AOUT 2013

Par Michel BARBOT

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CLISSON : ET IN ARCADIA EGO

 
Deuxième partie

 
L’ARCADIA de Clisson

La cité de Clisson qui ouvre le Pays Nantais fait partie de ce que l’on nomme la Vendée militaire. Le Clissonnais au lendemain des Guerres de Vendée n’était plus que champs de ruine après le passage des colonnes infernales.

 

Après avoir suivi une carrière artistique à Rome jusqu’en 1793, le peintre Nantais Pierre Cacault (1744-1810) fut au lendemain des guerres de Vendée, le premier artiste explorateur du Clissonais. Subjugué par la beauté des sites, il prit la décision de s’établir dans ce séjour plein de charme. Etabli à Clisson en 1798, Pierre est rejoint de temps à autre par son frère François Cacault (1743-1805) que Jean-Jacques Couapel et Anne Duflos dans le très intéressant « Voyage italien à Clisson et dans ses environs » (1996 L’Inventaire Images du Patrimoine) présentent ainsi :

 

« … collectionneur d’œuvres d’art, diplomate alors en poste à Rome, négociateur, au nombre de ses succès, du traité de Tolentino entre le Directoire et le Pape et de l’acquisition par la France de la villa Médicis à Rome. François Cacault, nommé en 1804 sénateur de la Loire-Inférieure, décida avec son frère Pierre de rassembler dans un musée qu’il bâtit sur les hauteurs du coteau de la Madeleine à Clisson, sa collection de peintures, gravures et sculptures, aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Nantes, et de promouvoir le site auprès des artistes. »

 

 

Portrait de Frédéric Lemot

 

A l’invitation des frères Cacault, plusieurs artistes firent le voyage de Paris à Clisson. En 1805, s’en vient le sculpteur Frédéric Lemot né à Lyon en 1777 et mort à Paris en 1827. Grand-prix de Rome de 1790 pour son bas-relief en bronze Le Jugement de Salomon, F. Lemot est envoyé à l'Ecole française fondée à Rome par Louis XVI.  Artiste parisien reconnu, il deviendra plus tard membre de l’Institut et sera titré au printemps 1805, baron de Clisson. Ses principales œuvres sont le fronton de la colonnade du Louvre, la statue d’Henri IV sur le Pont-Neuf, et la statue de Louis XIV sur la place Bellecour à Lyon.

 

Quelques curiosités sont à remarquer à propos de cette statue. Tout d’abord Louis XIV est tourné vers le nord, autrement dit le Roi-Soleil tourne le dos à l’astre du jour à son zénith. Cependant on dit que l’angle nord-ouest de la place aurait été aménagé pour former une échancrure, permettant au soleil de venir éclairer la statue de ses derniers rayons au soir du solstice d’été. Ce jour-là le soleil descend derrière la colline de Fourvière, et il se couche précisément derrière l’ancien domaine de l’Angélique. Une légende qui a la vie dure assure que le sculpteur se suicida en remarquant qu’il avait oublié de sculpter les étriers. C’est faux bien entendu, on sait que Lemot s’installa peu après à Clisson. Et l’absence d’étriers s’explique par le fait que Louis XIV est représenté en empereur romain triomphant, sa monture est un cheval de parade, pas un cheval de bataille. Enfin la sagesse populaire affirme que si on voit Louis XIV tourné vers le nord, c’est que tout va bien ; si on ne le voit pas, c’est qu’il y a du brouillard ; si on le voit tourné vers le sud, c’est qu’on a trop abusé du Beaujolais ! (note de Patrick Berlier)

 

 

La statue équestre de Louis XIV, place Bellecour à Lyon (carte postale ancienne)

 

Une étroite amitié unissait depuis Rome les frères Cacault et Frédéric Lemot. Cette amitié grandira plus encore lorsqu’ils se retrouveront aux portes de la Vendée dans la cité de Clisson.

