ARCHITECTURE MAçONNIQUE à SAINT-Étienne ?

UN REGARD NEUF SUR LE QUARTIER TERRASSE – GROUCHY



Rubrique
Sociétés Secrètes

Mai 2013




Par
Patrick Berlier


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Le quartier de la Terrasse est situé tout au nord de la ville de Saint-Étienne, à, la limite de la commune de Saint-Priest-en-Jarez. Il s’articule principalement autour de la Place Massenet, qui fut pendant longtemps le terminus de la ligne du tramway, avant que celle-ci ne soit prolongée en direction de l’Hôpital Nord. C’est dans l’une des maisons autour de la place, au n° 20, qu’est né le 12 mai 1842 le compositeur Jules Massenet. Le quartier appartenant alors à l’éphémère commune libre de Montaud, les dictionnaires persistent encore aujourd’hui à situer à « Montaud (Loire) » le lieu de naissance de Massenet, qui est pourtant un pur stéphanois, puisque la commune de Montaud devait rejoindre le giron de la ville de Saint-Étienne en 1855.

 

Aspect de la place au début du XXe siècle. La maison natale de Massenet est à droite (carte postale ancienne).

 Le quartier, tranquille jusqu’alors, connut un certain émoi dans les années 70. La rocade, devant former le contournement est de la ville et le raccordement de l’autoroute de Lyon à la future autoroute de Clermont-Ferrand, allait passer en tranchée en plein milieu de la Place Massenet, et de fait couper le quartier en deux parties. Les riverains s’en émurent évidemment, et ils finirent par obtenir gain de cause. S’il n’était pas question de déplacer la rocade, on pouvait au moins la recouvrir et rendre à la place son intégrité, sans que l’on puisse en rien deviner le passage en souterrain de cette voie autoroutière.

 

Le terminus du tramway dans les années 30 (carte postale ancienne)

 

Le même endroit aujourd’hui. Les bâtiments d’arrière-plan ont été remplacés par des constructions neuves. On aperçoit à droite le haut de la tour d’angle de l’hôtel.

 On parlait déjà du prolongement de la ligne de tramway, il paraissait donc impératif de redonner aussi à la Place Massenet et à ses abords un petit coup de neuf. Le quartier voisin de Grouchy posait le même problème, avec sa vieille caserne de dragons désaffectée. Entre les deux, la petite église du Sacré-Cœur, que rien hormis un bien modeste campanile ne permettait de distinguer de la grisaille des bâtiments qui l’entouraient, souffrait elle aussi de vétusté.

 La municipalité décida donc de réhabiliter ce quartier, opération qui fut menée fin des années 80 - début des années 90. Selon une rumeur persistante, entretenue par certains auteurs, les architectes étaient des Francs-Maçons convaincus qui en auraient profité pour truffer le quartier de symboles maçonniques, discrets bien qu’ostentatoires. Une visite s’impose, avec un regard neuf…

 LES COLONNES TRONQUÉES

 La colonne tronquée est un symbole que l’on rencontre fréquemment dans les cimetières. Elle matérialise l’œuvre inachevée du maçon emporté prématurément par la mort. Elle est devenue de fait l’un des principaux emblèmes de la maçonnerie.

 

La colonne tronquée maçonnique

 Lorsque l’on descend du tram à l’arrêt de la Terrasse, un coup d’œil circulaire permet de constater que les deux pôles de ce quartier sont marqués par de telles colonnes. Mais elles sont tellement énormes et ostensibles qu’elles finissent par devenir invisibles. Côté nord c’est la tour d’angle cylindrique de l’hôtel qui s’élève en ce lieu ; une tour dont on est bien obligé d’admettre qu’elle a la forme d’une colonne tronquée.

 

La tour / colonne tronquée de l’hôtel

 À l’opposé côté sud s’élève sa sœur jumelle, la tour du clocher de la nouvelle église de la Terrasse, également en forme de colonne tronquée, comme nous le verrons bientôt. D’un côté le lieu consacré à la spiritualité et à la méditation sur l’œuvre du Grand Architecte de l’Univers, de l’autre le lieu consacré aux agapes avec le restaurant attenant à l’hôtel. Le décor est planté…

 LE TRIANGLE, LES TROIS POINTS ET L’ÉCHELLE

 Déplaçons-nous de quelques mètres ; voici le point de départ de plusieurs lignes de bus. Une sorte de passerelle surplombe l’alignement des quais et des abribus. C’est une structure métallique tubulaire, de section triangulaire, abritant une voûte en plexiglas. Hormis le fait de matérialiser de loin l’emplacement du terminal des bus, rien ne justifie cette construction qui n’a aucune utilité, même pas celle d’abriter les voyageurs de la pluie, la voûte étant trop haute et trop étroite pour cela. L’œuvre paraît donc purement esthétique, encore que son esthétisme soit discutable. La « passerelle » repose d’un côté sur le petit bâtiment bas abritant les bureaux de la STAS (la compagnie des transports en commun de Saint-Étienne), et de l’autre sur un portique en béton brut de décoffrage. Une ouverture carrée y est percée, ouvrant sur une allée, et invitant à passer de l’autre côté.

