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NOVEMBRE 2024


ENTRETIEN-INTERVIEW



DOMINIQUE BONNAUD-DANTIL


  



Quand on s'intéresse au vécu de Dominique Bonnaud, celui-ci s'impose comme un personnage. Avant que nous ne retrouvions sa trace du côté de Poitiers il y a trois ans et ce après avoir mené une enquête pointue, il appartenait presqu'à la légende ici dans le Pilat. Seuls les anciens ou les chercheurs assez chevronnés peuvent prétendre avoir déjà vu ou lu son nom dans de rares documents datant des années 1970. Oublié surement, mais on va voir que tout un chacun ne cite pas forcément toujours ses sources et derrière bien des découvertes pilatoises se trouve en réalité la présence de notre ami Dominique. Sans plus attendre, nous vous proposons de faire plus ample connaissance.



 










1/ Les Regards du Pilat : Bonjour Monsieur Bonnaud. Vous avez vécu dans le Pilat il y a longtemps. Vous résidiez à Pélussin, il y a près de quarante ans. Quelles responsabilités avez-vous exercées ? Quels étaient vos intérêts pour l’histoire et le patrimoine de ce pays ?

Dominique Bonnaud : J’ai travaillé comme documentaliste aux Archives nationales, aux Archives du Conseil d’État et au siège du réseau Canopé, ex CNDP, à Chasseneuil-du-Poitou. Retraité depuis quelques années, je vis actuellement à Poitiers, tout en revenant de temps à autre dans le Pilat pour des séjours plus ou moins longs. Bonnaud-Dantil est devenu mon nom d’usage.

Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours été passionné par l’histoire et tout ce qui s’y rattache, entre autres l’archéologie, la préhistoire, l’histoire de l’art, mais aussi d’autres disciplines souvent indispensables pour l’histoire telle qu’on la pratique aujourd’hui : géographie, économie, démographie, sociologie, anthropologie, ou encore les langues, notamment le latin, ainsi que la paléographie, pour accéder à la documentation. Tout jeune, j’étais attiré par l’histoire et la mythologie grecque, riche et foisonnante, et je me plongeais avec délectation dans l’Iliade et l’Odyssée. Mes cadeaux de Noël préférés : un dictionnaire des mythologies Larousse et les albums de Tintin. L’intérêt pour le patrimoine du Pilat est venu ensuite  naturellement, comme le passage à des travaux pratiques, avec une forte envie de trouver des réponses à des questions, de résoudre des problèmes. Ajoutés à cela un goût pour la randonnée et le contact avec la nature qui m’ont conduit à sillonner le massif et à en explorer tous les recoins.


Pélussin, vue générale

2/ Les Regards du Pilat : Lorsque l’on vous lit ou que l’on vous écoute, on distingue de solides connaissances. Quelles sont vos formations initiales ?

Dominique Bonnaud : J’ai suivi un cursus classique dans le secondaire. J’avais des facilités, mais j’étais peu discipliné, et j’adaptais un peu les programmes à mon goût, lisant énormément. J’ai toujours beaucoup lu, quitte à oublier un peu, mais il reste toujours quelque chose blotti au fond de la mémoire qui peut être réactivé à certaines occasions, et la mémoire ça se travaille. Sur les bancs du collège,  plus souvent chez moi en dehors des cours, je  lisais de ma propre initiative des ouvrages qui ne faisaient pas partie de ce qui était imposé, prescrit ou recommandé. C’était d’autant plus problématique que je me trouvais dans un collège religieux où des auteurs comme Voltaire par exemple n’avaient pas très bonne presse, pour autant je n’ai pas gardé un mauvais souvenir de ce collège, bien au contraire. Comme souvent, l’influence de certains professeurs a sans doute aussi joué. Dans l’enseignement supérieur, j’ai d’abord été très indécis avant de m’orienter vers l’histoire, la préhistoire et l’archéologie que je voyais surtout comme un complément indispensable de l’histoire, mais je ne serais certainement pas devenu un archéologue professionnel, n’étant pas trop attiré par les fouilles, même si j’ai participé à quelques chantiers pour me familiariser avec la méthodologie, et j’ai régulièrement actualisé mes connaissances.

Pour être plus précis, en archéologie préhistorique, j’ai eu pour professeur :

• à Lyon II,  Denise Philibert, décédée récemment en 2022, spécialiste du Mésolithique à laquelle j’avais soumis pour expertise les planches représentant les silex découverts par Georges Pétillon

• à Paris I, Jean-Paul Demoule, spécialiste du Néolithique, fondateur et premier directeur de l’INRAP

3/ Les Regards du Pilat : C’est dans un guide officiel touristique, « Fenêtre ouverte sur le haut Vivarais » paru en 1974, que vous avez laissé une trace de vos recherches à la postérité. En pionnier vous évoquez dans ce guide bien des sites du Pilat rhodanien. Quelle motivation vous a alors animé ?

