INVITE NOVEMBRE 2013

Il est maintenant temps de retrouver notre nouvel invité, notre ami Jacques Laversanne


Il y a bien longtemps déjà, lors d'une assemblée annuelle de Visages de notre Pilat, nous avions été agréablement surpris par l'intervention de Monsieur Jacques Laversanne. Humble et pourtant tellement compétent en de multiples domaines nous vous proposons aujourd'hui de mieux le connaitre car à son contact on apprend toujours ; nous en avons fait l'expérience.




- Jacques Laversanne, vous paraissez être un touche-à-tout : vous vous intéressez à l’histoire (en particulier à l’époque romaine), à l’archéologie, aux mégalithes, à la géologie, à la toponymie, etc. Parlez-nous un peu de votre parcours.

 

Mon but n'est pas de toucher à tout mais de porter un regard différent sur les objets de l'Histoire, ou de la Préhistoire, locale. Je n'ai pas eu la chance d'être formé aux méthodes d'analyses historiques. Par contre, j'ai bénéficié d'une double formation d'ingénieur et de géologue et j'ai pu appliquer tout au long de ma vie professionnelle, vouée à la prospection et à l'exploitation minière, une double approche, à la fois déductive et naturaliste. Je vois avec plaisir que les archéologues viennent de plus en plus à cette multiplicité des approches. Mon défaut de culture historique me pèse mais a un côté positif : mon absence d'a priori sur quelques sujets controversés.

Pour expliciter mon propos, je prendrai les exemples de mes deux sujets favoris : la géométrie antique et la toponymie.

N'étant pas à mon grand regret latiniste, je n'ai pas pu analyser par moi-même les recopies médiévales de l'abondante (comparée à d'autres domaines) littérature grecque ou romaine consacrée à la géométrie et à l'arpentage. Par contre, de par mon métier et par goût, j'ai pu me pencher sur les modes de raisonnement, sur les particularités des réalisations (plans de villes, cadastres, implantation des routes, etc.) et sur l'appareillage des géomètres antiques… et les Romains ne sont que des praticiens parmi d'autres. Il est difficile de demander à des étudiants en histoire qui ne savent déjà plus ce qu'est la fonction tangente en mathématiques de comprendre une géométrie à base de triangles rectangles, encore moins à des jeunes qui n'auront connu que le GPS d'imaginer des "ingénieurs" capables d'implanter des aqueducs avec une simple croix d'où pendent quatre fils à plomb (la groma) et d'un morceau de bois lesté en guise de niveau, la balance de fontainier qui était encore utilisée il y a peu. Pour ma part, les études et les reconstitutions que j'ai pu réaliser avec mes amis de Groupe archéologique Forez-Jarez m'ont apporté beaucoup de satisfactions. Une petite visite du site forez-jarez.fr en dira plus à nos lecteurs.

La toponymie m'a toujours passionné et j'ai toujours était admiratif de l'imagination de nos anciens pour redonner un sens aux noms de lieux et pour faire vivre des noms dont l'origine première est depuis longtemps oubliée. Qui imaginerait derrière "Chasse-Cocu" à Echalas au-dessus du Gier un très gaulois "sommet couvert de chênes" ? L'incertitude concernant l'étymologie d'un nom pris tout seul, et ma méconnaissance de la linguistique, m'ont très tôt poussé à étudier des cortèges de noms en relation avec des particularités géographiques : relief, rivières, routes, etc. Ces corrélations ont été plus fructueuses que je n'osais l'espérer et des schémas d'organisation des territoires à différentes époques commencent à se dessiner. Je suis très heureux de constater que sur Véranne et le Pilat rhodanien, sur La Versanne et Echalas aussi, des personnes aussi passionnées que patientes arrivent à des résultats remarquables.

 

- Vous êtes un membre particulièrement actif de la Société d’Histoire du Pays de Saint-Genest-Malifaux. Pouvez-vous nous en dire un peu plus, qu’est-ce qui vous motive, et vous attire vers cette région du Pilat ?

