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ENTRETIEN-INTERVIEW
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DOMINIQUE BONNAUD-DANTIL
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Quand
on s'intéresse au vécu de Dominique
Bonnaud, celui-ci s'impose comme un personnage. Avant que nous ne
retrouvions sa
trace du côté de Poitiers il y a trois ans et ce après avoir mené une
enquête pointue,
il appartenait presqu'à la légende ici dans le Pilat.
Seuls les anciens ou les chercheurs assez chevronnés peuvent prétendre
avoir déjà vu ou lu son nom dans de rares documents datant des années
1970. Oublié surement, mais on va voir que tout un chacun ne cite pas
forcément toujours ses sources et derrière bien des découvertes
pilatoises se trouve en réalité la présence de notre ami Dominique.
Sans plus attendre, nous vous proposons de faire plus ample
connaissance.
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1/ Les Regards du Pilat : Bonjour Monsieur Bonnaud. Vous avez vécu
dans le Pilat il y a longtemps. Vous résidiez à Pélussin, il y a près de
quarante ans. Quelles responsabilités avez-vous exercées ? Quels étaient
vos intérêts pour l’histoire et le patrimoine de ce pays ?
Dominique Bonnaud : J’ai travaillé comme
documentaliste aux Archives nationales, aux Archives du Conseil d’État et au
siège du réseau Canopé, ex CNDP, à Chasseneuil-du-Poitou. Retraité depuis
quelques années, je vis actuellement à Poitiers, tout en revenant de temps à
autre dans le Pilat pour des séjours plus ou moins longs. Bonnaud-Dantil est devenu
mon nom d’usage.
Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours été passionné par l’histoire et tout ce qui s’y rattache, entre autres l’archéologie, la préhistoire, l’histoire de l’art, mais aussi d’autres disciplines souvent indispensables pour l’histoire telle qu’on la pratique aujourd’hui : géographie, économie, démographie, sociologie, anthropologie, ou encore les langues, notamment le latin, ainsi que la paléographie, pour accéder à la documentation. Tout jeune, j’étais attiré par l’histoire et la mythologie grecque, riche et foisonnante, et je me plongeais avec délectation dans l’Iliade et l’Odyssée. Mes cadeaux de Noël préférés : un dictionnaire des mythologies Larousse et les albums de Tintin. L’intérêt pour le patrimoine du Pilat est venu ensuite naturellement, comme le passage à des travaux pratiques, avec une forte envie de trouver des réponses à des questions, de résoudre des problèmes. Ajoutés à cela un goût pour la randonnée et le contact avec la nature qui m’ont conduit à sillonner le massif et à en explorer tous les recoins.
2/ Les Regards du Pilat : Lorsque l’on vous lit ou que l’on vous
écoute, on distingue de solides connaissances. Quelles sont vos formations
initiales ?
Dominique Bonnaud : J’ai suivi un cursus
classique dans le secondaire. J’avais des facilités, mais j’étais peu
discipliné, et j’adaptais un peu les programmes à mon goût, lisant énormément. J’ai
toujours beaucoup lu, quitte à oublier un peu, mais il reste toujours quelque
chose blotti au fond de la mémoire qui peut être réactivé à certaines
occasions, et la mémoire ça se travaille. Sur les bancs du collège, plus souvent chez moi en dehors des cours, je
lisais de ma propre initiative des
ouvrages qui ne faisaient pas partie de ce qui était imposé, prescrit ou
recommandé. C’était d’autant plus problématique que je me trouvais dans un
collège religieux où des auteurs comme Voltaire par exemple n’avaient pas très
bonne presse, pour autant je n’ai pas gardé un mauvais souvenir de ce collège,
bien au contraire. Comme souvent, l’influence de certains professeurs a sans
doute aussi joué. Dans l’enseignement supérieur, j’ai d’abord été très indécis
avant de m’orienter vers l’histoire, la préhistoire et l’archéologie que je
voyais surtout comme un complément indispensable de l’histoire, mais je ne
serais certainement pas devenu un archéologue professionnel, n’étant pas trop attiré
par les fouilles, même si j’ai participé à quelques chantiers pour me
familiariser avec la méthodologie, et j’ai régulièrement actualisé mes connaissances.
Pour être plus précis, en
archéologie préhistorique, j’ai eu pour professeur :
• à Lyon II, Denise Philibert, décédée récemment en 2022, spécialiste
du Mésolithique à laquelle j’avais soumis pour expertise les planches représentant
les silex découverts par Georges Pétillon
3/ Les Regards du Pilat : C’est dans un guide officiel touristique,
« Fenêtre ouverte sur le haut Vivarais » paru en 1974, que vous avez
laissé une trace de vos recherches à la postérité. En pionnier vous évoquez
dans ce guide bien des sites du Pilat rhodanien. Quelle motivation vous a alors
animé ?
