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Rubrique
Les Papes
Novembre
2023
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Thierry
Rollat
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Le
Pape CalixteII
![]() (1119/1124) |
Même
si Calixte II, de son vrai nom Guy de
Bourgogne, est issu de la haute noblesse, rien ne lui laissait
présager un tel
destin. Descendant de Charlemagne, il naquit dans le comté de
Bourgogne (ce qui
correspond à peu près au diocèse de
Besançon) en ce onzième siècle troublé. Son
père, Guillaume le Grand est comte de Bourgogne. Il est son
troisième ou
quatrième fils. Les origines de sa mère, même si un
peu floues, seraient
viennoises (Isère). Ce dernier point expliquerait en partie son
choix ultérieur
de s’engager dans de hautes responsabilités
précisément à Vienne et ce, au sein de
l’Eglise. Il fut élevé à Besançon et
dès l’âge de 8 ans, il intégra l’école du
chapitre cathédral Saint-Jean de Besançon. On
retiendra qu’il fut ordonné prêtre avant
l’âge et commença comme chanoine de l’Abbaye Saint-Paul
toujours à Besançon.
Ensuite, rien de certain concernant son jeune parcours. Toujours
est-il, que son
frère Hugues, à la mort d’Hugues II, va devenir
archevêque de Besançon sous le
nom d’Hugues III. En 1087 ses deux parents décèdent coup
sur coup. Le siège
épiscopal de Besançon occupé par son frère,
l’oblige à rechercher une place
vacante mais importante, ailleurs. Le diocèse de Vienne demeure
vacant, alors
il se tourne vers cet avenir en devenant avant 30 ans,
archevêque de
Vienne.
La
cathédrale Saint-Maurice de Vienne
Vienne
est une place forte chrétienne depuis au
moins le 3ème siècle, depuis son
évêché fondé à cette époque,
ce qui
en fait l’un des plus vieux de France. Ecoutons Gilles Marie Moreau
nous décrire ce diocèse de Vienne. " Il
s’étend sur une partie du territoire
des anciennes provinces du Dauphiné, du Lyonnais, du Forez et du
Vivarais ; et sur les actuels départements de
l’Isère, du Rhône, de la
Loire, de la Drôme et de l’Ardèche. Situé entre les
diocèses de Lyon (ouest et
nord), de Belley (est), de Grenoble et Valence (sud), et du Puy
(ouest), son
territoire est situé en majeure partie sur la rive gauche du
Rhône, et dans une moindre mesure sur
la rive droite. Outre Vienne, on y trouve entre autres Romans,
La-Tour-du-Pin
et Annonay".
Les
possessions de l’Eglise de Vienne sont alors
nombreuses et réparties sur d’innombrables villages (paroisses).
Guy de
Bourgogne se retrouve à la tête d’une forte puissance,
puissance qui s’exerce
aussi partiellement sur ses voisins. Les différents avec ces
derniers sont
nombreux pour le futur Calixte II. Il va notamment s’employer à
défendre durant 31 ans,
la primatie viennoise. On
parle précisément de la dignité primatiale
de l’archevêché de Vienne. Un Primat, comme son voisin
lyonnais, celui des
Gaules, est un archevêque qui gère non seulement des
évêques mais aussi des
archevêques. Avec probité, parfois en querelles, Guy de
Bourgogne s’emploiera scrupuleusement
à faire respecter ce qui a valeur de privilège. Un
très long conflit va
l’opposer à un futur saint Homme, je veux parler de Saint Hugues
alors évêque
de Grenoble. Ce conflit, sous l’arbitrage chronique de plusieurs Papes
successifs va marquer l’image de marque et peut-être même
révéler au grand jour
le caractère profond de Guy de Bourgogne. Hugues de Grenoble
pour information
est celui qui a installé en 1084, le futur saint Bruno fondateur
de l’Ordre des
Chartreux dans la vallée de la Chartreuse près de
Grenoble. C’est loin d’être
un inconnu donc. Dans
ces querelles marquées, Guy de Bourgogne
ne va pas lésiner sur les moyens, n'hésitant pas à
inventer des faux pour faire
aboutir sa cause. De nombreuses années plus tard, il sera
pourtant rendu un
arbitrage équitable de l’ordre d’un cinquante/cinquante pour
partager les
territoires cause du conflit avec Hugues de Grenoble. Notons qu’une
fois Pape, Calixte II ne se
gênera
pas pour essayer de revenir sur cet accord au bénéfice de
Vienne évidemment.
