Mai

2017











Par notre Ami

Pierre-Bernard
Teyssier

< Retour au Sommaire du Site >


Le jaspe et la calcédoine …

             Pas feutrés et contrepas  dans l’écosystème…

            des derniers chasseurs-nomades de la Font-Ria (Haut-Pilat)…




I N T R O D U C T I O N                            

La conquête de l’Espace, quoiqu’on en dise, a eu un avantage incommensurable. Les humains, plutôt que de se voir décrocher la lune comme ils en rêvaient depuis la nuit des temps, viennent d’obtenir de cette moderne odyssée un cadeau nettement plus fantaisiste : un hologramme ! Mais, pas n’importe lequel des hologrammes. Pas un robot virtuel ou de pacotille. L’hologramme des hologrammes, l’Hologramme … de la Terre, Mesdames et Messieurs ! De la Terre, en sa sublimissime rondeur bleutée… Cependant, le paquet-cadeau à peine déballé, voilà déjà qu’une question essentielle se pose.  Et, se pose on ne peut plus crument. La question est de savoir, à l’époque de « l’anthropocène », période géologique dont  nous serions manifestement contemporains, ce que nous allons bien pouvoir faire d’un tel cadeau. Las, les premiers qui aperçurent Aphrodite émergeant, en sa radieuse nudité, de l’écume des vagues ne sont plus là pour nous dicter une conduite quelconque. Ni même, nous suggérer l’accomplissement de quelque rite magique. Alors, rester benoîtement… terre-à-terre, à holographier en rond ? Ah, que nenni ! Diantre, que nenni !

Catapulté ainsi, d’emblée, dans un espace ouvertement galactique, le lecteur pourrait, à juste titre, se demander par quel effet de zoom – ou de « trou noir », qui sait ? - il va être, si l’on peut dire, largué, par miracle, au nemus* (1) de Faro, au beau milieu duquel jaillit la source de la Font-Ria, Fons regia ou « Fontaine royale ». Lieu-épicentre d’un territoire de modeste dimension, mais qui, nous l’allons découvrir peu à peu, recèle encore bien des mystères. Problématique d’ensemble qui, d’ailleurs, n’avait, hélas, pas l’heur de taquiner le péquin surpris un jour par votre serviteur à lessiver son automobile, avec force détergent, dans les eaux lustrales de ladite Font-Ria…

Le mot « anthropocène » était encore inconnu il y a seulement vingt ans *(2). On admettra, d’ailleurs, que le grand public, celui, du moins, qui, malgré tous les panneaux de limitation, fonce à toute allure sur les autoroutes rutilantes de la modernité, n’a, pour l’heure, guère cure de l’anthropocène. Non plus que de la saturation des océans par des déchets plastiques que l’on vient y déverse par myriades… Non plus que de ces marqueurs de toxicité qui ne cessent d’enquiquiner allègrement l’existence des puissants tenanciers de la « malbouffe ». Et encore moins,  mille fois moins, des microlithes de silex abandonnés à la Font-Ria, il y a 12 000 ou 25 000 ans, par des chasseurs cueilleurs foulant aux pieds le futur territoire des Atesui* (3)…  

Alors, question préliminaire de méthode : hyper-sapiens parvenus, malgré vents et marées, à la deuxième décennie du XXIème siècle, devons-nous rester cramponnés à l’antique diapason de vertueuses antiennes de géologie ? Même extraites de manuels qui ont fait nos choux gras de lycéens au siècle dernier ? Allez, à mon commandement, une couche de Pleïstocène ! Forons, perçons ! Itou, en belle et bonne discipline archéologique, décortiquons - swing a donf ! -  l’Epipaléolithique, ça ne mangera pas de pain. Ce, d’autant que de la culture du blé, à cette époque, forcément on s’en bat l’œil ! Sans mollir au zapping, ce qui est maintenant de rigueur sous le règne médiatique, hâtons-nous, ce faisant,  de cliquer sur « épipaléolithique », (pré-)histoire de voir quel jus extraire d’une paisible et millénaire fontaine…

Et puis, non ! Cessons de zapper autour du pot, pour emprunter discrètement un raccourci dans le fameux dédale (quantique !) de la biosphère. Et, acceptons quand même de nous poser, une à une, certaines questions élémentaires à la portée du premier louveteau (scout de premier niveau) venu : Quand ? Qui ? Où ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ?