Dominique Bonnaud : Étudiant à Lyon, m’intéressant depuis quelques années, au sein du Groupe Archéologique Forez-Jarez, à l’archéologie du canton de Pélussin et plus largement du Pilat que j’avais déjà beaucoup exploré, j’avais écrit un ou deux articles lorsqu’en 1974 je saisis l’opportunité qui m’était offerte de contribuer pour le canton de Pélussin au Guide officiel de l’Union Touristique du Haut-Vivarais, une occasion inespérée pour présenter de façon sommaire mais en bloc la liste de toutes mes découvertes archéologiques et de mes connaissances sur l’histoire du canton de Pélussin, même si ce n’était pas la publication idéale pour héberger ce genre d’informations. Pour l’archéologie, j’élargissais ainsi mon propos au Pilat, surtout le Pilat du versant rhodanien, entre la Haute-Loire et le Rhône, dans un excursus intitulé : Archéologie du Pilat. Cet inventaire archéologique, qui n’a guère été dépassé depuis, mentionnait pour la première fois nombre de sites que j'avais découverts. Par la suite, des gisements que je signalais, dont beaucoup inédits, ou des informations que je donnais, ont été cités sans référence à leur auteur ou inventeur. Récemment encore, un article de Regards du Pilat sur Gaston Baty citait un passage du guide dont je suis l'auteur, sans me mentionner, ce qui ne fait jamais bien plaisir. Il y a des exceptions, notamment Georges Pétillon, directeur adjoint technique du PNR du Pilat, entré en contact avec moi dès 1973. Il est vrai que le guide est resté apparemment peu connu et que le texte n'est pas signé mais, d'une part, à quelques exceptions près, toutes les photos qui accompagnent ce guide sont des auteurs des articles et leur sont explicitement attribuées, ce qui est le cas des miennes, d'autre part tout le monde savait alors que j'en étais l'auteur. Les informations grand public publiées dans ce guide, dont quelques unes ont été largement divulguées par d'autres à leur propre compte, ne risquaient pas vraiment de nuire à la protection des sites, comme le reproche m'en a été plus ou moins fait à l'époque. Je réalise avec du recul que celui-ci est injustifié : je ne donnais pas trop de précisions sur les localisations ; il n’y a jamais eu dans le Pilat et son piedmont de véritables fouilles, le socle rocheux est vite atteint et les labours profonds y ont bouleversé depuis longtemps les dépôts archéologiques, de sorte que la plupart des découvertes sont fortuites et mal documentées ; enfin, nombre de mes signalements concernaient des pierres qui ne risquaient pas grand-chose, celles dites à bassins et à cupules. Un seul regret peut-être à propos du Moulin à Vent, l’un des sites les plus intéressants et les plus prometteurs, où les risques de dégradation sont réels. Mais je me dis aussi que si je ne l’avais pas découvert au début des années 1970, cette découverte n’aurait pas tardé, tant le site est évident, à l’inverse d’autres lieux du Pilat qui font souvent l’objet de fantasmes sans grande consistance. J’envisage une nouvelle publication de cet inventaire avec des corrections, des additifs, des commentaires.
Mes contributions ne se limitaient pas au guide de 1974 : par exemple, j’avais recensé et réuni trois haches polies néolithiques, une venant de la maison familiale au Perret que je publiais en 1973 avec une autre trouvée à Saint-Appolinard, puis deux autres venant d’un secteur privilégié pour ce type de trouvailles entre la Chaise, Bessey et Roisey. Toutes ces haches passaient alors pour des serpentines. Dans le même secteur, à La Tronchiat où se trouve précisément un petit filon de serpentine que j’avais fait connaître à G. Pétillon, ce dernier en signalait deux autres, mais disparues. De même Nathalie Corompt dans son mémoire de maîtrise de 1994 en signalera une autre aux Collonges, jamais vue non plus. C’est par mon truchement qu’une étudiante en maîtrise, Annie Masson, autrice d’une étude pionnière présentée en 1977, sous le titre Étude pétrographique des haches polies en Forez, put analyser celles du Pilat : sur les cinq pièces en provenant, sauf une en fibrolite trouvée à Roche-la-Molière sur le versant nord, les quatre autres du versant sud avaient été trouvées ou étudiées par moi et elle les identifiait au groupe des jadéitites et non des serpentinites comme on l’avait cru jusque là. À plusieurs titres, je peux donc passer pour un pionnier, mais il y en a d’autres, et ils sont souvent méconnus. Je pense en particulier à René Lurol du Pompallier à Pélussin. Amateur très intuitif, il a à son actif un nombre non négligeable de découvertes. Pourtant, on chercherait en vain une citation de son nom dans les publications archéologiques sur le Pilat.
4/ Les Regards du Pilat : Vous semblez posséder une vraie compréhension,
presque une spécialité. Comment vous vient cette passion pour le latin et le
français ancien ?
Dominique Bonnaud : Cette question rejoint en
grande partie les deux premières que vous m’avez posées. Pour le vieux
français, dans mon collège j’ai eu pour professeur Jean-Baptiste Martin avant
qu’il ne se consacre totalement à ses recherches sur les langues régionales.