 

L’étrange portique à l’extrémité de la « passerelle »

 Quand on se retourne pour « admirer » ce portique, apparaît alors une ouverture triangulaire, surmontant l’ouverture carrée, servant de support à l’extrémité de la « passerelle ». On croit y voir se matérialiser l’image d’un œil, formant le symbole maçonnique bien connu de l’œil dans le triangle. De même les tubulures paraissent reproduire l’image du compas et de l’équerre, autre symbole célèbre que la Franc-Maçonnerie partage avec le compagnonnage. Sous cette ouverture triangulaire, trois petits carrés clairs semblent rappeler quant à eux le symbole bien connu, et purement maçonnique celui-là, des trois points, tels qu’on les dessinait au début de la maçonnerie, c'est-à-dire alignés et non en triangle. Les trois points servaient à abréger des mots pour rendre un texte incompréhensible par le profane. C’est une invention française datant du XVIIIe siècle. Le triangle étant un symbole maçonnique très fort, on a rapidement pris l’habitude de disposer ainsi les fameux trois points. Ceux-ci devinrent tellement synonymes de Franc-Maçonnerie, l’expression « frères trois points » servit un temps à désigner péjorativement les Francs-Maçons.

 

Détail du triangle et des trois points. À droite, pour comparaison, les symboles maçonniques classiques : l’œil dans le triangle, l’équerre et le compas.

 Et puis lorsqu’on est sous le portique, la « passerelle » se révèle alors par-dessous et dans sa longueur, et l’on s’aperçoit que sa base forme une échelle de 33 bareaux, soit les 33 degrés du Rite Écossais Ancien et Accepté.

 LE SACRÉ-CŒUR ET L’AXE DU MONDE

 Faisons quelques pas en direction de la nouvelle église, consacrée comme la précédente au Sacré-Cœur de Jésus. Décidée à la fin des années 80, sa construction, confiée au cabinet d’architectes stéphanois Granet-Daudel, commença en 1992 et l’église fut consacrée fin 1993. On peut dire qu’elle ne laisse personne indifférent ! C’est une œuvre résolument moderne, pendant spirituel du Musée d’Art Moderne tout proche. L’édifice est en béton brut de décoffrage, formé par l’assemblage de panneaux carrés.

 La nef est une « caisse » parallélépipédique, flanquée côté est d’un petit bâtiment galbé auquel on accède par un escalier extérieur, et côté nord d’un voile de béton galbé s’élevant au-dessus de l’église pour protéger son campanile de quelques cloches et la croix qui le surmonte. Ce demi cylindre sert également de puits de lumière pour éclairer l’abside, dont il forme le mur du fond. Il faut noter que l’édifice est orienté vers le nord, alors que la place de manquait pas pour construire une église plus classiquement orientée vers l’est. Mais il faut préciser que telle était déjà l’orientation de l’ancien édifice.

 

La nouvelle église du Sacré-Cœur

 Au fur et à mesure que l’on fait le tour de l’église, par l’est puis par le nord, le voile de béton galbé semble se transformer lentement et finit par prendre l’apparence d’une tour cylindrique. Arrive un moment où la croix disparaît, et la tour en perdant toute apparence de chrétienté devient alors clairement une colonne tronquée. On dit que cette église de la Terrasse aurait servi de modèle à la cathédrale d’Évry, en région parisienne, construite peu après, qui offre elle aussi l’apparence d’une colonne tronquée.

 

Vues de l’église sous différents angles. À gauche la croix sommitale est encore visible. À droite la croix a disparu et le clocher apparaît sous l’aspect d’une colonne tronquée.

 À ce point du contournement de l’église, on s’aperçoit que l’angle nord-ouest de la nef se détache de la façade et forme une avancée triangulaire que rien ne justifie. De même rien ne justifie vraiment le pilier soutenant cette avancée, dont on devine qu’il doit empoisonner la vie du prêtre chaque fois qu’il rentre sa voiture dans le garage situé derrière… En vérité ce pilier soutenant une partie de l’édifice n’est rien d’autre qu’un « axis mundi », l’axe du monde, symbole d’unité divine, essentielle en maçonnerie. Un axe sud – nord traverse d’ailleurs tout le quartier, passant par les deux colonnes tronquées et se prolongeant en direction du Musée d’Art Moderne. UN axe, DEUX colonnes, TROIS points et le triangle : les trois premiers chiffres sont dûment représentés.

 

Le pilier de l’axe du monde ?

 Les réseaux maçonniques ont toujours été très influents à Saint-Étienne. Dans l’hypothèse d’une volonté délibérée des architectes de masquer ces symboles dans leur œuvre, on peut se demander s’ils ont agi de leur propre chef ou « aux ordres ». Tant que nous sommes dans la rumeur pourquoi ne pas continuer : cette orientation ésotérique n’aurait pas déplu, dit-on, à la municipalité d’alors. Succédant en 1983 à la municipalité du communiste Joseph Sanguedolce, qui comptait déjà quelques frères, la municipalité de droite présidée par François Dubanchet appartenait largement à la Franc-Maçonnerie, c’est de notoriété publique et c’est révéler un secret de Polichinelle que de le dire. « Pratiquement tous les élus stéphanois sont des Francs-Maçons », affirmait un spécialiste en la matière, le premier adjoint Christian Cabal, lui-même membre du Grand Oient de France. L’arrivée en 1993 du radical Michel Thiollière semble avoir un peu calmé le jeu, en particulier elle a scellé la disparition de la fraternelle des élus, amorcée à la fin des années 80. « Je ne connais qu’une seule loge, celle qui lui m’est réservée au stade Geoffroy Guichard » proclamait Michel Thiollière. Aujourd’hui les élus stéphanois Francs-Maçons, parfois adversaires en politique, sont frères en maçonnerie et se côtoient dans les loges, une situation d’ailleurs fortement dénoncée par le Front National.

 Mais après tout nous sommes peut-être en train de fantasmer. Tous ces symboles cachés sont de nature subliminale bien entendu, il faut une certaine tournure d’esprit pour voir apparaître ces images…


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