Juin
2018
















Par notre Ami
Pierre-Bernard
Teyssier

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                                            Le Jaspe et la Chalcédoine – séquence n° 2     

Les débuts de notre série d’articles ont délibérément orienté le lecteur vers des pistes préhistoriques conduisant très loin de la Font-Ria, joyau du Bois Faro (commune de Saint-Genest-Malifaux, dans le Pilat). Même le lecteur le plus ouvert a pu observer, en effet, que nous nous élancions, avec un zeste témérité,  vers des extrémités galactiques, alors qu’à portée de javelot, nous délaissions de solides atouts entreposés dans nos « réserves » (terme de chasse surgissant, comme très souvent,  à point nommé !) purement locales.

Cette nouvelle séquence va, donc – il faut savoir reprendre son souffle, tout se gardant résolument de « glacer de peur » - amorcer le déploiement de « regards » différents portés, dès le siècle dernier, par des archéologues sur le site de la Font-Ria, en nous référant principalement aux trois (*1) précieux documents suivants :

-          Deux sources qui parlent – L’ENIGME DE LA FONT-RIA – Jean GRANGER – « Père mariste et ancien professeur de Lettres »  - Deux sources qui parlent – L’ENIGME DE LA FONT-RIA, impr. aux Arts Graphiques de Saint-Etienne – 10 juillet 1971  (* 2)

-          Denise PEILLON – Les silex de la Font-Ria – Extrait du Bulletin des Groupes archéologiques de la Loire, 1972 ;

-           Une liasse de notes manuscrites rédigées, selon toute vraisemblance, par (ou avec) l’abbé Jean GRANGER et récemment déposée à la Société d’Histoire du Pays de Saint-Genest-Malifaux ; ces notes étant titrées « La Font-Ria –  C 133 – 1, 1er – 2 juillet 1973, Congrès association française [pour l’] avancement  des sciences ».

Indéfiniment, dans la mémoire des lieux relayée par celle des promeneurs curieux, la Font-Ria, ne peut plus être dissociée  d’un bien étrange poème. Les vers en sont gravés, là, dans les pierres tutélaires de la source principale du Cotatay. Le ruisseau débouche, à une bonne lieue en contrebas, sur un barrage éponyme (inauguré  -  en grande pompe ! - en 1906) avant de mêler ses eaux résiduelles à celles de l’Ondaine et de rejoindre enfin le fleuve Loire. La confluence des deux ruisseaux se sera opérée, presqu’en douce, entre Trablaine et Pontcharra, sur la commune du Chambon-Feugerolles. La toponymie (*3) atteste que La Ricamarie, dont la limite de territoire passe tout près, a jadis porté le nom de « Tiregarne ».

Nul besoin d’être grand druide pour déceler, derrière une telle dénomination, la trace d’un « Tarvos Tricaranos », autrement dit le « Taureau aux trois grues » très en renom dans les cultes celtiques, comme compagnon, avec le sanglier, du dieu Toutatis ; un « Toutatès » qu’il serait en diable tentant de faire surgir en écho à « Cotatay » que certain terrier du XIVème s. avait hardiment estampillé Costa asterii, faisant involontairement de ces « côtes brunâtres » un bien étrange ancêtre des fameux « trous noirs », croque-mitaines virtuels de l’espace galactique !

Ce n’est pourtant pas le nombre 3 ni la trinité, qui ont fait le pied de « grue » entre les vers, en elzévir,  du poème de la Font-Ria. En fait, c’est en venant taquiner le nombre 2, alias « la dualité », que quelques korrigans ont donné tant de fil à retordre à l’abbé Granger. C’est à lui, en effet, que revient, dans le sillage de l’abbé Louis JACQUEMIN,  l’immense mérite d’avoir, de l’orbe du chaos phréatique, extrait la quintessence d’un assez rare « miracle » hydrologique. On pressentait l’eau dotée de mémoire (*4), on « glace de peur » de la surprendre, au pied de la lettre, en flagrant délire narcissique :

 

                                   Mon coulage arreste

                                    Mon Onde vous reste

 

                                        Je Glace de peur

                                    EN perdant ma sœur

 

                                    Car l’on me caresse

                                  Lorsqu’elle me laisse

        

  Jean GRANGER, qui naquit à Saint-Genest-Malifaux le 2 février 1902 (décédé en 1983), n’était véritablement pas tombé de la dernière pluie… Ceux qui l’ont approché ne le démentiraient pas : aux expressions, ainsi qu’au débit verbal, on aurait pu croire, de prime abord, à une hybridation de Michel GALABRU et de Jacques DUFILHO. Cependant, à quelque auditoire qu’il s’adressât, il était quasiment impossible de ne pas être sidéré par l’énergie, l’enthousiasme, l’immense érudition et la bonté profonde d’un tel homme.