Pour le latin, et aussi le grec et les langues en général, ceci remonte à la
petite enfance comme je l’ai déjà dit. J’ai découvert très tôt l’ouvrage de Ventris
et Chadwick sur Le déchiffrement du Linéaire B, cette écriture syllabique dont
le mystère une fois percé a permis de comprendre que les Mycéniens parlaient
déjà grec, étaient déjà des Grecs. J’étais fasciné par ce genre de découverte
comme celle de Champollion pour les hiéroglyphes égyptiens. En latin, il y a
bien meilleur que moi, et j’étais trop indépendant et dilettante pour approcher
de l’excellence en la matière. Mais j’ai
toujours aimé le latin que j’ai entretenu même après ma scolarité, et j’en ai
toujours su assez pour me débrouiller et arriver à lire du César dans le texte.
Par ailleurs, le latin c’est la clé d’accès à
des documents et des pages d’histoire surtout pour le Moyen Âge, car
pour l’Antiquité presque toutes les sources sont traduites et bien traduites. Lorsque
je me suis lancé dans la traduction intégrale du Cartulaire de
Saint-Sauveur-en-Rue, je n’ai pas rencontré trop de problèmes. Le latin des
Cartulaires médiévaux est moins complexe que le latin classique. Il présente
des formules souvent répétitives, mais une partie de son vocabulaire, entre
autres juridique, est spécifique et il a ses propres difficultés, que l’on
arrive à résoudre avec un peu de perspicacité et de réflexion. Et le plaisir de
trouver les solutions a quelque chose de ludique, un peu comme pour une grille
de mots croisés ou de sudoku.
5/ Les Regards du Pilat : Votre nom est indissociable de la découverte
du site du Moulin à Vent à Pélussin. Mais comment avez-vous été conduit à vous
intéresser à cet endroit, et qu'y avez-vous réellement trouvé ?
Dominique Bonnaud : Mes
recherches reposaient
sur des méthodes très basiques : d’abord parcourir le pays et les
sites
naturels lors de grandes excursions, l’attention en éveil pour repérer
ce qui
méritait de l’être ; ensuite, entrer en contact avec les
habitants, interroger,
discuter. C’est ainsi qu’au début des années 1970 j’avais lié
connaissance avec une vieille dame héritière de l’ex auberge-hôtel
Dervieux à la Chaise Basse au débouché de la route de La Ribaudy qui
conduit tout
droit au Moulin à Vent. Celle-ci m’avait montré une très belle lame en
silex
blond miel ramassée par son père, il y avait donc déjà pas mal de
temps, dans
une terre qu’il devait posséder ou parcourir près du site du Moulin à
Vent. Elle
est peut-être encore aux mains de ses héritiers ? Je ne désespère pas
de les
retrouver pour en obtenir ne serait-ce qu’une photo. Le fait est que
cette lame
me fit tout de suite prendre conscience de l’importance du site. Mon
déplacement sur les lieux permit de le confirmer. J’y trouvais une
magnifique
enceinte, probablement plusieurs fois remaniée et, à l’époque,
j’établissais
des comparaisons avec le « château » préhistorique du Lébous
dans l’Hérault
fouillé par le Dr Arnal. J’y voyais des structures à peu près
identiques comme
des guérites ou tours d’angle circulaires. Aujourd’hui , je suis un peu
moins
attaché à ces comparaisons, mais je suis plus que jamais persuadé du
grand
intérêt du site et conscient des menaces qui pèsent sur lui.
Dans le fond du léger vallon
au sud de l’enceinte, au bord de la route de La Ribaudy, j’avais aussi remarqué
un imposant monticule contourné par les labours. G. Pétillon y a vu une motte
féodale. Pour ma part, je pense qu’une telle motte aurait été installée en
position proéminente à l’intérieur de l’enceinte comme le moulin à vent, et j’y
verrais plutôt un tumulus, authentique celui-ci, contrairement à de nombreux
pierriers du Pilat identifiés à des tumuli.
6/ Les Regards du Pilat : Sur le site du Moulin à Vent toujours,
certains murs imposants et toujours debout, ne peuvent être très anciens. Ils
sont composés de petites pierres et ne sont pas montés avec du liant ; rien
de bien pour traverser les siècles... Qu’y-a-t-il de vraiment ancien sur ce
site et qu’est-ce qui le laisse penser, les trouvailles de G Pétillon mises à
part ?