Dominique Bonnaud : Étudiant à Lyon, m’intéressant depuis quelques années, au sein du Groupe Archéologique Forez-Jarez, à l’archéologie du canton de Pélussin et plus largement du Pilat que j’avais déjà beaucoup exploré, j’avais écrit un ou deux articles lorsqu’en 1974 je saisis l’opportunité qui m’était offerte de contribuer pour le canton de Pélussin au Guide officiel de l’Union Touristique du Haut-Vivarais, une occasion inespérée pour présenter  de façon sommaire mais en bloc la liste de toutes mes découvertes archéologiques et de mes connaissances sur l’histoire du canton de Pélussin, même si ce n’était pas la publication idéale pour héberger ce genre d’informations. Pour l’archéologie, j’élargissais ainsi mon propos au Pilat, surtout le Pilat du versant rhodanien, entre la Haute-Loire et le Rhône, dans un excursus intitulé : Archéologie du Pilat. Cet inventaire archéologique, qui n’a guère été dépassé depuis, mentionnait pour la première fois nombre de sites que j'avais découverts. Par la suite, des gisements que je signalais, dont beaucoup inédits, ou des informations que je donnais, ont été cités sans référence à leur auteur ou inventeur. Récemment encore, un article de Regards du Pilat sur Gaston Baty citait un passage du guide dont je suis l'auteur, sans me mentionner, ce qui ne fait jamais bien plaisir. Il y a des exceptions, notamment Georges Pétillon, directeur adjoint technique du PNR du Pilat, entré en contact avec moi dès 1973. Il est vrai que le guide est resté apparemment peu connu et que le texte n'est pas signé mais, d'une part, à quelques exceptions près, toutes les photos qui accompagnent ce guide sont des auteurs des articles et leur sont explicitement attribuées, ce qui est le cas des miennes, d'autre part tout le monde savait alors que j'en étais l'auteur. Les informations grand public publiées dans ce guide, dont quelques unes ont été largement divulguées par d'autres à leur propre compte, ne risquaient pas vraiment de nuire à la protection des sites, comme le reproche m'en a été plus ou moins fait à l'époque. Je réalise avec du recul que celui-ci est injustifié : je ne donnais pas trop de précisions sur les localisations ; il n’y a jamais eu dans le Pilat et son piedmont de véritables fouilles, le socle rocheux est vite atteint et les labours profonds y ont bouleversé depuis longtemps les dépôts archéologiques, de sorte que la plupart des découvertes sont fortuites et mal documentées ; enfin, nombre de mes signalements concernaient des pierres qui ne risquaient pas grand-chose, celles dites à bassins et à cupules. Un seul regret peut-être à propos du Moulin à Vent, l’un des sites les plus intéressants et les plus prometteurs, où les risques de dégradation sont réels. Mais je me dis aussi que si je ne l’avais pas découvert au début des années 1970, cette découverte n’aurait pas tardé, tant le site est évident, à l’inverse d’autres lieux du Pilat qui font souvent l’objet de fantasmes sans grande consistance. J’envisage une nouvelle publication de cet inventaire avec des corrections, des additifs, des commentaires.


Mes contributions ne se limitaient pas au guide de 1974 : par exemple, j’avais recensé et réuni trois haches polies néolithiques, une venant de la maison familiale au Perret que je publiais en 1973 avec une autre trouvée à Saint-Appolinard, puis deux autres venant d’un secteur privilégié pour ce type de trouvailles entre la Chaise, Bessey et Roisey. Toutes ces haches passaient alors pour des serpentines. Dans le même secteur, à La Tronchiat où se trouve précisément un petit filon de serpentine que j’avais fait connaître à G.  Pétillon, ce dernier en signalait deux autres, mais disparues. De même Nathalie Corompt dans son mémoire de maîtrise de 1994 en signalera une autre aux Collonges, jamais vue non plus. C’est par mon truchement qu’une étudiante en maîtrise, Annie Masson, autrice d’une étude pionnière présentée en 1977, sous le titre Étude pétrographique des haches polies en Forez, put analyser celles du Pilat : sur les cinq pièces en provenant, sauf une en fibrolite trouvée à Roche-la-Molière sur le versant nord, les quatre autres du versant sud avaient été trouvées ou étudiées par moi et elle les identifiait au groupe des jadéitites et non des serpentinites comme on l’avait cru jusque là. À plusieurs titres, je peux donc passer pour un pionnier, mais il y en a d’autres, et ils sont souvent méconnus. Je pense en particulier à René Lurol du Pompallier à Pélussin. Amateur très intuitif, il a à son actif un nombre non négligeable de découvertes. Pourtant, on chercherait en vain une citation de son nom dans les publications archéologiques sur le Pilat.

Hache en jadéite trouvée à Perret, commune de Pélussin

4/ Les Regards du Pilat : Vous semblez posséder une vraie compréhension, presque une spécialité. Comment vous vient cette passion pour le latin et le français ancien ?