Ils retrouvent en ces lieux les paysages italiens et mieux encore ils reconnaissent dans ces paysages la Terre des Bergers et des Dieux… Le peintre Paul Huet, ami de Delacroix dans un discours relatif à Clisson publié en 1808, écrivait : « Il faut être loin du tumulte et de la corruption, pour comprendre la pureté des anciens et retrouver ce monde idéal qu’habitaient avec le bonheur et la vertu, les bergers, les héros et les Dieux. »

 

Les frères Cacault vont entreprendre la reconstruction de la cité. Le modèle est la cité toscane et tout particulièrement la cité de Tivoli. Clisson apparait bientôt comme le nouveau Tivoli. Frédéric Lemot acquiert quant à lui tout d’abord en 1805 la garenne du château (ancienne réserve de chasse des Seigneurs de Clisson) puis le château en 1807. Du château d’Olivier de Clisson, il écrira : « Affligé depuis longtemps de la destruction de presque tous nos édifices gothiques, je m’empressai d’acheter celui-ci, dans l’unique intention de conserver avec soin ce monument … »

 

Le Parc de la Garenne, futur Parc de la Garenne-Lemot, se transforme. Frédéric Lemot, concepteur de l’ensemble du projet, fait appel aux talents de l’architecte néo-classique Mathurin Crucy (1749-1826), grand-prix de Rome en 1774, puis au cours des années 1820, au talentueux architecte Parisien Pierre-Louis van Cleemputte (1768-1834). L’ancienne réserve de chasse apparait bientôt comme un paysage idéalisé, une projection de l’Arcadie peinte par Nicolas Poussin. F. Lemot s’inspire du parc d'Ermenonville conçut par le marquis de Girardin. Baigné par la Sèvre avec ses cascades, le parc offre au visiteur son Temple de Vesta, ses Bains de Diane ainsi que des statues représentants les Dieux et les Déesses de l’Arcadie. Une colonne surmontée d'un buste d'Henri IV apparait comme une allusion à la statue équestre du Pont-Neuf dont Frédéric Lemot était l'auteur, témoignage de son adhésion à la monarchie restaurée. Une colonne isolée provient, dit-on, du château de Madrid construit par François 1er au bois de Boulogne.

 

On y trouve aussi, comme à Ermenonville, le Rocher Rousseau avec son inscription. Gérard de Nerval qui s’inspira du parc d’Ermenonville pour son « Angélique » fut dit-on membre de la Société Angélique parisienne. Dans son « Angélique », Nerval évoque un énigmatique Tombeau d’Almazor dans lequel nous retrouvons, à une lettre près (un N) : le Tombeau d’Almanzor de Piriac près de Guérande. Il est aujourd’hui considéré que le nom Almanzor d’inspiration romantique pourrait être l’œuvre de Parisiens fréquentant la région en des temps où les congés payés n’existaient pas encore. Ces Parisiens seraient, bien qu’il ne s’agisse que d’une hypothèse, des membres de la Société Angélique.

 

L’ombre de la Société Angélique plane sur le site de la Garenne-Lemot avec son Tombeau des « Bergers d’Arcadie », inspiré du célèbre tableau de Poussin, perché sur son rocher. Frédéric Lemot avait fait peindre l’hermétique inscription ET IN ARCADIA EGO ; inscription qui fut dit-on la devise de la Société Angélique dont le Lyonnais Lemot pourrait avoir été membre.

 

 



Le tombeau des « Bergers d’Arcadie » dans le parc de la Garenne-Lemot à Clisson

(Photos de Christian Lelièvre)

 

Frédéric Lemot remet un registre au portier de la Garenne, afin de recueillir les appréciations des visiteurs de marque. Ce « Livre d’Or » sera publié en 1881 par Stéphane de la Nicollière-Teijeiro. On y découvre que la Duchesse de Berry signe le registre le 6 juillet 1828. Un de ses fidèles, Walsh de Sérant note dans ses « Lettres Vendéennes » :

 

