Rubrique
Les Papes

Janvier 2023







Par
Thierry Rollat


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Le Pape Clément V



(1305/1314)





    
     Un certain nombre de Papes ont accolé pour toujours leur nom à la grande Histoire. C’est le cas de Clément V, que nous allons étudier. Non seulement il est le premier Pape à être rattaché à la cité d’Avignon, mais il est surtout celui qui a dissous sans le condamner, l’Ordre du Temple. Rien ne présageait un tel destin à Bertrand de Got et pourtant, en partie malgré lui, son nom ne résonne pas forcément de manière positive de nos jours. Il  ne s’avère donc pas inintéressant de revenir sur ce personnage controversé, voire décrié.

     C’est en période de fortes tensions à Rome, qu’il faut chercher à comprendre l’arrivée sur le saint siège de Pierre, du huitième Pape français, Bertrand de Got. Pour cela il faut s’intéresser aussi à ses deux prédécesseurs. Boniface VIII est mort des suites d’un coup de force, au moins psychologique, survenu sur sa personne les 7 et 8 septembre 1303 et connu sous le nom de l’attentat d’Anagni. De profonds différents l’opposaient au Roi de France, Philippe IV Le Bel. Le bras droit de ce dernier, Guillaume de Nogaret a organisé une vaste opération, une démonstration de force à Anagni, où le Pape aurait même reçut une gifle. Quoiqu’il en soit, Boniface VIII n’a pas supporté l’affront et les violences physiques. Il mourut le 11 octobre 1303. Ces événements peuvent paraître incompréhensibles à notre regard d’aujourd’hui, pourtant il ne fut pas rare, dans la grande Histoire des Papes, d’y retrouver des situations fortement conflictuelles et des morts aussi. A cette époque, la curie romaine était divisée en deux blocs ; deux familles s’affrontaient, les Colonna et les Caetani ; leurs influences respectives attiraient des alliés de part et d’autres. Philippe Le Bel, avait pris fait et cause pour la première nommée. Il voulut déposer le Pape et le Pape finit par menacer de l’excommunier. Ce sont ces événements qui ont amené Nogaret à vouloir faire très peur au Pape. On connaît la suite : il en mourut mais les différends n'en furent pas pour autant réglés.


Le Pape Boniface VIII

En octobre 1303. Le successeur de Boniface VIII fut Benoit XI, le second Pape Dominicain après Innocent V en 1276 ; Innocent V un Pape qui justifiera également un dossier sur nos colonnes. Benoit XI a annulé bon nombre de bulles lancées par son prédécesseur à l’encontre de Philippe Le Bel et de ses alliés. Il écarta pourtant de l’amnistie, les coupables de la mort de Boniface VIII, dont un membre de la famille Colonna et surtout Nogaret. On prête à ce dernier d’être responsable à nouveau de la mort du nouveau Pape Benoit XI, cette fois par empoisonnement, justement pour ce profond désaccord qui ne trouvait pas de solution favorable à Nogaret. Benoit XI est officiellement mort d’une indigestion de figues, figues qui officieusement auraient été empoisonnées. C’est dans ce contexte électrique et flou, que va se tenir un nouveau conclave. Clément V, le sujet de notre présent dossier va en sortir mais à quel prix.

Bertrand de Got, était archevêque de Bordeaux auparavant, un sujet donc du Roi d’Angleterre, ce qui lui conférait en apparence une position plutôt neutre. C’est un Gascon, un juriste de formation ; une personne à la santé fragile. Il fut intronisé à la suite d’un conclave qui a duré onze longs mois. La lutte d’influence opposait toujours les deux mêmes camps avec les pros Français représentés par les Colonna et les pros Italiens en réalité pros Boniface VIII représentés par les Caetani. Philippe IV Le Bel a usé de toutes ses forces et manipulations pour faire sortir du chapeau de ce conclave son poulain, Bertrand de Got. A partir de là, on peut dire avec certitude que Bertrand de Got, devenu Clément V, sera toujours durant son règne long de 9 années, sous l’influence directe du Roi de France Philippe IV Le Bel. Nous sommes en 1305 et très vite va arriver l’affaire des Templiers qui va lier dans l’Histoire, pour l’éternité, le destin de ces deux protagonistes que sont Philippe IV Le Bel et Clément V.