Dominique Bonnaud : Permettez-moi d’abord de
dire que je trouve curieuse votre remarque sur les murs avec ou sans liant. Nombreuses
sont les murailles antiques sans liant. Regardez cette photo de la base d’une tour
d’angle du Lébous, vous y chercherez en vain une trace de liant. J’ai sillonné
les Cyclades, et je puis vous assurer que toutes les enceintes et habitats
anciens que l’on trouve dans ces îles grecques sont en pierres sèches pas
toujours bien grosses et sans liant. De plus, en l’état actuel, on ne sait pas si
le Moulin à Vent se présentait à l’origine tel qu’on le voit aujourd’hui, si
les murs que nous voyons ne sont pas des soubassements sur lesquels s’élevait
une palissade en bois. De même, on ignore si les murs exceptionnellement épais
ne sont pas conçus sur le modèle d’un murus gallicus. Ceci dit, vous avez
raison, les lieux ont subi à travers les âges de multiples aménagements et
modifications, ne serait-ce que par l’installation d’un moulin à vent, qui a
laissé son nom au site et dont on voit encore les ruines côté est. Il m’est
impossible de vous dire en l’absence de fouilles sérieuses ce qui est vraiment
ancien, mais ce qui a été trouvé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de
l’enceinte, pas seulement par G. Pétillon, ne laisse aucun doute sur l’ancienneté
d’une partie au moins des structures et sur leur intérêt. Le véritable plan des
lieux à l’origine, c’est peut-être le tracé en trois quarts de cercle que j’ai remarqué
récemment en consultant le cadastre. Loin de contredire le relevé que j’avais
fait en 1973 avec G. Pétillon, le plan que nous avons dressé s’inscrit
parfaitement dans ce tracé. Là où il s’en écarte, il y a des raisons évidentes
qui tiennent essentiellement à la présence d’une ferme et habitation au nord du
site qui a forcément bouleversé la configuration primitive des lieux.
7/ Les Regards du Pilat : Aux alentours de Pélussin on trouve
plusieurs sites mégalithiques, ou prétendus tels, comme les Grandes Roches de Triolet,
la Pierre à Coulanche, la Pierre Juton, Pierra borna etc. Pouvez-vous nous en dire quelques
mots, et qu'en pensez-vous ?
Dominique Bonnaud : Vous évoquez ici en les
rapprochant une double thématique, celle du mégalithisme et celle des pierres à
bassins et à cupules dans le Pilat. Ces deux questions mériteraient de longs développements.
Je vais néanmoins tenter une rapide présentation la plus claire possible.
Le mégalithisme
d’abord : il est complètement surestimé dans le Pilat alors qu’en réalité il
y est pratiquement inexistant, aussi curieux que ceci puisse vous paraître. En
1986, dans un volume d’Hommages au père mariste Jean Granger (un autre de mes
professeurs, correspondant des Antiquités Historiques, décédé en 1983), Myriam Philibert
– ne pas confondre avec Denise - avait publié une étude sur le mégalithisme de
la Loire qui est assez pauvre en comparaison de celui d’autres régions. Le Flat
y passe à la trappe. Techniquement parlant, ce n’a jamais été un menhir (v.
aussi ce qu’en a dit M. Etlicher lors de son interview), et je le savais déjà
depuis longtemps par les enquêtes que j’avais menées à Colombier. Par ailleurs,
les régions à mégalithes ont un profil particulier, et le Pilat ne répond pas à
ces critères. Quoiqu’il en soit les mégalithismes régionaux divergent
notablement du mégalithisme breton d’origine. Alors, pas du tout de
mégalithisme en Pilat ? Ce n’est
pas certain. Il faut seulement aller le chercher là où il est plus susceptible de
se trouver ou de s’y être trouvé, c’est-à-dire autour du Moulin à Vent, où l’on
a découvert le maximum de silex et de haches polies que j’ai signalées.
Les pierres prétendues mégalithiques
ensuite : je précise d’abord que la Pierre Juton est une de mes découvertes
et j’ai été le premier à mentionner les deux autres en 1974. Effectivement, il
n’a jamais été prouvé que les pierres à bassins et à cupules sont liées au
mégalithisme et lui sont contemporaines. La question est d’abord de savoir si l’origine
est anthropique ou naturelle, liée à l’érosion, selon l’opinion de M. Etlicher,
dont je fais largement cas de l’expertise scientifique sauf sur ce point :
sur le calcaire ou le grès, il est plus difficile de distinguer entre la main
de l’homme et celle de la nature. Ainsi, la réputation anthropique de certaines
wassersteine (pierres à cupules, en fait
bassins) des Vosges me semble douteuse.
En revanche, sur du granit, la main de l’homme est clairement repérable
dans la très grande majorité des cas. Le nier équivaudrait aussi à méconnaître les
meulières qui accompagnent souvent ces bassins comme on va le voir à propos de
l’interprétation de ces pierres.
J’ai coutume de dire à leur
propos que je suis certain de ce qu’elles ne sont pas, mais que je ne suis pas
totalement assuré de ce qu’elles sont. Dès
1974, dans le guide touristique, je formulais un embryon d’hypothèse qu’en
dépit de ma précédente déclaration je suis plus que jamais enclin à soutenir, à
savoir qu’elles sont en lien avec « l’exploitation de la pierre à une
époque relativement récente ». Ceci mériterait de longs commentaires, mais
je vais une fois encore tenter de faire bref : 1) on constate souvent la
présence de bassins sur des meulières (Moulin à Vent, Pierra Borna, Pierre
Juton) ou sur des affleurements rocheux qui ont servi de carrières. Il faudrait
donc être aveugle pour ne pas voir un lien entre les deux, ce qui n’explique
pas pour autant l’utilité de ces bassins ; 2) de tous temps et même aujourd’hui
avec un outillage non plus manuel mais mécanique, pour extraire des blocs de
pierre, les carriers ont utilisé des encoches ou des alignements d’encoches,
qui peuvent aussi être circulaires pour les meules, et destinés à l’insertion
de coins en bois imbibés d’eau ou de coins métalliques. Un tel alignement
d’encoches est bien visible au Flat qui était une carrière, et le « menhir »
est ce qui est resté en place après le détachement d’un ou plusieurs gros blocs.
