Rubrique

Civilisations Disparues

Septembre 2023






Par
Patrick Berlier


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LES CELTES, LEURS MYSTÉRES ET LEUR RELIGION

 

La civilisation celtique s'est constituée pendant la protohistoire, rassemblant des peuplades d'origine indo-européenne. Depuis le XIXe siècle les historiens s'accordent à penser que les premiers peuples considérés comme celtiques furent ceux établis à Hallstatt (Autriche), vers 1200 avant notre ère. Ils formaient une civilisation composée de peuplades diverses, mais fédérées par la même langue et la même religion. Cette civilisation s'étendait alors sur la Suisse, l'Autriche, la moitié sud de l'Allemagne, la Tchéquie, l'ouest de la Slovaquie et de la Hongrie, l'est de la France.

À une époque que l'on peut situer vers 450 avant notre ère, les Celtes entreprirent une grande expansion migratoire, dans diverses directions. Vers l'ouest ils occupèrent rapidement quasiment la totalité du territoire français, puis de là le Benelux, les îles britanniques, la péninsule ibérique. Vers le sud ils occupèrent le nord de l'Italie. Vers l'est ils allèrent s'installer jusqu'en Anatolie, au centre de la Turquie.

C'est la recherche de nouveaux gisements de minerai de fer qui conduisit les Celtes à cette expansion. En effet ils exploitaient des mines de fer, ils savaient fondre le minerai pour en extraire le métal, et le travailler pour en faire des épées, des cottes de maille, des casques, des boucliers, et divers ustensiles. Leurs armes en fer étaient suffisamment solides pour assurer les mouvements dits de taille, de haut en bas ou latéralement, alors que les armes en bronze des autres peuples ne permettaient que le mouvement d'estoc, d'arrière en avant. Les Celtes possédaient ainsi un avantage considérable sur leurs adversaires éventuels moins évolués qu'eux.  En outre ils étaient d'excellents cavaliers.

 

Les Celtes vue par une vieille publicité

 

Si les Celtes avaient une langue, parfaitement structurée, ils la parlaient mais ne l'écrivaient pas. Aussi n'existe-t-il aucun écrit dans cette langue, contrairement au latin ou au grec à la même époque. Cependant c'est une langue dont on retrouve les traces dans les noms communs, notamment en français, et dans les noms propres, noms de lieux en particulier. Et la langue celtique a perduré dans certaines langues locales comme le breton, le gaélique ou le gallois.

C'est le géographe et historien grec Hécatée de Milet qui en 517 avant notre ère, parlant d'un peuple vivant près de Massilia (Marseille) nomma ces gens Keltoi, un terme dont l'étymologie reste incertaine. On ignore d'ailleurs s'il s'agit du nom par lequel ils se nommaient entre eux, ou s'il a été inventé par l'auteur grec.

Plus tard, au Ier siècle avant notre ère, Jules César écrivit que ces peuples se nommaient entre eux Celtii et dans sa langue Gallii. En effet en latin on nommait le pays qu'ils occupaient Gallia, la Gaule, et leurs habitants Gallii, pluriel de Gallus, Gaulois,. À la fin du même siècle, le géographe grec Strabon écrivait que la race occupant ce pays « se nommait maintenant à la fois gauloise et galate ». Ainsi peut-on parler indifféremment de Celtes, de Gaulois ou de Galates, les trois noms sont des synonymes tirés de la même racine.

Il est notable que l'expansion celtique fut pacifique. Naturellement les Celtes rencontrèrent des peuples habitant les régions vers lesquelles ils avaient décidé de s'étendre. Ils ne se livrèrent à aucun génocide, au contraire ils se fondirent dans les populations locales, à qui ils apportèrent leur culture, leur religion et leurs connaissances.

Au IIe siècle avant notre ère, les Celtes furent contenus dans leur expansion par la pression de peuples aussi évolués qu'eux, ou même parfois plus. Ce furent les Germains au nord, et surtout les Romains au sud, qui débarquèrent à Marseille vers -121 suite à l'appel de ses habitants. Marseille était alors une colonie grecque, qui avait du mal à repousser les incursions des Ligures, peuplade celtique vivant dans les régions de Haute-Provence. Les Romains, trop heureux de saisir l'occasion de s'installer en Gaule, se rendirent maîtres des Ligures, puis des Allobroges un peu plus au nord, et laissant Marseille aux Grecs ils fondèrent les villes de Vienne puis de Lyon, tout en s'installant à Narbonne, ville alors au bord de la mer, dont ils firent le port principal de ce pays.