Dominique Bonnaud : Cette question rejoint en grande partie les deux premières que vous m’avez posées. Pour le vieux français, dans mon collège j’ai eu pour professeur Jean-Baptiste Martin avant qu’il ne se consacre totalement à ses recherches sur les langues régionales. Pour le latin, et aussi le grec et les langues en général, ceci remonte à la petite enfance comme je l’ai déjà dit. J’ai découvert très tôt l’ouvrage de Ventris et Chadwick sur Le déchiffrement du Linéaire B, cette écriture syllabique dont le mystère une fois percé a permis de comprendre que les Mycéniens parlaient déjà grec, étaient déjà des Grecs. J’étais fasciné par ce genre de découverte comme celle de Champollion pour les hiéroglyphes égyptiens. En latin, il y a bien meilleur que moi, et j’étais trop indépendant et dilettante pour approcher de l’excellence en la matière.  Mais j’ai toujours aimé le latin que j’ai entretenu même après ma scolarité, et j’en ai toujours su assez pour me débrouiller et arriver à lire du César dans le texte. Par ailleurs, le latin c’est la clé d’accès à  des documents et des pages d’histoire surtout pour le Moyen Âge, car pour l’Antiquité presque toutes les sources sont traduites et bien traduites. Lorsque je me suis lancé dans la traduction intégrale du Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue, je n’ai pas rencontré trop de problèmes. Le latin des Cartulaires médiévaux est moins complexe que le latin classique. Il présente des formules souvent répétitives, mais une partie de son vocabulaire, entre autres juridique, est spécifique et il a ses propres difficultés, que l’on arrive à résoudre avec un peu de perspicacité et de réflexion. Et le plaisir de trouver les solutions a quelque chose de ludique, un peu comme pour une grille de mots croisés ou de sudoku.

5/ Les Regards du Pilat : Votre nom est indissociable de la découverte du site du Moulin à Vent à Pélussin. Mais comment avez-vous été conduit à vous intéresser à cet endroit, et qu'y avez-vous réellement trouvé ?

Dominique Bonnaud : Mes recherches reposaient sur des méthodes très basiques : d’abord parcourir le pays et les sites naturels lors de grandes excursions, l’attention en éveil pour repérer ce qui méritait de l’être ; ensuite, entrer en contact avec les habitants, interroger, discuter. C’est ainsi qu’au début des années 1970  j’avais lié connaissance avec une vieille dame héritière de l’ex auberge-hôtel Dervieux à la Chaise Basse au débouché de la route de La Ribaudy qui conduit tout droit au Moulin à Vent. Celle-ci m’avait montré une très belle lame en silex blond miel ramassée par son père, il y avait donc déjà pas mal de temps, dans une terre qu’il devait posséder ou parcourir près du site du Moulin à Vent. Elle est peut-être encore aux mains de ses héritiers ? Je ne désespère pas de les retrouver pour en obtenir ne serait-ce qu’une photo. Le fait est que cette lame me fit tout de suite prendre conscience de l’importance du site. Mon déplacement sur les lieux permit de le confirmer. J’y trouvais une magnifique enceinte, probablement plusieurs fois remaniée et, à l’époque, j’établissais des comparaisons avec le « château » préhistorique du Lébous dans l’Hérault fouillé par le Dr Arnal. J’y voyais des structures à peu près identiques comme des guérites ou tours d’angle circulaires. Aujourd’hui , je suis un peu moins attaché à ces comparaisons, mais je suis plus que jamais persuadé du grand intérêt du site et conscient des menaces qui pèsent sur lui.

Dans le fond du léger vallon au sud de l’enceinte, au bord de la route de La Ribaudy, j’avais aussi remarqué un imposant monticule contourné par les labours. G. Pétillon y a vu une motte féodale. Pour ma part, je pense qu’une telle motte aurait été installée en position proéminente à l’intérieur de l’enceinte comme le moulin à vent, et j’y verrais plutôt un tumulus, authentique celui-ci, contrairement à de nombreux pierriers du Pilat identifiés à des tumuli.

 





Au premier plan, une muraille du Moulin à Vent ; au fond à gauche, entrée d'une cabane

6/ Les Regards du Pilat : Sur le site du Moulin à Vent toujours, certains murs imposants et toujours debout, ne peuvent être très anciens. Ils sont composés de petites pierres et ne sont pas montés avec du liant ; rien de bien pour traverser les siècles... Qu’y-a-t-il de vraiment ancien sur ce site et qu’est-ce qui le laisse penser, les trouvailles de G Pétillon mises à part ?