Et puisque ces techniques d’exploitation remontent à la nuit des temps et sont
de toutes les époques, il est difficile de dater les traces que les carriers
ont laissées. Mais, pour le Pilat, parce que la construction en pierre - celle
des demeures paysannes et villageoises, pas celle des châteaux ou des églises -
ne remonte guère plus haut que les XVe-XVIe siècle, et plus tard encore pour
les habitants les plus modestes (cf. Les dates qui sont parfois conservées sur
les linteaux des entrées des plus vieilles maisons), et parce qu’il a bien
fallu trouver la pierre quelque part, si possible à proximité de ces hameaux et
villages où l’on trouve souvent des affleurements, je parlais en 1974 d’« une
époque relativement récente ». Quant aux meulières - et donc les bassins
que l’on y trouve - elles ne remontent pas plus haut que le Moyen Âge. Objection :
si ces « carrières » et ces bassins sont aussi récents, comment se
fait-il que les habitants n’en aient pas gardé le souvenir ?
Réponse : les celtisants venus au XIXe siècle répandre leurs théories sur
ces rochers ne leur ont pas demandé leur avis. Et, l’autorité jouant, ils
auront fini par assimiler eux-mêmes ces théories. Les grands-parents pouvaient
encore savoir. En revanche, à l’heure des mass media et des réseaux sociaux, les
générations actuelles des campagnes subissent les mêmes influences et partagent
les mêmes inepties que celles des villes.
Depuis, mon opinion s’est
affinée : parce que les techniques d’exploitation n’ont pratiquement pas
changé à travers les âges, même si je pense toujours que ces bassins sont
relativement récents dans le Pilat, j’admets aujourd’hui que d’autres époques peuvent
également être concernées, y compris la période mégalithique et n’importe
quelle autre période ou culture historique qui a exploité un tant soit peu des affleurements
rocheux. Par conséquent, les rochers à bassins et à cupules seraient un peu de
toutes les époques et pas une exclusivité mégalithique, mais il n’y a aucune
raison pour que certains ne soient pas aussi mégalithiques. Je pense d’ailleurs
que c’est une époque particulièrement concernée par ces phénomènes, puisqu’on y
a beaucoup taillé la pierre pour les dolmens et menhirs. Les alignements
d’encoches sont particulièrement nombreux dans la Bretagne mégalithique. Par
ailleurs, on ne peut pas écarter totalement des exceptions, des cas
particuliers. Je reconnais aussi que mon explication concerne surtout les
bassins. Pour les cupules, toutes ne correspondent pas à des encoches et ne sont
pas disposées en lignes. Ce n’est donc pas encore une explication totalement
satisfaisante de ces bassins et cupules que je propose, mais c’est du moins une
avancée conceptuelle et cognitive. La réponse se trouve sans doute dans les
techniques d’exploitation des carriers. Les bassins devaient avoir pour eux une
utilité, mais laquelle exactement, ou bien correspondre à des prélèvements
particuliers ? Des mortiers, par exemple, ou bien des cavités creusées pour
servir de mortiers. Telle est l’enquête qu’il faut mener à mon avis en s’appuyant
sur l’anthropologie comparative. D’autres relèveront probablement le défi après
moi.
Dernière question : la
religion que ma tentative d’explication semble écarter ? Je n’entends pas
dénier aux populations de la préhistoire des comportements religieux. Les
peuples des mégalithes en particulier, comme toutes les sociétés agraires,
avaient manifestement des croyances très affirmées. Non ! Il s’agit
seulement de ne pas voir des manifestations religieuses partout et dans
n’importe quoi. Il ne faut pas perdre de vue aussi que ces temps étaient
beaucoup plus durs que les nôtres. Au quotidien, les préoccupations matérielles
devaient prévaloir en raison des impératifs de survie. Il ne faut pas accorder
à la religion une place démesurée, étant précisé toutefois que la démarcation
entre le religieux et le profane n’était pas alors aussi tranchée
qu’aujourd’hui. Notre notion de laïcité serait sûrement incomprise pour un Néolithique.
Thierry Rollat et Dominique Bonnaud tout proche du site de Pierra borna en septembre 2023
8/ Les Regards du Pilat : À votre époque, dans les années 1970 et
début 1980, et alors qu’il était tout juste naissant, quels ont été vos
rapports avec les responsables du Parc Naturel Régional du Pilat ?
