RUBRIQUE

CATHARES

Janvier 2012








Par
Daniel Dugès


Déodat Roché
désintéressé et modeste



<Retour au Sommaire de la Grande Affaire>


C’est au cours de mes nombreuses lectures sur le catharisme, dans ma jeunesse (les années 1970), que j’ai rencontré pour la première fois le nom de Déodat Roché. Il apparaissait alors comme, celui qui avait relancé l’opinion sur la question cathare, et recherché pour lui-même les traces de cette foi. On l’appelait souvent à cette époque « le Pape du catharisme ». Il détestait cette expression qu’il a toujours refusée, arguant, avec juste raison, que s’il avait essayé de retrouver les traces de la religion des « bons hommes », il n’y avait aucune filiation directe entre cette religion et lui.

Il était né en 1877 à Arques petit village de l’Aude. Il s’orienta professionnellement vers la magistrature. Mais très jeune, à peine vingt ans, il s’intéressa à l’ésotérisme, et à l’histoire qui l’accompagne, en particulier celle de son pays, et de ces gens dont à l’époque on ne savait pas grand-chose : les Cathares.

C’est ainsi que très tôt il s’engagea dans des mouvements de réflexion, comme le« Groupe indépendant d'études ésotériques » dirigé par Papus. La fin du XIXe siècle est fortement marquée par un bouillonnement des idées ésotériques, et de nombreuses sociétés de pensées prennent naissance à ce moment-là. Déodat Roché en homme de son temps participe pleinement à cette vision du monde. Il cherche son chemin à travers l’Eglise Gnostique, qu’il abandonne au bout de quelques années pour ne pas y trouver tout à fait sa voie. Mais au contact du Docteur Fugairon, il commencera à aborder le problème cathare, il crée d’ailleurs avec lui la revue : « Le Réveil des Albigeois ».


Maison de Déodat Roché



Sur le plan professionnel, il fut d’abord avocat, puis magistrat à Limoux. Pensant, sans doute, que le droit ne lui suffisait pas il passa avec succès une licence de philosophie. Il fut toujours fidèle à ses idées qu’il plaçait au premier plan, même au détriment carrière professionnelle. Il était résolument opposé à la peine de mort, contre laquelle il militait avec véhémence. Ainsi, il refusa un poste de conseiller à la Cour d’appel, car cette situation pouvait l’amener à statuer sur le sort d’un tel condamné.

En 1921 il rencontra l’œuvre de Rudolf Steiner avec qui il entretiendra des relations suivies toute sa vie. Sans doute ce moment fut-il précieux pour lui, car il devint membre de la Société Anthroposophe, fondée par Steiner.

Entre les deux guerres, il fut initié en Franc maçonnerie, à Carcassonne, dans la loge des « Vrais Amis Réunis ». Il restera fidèle à cette loge jusqu’à la fin de sa vie, après en avoir été Vénérable Maître. C’est probablement au sein de cette fraternité qu’il trouvera un sens à sa démarche ésotérique. Voici ce qu’il écrit à ce sujet :

« J’étais déjà quelque peu instruit de la franc-maçonnerie par la science occulte du Dr Gérard Encausse. J’ai depuis lors recueilli des documents décisifs qui établissent la filiation manichéenne de la franc-maçonnerie, bien qu’il n’en soit pas fait mention dans des livres. En effet un des chapitres manichéens (Képhaïla), découverts en Nag Hamadi en Haute Egypte, nous parle de l’homme Universel, et de sa fonction de Grand Architecte de l’Univers ».





Ainsi, pense-t-il qu’il y avait un lien philosophique et ésotérique entre la tradition cathare et la franc-maçonnerie. Il est vrai que dans la littérature maçonnique ce lien est très peu abordé. À quels documents fait-il allusion ? Sont-ce simplement les parchemins gnostiques de Nag Hamadi, qui l’ont convaincu de cette filiation ? Bien sûr, cette vision est propre à Déodat, et totalement incluse dans les moyens scientifiques et historiques de son époque. Il s’est trouvé plusieurs fois à l’avant-garde de la pensée, en particulier quant à l’initiation des femmes en maçonnerie. Pour lui la création de l’Ordre du Droit Humain, une obédience mixte, lui parut comme « une expérience intéressante ». Il souhaita avec sa loge de pouvoir participer aux travaux du Droit Humain, ce qui ne lui sera pas accordé.

Juste avant la guerre, il fut nommé président du tribunal de Béziers. Sous le gouvernement de Vichy il refusa de prêter serment à la cause de Pétain. Il est aussitôt « mis à la retraite ». Notons que la justification de cette mise à l’écart fut d’abord l’appartenance à la franc-maçonnerie, puis étant avéré qu’il n’y était plus actif, on utilisa un argument de la plus belle mauvaise foi : « S’occupe de l’histoire de religions et de spiritisme » !





À la suite de cette péripétie, il fit un bref parcourt politique comme conseiller général du canton de Couiza, mais, il va enfin pouvoir se consacrer entièrement à ses recherches. Il publiera en 1940 le premier numéro des « Cahiers d'études cathares ». Ceux-ci contenaient tout ce qui a pu être récolté comme information sur le catharisme, aussi bien au niveau local que d’une manière plus générale. Ainsi, on trouvait dans le premier numéro des articles portant sur des contes et légendes du catharisme, les troubadours et le catharisme, puis une recherche sur les documents cathares restants, l’origine manichéenne et les principales Écoles du catharisme.

Poussé par cet élan, il fonda la « Société du souvenir et des études cathares » en 1950. C’est dans le cadre des activités de cette association qu’il fit ériger, en 1961, la stèle au pied du château de Montségur intitulée en Occitan : « Aux Cathares aux martyrs du pur amour Chrétien ». Ce sont ces années-là qui ont été celle du plus grand rayonnement des « Cahier d’études cathares » On y trouve tous les grands noms de cette époque : Fernand Niel, René Nelli, Jean Duvernoy, Michel. Roquebert, etc.





Sans doute la vision du Catharisme de Déodat Roché lui appartenait elle, et ne peut-elle être comprise qu’à travers le prisme de son temps. Mais s’il n’était pas le « Pape » des Cathares, il a eu le mérite d’apporter le témoignage de sa vision du catharisme, et de replacer la philosophie cathare à la hauteur de son message intellectuel. À la fin de sa vie faisant souvent référence à Rudolf Steiner, sa démarche historique fut souvent contestée. Toutefois l’honnêteté de l’homme et du penseur ne fut jamais mise en doute. Dans le dictionnaire de la Franc maçonnerie, Daniel Ligou le définit comme : « un homme désintéressé, modeste et érudit, il honore la Maçonnerie occitane ».

Déodat Roché est mort à cent ans, il repose dans sa terre d’Aude au cœur du pays cathare.




<Retour au Sommaire de la Grande Affaire>