 

Ce qui m'attire d'abord sur le plateau du Haut-Pilat, c'est la présence d'un groupe d'historiens, ils méritent ce qualificatif, aussi modestes que sympathiques. Leurs ouvrages, DVD et conférences reçoivent un accueil extraordinaire auprès d'un public local très averti mais aussi à l'extérieur (voir leur site shpsgm.canalblog.com).

Ils m'ont donné le virus de la recherche documentaire et de la comparaison des archives et du terrain, celle sur le canal de liaison entre Semène et Furan, par exemple, fut particulièrement gratifiante. Sur le plateau vous n'êtes jamais seul : vous avez toujours une amie ou un ami pour vous sortir de l'ornière, pour vous faire progresser par une critique positive, la découverte d'un témoignage inédit ou d'une archive inconnue. Comment résister à tel esprit d'entraide ?

Qui plus est le plateau recèle des sites remarquables et assez peu étudiés, aussi bien pour la Préhistoire, le Moyen-Âge que l'Ancien Régime ou la Révolution. Et les temps modernes ne sont pas en reste… L'Antiquité y est sans doute sous-estimée mais pour combien de temps ?

 

- Les Templiers font souvent fantasmer… Qu’en est-il vraiment de leur présence sur le plateau de Saint-Genest et Marlhes ? Est-ce la seule région du Pilat où ils ont réellement été implantés ?

 

Les Templiers et les Hospitaliers ne me font pas particulièrement fantasmer et je suis très ignorant du sujet. Par contre, qui dit hospitalité et police de la route dit chemins fréquentés, dit aussi domaines de rapport comme La Combe ou les Tours et sans doute bien d'autres. Une approche par le réseau des voies et la toponymie comparés à des archives, certes limitées, pourquoi pas ?

 

- Le Crêt de Chaussitre est un de vos lieux favoris, parlez-nous un peu de vos découvertes sur ce site, où se mêlent mégalithes, pierres mystérieuses et légendes diverses.

 

Effectivement, j'aime Chaussitre. Les paysages y sont singulièrement changeants d'un jour à l'autre et il se dégage de ce site une atmosphère à nulle autre pareille. Chaque pierre y a un nom et il n'est que temps d'interroger les derniers "petits bergers" qui y ont fait pâturer leurs vaches pour en comprendre le sens.

Tout le monde connaît le bassin guérisseur des enfants tardant à marcher de la pierre Saint-Martin, il est possible qu'il ait donné son nom au crêt : le "chau citre" serait peut-être le "bassin de pierre". Sur cette même pierre, des creux naturels, liés à la formation du granite, ont été soulignés par un simple trait martelé et quelques trous pour suggérer une bête gravissant une pente de terre encore molle. Qui est ce graveur minimaliste ? Là où la légende veut nous faire croire à l'empreinte des sabots du cheval du grand saint (qui a recouvert de son manteau, la "chape" de nos chapelles, quelque divinité tutélaire), ce graveur n'a-t-il pas voulu suggérer la trace d'un ours ? Quel berger a poli sa hache de pierre sur le polissoir ? Quelle personnalité devait être enterrée dans le grand coffre mégalithique sous la pierre Saint-Martin ? Bien d'autres questions irrésolues attirent les membres de notre société d'histoire vers ce site remarquable par la permanence de son occupation. Le grand Cassini lui-même (le petit-fils de cette illustre famille) n'en avait-il pas fait une base pour tracer sa carte de France ?

 

- Pour l’andecdote, quelle est votre version quant à l’origine du nom Malifaux ? Et parlez-nous un peu de votre passion pour la toponymie.