Dominique Bonnaud : Je n’ai jamais pris l’initiative de rapports avec le PNR du Pilat. En 1973, alors que celui-ci n’était encore qu’au stade de sa préfiguration, c’est G. Pétillon qui avait pris contact avec moi pour s’informer. Je lui ai fait découvrir de nombreux sites que j’avais personnellement découverts et il s’en est beaucoup servi pour rédiger ses fiches archéologiques dactylographiées, non datées, encore que l’on puisse établir l’époque de rédaction de certaines d’entre elles. Il m’y cite à plusieurs reprises, mais pas toujours et de façon ambiguë sans bien préciser qui a découvert quoi. Une attitude qui s’est sans doute accentuée lorsque je me suis éloigné de la région. Heureusement, ce que j’ai écrit dans le guide de 1974 est là pour prouver ce qui m’appartient. Ceci dit, nous avons eu les meilleurs rapports d’autant plus que nous partagions les mêmes idées. La lecture de ses fiches m’a montré qu’il avait fait siennes certaines de mes hypothèses sur les mégalithes et bassins formulées timidement et brièvement mais pour la première fois dès 1974, ce que je viens d’expliquer à l’occasion de votre précédente question, à savoir de ne pas considérer a priori comme religieux ou ésotérique ou que sais-je encore quelque chose de purement matériel. Un exemple permettra de mieux comprendre : la Pierre Juton. Regardez la fiche qu’il lui consacre. Alors que les interprétations les plus débridées couraient sur ce rocher, il a bien vu la corrélation entre ce beau bassin et l’atelier de taille de meules dont il fait partie. Les principaux ateliers de meules c’est moi qui les ai trouvés et cités en premier dans le guide de 1974. Mais G. Pétillon a développé dans ses fiches de fines observations qui lui ont permis de préciser l’importance des veines et l’extension des ateliers notamment dans le quartier situé entre le Pont du Mas, la Roche, le Moulin, la Guintranie et Chez Judy. Il a fait également des observations et remarques à propos du Pied de Samson à Chuyer aussi pertinentes que celles formulées à propos de la Pierre Juton.
Pied de Samson sur la commune de Chuyer
9/ Les Regards du Pilat : Ces dernières années, vous avez entrepris un
travail titanesque que vous avez mené à bien : traduire le cartulaire de
Saint Sauveur en Rue. Quelles motivations vous ont poussé à réaliser cette
besogne notoire ?
Dominique Bonnaud : Si ce travail avait été titanesque, je n’aurais pas mis deux mois et demi à le réaliser. Ceci dit, il me reste encore à terminer une relecture avec quelques corrections et surtout à poursuivre l’étude qui l’accompagne. Quant à mes motivations, c’est un très vieux projet qui remonte aux époques évoquées ci-dessus, c’est-à-dire dès les années 1970. La perte d’une grande partie de ma documentation m’a conduit lors de mon passage au statut de retraité à réactiver ce projet dont il me restait la plupart des éléments en main et qui nécessite un simple travail de traduction, mais aussi de nombreuses recherches et lectures. Mes premiers contacts avec « Regards du Pilat » qui datent maintenant d'un peu plus de trois ans y ont également contribué. Ce que j’y lisais était tellement différent de ce que m’apprenait le Cartulaire, que ceci m’a motivé et stimulé pour travailler un peu plus sur ce document.
Quelques extraits du cartulaire de Saint-Sauveur en Rue, là où Dominique Bonnaud a tout traduit
10/ Les Regards du Pilat : Beaucoup de gens ont écrit sur le Pilat,
mais beaucoup de choses fausses circulent aussi. Avez-vous des conseils à
donner pour les dépister ?
Dominique Bonnaud : Je ferais bien volontiers
quelques recommandations à propos de la méthodologie des recherches dans le
Pilat :
✓ il est indispensable de
s’affranchir une fois pour toutes des vieilles théories et idées reçues qui
plongent leurs racines dans le 19e siècle et le celtisme ambiant à
cette époque, invariablement rabâchées depuis, du moins au niveau des
recherches et études locales, sans aucune remise en cause. Renouveler les
approches ne présente pourtant pas de difficulté majeure pour peu que l’on
utilise ses facultés personnelles d’observation et de réflexion. Je précise
pour être bien compris : mon propos ne veut pas dire qu’il faut faire
table rase de tout ce qui a été écrit autrefois. Il y a d’excellents ouvrages
et de bons travaux. Je pense même que les recherches locales gagneraient en
qualité si elles renouaient un peu plus avec la tradition des abbés érudits de
la fin du XIXe siècle et d’une grande partie du XXe siècle. Tout nouveau n’est
pas forcément tout beau. Je préconise surtout de réfléchir par soi-même et de
ne pas tenir pour acquis ce qu’on répète presque mécaniquement depuis des
lustres. Les connaissances ont beaucoup progressé depuis le XIXe siècle et rien
n’empêche de s’informer.
✓ s’informer précisément :
je suis toujours un peu surpris quand je lis des articles ou des propos qui méconnaissent
les publications les plus récentes sur les sujets qu’ils entendent traiter. Rien
de solide ne peut résulter de telles méthodes.
✓ je conseille
également de mettre en œuvre un peu de
comparatisme : l’interprétation des découvertes dans le Pilat gagnera sûrement
beaucoup avec la mise en parallèle d’autres découvertes du même genre en
d’autres lieux et à d’autres époques. C’est un des meilleurs moyens d’échapper
au cercle vicieux de vieilles théories mitées et obsolètes indéfiniment
ressassées et répétées sans aucune démarche critique.
