Rubrique
Les Papes

Novembre 2023







Par
Thierry Rollat


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Le Pape CalixteII



(1119/1124)






     Ce ne sont pas forcément toujours les Papes, ayant œuvré une ou plusieurs décennies sur le siège de Pierre, qui ont le plus marqué l’Histoire. Il est au contraire des hommes qui ont connu une destinée des plus exceptionnelles en se retrouvant peu de temps ou d’années à la tête de l’Eglise catholique romaine. Calixte II appartient à cette seconde catégorie au travers d’un court règne de 5 années (1119/1124). Né vers l’an 1060, sa vie est faite de luttes nombreuses, souvent au service de la paix. Personnage intéressant, nous allons nous lancer sur les traces qu’il a laissées.

Même si Calixte II, de son vrai nom Guy de Bourgogne, est issu de la haute noblesse, rien ne lui laissait présager un tel destin. Descendant de Charlemagne, il naquit dans le comté de Bourgogne (ce qui correspond à peu près au diocèse de Besançon) en ce onzième siècle troublé. Son père, Guillaume le Grand est comte de Bourgogne. Il est son troisième ou quatrième fils. Les origines de sa mère, même si un peu floues, seraient viennoises (Isère). Ce dernier point expliquerait en partie son choix ultérieur de s’engager dans de hautes responsabilités précisément à Vienne et ce, au sein de l’Eglise. Il fut élevé à Besançon et dès l’âge de 8 ans, il intégra l’école du chapitre cathédral Saint-Jean de Besançon.

On retiendra qu’il fut ordonné prêtre avant l’âge et commença comme chanoine de l’Abbaye Saint-Paul toujours à Besançon. Ensuite, rien de certain concernant son jeune parcours. Toujours est-il, que son frère Hugues, à la mort d’Hugues II, va devenir archevêque de Besançon sous le nom d’Hugues III. En 1087 ses deux parents décèdent coup sur coup. Le siège épiscopal de Besançon occupé par son frère, l’oblige à rechercher une place vacante mais importante, ailleurs. Le diocèse de Vienne demeure vacant, alors il se tourne vers cet avenir en devenant avant 30 ans, archevêque de Vienne.


La cathédrale Saint-Maurice de Vienne

Vienne est une place forte chrétienne depuis au moins le 3ème siècle, depuis son évêché fondé à cette époque, ce qui en fait l’un des plus vieux de France. Ecoutons Gilles Marie Moreau nous décrire ce diocèse de Vienne. " Il s’étend sur une partie du territoire des anciennes provinces du Dauphiné, du Lyonnais, du Forez et du Vivarais ; et sur les actuels départements de l’Isère, du Rhône, de la Loire, de la Drôme et de l’Ardèche. Situé entre les diocèses de Lyon (ouest et nord), de Belley (est), de Grenoble et Valence (sud), et du Puy (ouest), son territoire est situé en majeure partie sur la rive gauche du Rhône, et dans une moindre mesure sur la rive droite. Outre Vienne, on y trouve entre autres Romans, La-Tour-du-Pin et Annonay".

Les possessions de l’Eglise de Vienne sont alors nombreuses et réparties sur d’innombrables villages (paroisses). Guy de Bourgogne se retrouve à la tête d’une forte puissance, puissance qui s’exerce aussi partiellement sur ses voisins. Les différents avec ces derniers sont nombreux pour le futur Calixte II. Il va notamment s’employer à défendre durant 31 ans, la primatie viennoise.

On parle précisément de la dignité primatiale de l’archevêché de Vienne. Un Primat, comme son voisin lyonnais, celui des Gaules, est un archevêque qui gère non seulement des évêques mais aussi des archevêques. Avec probité, parfois en querelles, Guy de Bourgogne s’emploiera scrupuleusement à faire respecter ce qui a valeur de privilège. Un très long conflit va l’opposer à un futur saint Homme, je veux parler de Saint Hugues alors évêque de Grenoble. Ce conflit, sous l’arbitrage chronique de plusieurs Papes successifs va marquer l’image de marque et peut-être même révéler au grand jour le caractère profond de Guy de Bourgogne. Hugues de Grenoble pour information est celui qui a installé en 1084, le futur saint Bruno fondateur de l’Ordre des Chartreux dans la vallée de la Chartreuse près de Grenoble. C’est loin d’être un inconnu donc.