« Clisson n’avait jamais eu autant de bonheur qu’en ce jour. La Duchesse venait de Tiffauges où elle avait été reçue par le marquis de la Bretesche. La vue de Clisson, avec les tours et les murs du château qui dépassaient le coteau, l’enthousiasma. (…) Entrée au domaine de la Garenne, ce fut toute une scène d’Arcadie : un peuple de bergers et de bergères habillés de vert et de blanc vinrent au-devant de son altesse en dansant. Suivie une promenade en bateau sur la Sèvre. On se rendit ensuite en cortège au château du Connétable. A l’entrée les cors sonnèrent et les remparts se remplirent d’hommes d’armes. »

 

Frédéric Lemot dans son parc de la Garenne met en scène l’Arcadie chantée par les Grecs. Il n’est pas difficile de s’imaginer l’organisateur de ce spectacle à ciel ouvert, mettant en scène devant le Tombeau des Bergers d’Arcadie, une représentation vivante du tableau de Nicolas Poussin.

 

En l’année 1832 Alexandre Dumas qui logeait chez les Panneton s’en vint à la Garenne. C’est alors qu’il écrivit « Les Louves de Machecoul » et « Les Trois Mousquetaires ». 

 

Outre la venue de Gustave Flaubert à Clisson, on évoque également celle de Jules Sandeau qui aimait beaucoup Clisson. En 1837, alors âgé de 26 ans, Sandeau fit un séjour de plusieurs mois à Pornic où il rédigea « Marianne », histoire très arrangée de sa liaison avec a baronne Aurore Dudevant (Gorge Sand dont le pseudonyme fut inspiré par Sandeau). Dans ce roman, Clisson y joue une place importante. Jules Sandeau noua également des relations avec Pauline Lemot.

 

Le 10 septembre 1849, la Garenne-Lemot reçut un autre visiteur de marque, en l’occurrence une visiteuse, en la personne de George Sand (Alfred Gernoux : Les Annales de Nantes et du Pays Nantais : 4e trimestre 1963) qui fut dit-on, membre de la Société Angélique.

 

Frédéric Lemot est l’auteur anonyme d’un livre intitulé « NOTICE SUR LA VILLE ET LE CHÂTEAU DE CLISSON » publiée pour la première fois en 1812 et dont final est dû à une autre main également anonyme.

 

 

Première page du livre de F. Lemot

 

L’auteur d’origine lyonnaise évoque longuement l’histoire de la cité et de son château, des origines à la Révolution. La dernière partie de l’ouvrage évoque la venue des frères Cacault et de F. Lemot, autrement-dit lui-même. La ville totalement désertée, n’est plus qu’un champ de ruines. Lorsque François Cacault pénètre pour la première fois dans Clisson « il ne vit qu’un amas de décombres au milieu d’un désert ; il ne rencontra pas un seul habitant qui put le guider, pas un toit qui put lui servir d’asile ; le silence des tombeaux régnait partout ; de tout côtés les traces de l’incendie et de la destruction frappaient ses regards ; il parcouru avec effroi cette ville abandonnée et cet immense château, dont les reptiles et les oiseau de proie se disputaient les obscurs et derniers débris. »

 

F. Lemot nous apprend que Cacault choisit pour sa retraite une maison ruinée. Il acheta cette propriété, la fit réparer et vint s’y établir en 1798. « Un grand nombre d’habitants, encouragés par cet exemple, rentrèrent dans leur foyer et en relevèrent les ruines. »

 

F. Lemot s’attarde ensuite sur les particularités du paysage : « Ce qui rend surtout ce paysage à jamais célèbre, c’est la profusion avec laquelle la nature s’est plu à y réunir des beautés de tous les genres, beautés qui sont aussi de tous les siècles, de tous les âges, de tous les goûts ; auxquelles personnes ne peut être insensible ; auxquelles, depuis le Poussin, aucun artiste ne peut s’empêcher de venir rendre hommage. » Et voici qu’à présent notre sculpteur s’emballe : « Il est probable que le Poussin, qui a peint plusieurs vues de Nantes, avait soigneusement étudié les sites de Clisson. On les retrouve du moins dans la plupart de ses compositions. Le paysage de Diogène brisant sa tasse, est une vue exacte du château de Clisson. »