✓ je pense que les recherches
locales gagneraient aussi à s’intéresser à des recherches, et donc à des
lectures, plus générales, sans qu’il soit pour autant nécessaire de multiplier ces
lectures. Il suffit de sélectionner quelques bons ouvrages. Je recommande par
exemple Les religions gauloises de Jean-Louis Brunaux. Le pluriel du titre est
déjà évocateur, et rien de plus décapant que cette lecture pour balayer les
fausses idées que l’on se fait à propos des Gaulois.
Une application à propos des
pierres à bassins : les autels des Gaulois consistaient en des fosses à
même la terre. Nos bassins n’ont donc pas pu leur servir d’autels, etc., etc.
11/ Les Regards du Pilat : Certains ensembles de cupules sont situés
sur des lieux où le pâturage des chèvres était sans doute ce qu’il y avait de
mieux pour les exploiter. Pensez-vous que les petits bergers désœuvrés
(jusqu’au XX° siècle) sont, entre autres, les auteurs de ces cupules ?
Dominique Bonnaud : Il est préférable de laisser
les petits bergers à leur désœuvrement existentiel, peut-être accentué au XXe
siècle, car les anciens n’étaient pas si désœuvrés si l’on en croit l’Astrée,
le roman pastoral d’Honoré d’Urfé, où le berger Céladon passe son temps à
compter fleurette à une bergère, un peu revêche il est vrai. Pour ces pierres à
bassins et à cupules, mieux vaut à mon
avis mettre en œuvre ses facultés d’observation, se poser les bonnes questions et,
comme je l’ai dit précédemment, se tourner vers les carriers plutôt que vers
les bergers. Travailler la pierre, c’est une affaire
de carriers et de tailleurs, pas de bergers. Je ne me lasserais pas de le répéter :
il faut avant tout se détacher des vieilles lunes véhiculées de génération en
génération depuis le XIXe siècle et partir sur de nouvelles bases.
12/ Les Regards du Pilat : Certains auteurs (JP. Jospin, B. Rémy, R.
Lacombe) semblent situer la frontière entre Allobroges et Ségusiaves, sur le
Gier de Givors à Rive-de-Gier, puis vers La Versanne, Saint-Régis-du-Coin…
Pensez-vous qu’ils ont raison ?
Dominique Bonnaud : Je ne connais pas Jospin et Lacombe. En revanche, je connais l’article de Bernard Rémy paru en 1970 dans un numéro des Cahiers d’histoire, et j’ai toujours attribué le plus grand mérite à cette étude sur les limites de la cité des Allobroges. Je crois aussi qu’il est revenu par la suite sur ces questions en apportant des précisions, mais je n’ai pas pris connaissance de ses articles plus récents. Peut-être que Jospin et Lacombe ont depuis également apporté de nouveaux éléments, mais je ne peux rien en dire non plus parce que je ne les ai pas lus. Si celui qui me pose cette question peut m’informer sur ce point, je lui en saurais bien volontiers gré.
La Vallée d'Egarande sur Farnay, aussi frontière entre Allobroges et Ségusiaves
Dominique Bonnaud : N'en déplaise à ses
thuriféraires, le faussaire est amplement prouvé. Quand on se penche un tant
soit peu sérieusement sur son cas avec ce qu’il faut de connaissances et
d’informations nécessaires pour bien en juger, il faudrait être aveugle pour ne
pas s’en rendre compte. On m’objectera que le travail de faussaire était une
activité courante, presque une spécialité, dans les officines monacales au
Moyen Âge, et pour ces temps reculés les chercheurs s’épuisent à distinguer
dans les chartes le vrai du faux et à en comprendre les raisons. Le problème,
c’est qu’aux XVIIe-XVIIIe siècles, au temps des grands travaux d’érudition des
Bénédictins Mauristes (par exemple Dom Vic et Dom Vaissète pour le Languedoc), l’époque
et les motivations des faussaires ne sont plus les mêmes. Au Moyen Âge, la forgerie
était pratiquée au bénéfice de la communauté,
du moins la communauté religieuse. Signe des temps, elle s’est
maintenant individualisée. Quant à l’érudition de Dom Polycarpe, elle se présente
surtout dans ses ouvrages pieux ou édifiants. Les admirateurs du Chartreux soulignent
que ces derniers ont été des best-sellers en leur temps. Soit ! Mais d’une part je défie quiconque de lire sans bâiller
au bout de quelques pages les énormes volumes produits sur ces matières, d’autre
part concernant les bons tirages dont leur auteur peut se prévaloir, il ne faut
pas oublier que son public était essentiellement le clergé régulier et
séculier, c’est-à-dire un public relativement nombreux à cette époque, tout
acquis et constituant l’essentiel des personnes qui savaient alors lire. Il
n’était pas très difficile dans ces conditions de faire de gros tirages. Mais pour
ses productions historiques c’est une autre paire de manches. Ses échecs en ce
domaine expliquent son comportement bizarre, celui de quelqu’un qui paraît
vouloir prendre sa revanche contre ceux qui l’ont dénigré ou critiqué. Je ne
puis être assuré de la façon dont il a quitté la scène lors de son étrange disparition
alors qu’il se rendait en cure thermale au Mont-Dore en Auvergne, encore que
j’aie ma petite idée sur la question. En revanche, ce dont j’ai acquis la
conviction, preuves à l’appui, c’est qu’à la fin de sa vie il souffrait de ce
que l’on appelle aujourd’hui des troubles bipolaires. Je ne peux pas en dire
plus pour le moment mais ce que j’ai trouvé complète et renouvelle largement sa
biographie. Quant je dis trouvé c’est partiellement vrai, parce que j’ai aussi
exploité des documents négligés par les précédents biographes de Dom Polycarpe,
surtout A. Vachez pourtant censé avoir épuisé les archives de la Grande
Chartreuse, sans doute pour préserver l’image positive qu’ils se faisaient de
leur héros. Paradoxalement, voici un personnage entouré de mystère parce que l’on
ne savait pratiquement rien sur lui, mais sa biographie, assez bien reconstituée
à partir de quelques sources et informations ténues et dispersées, a contribué
à dissiper progressivement le brouillard qui l’entourait au point d’en faire un
des acteurs de second rang du XVIIe siècle parmi les mieux documentés, loin du mystère
dont on a voulu l’accommoder pour lui faire jouer un rôle dans une grande
fresque ésotérique complotiste à souhait.