Au siècle suivant, Jules César entreprit la conquête de l'ensemble de la Gaule, et plus tard l'empire romain étendit son emprise sur toutes les régions jadis habitées par les Celtes, jusqu'en Irlande. En réalité, ce n'est pas tellement par la guerre que les Romains se rendirent maîtres de ce peuple, mais plutôt par leur extraordinaire technologie. Leurs constructions, leurs aqueducs, leurs thermes, leurs théâtres, leurs machines, leurs instruments de mesure, tout cela impressionna les Celtes, lesquels comprirent vite tout l'intérêt qu'ils avaient à s'allier avec les Romains plutôt qu'à les combattre.

 

Le pont Julien en Provence, bel exemple du génie romain

 

On doit à César la première description des Gaulois, de leur mode de vie et de leur religion. La société celtique était divisée en trois classes : clergé, noblesse, peuple. Le peuple était dirigé à la fois par la noblesse des guerriers les plus riches, et par les officiants du clergé assurant à la fois l'enseignement et la direction spirituelle. Chaque tribu était dirigée par un roi issu de le noblesse, portant le titre de rix que l'on retrouve en finale de son nom, comme Vercingétorix. Le roi édictait les lois, il protégeait ses sujets, et était garant de leur paix en s'engageant à vaincre les ennemis éventuels. C'est lui qui commandait les batailles. S'il échouait dans ses obligations, il était le plus souvent mis à mort et immédiatement remplacé.

L'habitat celtique était constitué de maisons en bois et torchis, avec des toits assez pentus, couverts de chaume, et une cheminée. Chaque maison ne comptait qu'une seule grande pièce, où vivait toute la famille, avec un foyer et un grand lit. Les maisons étaient groupées en villages, souvent entourés de palissades. Aucune de ces habitations n'est parvenue jusqu'à nous. Les quelques reconstitutions qui en ont été faites montrent une certaine ressemblance avec les chalets savoyards les plus rustiques, les jasseries du Haut-Forez, ou les burons  d'Auvergne.

 

Jasseries du Haut-Forez

Les maisons celtiques devaient ressembler à ce type de constructions

 

Excellents agriculteurs, les Celtes cultivaient céréales, légumes et légumineuses. Ils connaissaient la moissonneuse. Ils élevaient porcs, vaches, chèvres, brebis et volailles, pour la viande, le lait et les œufs. Ils chassaient les animaux de la forêt à l'aide de chiens. Ils fabriquaient une boisson fermentée nommée cervoise, ancêtre de la bière, que les Romains apprécièrent peu. Aussi leur firent-ils découvrir le vin et l'art de cultiver la vigne. Mais les Romains furent horrifiés de voir les Gaulois boire leur vin pur et à température ambiante, alors qu'eux le buvaient coupé d'eau et frais. Pour un Romain, le sommet du raffinement était d'ajouter une boule de neige dans son verre de vin. Le musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal, en face de Vienne, s'est allié à un viticulteur pour fabriquer du vin comme ceux des Romains. Des dégustations sont parfois organisées pour les visiteurs, qui ressortent généralement peu emballés par l'expérience, étant sans doute trop gaulois pour apprécier le vin romain...

Les Celtes étaient aussi d'excellents artisans. Ils connaissaient la poterie, qu'ils rendaient lisses et brillantes en utilisant un sulfure de plomb nommé alquifoux, nom bien oublié mais figurant pourtant toujours dans les dictionnaires. Après avoir été réduit en poudre cet alquifoux était délayé avec de l’eau et de la bouse de vache, et le mélange était appliqué sur les poteries. Celles-ci subissaient une cuisson modérée et le sulfure de plomb en fondant ajoutait sur la poterie une couche de vernis brillant. Le rôle de la bouse était d’éviter l’oxydation en cours de cuisson. En outre les Celtes travaillaient tous les métaux pour fabriquer chaudrons, pots, etc. souvent décorés de motifs végétaux ou anthropomorphes. On peut citer en particulier le célèbre chaudron de Gundestrup.

 

Le chaudron de Gundestrup – gravure ancienne

(Musée national du Danemark)

 

Les Celtes frappaient des monnaies en or ou en argent, ils fabriquaient des bijoux dans les mêmes métaux, des figurines et des miroirs en bronze. L'art celtique s'inspirait de la nature, des animaux familiers comme le sanglier ou le cheval, il était également célèbre pour ses entrelacs, qui ont perduré  dans l'art roman.

 

Figurines celtiques en bronze, sanglier et cheval

(Musée Déchelette, Roanne)

 

Jusqu'à une époque récente, et même encore parfois aujourd'hui, on a vu les Gaulois, et plus particulièrement les druides, comme ceux qui avaient dressé menhirs et dolmens. Or il est aujourd'hui bien établi que ces mégalithes sont largement antérieurs aux Celtes, puisqu'ils étaient déjà là mille ans avant l'apparition de ce peuple. Oublions donc « pierre druidique », « rocher des druides », ou « baignoire des Gaulois ».