Dominique Bonnaud : Permettez-moi d’abord de dire que je trouve curieuse votre remarque sur les murs avec ou sans liant. Nombreuses sont les murailles antiques sans liant. Regardez cette photo de la base d’une tour d’angle du Lébous, vous y chercherez en vain une trace de liant. J’ai sillonné les Cyclades, et je puis vous assurer que toutes les enceintes et habitats anciens que l’on trouve dans ces îles grecques sont en pierres sèches pas toujours bien grosses et sans liant. De plus, en l’état actuel, on ne sait pas si le Moulin à Vent se présentait à l’origine tel qu’on le voit aujourd’hui, si les murs que nous voyons ne sont pas des soubassements sur lesquels s’élevait une palissade en bois. De même, on ignore si les murs exceptionnellement épais ne sont pas conçus sur le modèle d’un murus gallicus. Ceci dit, vous avez raison, les lieux ont subi à travers les âges de multiples aménagements et modifications, ne serait-ce que par l’installation d’un moulin à vent, qui a laissé son nom au site et dont on voit encore les ruines côté est. Il m’est impossible de vous dire en l’absence de fouilles sérieuses ce qui est vraiment ancien, mais ce qui a été trouvé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’enceinte, pas seulement par G. Pétillon, ne laisse aucun doute sur l’ancienneté d’une partie au moins des structures et sur leur intérêt. Le véritable plan des lieux à l’origine, c’est peut-être le tracé en trois quarts de cercle que j’ai remarqué récemment en consultant le cadastre. Loin de contredire le relevé que j’avais fait en 1973 avec G. Pétillon, le plan que nous avons dressé s’inscrit parfaitement dans ce tracé. Là où il s’en écarte, il y a des raisons évidentes qui tiennent essentiellement à la présence d’une ferme et habitation au nord du site qui a forcément bouleversé la configuration primitive des lieux.


7/ Les Regards du Pilat : Aux alentours de Pélussin on trouve plusieurs sites mégalithiques, ou prétendus tels, comme les Grandes Roches de Triolet, la Pierre à Coulanche, la Pierre Juton, Pierra borna etc. Pouvez-vous nous en dire quelques mots, et qu'en pensez-vous ?

Dominique Bonnaud : Vous évoquez ici en les rapprochant une double thématique, celle du mégalithisme et celle des pierres à bassins et à cupules dans le Pilat. Ces deux questions mériteraient de longs développements. Je vais néanmoins tenter une rapide présentation la plus claire possible.

Le mégalithisme d’abord : il est complètement surestimé dans le Pilat alors qu’en réalité il y est pratiquement inexistant, aussi curieux que ceci puisse vous paraître. En 1986, dans un volume d’Hommages au père mariste Jean Granger (un autre de mes professeurs, correspondant des Antiquités Historiques, décédé en 1983), Myriam Philibert – ne pas confondre avec Denise - avait publié une étude sur le mégalithisme de la Loire qui est assez pauvre en comparaison de celui d’autres régions. Le Flat y passe à la trappe. Techniquement parlant, ce n’a jamais été un menhir (v. aussi ce qu’en a dit M. Etlicher lors de son interview), et je le savais déjà depuis longtemps par les enquêtes que j’avais menées à Colombier. Par ailleurs, les régions à mégalithes ont un profil particulier, et le Pilat ne répond pas à ces critères. Quoiqu’il en soit les mégalithismes régionaux divergent notablement du mégalithisme breton d’origine. Alors, pas du tout de mégalithisme en Pilat ?  Ce n’est pas certain. Il faut seulement aller le chercher là où il est plus susceptible de se trouver ou de s’y être trouvé, c’est-à-dire autour du Moulin à Vent, où l’on a découvert le maximum de silex et de haches polies que j’ai signalées.

Les pierres prétendues mégalithiques ensuite : je précise d’abord que la Pierre Juton est une de mes découvertes et j’ai été le premier à mentionner les deux autres en 1974. Effectivement, il n’a jamais été prouvé que les pierres à bassins et à cupules sont liées au mégalithisme et lui sont contemporaines. La question est d’abord de savoir si l’origine est anthropique ou naturelle, liée à l’érosion, selon l’opinion de M. Etlicher, dont je fais largement cas de l’expertise scientifique sauf sur ce point : sur le calcaire ou le grès, il est plus difficile de distinguer entre la main de l’homme et celle de la nature. Ainsi, la réputation anthropique de certaines wassersteine (pierres à  cupules, en fait bassins) des Vosges me semble douteuse.  En revanche, sur du granit, la main de l’homme est clairement repérable dans la très grande majorité des cas. Le nier équivaudrait aussi à méconnaître les meulières qui accompagnent souvent ces bassins comme on va le voir à propos de l’interprétation de ces pierres.