 

Malifaux est un bon exemple du besoin de nos anciens, et de nous-mêmes, d'expliquer l'origine supposée d'un nom de lieu, celle qui lui assurera la pérennité. Les spécialistes de cette science hasardeuse parlent de "remotivation". Le Malifaux d'aujourd'hui peut faire penser à un petit paradis ou le mal fait défaut aussi bien qu'à un endroit au climat rude et à la terre ingrate où les faux, les hêtres, poussent tout tordus. Les mentions médiévales oscillent entre Mali et Milifau(t), la préposition de lieu "à" pouvant être accolée. Nous avons échappé à sa latinisation : les clercs ne l'ont sans doute pas jugée opportune. Rappelons que le but de ces tabellions médiévaux, qui avaient l'obligation de rédiger en latin, n'était pas l'étymologie mais la reconnaissance par les générations à venir, même sans parler latin, du lieu mentionné… et que les taxes rentrent à l'abbaye ou au château !

Une étude sérieuse devrait, me semble-t-il, commencer par un recensement des divers fau, faye, fayard, fayolle, fayet et fayette, avec ou sans article accolé, avec où sans qualificatif, et par une recherche d'une éventuelle corrélation avec une caractéristique de la géographie physique ou humaine. Un premier coup d'œil au Pilat m'inciterait à regarder la liaison avec les carrefours des anciens grands chemins. Ceci fait, nous pourrons toujours examiner les qualificatifs… sans cesser de douter.

Vous comprenez tout de suite que cette façon de pratiquer la toponymie est consommatrice de temps mais quand on aime…

 

- Vous répertoriez patiemment les anciennes voies romaines sur le territoire du Pilat. Qu'en est-il aujourd'hui ? Comptez-vous un jour les publier ?

 

Patiemment est bien le mot. L'étude des voies antiques, et non pas seulement romaines, du point de vue de la géométrie et de la toponymie demande beaucoup de minutie. Je ne désespère pas de publier quelques exemples locaux à moyen terme.

 

- Avec une équipe des Regards du Pilat, il y a quelques années vous aviez étudié le site du 'regardeur' sur la commune de Saint-Romain en Gal. Avec le recul que vous inspire aujourd'hui ce site ?

 

Je garde un très bon souvenir de cette équipe éclectique et efficace. J'espère qu'ils auront trouvé de l'intérêt à nos travaux de levés de précision mais j'avoue n'avoir aucun avis spécial sur ce site "d'observation" de la vallée du Rhône viennois. J'étais surtout intéressé, sur cette pierre à cupules, par la distinction entre le naturel  et l'anthropique, par le geste du graveur et par les traces laissées par son outil… déformation de géologue.

 

- Par le passé vous nous aviez fait part d'un site intéressant selon vous et ce, au hameau de la Chaize sur Pélussin. Quel était le rôle de ce site selon vous ?

 

Ce site a fait l'objet d'une publication dans le bulletin du Groupe archéologique Forez-Jarez de 2005. Je l'avais étudié avec un de mes vieux amis, ancien géomètre des houillères. Un carré de 3,5 km de côté, entre Pélussin et Maleval, montre en photo aérienne le découpage régulier d'un cadastre, que je suppose romain, d'axe NW-SE. Trois "bases" de géomètre sont encore visibles à la Chaize, à la Pierra borna (la bien nommée) et au Salto de l'Agno. A la Chaize, sur une pierre à bassins plus ancienne, le géomètre a gravé ses directions de travail et en particulier l'est-ouest et le NW-SE du quadrillage du cadastre. Sans rentrer dans les détails, il a noté par des lettres gravées une correction de visée répercutée sur les bornes du site de Pierra Borna. Cet exemple, prévu par les textes romains, est suffisamment rare pour être souligné. De plus les rapports avec la toponymie y sont très intéressants.

 

- C'est un large panel exhaustif qui compose vos connaissances gallo-romaines à travers le Pilat. Quel est votre site préféré et pourquoi ?

 

Mes connaissances de la période gallo-romaine se réduisent à peu de choses et je ne l'ai jamais abordée que par le prisme étroit de la géométrie et de la toponymie. Vous comprendrez donc que je n'aie pas de site préféré… Mes collègues du Groupe archéologique sont autrement plus qualifiés que moi.

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