L’absolue vénération qu’à juste titre, le père GRANGER a inspirée aux gens de Sainte Sigolène (43),  tant par sa personne que par ses nombreux travaux d’histoire et d’archéologie en Loire et Haute-Loire, s’est trouvée à l’origine de l’initiative prise par l’association OPUS de lui consacrer un n° spécial (* 5). On ne saurait trop en recommander la lecture aux chercheurs comme à tout amoureux fervent du patrimoine. 

Pour peu qu’il se trouve un lecteur sensible à la magie des nombres ou adepte de numérologie, celui-ci remarquera aisément l’influence du nombre 2 quant au jour, au  mois et à l’année de naissance du père GRANGER (2/O2/ 02). Dans ce registre de l’étrange, quoi de plus limpide, alors, pour les deux sources sœurs, de la Font-Ria, d’avoir intrigué notre chercheur, au point de laisser choir à ses pieds la clé du poème de Louis JACQUEMIN. Une clé que la rouille, en près de quatre siècles, aurait pu facilement pulvériser et n’en plus laisser miroiter la moindre paillette de mystère dans les eaux vives du Cotatay !

Au passage, qu’en est-il de Louis JACQUEMIN, l’auteur du poème ? Voilà un contemporain de CORNEILLE, dont  l’Université Jean Monnet s’est assez récemment emparée et même régalée (*6). Il est toutefois évident que le vrai « découvreur » de JACQUEMIN, en tant que poète de la Renaissance, a bel et bien été le père GRANGER. Ce dernier a, d’ailleurs, su parfaitement, dans l’ouvrage sur la Font-Ria, remonter et mettre en valeur les filières familiales au-travers desquelles a été transmise l’œuvre de JACQUEMIN. Ceci, avec une mention particulière pour le rôle éminent qu’a joué dans un tel processus le chanoine Jean-Baptiste VANEL (*7) - également natif de Saint-Genest-Malifaux, le 12 avril 1851.

Maintenant, qu’en est-il du «miracle » de la « Font-(aine) Royale » ?  L’ajout de texte (effectué sous la dictée du Père GRANGER,  lors des travaux de restauration du site, en 1971) précédant le poème lui-même résume avec une élégante concision de quoi il retourne : « Deux sources parlent… » ! La perspicacité du chercheur (professeur de lettres anciennes), campée sur sa légendaire ténacité, a, doit-on confesser, cloué le bec à une kyrielle  d’apprentis-exégètes restés, en somme, bredouilles durant près de quatre siècles :

« […] l’observation des eaux […] révéla l’existence d’un phénomène familier aux spécialistes de l’hydrologie. Il y a des sources intermittentes et il y a des sources pérennes. Cet état de choses se rencontre souvent dans les terrains granitiques et normaux, ce qui est ici le cas. Leurs poches souterraines et leurs diaclases rocheuses sont extrêmement propices à l’émergence de sources intermittentes, qui fonctionnent avec des alternances curieuses, selon le principe du siphon. Sans être une source intermittente à arrêt complet, celle que nous venions de découvrir est une source à débit irrégulier, très variable selon les variations climatiques, suivant l’importance des nappes profondes qu’elle doit évacuer. Elle disparait et se cache au moment des grandes gelées. C’est quand elle manque de force qu’elle s’éternise dans le bourbier, mais toujours, peu ou prou, elle envoie un appoint secret à sa voisine. Elle ne la « laisse », elle ne la quitte vraiment, s’écoulant visible à la surface, qu’après les rigueurs de l’hiver. »

Question embarrassante : le Père GRANGER, lui-même, ne maniait-il pas avec délectation l’art subtil d’enchevêtrer les digressions ? Certes. Mais, sans prétendre, en ce domaine ni en aucun autre, lui arriver à la cheville, il serait honnête et urgent de revenir au thème principal de notre feuilleton : les occupations humaines du Haut-Pilat… aux temps des chasseurs-cueilleurs !