J’ai coutume de dire à leur propos que je suis certain de ce qu’elles ne sont pas, mais que je ne suis pas totalement assuré de ce qu’elles sont.  Dès 1974, dans le guide touristique, je formulais un embryon d’hypothèse qu’en dépit de ma précédente déclaration je suis plus que jamais enclin à soutenir, à savoir qu’elles sont en lien avec « l’exploitation de la pierre à une époque relativement récente ». Ceci mériterait de longs commentaires, mais je vais une fois encore tenter de faire bref : 1) on constate souvent la présence de bassins sur des meulières (Moulin à Vent, Pierra Borna, Pierre Juton) ou sur des affleurements rocheux qui ont servi de carrières. Il faudrait donc être aveugle pour ne pas voir un lien entre les deux, ce qui n’explique pas pour autant l’utilité de ces bassins ; 2) de tous temps et même aujourd’hui avec un outillage non plus manuel mais mécanique, pour extraire des blocs de pierre, les carriers ont utilisé des encoches ou des alignements d’encoches, qui peuvent aussi être circulaires pour les meules, et destinés à l’insertion de coins en bois imbibés d’eau ou de coins métalliques. Un tel alignement d’encoches est bien visible au Flat qui était une carrière, et le « menhir » est ce qui est resté en place après le détachement d’un ou plusieurs gros blocs. Et puisque ces techniques d’exploitation remontent à la nuit des temps et sont de toutes les époques, il est difficile de dater les traces que les carriers ont laissées. Mais, pour le Pilat, parce que la construction en pierre - celle des demeures paysannes et villageoises, pas celle des châteaux ou des églises - ne remonte guère plus haut que les XVe-XVIe siècle, et plus tard encore pour les habitants les plus modestes (cf. Les dates qui sont parfois conservées sur les linteaux des entrées des plus vieilles maisons), et parce qu’il a bien fallu trouver la pierre quelque part, si possible à proximité de ces hameaux et villages où l’on trouve souvent des affleurements, je parlais en 1974 d’« une époque relativement récente ». Quant aux meulières - et donc les bassins que l’on y trouve - elles ne remontent pas plus haut que le Moyen Âge. Objection : si ces « carrières » et ces bassins sont aussi récents, comment se fait-il que les habitants n’en aient pas gardé le souvenir ? Réponse : les celtisants venus au XIXe siècle répandre leurs théories sur ces rochers ne leur ont pas demandé leur avis. Et, l’autorité jouant, ils auront fini par assimiler eux-mêmes ces théories. Les grands-parents pouvaient encore savoir. En revanche, à l’heure des mass media et des réseaux sociaux, les générations actuelles des campagnes subissent les mêmes influences et partagent les mêmes inepties que celles des villes.

Depuis, mon opinion s’est affinée : parce que les techniques d’exploitation n’ont pratiquement pas changé à travers les âges, même si je pense toujours que ces bassins sont relativement récents dans le Pilat, j’admets  aujourd’hui que d’autres époques peuvent également être concernées, y compris la période mégalithique et n’importe quelle autre période ou culture historique qui a exploité un tant soit peu des affleurements rocheux. Par conséquent, les rochers à bassins et à cupules seraient un peu de toutes les époques et pas une exclusivité mégalithique, mais il n’y a aucune raison pour que certains ne soient pas aussi mégalithiques. Je pense d’ailleurs que c’est une époque particulièrement concernée par ces phénomènes, puisqu’on y a beaucoup taillé la pierre pour les dolmens et menhirs. Les alignements d’encoches sont particulièrement nombreux dans la Bretagne mégalithique. Par ailleurs, on ne peut pas écarter totalement des exceptions, des cas particuliers. Je reconnais aussi que mon explication concerne surtout les bassins. Pour les cupules, toutes ne correspondent pas à des encoches et ne sont pas disposées en lignes. Ce n’est donc pas encore une explication totalement satisfaisante de ces bassins et cupules que je propose, mais c’est du moins une avancée conceptuelle et cognitive. La réponse se trouve sans doute dans les techniques d’exploitation des carriers. Les bassins devaient avoir pour eux une utilité, mais laquelle exactement, ou bien correspondre à des prélèvements particuliers ? Des mortiers, par exemple, ou bien des cavités creusées pour servir de mortiers. Telle est l’enquête qu’il faut mener à mon avis en s’appuyant sur l’anthropologie comparative. D’autres relèveront probablement le défi après moi.

Dernière question : la religion que ma tentative d’explication semble écarter ? Je n’entends pas dénier aux populations de la préhistoire des comportements religieux. Les peuples des mégalithes en particulier, comme toutes les sociétés agraires, avaient manifestement des croyances très affirmées. Non ! Il s’agit seulement de ne pas voir des manifestations religieuses partout et dans n’importe quoi. Il ne faut pas perdre de vue aussi que ces temps étaient beaucoup plus durs que les nôtres. Au quotidien, les préoccupations matérielles devaient prévaloir en raison des impératifs de survie. Il ne faut pas accorder à la religion une place démesurée, étant précisé toutefois que la démarcation entre le religieux et le profane n’était pas alors aussi tranchée qu’aujourd’hui. Notre notion de laïcité serait sûrement incomprise pour un Néolithique.

 

Thierry Rollat et Dominique Bonnaud tout proche du site de Pierra borna en septembre 2023

8/ Les Regards du Pilat : À votre époque, dans les années 1970 et début 1980, et alors qu’il était tout juste naissant, quels ont été vos rapports avec les responsables du Parc Naturel Régional du Pilat ?