Évoquons pour clore ce dossier la religion des Gaulois. Dans la société celtique, la classe sacerdotale était composée de druides, chargés de l'éducation spirituelle et officiant lors des cérémonies, d'ovates, vates ou eubages, chargés de la divination et de l'enseignement des sciences, la médecine en particulier, et des bardes dont le rôle était la poésie et le chant. Le mot druide vient de dru-wid-es, signifiant « très savant ».

Les Celtes croyaient en un Autre Monde situé sur une île indéterminée. Selon leurs croyances, ce monde qu'ils nommaient Sidh était entouré d'un rempart de verre, à travers lequel on pouvoir voir ses habitants sans pouvoir leur parler. L'Autre Monde était le pays où vivaient les dieux et déesses. 

L'année celtique était rythmée par quatre fêtes religieuses, une par trimestre. Deux principales, Samain le 1er novembre, Beltaine le 1er mai, et deux secondaires, Imbolc le 1er février et Lugnasa le 1er août. Samain était la plus grande fête, comme une sorte de « nouvel an ». Elle marquait la fin de l'été, le retour des troupeaux dans l'étable. Durant la nuit de Samain l'Autre Monde était ouvert aux vivants. Récupérée par la religion chrétienne, cette fête celtique est devenue  celle de tous les saints, la Toussaint, ou Halloween dans les pays anglo-saxons.

Beltaine, la seconde grande fête celtique, célébrait le début de l'été, le retour des beaux jours, la sortie des troupeaux de l'étable. C'était le renouveau du travail pastoral, et l'on cueillait des rameaux destinés à protéger les habitations. Autant de principes qui se retrouvent aujourd'hui lors du 1er mai à la fois dans la Fête du travail et dans la coutume du brin de muguet porte-bonheur.

Imbolc était la fête de purification marquant le milieu de l'hiver. Les chrétiens l'ont récupérée pour en faire la Chandeleur, fêtée le 2 février. Le nom vient de festum candelarum, la fête de bénédiction des chandelles qui se pratiquait jadis, et à la sortie de l'église le clergé distribuait des petits pains. On a oublié la fête religieuse pour ne garder que les petits pains qui sont devenus les crêpes.

Lugnasa commémorait les noces du dieu Lug, mais c'est sans doute la fête celtique la plus oubliée, la seule tout au moins à n'avoir pas été récupérée d'une manière ou d'une autre.

Les Celtes étaient polythéistes, et leur panthéon comptait un nombre impressionnant de divinités, pouvant varier selon les contrées. Ainsi en Irlande les dieux étaient-ils un peu différents de ceux de la Gaule. En voici un rapide tour d'horizon.

Belénos était le dieu de la lumière solaire et de la médecine. C'est un nom que l'on retrouve dans plusieurs toponymes, notamment les nombreux Bel-Air, qui ne désignent pas un lieu où l'air et beau, mais plutôt une aire dédiée à Belénos.

Belisama était la déesse de la lune, son nom procède de la même racine bel pour « lumière » que Belénos.

Brigit ou Birgid, honorée principalement en Irlande, était la fille de Dagda, et déesse triple, à la fois de l'inspiration et de la poésie, des techniques, des rois et des guerriers. Sainte Brigitte en est la christianisation.

 

Sainte Brigitte, christianisation de la déesse celtique

(tableau de la chapelle de Jurieu, Sainte-Croix-en-Jarez)

 

Cernunnos, toujours représenté avec des cornes, était le dieu de l'abondance.

Dagda, le dieu-druide, possédait une épée à double tranchant ayant le pouvoir de tuer d'un côté et de ressusciter de l'autre. C'est un dieu typiquement irlandais.

Épona était la déesse des chevaux et des cavaliers. Son nom vient du gaulois epo signifiant « cheval ».

Esus dont le nom semble signifier « bon » était particulièrement honoré par les gallo-romains.

Lug était l'un des plus grands dieux celtiques, assumant de multiples fonctions. C'était aussi le dieu « à la longue main », une particularité que l'on retrouve dans certaines représentations du Christ. Plusieurs villes de France lui devraient leur nom, comme Lyon qui fut Lugdunum, « forteresse de Lug », même si d'autres étymologies ont été proposées.

Ogmios, dieu gaulois de l'éloquence et de la parole, était surtout un dieu-druide formant le lien entre la terre et le ciel, entre les hommes et les dieux.

Succellos ou Succellus était le dieu au maillet, qui comme l'épée du dieu Dagda pouvait tuer d'un côté et ressusciter de l'autre. Très populaire chez les gallo-romains, il a fini par être christianisé et parfois représenté dans des églises romanes.