On le sait : l’essartage opéré dans Faro, autour de la Font-Ria, à la faveur du chantier orchestré par le Père Granger n’aura pas seulement élucidé le mystère d’un poème portant sur un phénomène hydrologique. Une fois tiré, en quelque sorte, le voile d’avant-scène, d’autres protagonistes, en sourdine, ne contiennent plus leur impatience, après moult  siècles d’attente, d’accomplir leurs rites ni de montrer au grand jour leurs outils et leur savoir-faire.

Hélas, chaque épisode de notre feuilleton reste cantonné dans de modestes limites d’espace-temps ! Aussi faudra-t-il, cher lecteur, rester armé d’encore un brin de patience pour pouvoir, derechef, apincher dans le dos de « Farou », l’un des fameux tailleurs de silex de la Font-Ria.

(à suivre…)

Pierre-Bernard Teyssier


Aiguisoir grès antique découvert ca. 1975, v. « Rioclar » (St Genest-Malifaux)

(* 1) N.B : serait logiquement à citer l’ouvrage de M. Charles GUILHAUME (Notes sur le canton de Saint-Genest-Malifaux – librairie Eleuthère Brassart  1896 ; informations  communiquées à La Diana – Montbrison, dès 1876). La prise en compte, par ce chercheur, d’un texte radicalement différent du poème lisible sur les pierres de la fontaine s’explique, sans doute, comme résultant, peut-être de façon exclusive, d’une investigation menée auprès d’habitants des hameaux voisins de la Font-Ria : Pléney, La Palle, etc. « Bois, mais ne t’arrête pas » est bel et bien, en effet, le conseil que se transmettent, de génération en génération, les bûcherons de Faro (mon propre père, soit dit en passant, fût l’un d’entre eux !). Bien que peu rompus à l’épigraphie, ceux-ci le sont bien davantage à la nécessaire prudence envers  l’absorption excessive d’eau glacée ! Voir également, sur l’ensemble du sujet, l’article de notre ami Patrick BERLIER, in Regards du Pilat, mai 2006 ;

(* 2) Exemplaire numéroté (n° 027) très aimablement dédicacé par l’auteur à un jeune lecteur qu’il pressentait attentif aux « raretez  de St Genest Malifaux », en stipulant que ce dernier aiderait « à nouveaux progrès dans la découverte des antiquitez du pays natal » ; ainsi formulée, la prédiction coulait de source vers l’injonction …  pourtant, Dieu sait qu’il reste encore beaucoup à faire !

        (* 3)  « Apud Tiragarna et Solore… »,  1388 (B 2026, f° 60 V°) ;

  (*4) Une fois apaisée la controverse suscitée, en 1986, par la publication de travaux du médecin - immunologue, Jacques BENVENISTE, évoquant « la mémoire de l’eau », le thème de recherche est repris, non sans succès, dans le monde entier, par d’autres scientifiques, parmi lesquels : Jacques COLLIN –  notamment : « L’au-delà de l’eau », éd. Trédaniel, 2014 ; ainsi que : Masuro EMOTO (collectif), « Les messages cachés de l’eau », éd. J’ai Lu, collection « aventure secrète », 2014 ;

(*5) OPUS (Organisation pour la publication de travaux d’intérêt scientifique) ; ouvrage publié avec le concours de la municipalité de Ste Sigolène (43) – imprimerie du Musée Ignon-Fabre, Mende, 1986 ;

(*6) Georges COUTON et Claude LONGEON, «  Le Triomphe des bergers […] », PUSE – Saint-Etienne – 1971, réimpr. de l’édition de Lyon, veuve Louis Muguet, 1646 ;

(*7) « Les curés de Saint-Genest-Malifaux », in Bulletin Historique du diocèse de Lyon (rubrique VII « Antoine Meyrieu ») - pagination multiple,  1926/ 1927 ; v. Médiathèque – Tarentaize, cote MAG C 207 (1) ;

et  «  Un forézien digne de mémoire, Louis Jacquemin, prêtre, poète et historien de Saint-Genest-Malifaux » ; v. Médiathèque - Tarentaize de Saint-Etienne, cote MAG FH 2366.



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