Dominique Bonnaud : Je n’ai jamais pris l’initiative de rapports avec le PNR du Pilat. En 1973, alors que celui-ci n’était encore qu’au stade de sa préfiguration, c’est G. Pétillon qui avait pris contact avec moi pour s’informer. Je lui ai fait découvrir de nombreux sites que j’avais personnellement découverts et il s’en est beaucoup servi pour rédiger ses fiches archéologiques dactylographiées, non datées, encore que l’on puisse établir l’époque de rédaction de certaines d’entre elles. Il m’y cite à plusieurs reprises, mais pas toujours et de façon ambiguë sans bien préciser qui a découvert quoi. Une attitude qui s’est sans doute accentuée lorsque je me suis éloigné de la région. Heureusement, ce que j’ai écrit dans le guide de 1974 est là pour prouver ce qui m’appartient. Ceci dit, nous avons eu les meilleurs rapports d’autant plus que nous partagions les mêmes idées. La lecture de ses fiches m’a montré qu’il avait fait siennes certaines de mes hypothèses sur les mégalithes et bassins formulées timidement et brièvement mais pour la première fois dès  1974,  ce que je viens d’expliquer à l’occasion de votre précédente question, à savoir de ne pas considérer a priori comme religieux ou ésotérique ou que sais-je encore quelque chose de purement matériel. Un exemple permettra de mieux comprendre : la Pierre Juton. Regardez la fiche qu’il lui consacre. Alors que les interprétations les plus débridées couraient sur ce rocher, il a bien vu la corrélation entre ce beau bassin et l’atelier de taille de meules dont il fait partie. Les principaux ateliers de meules c’est moi qui les ai trouvés et cités en premier dans le guide de 1974. Mais G. Pétillon a développé dans ses fiches de fines observations qui lui ont permis de préciser l’importance des veines et l’extension des ateliers notamment dans le quartier situé entre le Pont du Mas, la Roche, le Moulin, la Guintranie et Chez Judy. Il a fait également des observations et remarques à propos du Pied de Samson à Chuyer aussi pertinentes que celles formulées à propos de la Pierre Juton.


Pied de Samson sur la commune de Chuyer


9/ Les Regards du Pilat : Ces dernières années, vous avez entrepris un travail titanesque que vous avez mené à bien : traduire le cartulaire de Saint Sauveur en Rue. Quelles motivations vous ont poussé à réaliser cette besogne notoire ?

Dominique Bonnaud : Si ce travail avait été titanesque, je n’aurais pas mis deux mois et demi à le réaliser. Ceci dit, il me reste encore à terminer une relecture avec quelques corrections et surtout à poursuivre l’étude qui l’accompagne. Quant à mes motivations, c’est un très vieux projet qui remonte aux époques évoquées ci-dessus, c’est-à-dire dès les années 1970. La perte d’une grande partie de ma documentation m’a conduit lors de mon passage au statut de retraité à réactiver ce projet dont il me restait la plupart des éléments en main et qui nécessite un simple travail de traduction, mais aussi de nombreuses recherches et lectures. Mes premiers contacts avec « Regards du Pilat » qui datent maintenant d'un peu plus de trois ans y ont également contribué. Ce que j’y lisais était tellement différent de ce que m’apprenait le Cartulaire, que ceci m’a motivé et stimulé pour travailler un peu plus sur ce document.

Quelques extraits du cartulaire de Saint-Sauveur en Rue, là où Dominique Bonnaud a tout traduit

10/ Les Regards du Pilat : Beaucoup de gens ont écrit sur le Pilat, mais beaucoup de choses fausses circulent aussi. Avez-vous des conseils à donner pour les dépister ?

Dominique Bonnaud : Je ferais bien volontiers quelques recommandations à propos de la méthodologie des recherches dans le Pilat :

✓ il est indispensable de s’affranchir une fois pour toutes des vieilles théories et idées reçues qui plongent leurs racines dans le 19e siècle et le celtisme ambiant à cette époque, invariablement rabâchées depuis, du moins au niveau des recherches et études locales, sans aucune remise en cause. Renouveler les approches ne présente pourtant pas de difficulté majeure pour peu que l’on utilise ses facultés personnelles d’observation et de réflexion. Je précise pour être bien compris : mon propos ne veut pas dire qu’il faut faire table rase de tout ce qui a été écrit autrefois. Il y a d’excellents ouvrages et de bons travaux. Je pense même que les recherches locales gagneraient en qualité si elles renouaient un peu plus avec la tradition des abbés érudits de la fin du XIXe siècle et d’une grande partie du XXe siècle. Tout nouveau n’est pas forcément tout beau. Je préconise surtout de réfléchir par soi-même et de ne pas tenir pour acquis ce qu’on répète presque mécaniquement depuis des lustres. Les connaissances ont beaucoup progressé depuis le XIXe siècle et rien n’empêche de s’informer.

✓ s’informer précisément : je suis toujours un peu surpris quand je lis des articles ou des propos qui méconnaissent les publications les plus récentes sur les sujets qu’ils entendent traiter. Rien de solide ne peut résulter de telles méthodes.

✓ je conseille également  de mettre en œuvre un peu de comparatisme : l’interprétation des découvertes dans le Pilat gagnera sûrement beaucoup avec la mise en parallèle d’autres découvertes du même genre en d’autres lieux et à d’autres époques. C’est un des meilleurs moyens d’échapper au cercle vicieux de vieilles théories mitées et obsolètes indéfiniment ressassées et répétées sans aucune démarche critique.