Efficace, déterminé, on ne peut pas dire qu’il a toujours
été propre dans ses
agissements envers autrui. A
Vienne, depuis l’archevêque Adon (860/875) la
chrétienté avait enfin trouvé une destinée
au célèbre Ponce Pilate. Ce
procurateur de Judée que l’on accuse parfois ou plus souvent de
déicide à cause
de la crucifixion de Jésus dont il serait responsable, aurait
selon Adon, fini
ses jours en Gaule et à Vienne précisément. Si les
dictionnaires actuels
indiquent Vienne ou Lucerne en Suisse comme lieu du décès
de Ponce Pilate, eh
bien on le doit précisément à Calixte II, lui
l’ancien archevêque de Vienne.
Durant 31 ans, il n’a jamais dénoncé de quelque
manière que ce soit cette fin
de vie prêtée à Ponce Pilate à Vienne.
Jésus
face à Ponce Pilate
En
revanche une fois élu Pape, il va tout
simplement inventer la légende suisse. Ponce Pilate à qui
de son vivant
personne n’a jamais reproché la mort de Jésus, a en
réalité coulé des jours
heureux dans l’opulence à la Villa Pontiana sur les actuelles
communes de Vérin
(42) et Saint-Michel-sur-Rhône (42), le long du fleuve
Rhône à quelques
kilomètres de Vienne mais sur l’autre rive. Guy de Bourgogne le
savait, alors
faut-il que cette vérité historique puisse avoir,
à
un moment donné, dérangé la puissante Eglise.
Calixte II s’est donc chargé de
brouiller les pistes
avec Lucerne en Suisse, là où comme à Vienne avec
Adon on fait mourir Ponce
Pilate rapidement et de mort violente, souvent de suicide car trop de
repentances sur la conscience à propos de la mort du Christ.
Ponce Pilate avait
été rappelé de Judée par Tibère
suite à des abus consommés sur le peuple juif.
Une fois arrivé à Rome, Tibère était
décédé entre temps. Caligula régnait alors
sur l’Empire romain et Ponce Pilate a fui ce tyran en Gaule,
précisément donc
dans les environs directs de Vienne, là où il pouvait
finir ses jours en toute
tranquillité. Guy
de Bourgogne s’est toujours intéressé au
Pèlerinage de Compostelle. Au Moyen-Âge, une fois devenu
Calixte II, il va
beaucoup contribuer à développer et à dynamiser
Compostelle, n’hésitant pas à
même sensiblement faire de l’ombre au Pèlerinage à
Jérusalem. Justement
lorsqu’il était archevêque de Vienne, il a exercé
sous Urbain II, le Pape qui a
prêché la première Croisade. Il fut même
parfois en conflit avec celui-ci. D’un
caractère bien trempé, Guy de Bourgogne ne
renonçait pas facilement à ce qu’il
avait en tête. Il froissait sans scrupule les Papes mais savait
aussi être un
grand diplomate à leur service et à ce titre il a
beaucoup voyagé pour
arbitrer des
différends, parfois importants et ce aux quatre coins du monde
de
l’époque à
savoir l’Europe principalement. On notera pour exemple un arbitrage
diplomatique entre les Français et les Anglais à propos
de la Normandie. Son
ami, le roi de France, Louis VI le Gros, allant même
jusqu’à lui reprocher
d’avoir été trop favorable aux anglais.
Un
symbole de Compostelle
D’ailleurs
et cela a marqué plus tard son
pontificat, il s’est employé à répétition
à réussir l’arbitrage avec
l’empereur Henri V et ce au nom de plusieurs Papes. Henri V n’a
pas hésité
à soutenir un temps un antipape contre Pascal II le Pape en
exercice.
L’empereur a débarqué à Rome avec une armée
et devant la menace présente,
Pascal II, (nous sommes vers 1110), a reculé et donné
raison aux Investitures
souhaitées par l’empereur germanique. Une fois devenu Pape,
Calixte II va
déloger l’antipape Grégoire VIII et ce, sans
ménagement. Si ce dernier aura la
vie sauve, il terminera ses jours cloitrés dans un
monastère, non sans avoir
subi auparavant une longue humiliation publique devant une foule
déchainée. Ces
Investitures et l’apaisement qu’obtiendra Calixte II à leur
propos, reste une
des grandes réussites de son pontificat. En 1122, il signera un
traité (le
concordat de Worms) avec l’empereur germanique Henri V, mettant fin
à près de
45 années de guerre de pouvoir hiérarchique opposant la
papauté aux empereurs
germaniques. Guy
de Bourgogne a toujours eu ce côté
déterminé et sans appel, mais heureusement il a mis au
service de la paix ce
qui ne pourrait paraître qu’un défaut alors qu’il s’en est
aussi servi de qualité
dans sa vie et ce ; que ce soit comme archevêque ou comme Pape.