 

Une question se pose : Comment F. Lemot, peut-il affirmer que le tableau est une vue exacte du château de Clisson ? Car il faut bien le reconnaître le château n’apparait absolument pas dans la composition de Poussin ! F. Lemot est un idéaliste c’est certain mais il n’est pas aveugle. S’il nous dit que le château de Clisson apparait sur le tableau, pourquoi ne le croirions-nous pas ? Mais si le tableau du Poussin est « une vue exacte » cette vue serait une vue oblique. Diogène brisant sa tasse, devient un paysage codé dans lequel il conviendrait de voir le château de Clisson.

 

Nous avons vu que Jérôme Choloux reconnaît quant à lui que l’église Notre-Dame de Clisson pourrait être présente (www.passion-rlc.fr/clisson.htm‎).

 

 

Clisson au début du XXe siècle – le château et l’église (carte postale ancienne)

 

Dès 1812 F. Lemot réalise des gravures qui apparaitront dans la seconde édition. Yann Rouvière dans l’avant-propos de la réédition de l’ouvrage en 1990 par les éditions Res Universis indique que « Lemot dans sa correspondance avec Gautret, son régisseur, stipule les avoir montrées à la reine Hortense de Hollande, et que celle-ci les ayant trouvées fort belles avait hâte de ‘’ connaître un si beau pays ‘’. » La gravure intitulée « VUE DE LA MAISON VALENTIN A CLISSON DANS LE BOCAGE DE LA VENDEE », nous montre sur la hauteur cette église que l’on pourrait reconnaitre sur le tableau de Poussin…

 

 

La gravure de Lemot représentant Clisson et son église, telle qu’elle était visible en son temps. En médaillon, détail des bâtiments visibles sur le tableau de Poussin

 

Au-delà de son aspect philosophique, quel message pourrait cacher le tableau de Poussin ? Diogène jetant son écuelle devient pour F. Lemot : Diogène brisant sa tasse. Diogène, est étymologiquement «  le né de Dieu » ou «  de la famille de Dieu ». Le mot « brisant » utilisé par F. Lemot semble rappeler le « brisant », écueil à fleur d’eau. Il semble intéressant de noter que cet « écueil » joue avec le mot « écuelle ». Mais Lemot n’utilise pas ce mot, il préfère utiliser le mot « tasse », mot d’origine arabe signifiant « coupe » et donc « tasse ». L’écueil sur lequel le bateau va s’échouer pourrait orienter vers l’expression « boire la tasse », ou « boire la grande tasse », bien qu’à la fin du XVIIIe siècle cette expression signifiait « échouer » et non « s’échouer » !

 

Il convient malgré tout de narrer cet épisode médiéval tel que le raconte Bernard Faulque de Bezaure dans son livre « A la Recherche du TRESOR Matériel et Spirituel des Templier »s – Tome 1 (Provençalement Votre) :

 

« A Clisson, ex port templier de Nantes, 2 navires de la Milice du Temple auraient coulé à 2 milles au large, en août 1307, ne laissant aucun survivant. Ces navires, Le Nazaré, et le Marbelia étaient des navires du Temple d’Espagne. »

 

Lorsque je pris connaissance de cet évènement je tentais d’en s’avoir plus. Je contactais l’auteur mais ne pu obtenir de renseignements sur le sujet. Les historiens de l’Ordre du Temple n’évoquent aucunement cet évènement aussi intéressant serait-il. Pour parvenir à Clisson un navire croisant dans l’Atlantique au large des côtes du Pays Nantais devrait remonter la Loire jusqu’à Nantes et Rezé, puis remonter la Sèvre Nantaise sur une trentaine de kilomètres, ce qui serait totalement impossible pour un navire des mers. Clisson n’est en rien un port maritime. B. F. de Bezaure a sans doute vite recopié l’information mais il n’en reste pas moins que cette épisode est intéressant. Ces deux navires échoués peut-être dans la Baie de Bourgneuf, auraient un lien possible avec Clisson et plus précisément la Commanderie de la Madeleine.