✓ je pense que les recherches locales gagneraient aussi à s’intéresser à des recherches, et donc à des lectures, plus générales, sans qu’il soit pour autant nécessaire de multiplier ces lectures. Il suffit de sélectionner quelques bons ouvrages. Je recommande par exemple Les religions gauloises de Jean-Louis Brunaux. Le pluriel du titre est déjà évocateur, et rien de plus décapant que cette lecture pour balayer les fausses idées que l’on se fait à propos des Gaulois.

Une application à propos des pierres à bassins : les autels des Gaulois consistaient en des fosses à même la terre. Nos bassins n’ont donc pas pu leur servir d’autels, etc., etc.

11/ Les Regards du Pilat : Certains ensembles de cupules sont situés sur des lieux où le pâturage des chèvres était sans doute ce qu’il y avait de mieux pour les exploiter. Pensez-vous que les petits bergers désœuvrés (jusqu’au XX° siècle) sont, entre autres, les auteurs de ces cupules ?

Dominique Bonnaud : Il est préférable de laisser les petits bergers à leur désœuvrement existentiel, peut-être accentué au XXe siècle, car les anciens n’étaient pas si désœuvrés si l’on en croit l’Astrée, le roman pastoral d’Honoré d’Urfé, où le berger Céladon passe son temps à compter fleurette à une bergère, un peu revêche il est vrai. Pour ces pierres à bassins et à cupules, mieux vaut à  mon avis mettre en œuvre ses facultés d’observation, se poser les bonnes questions et, comme je l’ai dit précédemment, se tourner vers les carriers plutôt que vers les bergers. Travailler la pierre, c’est une affaire de carriers et de tailleurs, pas de bergers. Je ne me lasserais pas de le répéter : il faut avant tout se détacher des vieilles lunes véhiculées de génération en génération depuis le XIXe siècle et partir sur de nouvelles bases.

 

12/ Les Regards du Pilat : Certains auteurs (JP. Jospin, B. Rémy, R. Lacombe) semblent situer la frontière entre Allobroges et Ségusiaves, sur le Gier de Givors à Rive-de-Gier, puis vers La Versanne, Saint-Régis-du-Coin… Pensez-vous qu’ils ont raison ?

Dominique Bonnaud : Je ne connais pas Jospin et Lacombe. En revanche, je connais l’article de Bernard Rémy paru en 1970 dans un numéro des Cahiers d’histoire, et j’ai toujours attribué le plus grand  mérite à cette étude sur les limites de la cité des Allobroges. Je crois aussi qu’il est revenu par la suite sur ces questions en apportant des précisions, mais je n’ai pas pris connaissance de ses articles plus récents. Peut-être que Jospin et Lacombe ont depuis également apporté de nouveaux éléments, mais je ne peux rien en dire non plus parce que je ne les ai pas lus. Si celui qui me pose cette question peut m’informer sur ce point, je lui en saurais bien volontiers gré.


La Vallée d'Egarande sur Farnay, aussi frontière entre Allobroges et Ségusiaves

13/ Les Regards du Pilat : Dom Polycarpe de la Rivière, Prieur de la Chartreuse de Sainte-Croix en Jarez de 1618 à 1627, fait partie des personnages que vous avez étudiés. Il a laissé un souvenir contrasté. Selon vous le faussaire l’emporte t’il sur l’érudit ?

Dominique Bonnaud : N'en déplaise à ses thuriféraires, le faussaire est amplement prouvé. Quand on se penche un tant soit peu sérieusement sur son cas avec ce qu’il faut de connaissances et d’informations nécessaires pour bien en juger, il faudrait être aveugle pour ne pas s’en rendre compte. On m’objectera que le travail de faussaire était une activité courante, presque une spécialité, dans les officines monacales au Moyen Âge, et pour ces temps reculés les chercheurs s’épuisent à distinguer dans les chartes le vrai du faux et à en comprendre les raisons. Le problème, c’est qu’aux XVIIe-XVIIIe siècles, au temps des grands travaux d’érudition des Bénédictins Mauristes (par exemple Dom Vic et Dom Vaissète pour le Languedoc), l’époque et les motivations des faussaires ne sont plus les mêmes. Au Moyen Âge, la forgerie était pratiquée au bénéfice de la communauté,  du moins la communauté religieuse. Signe des temps, elle s’est maintenant individualisée. Quant à l’érudition de Dom Polycarpe, elle se présente surtout dans ses ouvrages pieux ou édifiants. Les admirateurs du Chartreux soulignent que ces derniers ont été des best-sellers en leur temps. Soit ! Mais d’une part je défie quiconque de lire sans bâiller au bout de quelques pages les énormes volumes produits sur ces matières, d’autre part concernant les bons tirages dont leur auteur peut se prévaloir, il ne faut pas oublier que son public était essentiellement le clergé régulier et séculier, c’est-à-dire un public relativement nombreux à cette époque, tout acquis et constituant l’essentiel des personnes qui savaient alors lire. Il n’était pas très difficile dans ces conditions de faire de gros tirages. Mais pour ses productions historiques c’est une autre paire de manches. Ses échecs en ce domaine expliquent son comportement bizarre, celui de quelqu’un qui paraît vouloir prendre sa revanche contre ceux qui l’ont dénigré ou critiqué. Je ne puis être assuré de la façon dont il a quitté la scène lors de son étrange disparition alors qu’il se rendait en cure thermale au Mont-Dore en Auvergne, encore que j’aie ma petite idée sur la question. En revanche, ce dont j’ai acquis la conviction, preuves à l’appui, c’est qu’à la fin de sa vie il souffrait de ce que l’on appelle aujourd’hui des troubles bipolaires. Je ne peux pas en dire plus pour le moment mais ce que j’ai trouvé complète et renouvelle largement sa biographie. Quant je dis trouvé c’est partiellement vrai, parce que j’ai aussi exploité des documents négligés par les précédents biographes de Dom Polycarpe, surtout A. Vachez pourtant censé avoir épuisé les archives de la Grande Chartreuse, sans doute pour préserver l’image positive qu’ils se faisaient de leur héros. Paradoxalement, voici un personnage entouré de mystère parce que l’on ne savait pratiquement rien sur lui, mais sa biographie, assez bien reconstituée à partir de quelques sources et informations ténues et dispersées, a contribué à dissiper progressivement le brouillard qui l’entourait au point d’en faire un des acteurs de second rang du XVIIe siècle parmi les mieux documentés, loin du mystère dont on a voulu l’accommoder pour lui faire jouer un rôle dans une grande fresque ésotérique complotiste à souhait.