Le Roi Philippe IV Le Bel

Dès le début du règne de Clément V, le Roi de France va avoir la main mise sur la papauté et ce phénomène s’avère complètement nouveau. Jamais auparavant aucun monarque n’avait osé remettre en cause la suprématie de l’Eglise par son premier représentant, le Pape, sur n’importe laquelle des couronnes européennes régnantes. Ce phénomène nouveau va se prolonger bien après Philippe Le Bel puisqu’en réalité on ne reviendra plus jamais en arrière. C’est une cassure qu’a opéré Philippe Le Bel, dans ce précédent ordre établi. Le Roi de France n’acceptera plus les prétentions de l’Eglise à dominer les princes et à s’ingérer dans les affaires du Royaume. On dit parfois que Clément V était un faible ou au contraire que Philippe IV Le Bel était un fort. C’est sûrement un peu des deux, ce qui est certain c’est que Philippe Le Bel avait de la suite dans les idées et il avait en la personne de Clément V, une belle marionnette à disposition ; de plus cette dernière lui était redevable de son poste.

Les caisses du royaume étaient vides, celles des Templiers étaient pleines. On peut introduire l’affaire des Templiers par cette phrase bien que des explications complémentaires sont nécessaires. Philippe Le Bel a toujours ou presque fait comme il a voulu avec Clément V. Dès sa nomination, c’est lui qui a choisi la ville de Lyon, pour le sacre du Pape alors que Bertrand de Got aurait préféré Vienne. D’ailleurs Clément V, qui ne siègera pas à Rome mais en Avignon, sera un Pape qui voyagera beaucoup, ne résidant jamais non plus à Avignon même. Il aimait le luxe, les gaspillages, mais aussi favoriser sa famille et ses amis. Son règne fut aussi celui des abus donc. L’affaire des Templiers il va la subir de bout en bout, n’ayant jamais le courage suffisant de s’opposer au terrible Philippe IV Le Bel. Certes il sauvera de temps à autre les apparences en faisant mine de s’opposer, mais jamais longtemps avant de céder. En fait, durant les dix années, 1304/1314, où il occupa les plus hautes responsabilités de l’Eglise il ne fut indépendant des décisions du Roi de France qu’une seule fois. Il faut la souligner tellement son obéissance était sans faille. En 1308, suite à l’assassinat du Roi d’Allemagne, Albert de Hasbourg, Clément V n’a pas soutenu le même prétendant que Philippe IV Le Bel. Il faut donc croire que pour Philippe Le Bel cette élection restait anecdotique tant il faisait ce qu’il voulait du Pape régnant.


 Un chevalier Templier

En quittant définitivement la Terre Sainte en mai 1291, l’Ordre du Temple avait perdu très gros car jusqu’à son rôle premier. Revenu en France après s’être d’abord positionné sur Chypre, Jacques de Molay le Grand Maître de l’Ordre du Temple et ses troupes nombreuses vont expédier les affaires courantes. Il faut souligner et c’est important, que c’est Clément V qui a suggéré à Jacques de Molay de rentrer en France, par conséquent, en toute confiance. Les Templiers étaient placés directement sous l’autorité papale. Pour eux, financièrement s’ouvrait une période juteuse puisque les dépenses pour l’Orient étaient terminées et que l’Occident continuait toujours de produire d’innombrables richesses au travers de ses commanderies. Jacques de Molay n’était pas un visionnaire et malgré lui les Templiers étaient devenus un Etat dans l’Etat. Puissant, structuré, très fort militairement parlant, le Roi de France voyait tout cela d’un mauvais œil.

