonne et Edmond Bartissol (1841-1916), franc-maçon initié à la loge Saint-Jean-des-Arts de Perpignan. L’article de L’Echo est virulent, dénonçant aussi bien l’opportunisme de Bartissol que l’hypocrisie des membres du Cercle, à commencer par Alfred Saunière. L’auteur de l’article tonne ainsi : « Franc-Maçon, Bartissol l’est, nous pouvons l’affirmer à M. de Beauxhostes et à son lieutenant en chef politique, l’abbé Saunière, qui du reste, s’en moque comme de son premier sermon. » Plus loin, l’auteur de l’article ironise : « …nous espérons que les curés qui donnent de la copie au Messager et les laïcs atteints de cagotisme, nous feront grâce après l’adoption de M. Bartissol, de leur indignation conventionnelle pour la maçonnerie en général et la libre pensée en particulier. Nous y gagnerons toujours cela, et c’est quelque chose. »

Cet article révèle que les lignes de frontière entre des milieux que tout oppose extérieurement sont parfois bien plus incertaines qu’on ne le dit. Edmond Bartissol qui s’engage auprès des cléricaux alors qu’il est le propriétaire des murs de la Loge Saint-Jean-des-Arts et reste affilié à la Franc-Maçonnerie en est un exemple. Le Cercle Catholique de Narbonne en est un autre exemple. Sans doute est-ce en ce milieu encore mal connu que réside une des clés majeures de l’Énigme, dont Alfred fut, peut-être, un des gardiens.




Christian DOUMERGUE est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels « Le Secret dévoilé. Enquête sur les mystères de Rennes-le-Château » (éditions de l’Opportun) et « Le Cercle de Narbonne » (éditions Arqa), auxquels le présent article apporte des éléments supplémentaires qu’il a récemment découverts.

J'ai lu un certain nombre d'ouvrages touchant de près ou de plus loin l'Affaire de Rennes-le-Château. Le Secret Dévoilé de Christian reste sans comparaison aucune le meilleur de ceux-ci. On commence enfin à comprendre ce Mystère avec des sources et des arguments clairs. Alfred Saunière, mais pas que, y tient toute sa place. Je recommande vraiment cet ouvrage à tous. Si vous avez un intérêt et faites le choix de vous le procurer je vous invite à prendre contact avec Dorian à La Librairie Cadence de Lyon (04 78 42 48 21) A cette même Librairie Cadence est disponible Les Trésors du Pilat l'ouvrage de Thierry Rollat et Patrick Berlier.

Thierry Rollat


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