Dans ces querelles marquées, Guy de Bourgogne ne va pas lésiner sur les moyens, n'hésitant pas à inventer des faux pour faire aboutir sa cause. De nombreuses années plus tard, il sera pourtant rendu un arbitrage équitable de l’ordre d’un cinquante/cinquante pour partager les territoires cause du conflit avec Hugues de Grenoble. Notons qu’une fois Pape, Calixte II ne se gênera pas pour essayer de revenir sur cet accord au bénéfice de Vienne évidemment. Efficace, déterminé, on ne peut pas dire qu’il a toujours été propre dans ses agissements envers autrui.

A Vienne, depuis l’archevêque Adon (860/875) la chrétienté avait enfin trouvé une destinée au célèbre Ponce Pilate. Ce procurateur de Judée que l’on accuse parfois ou plus souvent de déicide à cause de la crucifixion de Jésus dont il serait responsable, aurait selon Adon, fini ses jours en Gaule et à Vienne précisément. Si les dictionnaires actuels indiquent Vienne ou Lucerne en Suisse comme lieu du décès de Ponce Pilate, eh bien on le doit précisément à Calixte II, lui l’ancien archevêque de Vienne. Durant 31 ans, il n’a jamais dénoncé de quelque manière que ce soit cette fin de vie prêtée à Ponce Pilate à Vienne.


Jésus face à Ponce Pilate

En revanche une fois élu Pape, il va tout simplement inventer la légende suisse. Ponce Pilate à qui de son vivant personne n’a jamais reproché la mort de Jésus, a en réalité coulé des jours heureux dans l’opulence à la Villa Pontiana sur les actuelles communes de Vérin (42) et Saint-Michel-sur-Rhône (42), le long du fleuve Rhône à quelques kilomètres de Vienne mais sur l’autre rive. Guy de Bourgogne le savait, alors faut-il que cette vérité historique puisse avoir, à un moment donné, dérangé la puissante Eglise. Calixte II s’est donc chargé de brouiller les pistes avec Lucerne en Suisse, là où comme à Vienne avec Adon on fait mourir Ponce Pilate rapidement et de mort violente, souvent de suicide car trop de repentances sur la conscience à propos de la mort du Christ. Ponce Pilate avait été rappelé de Judée par Tibère suite à des abus consommés sur le peuple juif. Une fois arrivé à Rome, Tibère était décédé entre temps. Caligula régnait alors sur l’Empire romain et Ponce Pilate a fui ce tyran en Gaule, précisément donc dans les environs directs de Vienne, là où il pouvait finir ses jours en toute tranquillité.

Guy de Bourgogne s’est toujours intéressé au Pèlerinage de Compostelle. Au Moyen-Âge, une fois devenu Calixte II, il va beaucoup contribuer à développer et à dynamiser Compostelle, n’hésitant pas à même sensiblement faire de l’ombre au Pèlerinage à Jérusalem. Justement lorsqu’il était archevêque de Vienne, il a exercé sous Urbain II, le Pape qui a prêché la première Croisade. Il fut même parfois en conflit avec celui-ci. D’un caractère bien trempé, Guy de Bourgogne ne renonçait pas facilement à ce qu’il avait en tête. Il froissait sans scrupule les Papes mais savait aussi être un grand diplomate à leur service et à ce titre il a beaucoup voyagé pour arbitrer des différends, parfois importants et ce aux quatre coins du monde de l’époque à savoir l’Europe principalement. On notera pour exemple un arbitrage diplomatique entre les Français et les Anglais à propos de la Normandie. Son ami, le roi de France, Louis VI le Gros, allant même jusqu’à lui reprocher d’avoir été trop favorable aux anglais.


Un symbole de Compostelle

D’ailleurs et cela a marqué plus tard son pontificat, il s’est employé à répétition à réussir l’arbitrage avec l’empereur Henri V et ce au nom de plusieurs Papes. Henri V n’a pas hésité à soutenir un temps un antipape contre Pascal II le Pape en exercice. L’empereur a débarqué à Rome avec une armée et devant la menace présente, Pascal II, (nous sommes vers 1110), a reculé et donné raison aux Investitures souhaitées par l’empereur germanique. Une fois devenu Pape, Calixte II va déloger l’antipape Grégoire VIII et ce, sans ménagement. Si ce dernier aura la vie sauve, il terminera ses jours cloitrés dans un monastère, non sans avoir subi auparavant une longue humiliation publique devant une foule déchainée. Ces Investitures et l’apaisement qu’obtiendra Calixte II à leur propos, reste une des grandes réussites de son pontificat. En 1122, il signera un traité (le concordat de Worms) avec l’empereur germanique Henri V, mettant fin à près de 45 années de guerre de pouvoir hiérarchique opposant la papauté aux empereurs germaniques.