Blason de Dom Polycarpe de La Rivière
Dominique Bonnaud : Pour conclure, permettez que
je présente aux lecteurs de Regards du Pilat une explication du toponyme Le
Coma figurant sur la carte de Cassini au XVIIIe siècle au Moulin à Vent,
précisément en lien avec le symbole d’un moulin à vent :
Si on lui accorde une origine gauloise, celui-ci semble désigner, plutôt que la partie éminente à l’intérieur même de l’enceinte du Moulin à Vent, le léger vallon adjacent. En effet, Pierre-Yves Lambert (La langue gauloise, éd. Errance, Paris, 1997, p. 193) et Xavier Delamarre (Dictionnaire de la langue gauloise, id., 2001, p. 110) présentent un mot gaulois cumba, dont on voit, d’après ceux qu’il a générés dans diverses langues ou dialectes, qu’il « désignait à la fois un certain relief et des objets lui ressemblant » creux ou concaves (P.-Y. Lambert) : vallée d’une part, récipient creux, vase, pot, bassin ou nacelle d’autre part. On perçoit ici sur le vif un processus analogique ou métaphorique d’enrichissement des langues. Il a un pendant strictement identique en latin (avec toutefois une légère variante : cymba), mais chargé d’un sens à première vue différent : barque, canot, esquif, nacelle. En fait, il s’en rapproche selon la glose qu’en donne Isidore de Séville (Étymologies, 19, 2, 1) : « fond de navire », soit sa partie creuse, la partie immergée de la coque ou carène : « locus imus navis, quod aquis incumbat » (partie du navire qui plonge dans l’eau). Du terme gaulois sont issus le français combe (creux de vallon, Alfred Holder, Alt-celtischer Sprachschatz, Teubner, Leipzig, vol. 1, 1896, 1189) et les innombrables Cumba, Combe, Combes, Combs, Comps, Coume de la toponymie (Ernest Nègre, Toponymie générale de la France, Droz, Genève, 1990, 3756-85 ; D. Ellis Evans, Gaulish Personal Names. A Study of some Continental Celtic Formations, Oxford University Press, Oxford, 1967, 188). Il a encore donné avec le même sens le provençal comba, mieux encore le catalan coma, exact correspondant du toponyme cassinien (relevons en passant que le Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue présente des traces de catalan), ou le nord-italien koma (W. Meyer-Lübke, Romanisches etymologisches Wörterbuch, Carl Winter, Heidelberg, 3e éd., 1935, n° 2386). Ces termes sont aussi comparables au gallois cwm, vallée, et au breton komm, auge, brittonique *cumbos, d’où l’anglais combe (Kenneth Jackson, Language and History in Early Britain, Edinburgh University Press, Edimbourg, 1953, réimpr. Four Courts Presse, Dublin, 1994, 510 ; Eilert Ekwall, The Concise Oxford Dictionary of English Place Names, 4e éd. Oxford University Press, 1960, 118). Enfin, un certain nombre de mots désignant des récipients (des « creux ») lui sont encore apparentés : le sanskrit kumbháh, pot, l’avestique xumba-, pot, le grec kúmbē, coupe, vase, canot, etc. (Julius Pokorny, Indogermanisches etymologisches Wörterbuch, Francke Verlag, Berne et Munich, 1959-1969, 592). Ainsi, pour peu que le toponyme le Coma de la carte de Cassini ait un rapport avec le vallon adjacent, plutôt qu’avec l’éminence du Moulin à Vent, ce qui est très vraisemblable, la langue gauloise est plus que probante pour lui donner un sens.
Les
Regards du Pilat : Cet entretien interview copieux s'avère maintenant
terminé. Nous vous remercions vivement pour l'ensemble de vos
réponses.
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