 

Blason de Dom Polycarpe de La Rivière

Dominique Bonnaud : Pour conclure, permettez que je présente aux lecteurs de Regards du Pilat une explication du toponyme Le Coma figurant sur la carte de Cassini au XVIIIe siècle au Moulin à Vent, précisément en lien avec le symbole d’un moulin à vent :

Si on lui accorde une origine gauloise, celui-ci semble désigner, plutôt que la partie éminente à l’intérieur même de l’enceinte du Moulin à Vent, le léger vallon adjacent. En effet, Pierre-Yves Lambert (La langue gauloise, éd. Errance, Paris, 1997, p. 193) et Xavier Delamarre (Dictionnaire de la langue gauloise, id., 2001, p. 110) présentent un mot gaulois cumba, dont on voit, d’après ceux qu’il a générés dans diverses langues ou dialectes, qu’il « désignait à la fois un certain relief et des objets lui ressemblant » creux ou concaves (P.-Y. Lambert) : vallée d’une part, récipient creux, vase, pot, bassin ou nacelle d’autre part. On perçoit ici sur le vif un processus analogique ou métaphorique d’enrichissement des langues. Il a un pendant strictement identique en latin (avec toutefois une légère variante : cymba), mais chargé d’un sens à première vue différent : barque, canot, esquif, nacelle. En fait, il s’en rapproche selon la glose qu’en donne Isidore de Séville (Étymologies, 19, 2, 1) : « fond de navire », soit sa partie creuse, la partie immergée de la coque ou carène : « locus imus navis, quod aquis incumbat » (partie du navire qui plonge dans l’eau). Du terme gaulois sont issus le français combe (creux de vallon, Alfred Holder, Alt-celtischer Sprachschatz, Teubner, Leipzig, vol. 1, 1896, 1189) et les innombrables Cumba, Combe, Combes, Combs, Comps, Coume de la toponymie (Ernest Nègre, Toponymie générale de la France, Droz, Genève, 1990, 3756-85 ; D. Ellis Evans, Gaulish Personal Names. A Study of some Continental Celtic Formations, Oxford University Press, Oxford, 1967, 188). Il a encore donné avec le même sens le provençal comba, mieux encore le catalan coma, exact correspondant du toponyme cassinien (relevons en passant que le Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue présente des traces de catalan), ou le nord-italien koma (W. Meyer-Lübke, Romanisches etymologisches Wörterbuch, Carl Winter, Heidelberg, 3e éd., 1935, n° 2386). Ces termes sont aussi comparables au gallois cwm, vallée, et au breton komm, auge, brittonique *cumbos, d’où l’anglais combe (Kenneth Jackson, Language and History in Early Britain, Edinburgh University Press, Edimbourg, 1953, réimpr. Four Courts Presse, Dublin, 1994, 510 ; Eilert Ekwall, The Concise Oxford Dictionary of English Place Names, 4e éd. Oxford University Press, 1960, 118). Enfin, un certain nombre de mots désignant des récipients (des « creux ») lui sont encore apparentés : le sanskrit kumbháh, pot, l’avestique xumba-, pot, le grec kúmbē, coupe, vase, canot, etc. (Julius Pokorny, Indogermanisches etymologisches Wörterbuch, Francke Verlag, Berne et Munich, 1959-1969, 592). Ainsi, pour peu que le toponyme le Coma de la carte de Cassini ait un rapport avec le vallon adjacent, plutôt qu’avec l’éminence du Moulin à Vent, ce qui est très vraisemblable, la langue gauloise est plus que probante pour lui donner un sens.


Les Regards du Pilat : Cet entretien interview copieux s'avère maintenant terminé. Nous vous remercions vivement pour l'ensemble de vos réponses. 

 



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