 

Pour B. F. de Bezaure, la clef de cet épisode se trouverait dans le nom du premier navire : Le Nazaré que l’auteur traduit par « Son Secret ». Ce secret serait celui des premiers rois de Bretagne et serait lié à la ville de Tolède en Espagne, cité que l’on sait devoir sont nom à l’hébreu Toledoth : les Générations. L’auteur joue sur ce mot, affirmant que le secret concernerait la descendance de Jésus. Selon lui, l’énigmatique Eon de l’Etoile qui œuvra dans la forêt de Brocéliande était un Gola descendant de Jésus. Il y a Gola et Gola… Il convient d’être prudent dans le domaine. Reste malgré tout que l’idée de la Génération se retrouve dans le nom grec de Diogène.

 

Suivant l’auteur, Le Nazaré contenait, outre le trésor spirituel, un trésor matériel… en route pour l’Espagne. Si l’on s’en tient à la légende, le navire échoué sur la côte du Pays Nantais serait intimement lié à la cité de Clisson. Serait-il hasardeux de penser que le « trésor » aurait échoué à Clisson ?

 

Le nom du navire, Le Nazaré, serait la clef de ce mystère templier clisonnais. Pour B. F. de Bezaure, ce mot signifie « Son Secret ». Ceci n’est pas exact bien que, par une association d’idée, ceci le devienne... En effet, le mot Nazir qui a donné Nazareth, désigne un homme « consacré », « mis à part », « séparé » de ses frères. Le Dictionnaire d’hébreu biblique de Sander et Trenel ajoute : « ou : celui d’entre les frères qui est couronné », de Nézer, « diadème », « couronne ». Par prolongement, Nézer va désigner la « chevelure consacrée du Nazir » sur laquelle le rasoir ne doit pas passer…

 

Jacques d’Arès qui dirigea par le passé l’association ATLANTIS s’intéresse dans le T. 3 de son « Encyclopédie de l’Esotérisme » à « Jésus de Nazareth ». Il rappelait que le mot Nazir désigne celui qui est « voué à Dieu ». Il ajoute que le mot Christ désigne « l’oint du Seigneur », « ce qui tend à confirmer le sens de Nazir. Mais il existe une autre confirmation par la signification en égyptien du mot Christ : le possesseur du secret. » Avant d’ajouter : « Cela explique que tous les hermétistes considèrent le Christ comme étant lui-même la pierre philosophale, la pierre angulaire dont parlent l’Evangile. »

 

Le tableau de Nicolas Poussin, Diogène brisant son écuelle, ne nous raconterait-il pas cet épisode templier dont hélas nous ne connaissons plus la véritable histoire ? Nous connaissons la raison pour laquelle le philosophe Diogène brisa son écuelle mais le peintre des Andelys a-t-il pensé ainsi son tableau ? Le Diogène ou Né de Dieu, brise son écuelle sur les bords de la Sèvre, l’antique Se(p)vria ou Separa (1169) qui suivant la belle légende racontée notamment par Dubuisson-Aubenay dans son « Itinéraire de Bretagne 1636 », évoquerait une « séparation » :

 

« Sépara. Laudosa flumen.

Toutesfois ces Itinéraires et le mot de Segora sont plus ancians que saint Martin de Vertou qui mourut l'an 589 ou environ, auquel temps ceste rivière ne s'appelloit pas encor Sèvre, que l'on ha dit depuis en latin Separis ou Sépara. Car la vie manuscripte de saint Martin de Vertou, qui est à Saint-Jaques-de-Piremil, porte que, comme il fut mort à Durivum qui est à présent Saint-Georges-de-Montagu, au monastère par luy fondé, les moynes de Vertavusqui est Vertou, par luy aussy fondés, emportèrent à la desrobée son corps et s'enfuyrent la nuit avec, estans poursuivis par ceux de Durin jusques à la rivière de Sèvre qui se sépara, comme jadis la Mer Rouge aux Israélites, afin de donner passage aux Vertavois, et se referma aussy tost, laissant les Durinois fort arrestés et estonnés, ce qui arriva au lieu dit Portillon, quasi porticellus [comme pour petit port] et port Atarde, quia tarde adportum venerunt Durinenses[parce que les Durins vinrent tardivement au port], et que depuis ce temps-là la rivière fut appellée Sèvre, Separis, ab eventu separationis suæ, cum antea Laudosa diceretur [depuis qu'a eu lieu sa séparation quand auparavant elle était appelé Laudosa]. »