 

Le dieu au maillet, musée de Nîmes

(carte postale ancienne)

 

Taranis était le dieu du tonnerre, il est d'ailleurs notable que Taranis et tonnerre sont avant tout des onomatopées reproduisant le bruit de l'orage. On doit à Taranis divers noms de lieux, comme Tarentaise ou Ternay.

Toutatis ou Teutatès était le grand dieu de l'Autre Monde, le père du peuple.

Tous les dieux des Celtes étaient triples, ils avaient généralement trois visages, trois attributions, etc. Ils étaient représentés avec un visage triple, vu à la fois de face et sous chacun des profils, ce que l'on nomme un tricéphale. Les chrétiens s'en inspirèrent pour représenter symboliquement la Trinité. Mais en 1628 le pape Urbain VIII, jugeant que ces tricéphales faisaient trop penser à leur homologues celtes, interdit leur représentation et ordonna leur destruction. Quelques uns en réchappèrent, et nous avons la chance d'en posséder trois dans notre région. Il y a le tricéphale sculpté placé à l'entrée de la Grand-Église à Saint-Étienne. Et il y a les deux tricéphales peints dans le chœur de la cathédrale de Vienne. Les trois sont directement inspirés des tricéphales celtiques, et plus particulièrement ceux de Vienne.

 

Les trois tricéphale préservés dans notre région

à gauche Saint-Étienne, au centre et à droite Vienne

 

Les Celtes n'avaient pas vraiment d'unité religieuse dans les rites funéraires, qui variaient du tout au tout selon les régions, les tribus et leur culture. La seule constante était qu'ils croyaient en l'immortalité de l'âme. Néanmoins ces rites se rattachaient tous plus ou moins au culte des arbres. Certains peuples se livraient à des inhumations, d'autres pas. En fait l’enveloppe humaine n’avait aucune importance, et après le décès souvent le corps était abandonné pour que les vautours, oiseaux sacrés, pussent s’en repaître. Aussi aucun culte n’était-il rattaché au souvenir du défunt, seule comptait la destinée future de son âme.

La croix celtique, antérieure au christianisme, symbolisait ces croyances en la migration des âmes. Les historiens ne sont pas certains que les Celtes aient admis le principe de la réincarnation, néanmoins l'interprétation de la croix celtique le laisse imaginer.

Elle est composée de quatre branches égales, et s’insère à l’intérieur de trois cercles concentriques dont chacun a un diamètre triple du précédent. Le plus grand, d’un diamètre de 81 (quelle que soit l’unité de mesure), est le cercle de Keugant ou du chaos. En dehors de lui rien n’existe que la divinité. C’est du Keugant que sortent les âmes. Elles passent alors dans le cercle intermédiaire, cercle d’Abred ou des migrations, d’un diamètre de 27. C’est la vie terrestre, où chacun joue sa destinée, au cours d’épreuves où s’affrontent le Bien et le Mal. Selon ses choix, après la mort l’âme retourne au cercle de Keugant, d’où elle pourra revenir à l’Abred pour une vie nouvelle. Après diverses tribulations, l’âme peut accéder enfin au cercle intérieur, d’un diamètre de 9, le cercle de Gwenwed ou de la plénitude (Gwenwed = « monde blanc », en langue celtique). C’est le cercle où l’âme côtoie le divin, après avoir définitivement triomphé des tentations de la vie terrestre. La croix celtique évolua avec la conversion des peuples celtes au christianisme, et tout en conservant les cercles concentriques enserrant son centre, ses branches s'allongèrent et elle finit par ressembler à la croix latine.

 

Schéma de la croix celtique et de ses trois cercles concentriques

 

L'arrivée des premiers chrétiens en Gaule se fit par voie maritime, et c'est à Marseille ou à Narbonne qu'ils débarquèrent. Ils se répandirent ensuite sur l'ensemble du pays. Parallèlement, d'autres chrétiens se dirigèrent vers l'Irlande ou la Grande Bretagne. Les Celtes les accueillirent favorablement. Dans les principes de la religion chrétienne qui leur furent exposés par ces missionnaires, les Gaulois reconnurent leurs propres croyances, voyant par exemple dans la Sainte Trinité le reflet de l'aspect triple de leurs dieux. De même, les Celtes qui en divers lieux vouaient un culte à la vierge sur le point d'enfanter, la virgini parituræ décrite par Jules César, acceptèrent et adoptèrent l'histoire de Jésus né de la Vierge Marie.

 

La « virgini parituræ » des Celtes

(gravure ancienne extraite du livre « Parthénie »

de Sébastien Rouillard, 1609)

 

C'est ainsi que la civilisation celtique toute entière, librement consentante, se fondit dans le monde chrétien en lui apportant sa culture. Aussi la civilisation celtique n'a-t-elle pas vraiment disparu. Elle est toujours là, différente, vibrant en chacun de nous.

 

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