Guy de Bourgogne a toujours eu ce côté déterminé et sans appel, mais heureusement il a mis au service de la paix ce qui ne pourrait paraître qu’un défaut alors qu’il s’en est aussi servi de qualité dans sa vie et ce ; que ce soit comme archevêque ou comme Pape. Le long conflit des Investitures entretenu avec différents empereurs, commencé même avant qu’il ne soit archevêque de Vienne, outre le fait de retirer de la circulation l’antipape, eh bien Calixte II va réussir à estomper ce problème récurrent en trouvant ce juste arbitrage.


L'antipape Grégoire VIII devant Calixte II

Guy de Bourgogne ne voulait pas devenir Pape. Il a quitté l’archevêché de Vienne à contrecœur. Il n’a pas eu la force morale de refuser la fonction suprême, pourtant il aspirait profondément à rester jusqu’à sa mort archevêque de Vienne. Une fois élu, prudent, il va rester un an et demi hors de Rome et de Latran. A l’époque le Vatican n’existe pas ; on parle de la Basilique Saint Jean de Latran. Les italiens, les grandes familles italiennes influentes, Calixte II, finira par en faire pour une bonne partie d’entre elles des alliés. Incontestablement il savait user de diplomatie. Aujourd’hui Vienne lui rend d’ailleurs toujours discrètement hommage puisqu’une rue, la rue Calixte, passe près de la Cathédrale Saint-Maurice.

Depuis 1118 et jusqu’à son décès survenu en 1124, que ce soit donc comme archevêque de Vienne aux multiples casquettes ou comme Pape donc, Calixte II a entrevu d’abord puis supervisé ensuite, l’Ordre du Temple naissant. Si les Templiers ont existé en tant que tels à partir du Concile de Troyes en 1128, ils ont d’abord été discrètement intronisés durant neuf ans (1118/1127) sous le nom de pauvres chevaliers du Christ alors que la Terre Sainte était en paix relative depuis la prise de Jérusalem par les croisés en 1099. Ces neuf années auront permis de nombreuses recherches sur le terrain et des observations pointues sur l’état des forces en présence. L’Ordre du Temple sera fondé grâce à cette pré-période significative d’où est ressorti le fait de devoir créer ce qui deviendra un puissant ordre religieux et militaire.

Calixte II a véritablement exercé des responsabilités importantes et progressives jusqu’à devenir Pape, à une époque charnière, dans la suite de la réforme grégorienne à laquelle il adhérait. Il avait établi des liens de confiance avec les ordres monastiques naissant et notamment les cisterciens, allant, alors qu’il était archevêque de Vienne, jusqu’à faire installer une maison cistercienne sur le territoire qu’il avait en responsabilité, à Villeneuve de Marc précisément. Il ne manquait pas de dynamisme ni de perspicacité. Pourtant c’est avec les bénédictins de Cluny qu’il entretiendra des rapports de confiance encore plus privilégiés. C’est d’ailleurs en ce lieu qu’il sera élu Pape avant plus tard de se faire confirmer à Rome.

Calixte II n’a jamais oublié Vienne une fois installé à Rome. Pourtant il n’y retournera jamais. Néanmoins et ce dès son élection, il fera passer des bulles papales toujours favorables à ses anciens territoires ou plus malin encore, défavorables à des traités anciens qui ne lui avaient pas donné satisfaction. On ne peut pas aller jusqu’à écrire que la rancune parlait mais tout au moins qu’il n’avait pas la mémoire courte. En ces temps-là et beaucoup plus qu’aujourd’hui ne serait ce qu’en raison de l’influence perdue, les Papes étaient de véritables hommes politiques ; la religion n’était pas toujours au-devant de la scène. Le pouvoir et l’argent, disons la puissance hégémonique, guidaient bien des actes de ces grands religieux et Calixte II entre parfaitement dans ce cadre, lui qui ne perdait jamais de temps, même lors de ses nombreux voyages pour éditer de nouvelles bulles papales tranchant encore et encore des différends.



Vue générale sur Vienne, ville très chère au coeur de Calixte II


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