Philippe IV Le Bel a d’abord tenté une opération diplomatique en cherchant à se faire introniser Grand Maître de l’Ordre ; une proposition aussitôt rejetée par le vieux dignitaire en place, ce même Jacques de Molay. Si tôt l’élection de Clément V au siège papal, les choses vont aller vite. Philippe IV Le Bel va user de toute son influence auprès du Pape. Il va mettre en œuvre un stratagème visant à salir la réputation de l’Ordre en l’accusant progressivement des pires infamies qui iront de l’idolâtrie à la sodomie pratiquées par les frères templiers en passant par le reniement du Christ, pas moins. Clément V s’est retrouvé plus que surpris par ces accusations très graves. A peine élu Pape, il devait se faire juge de près de deux siècles d’une Histoire plutôt glorieuse, tout du moins déjà par les apparences. Même s’ils portaient une partie de la défaite, les Templiers étaient jusque-là plutôt populaires auprès du peuple. Philippe IV Le Bel va donc monter en épingle ces accusations, qui étaient dès l’origine complètement mensongères. Le Pape va demander des preuves et on va fabriquer des faux témoins. Nogaret, encore lui, va organiser tout cela pour aboutir à l’arrestation célèbre du vendredi 13 octobre 1307. A la même heure, le même jour, tous les Templiers du Royaume de France furent arrêtés. Certes il y eu peut-être quelques indiscrétions, car certaines commanderies furent retrouvées vides mais c’était pour l’époque une vraie prouesse que de réussir ce coup de filet. Clément V va accepter de laisser Nogaret et ses amis mener l’enquête car pas complètement crédule, le Pape sentait bien que tout n’était pas clair. Pourtant il va tout accepter et après que l’Inquisition eut rempli son rôle, si l’on peut dire, en usant évidemment de la torture, arrivera le célèbre Concile de Vienne.


La Cathédrale de Vienne

A son arrivée au Concile de Vienne Clément V fit monter un véritable trésor de guerre dans le château de la Bâtie, là où il a durablement séjourné durant le procès. Entre 1311/1312 va donc se tenir en la Cathédrale Saint-Maurice de Vienne, ce qui aura valeur de procès de l’Ordre du Temple. Il va découler de ce dernier, la dissolution des Templiers, non sans que ce procès se soit tenu sous haute surveillance et grande tension. Philippe IV Le Bel est venu en personne accentuer la pression sur Clément V, lui qui était aussi présent évidemment. La légende prêtant que 1500 Templiers en armes, ayant donc échappé à la rafle, auraient battu le pavé dans les environs de Vienne, sans pour autant intervenir. En revanche, il y a bien eu deux Templiers qui ont demandé à être directement entendu par Clément V. Ils furent immédiatement emprisonnés et jamais ils ne témoignèrent.

Clément V verra Jacques de Molay passer à son tour aux aveux, sous la torture bien sûr, et être condamné à la prison à vie. Le malheureux Grand Maître des Templiers va aller jusqu’à revenir sur ses aveux ce qui lui vaudra d’être relaps autrement dit condamné au bûcher. En Mars 1314, lors de la mise à mort de Jacques de Molay, il en sera fini de l’Ordre du Temple non sans qu’avant de monter sur le bûcher le dignitaire templier aura crié son dégoût en invitant Philippe IV Le Bel et Clément V au tribunal de Dieu dans l’année qui venait. Cette phrase prémonitoire est restée célèbre car effectivement dans l’année qui va suivre les deux autorités respectives, Philippe IV Le Bel et Clément V, vont mourir dont notamment Clément V des suites d’un cancer, le 20 avril à Roquemaure à l’âge de 50 ans ; pour Philippe IV Le Bel se sera un peu plus tard, d’un accident de chasse. Clément V aura eu, une drôle de vie, celle d’un Pape qui aura séjourné successivement à Cluny, Nevers, Poitiers, Toulouse puis chez lui à Bordeaux et enfin en Avignon, précisément à Carpentras. Il a aussi marqué son temps à titre posthume par ce que l’Histoire a retenu sous le nom des « Clémentines ». Il avait donc travaillé des lettres canoniques qui furent retenues et diffusées après sa mort par son successeur en 1322. Il a également installé le premier Archevêque à Pékin, ce qui est notoire.


Le Palais des Papes d'Avignon

En restant objectif, il est difficile de retenir beaucoup de positif des neuf années de Clément V comme Pape. Il a lié en quelque sorte sa destinée à celle de Philippe Le Bel, étant sous l’écrasante dominance de ce dernier. Il n’a jamais été à Rome craignant pour sa vie. Il a, en revanche, inauguré si l’on peut dire, les 68 années des Papes en Avignon, sans jamais séjourner dans le fameux Palais des Papes et en nommant durant cette période pas moins de cinq cardinaux issus de sa famille. Sans Clément V, il n’y aurait donc peut-être jamais eu le grand schisme d’occident sur lequel nous reviendrons dans un autre dossier.



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