 

Quant au mot « écuelle », pour en saisir le véritable sens, il convient de citer Mathurin Régnier, auteur du livre « Les Satyres et autres œuvres – 1730 » dans lequel apparait la phrase suivante : « Les écuelles de bois s'égalent aux couronnes »

 

La version mise en ligne par Google, comporte les commentaires de Jean-Louis Daudet et Antoine Humblot. Nous apprenons que Régnier aurait écrit cette phrase en se référant au chapitre 30 du Livre 2 de Rabelais. Diogène satisfait de son tonneau et de son écuelle méprisait les richesses d’Alexandre le Grand. Rabelais « feint qve dans les Enfers, Alexandre le Grand repetassoit de vieilles chausses ; & ainsi gagnoìt fa pauvre vie. II ajoûte plus bas, que Diogéne se prélassoit en magnificence avec une grand’ robe de pourpre & un sceptre en sa dextre ; & faisoit enrager Alexandre le Grand, quand il n’avoit bien repetassé ses chausses ; & le payoit en grands coups de bâton. II n’est pas impossible que cette plaisanterie de Rabelais ne soit l’original de la pensée de Regnier. »

 

Rabelais évoque ici un retournement de situation. Le Diogène méprisant les richesses, ainsi que le peignit Poussin, devient, par-delà la mort (ET IN ARCADIA EGO) celui qui détient « une grand’ robe de pourpre & un sceptre en sa dextre ». Ainsi que l’écrit Régnier : « Les écuelles de bois s’égalent aux couronnes. »

 

Cette identité de l’écuelle et de la couronne, se voit confirmée avec l’écuelle d’argent doré aux armes du Grand Dauphin, fils de Louis XIV qui peut être admirée au Département des Objets d'art : XVIIe siècle du musée du Louvre.

 

Frédéric Lemot tel Mathurin Regnier et François Rabelais, pourrait avoir dépassé la lecture première du tableau de Poussin ; lecture que Nicolas Poussin lui-même sous-entendait possiblement. Lorsque F. Lemot affirme voir le château de Clisson sur la toile, bien qu’il n’y apparaisse pas, il affirme une même réalité… Le château est un symbole de protection. Dans le « Dictionnaire des Symboles » (éditons Roberts Laffont) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, il est écrit : « Ce qu’il enferme est séparé du reste du monde, prend un aspect lointain, aussi inaccessible que désirable. ». Aussi comprenons-nous mieux pourquoi ce lieu du séparé (NAZIR) par son aspect lointain et inaccessible, en devient invisible mais malgré tout présent dans le tableau de Nicolas Poussin.

 

Frédéric Lemot de par ses origines lyonnaises, ou bien de par son affiliation possible à la Société Angélique – voire les deux – connaissait peut-être le fin mot du mystère couché sur la toile par le peintre des Andelys. Ce mystère pourrait avoir été connu du vivant même du peintre par les Lumagne, célèbres banquiers de Lyon qui œuvraient dans la mouvance de la famille Colbert…

 

Frédéric Lemot ne put mener à bien de son vivant son grand projet mais son fils Barthélemy Lemot poursuivit et acheva son œuvre. Diogène, le secret de Nicolas Poussin, perdure aujourd’hui encore, n’en doutons pas…

 

 

Le célèbre tableau de Nicolas Poussin « Les bergers d’Arcadie »

(copie de l’original exposé au Louvre)

À suivre !

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