Le
long conflit
des Investitures entretenu avec différents empereurs,
commencé même avant qu’il
ne soit archevêque de Vienne, outre le fait de retirer de la
circulation
l’antipape, eh bien Calixte II va réussir à estomper ce
problème récurrent en
trouvant ce juste arbitrage.
L'antipape
Grégoire VIII devant Calixte II
Guy
de Bourgogne ne voulait pas devenir Pape.
Il a quitté l’archevêché de Vienne à
contrecœur. Il n’a pas eu la force morale
de refuser la fonction suprême, pourtant il aspirait
profondément à rester
jusqu’à sa mort archevêque de Vienne. Une fois élu,
prudent, il va rester un an
et demi hors de Rome et de Latran. A l’époque le Vatican
n’existe pas ; on
parle de la Basilique Saint Jean de Latran. Les italiens, les grandes
familles
italiennes influentes, Calixte II, finira par en faire pour une bonne
partie
d’entre elles des alliés. Incontestablement il savait user de
diplomatie. Aujourd’hui
Vienne lui rend d’ailleurs toujours discrètement hommage
puisqu’une rue, la rue
Calixte, passe près de la Cathédrale Saint-Maurice. Depuis
1118 et jusqu’à son décès survenu en
1124, que ce soit donc comme archevêque de Vienne aux multiples
casquettes ou
comme Pape donc, Calixte II a entrevu d’abord puis supervisé
ensuite, l’Ordre
du Temple naissant. Si les Templiers ont existé en tant que tels
à partir du Concile de Troyes en 1128, ils ont d’abord
été
discrètement intronisés durant
neuf ans (1118/1127) sous le nom de pauvres chevaliers du Christ alors
que la
Terre Sainte était en paix relative depuis la prise de
Jérusalem par les croisés
en 1099. Ces neuf années auront permis de nombreuses recherches
sur le terrain
et des observations pointues sur l’état des forces en
présence. L’Ordre du
Temple sera fondé grâce à cette
pré-période significative d’où est ressorti le
fait de devoir créer ce qui deviendra un puissant ordre
religieux et militaire. Calixte
II a véritablement exercé des
responsabilités importantes et progressives jusqu’à
devenir Pape, à une époque
charnière, dans la suite de la réforme grégorienne
à laquelle il adhérait. Il
avait établi des liens de confiance avec les ordres monastiques
naissant et
notamment les cisterciens, allant, alors qu’il était
archevêque de Vienne,
jusqu’à faire installer une maison cistercienne sur le
territoire qu’il avait
en responsabilité, à Villeneuve de Marc
précisément. Il ne manquait pas de
dynamisme ni de perspicacité. Pourtant c’est avec les
bénédictins de Cluny
qu’il entretiendra des rapports de confiance encore plus
privilégiés. C’est
d’ailleurs en ce lieu qu’il sera élu Pape avant plus tard de se
faire confirmer
à Rome. Calixte
II n’a jamais oublié Vienne une fois
installé à Rome. Pourtant il n’y retournera jamais.
Néanmoins et ce dès son
élection, il fera passer des bulles papales toujours favorables
à ses anciens
territoires ou plus malin encore, défavorables à des
traités anciens qui ne lui
avaient pas donné satisfaction. On ne peut pas aller
jusqu’à écrire que la
rancune parlait mais tout au moins qu’il n’avait pas la mémoire
courte. En ces
temps-là et beaucoup plus qu’aujourd’hui ne serait ce qu’en
raison de
l’influence perdue, les Papes étaient de véritables
hommes politiques ; la
religion n’était pas toujours au-devant de la scène. Le
pouvoir et l’argent,
disons la puissance hégémonique, guidaient bien des actes
de ces grands religieux
et Calixte II entre parfaitement dans ce cadre, lui qui ne perdait
jamais de
temps, même lors de ses nombreux voyages pour éditer de
nouvelles bulles
papales tranchant encore et encore des différends.
Vue
générale sur Vienne, ville très chère au
coeur de Calixte II
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