Quand, donc ? Cela commence bien, car telle est la question qui va certainement le plus prêter le flanc à la controverse ! C’est, en effet, en l’an de grâce 1995 – et non pas grosso modo 12 000 ou 15 000 ans av. J.C. - qu’un éminent savant, mondialement reconnu, puisque, déjà vice-président du Programme international géosphère-biosphère (PIGB), recueille un prix Nobel de chimie pour avoir suffisamment démontré que l’utilisation massive de produits chimiques détruit la couche d’ozone de la haute atmosphère, ce qui a des conséquences à l’égard de toutes les formes de vie sur terre. Mais, alors, en ce qui concerne la Font-Ria : 2017, 1995 ou quelque – 12 000 avant J.C ?? Un peu de patience, svp, M. le lecteur ! Question suivante …

Qui ? Quel est l’homme qui a vu l’homme, qui a vu … En réalité, cet homme se nomme Paul Crutzen. Il n’est pas (encore), du moins en France, au hit-parade des célébrités, non plus que Will Steffen, qui présida le PIGB précité, alors même que leur commune recherche* constitue la « sonnette » de la plus retentissante alarme climatique probablement jamais déclenchée dans l’humanité. Non que la Terre n’ait jamais subi de cataclysme analogue à celui duquel les deux savants voudraient nous prémunir, mais, à ce que l’on sache, nul n’a encore établi, par exemple, que les dinosaures aient eu à jouer, en qualité de précurseurs de la COP 21, certaines cartes éco-géopolitiques (pas plus, d’ailleurs, que celles du Tarot de Marseille…) !

Dans un article de la revue Manière de voir, le journaliste Ian Angus affirme que les deux savants  ne mâchent pas leurs mots en décrivant l’anthropocène comme un changement qualitatif qui met le système terrestre en péril : « Le fonctionnement actuel de notre planète est sans précédent. En termes de paramètres environnementaux clés, le système terrestre est sorti de la gamme de variations naturelles qui s’est manifestée au cours des cinq cents derniers millénaires. La nature, l’ampleur et la rapidité des changements qui se produisent en ce moment ne sont pas viables »* (4)

Le même article évoque le passage de l’holocène à l’hyper-anthropocène, en citant « l’éminent climatologue James Hansen et ses collègues », qui exposent leur argumentation dans un article récent*(5) : « Même si l’on considère que l’anthropocène a commencé il y a des millénaires, la surexploitation des énergies fossiles au XXème siècle a déclenché une phase fondamentale différente, que l’on pourrait qualifier d’hyper-anthropocène. L’impact des forces humaines dépasse désormais celui des forces naturelles. Le taux de CO2 a explosé pour atteindre 200 ppm en 2015…Le recours au forçage agricole s’est généralisé au cours des dernières décennies et les deux tiers des 0,9 ° C de réchauffement climatique (depuis 1850) se sont produits depuis 1975 ».

Pour rendre hommage cependant à nos dignes professeurs de géologie (en particulier,M. Maurice Duplay, en classe de 4ème, à l’Institution Victor de Laprade, in illo tempore, dans le Forez, en ce qui me concerne), rappelons, avec Ian Angus, que « les géologues divisent l’histoire de notre planète, vieille de 4,5 milliards d’années, selon une hiérarchie d’intervalles de temps – éons, ères, périodes, époques et âges – appelée l’échelle des temps géologiques. Nous vivons dans la période quaternaire, la dernière subdivision en date de l’ère du cénozoïque, qui a débuté il y a 65 millions d’années. Le quaternaire se compose à son tour de deux époques : le pleistocène, qui a commencé il y a 2,58 millions d’années, et l’holocène, qui a cours depuis 11 700 ans ».

Au visiteur de la Font-Ria, qui, à juste titre, se demanderait toujours à quel train cet article va enfin s’acheminer vers le corps du sujet, il serait cruel d’imposer la lecture intégrale d’un article du journal Le Monde, du 15 janvier 2015. On se contentera, donc, du titre,  « L’Homme a fait entrer la terre dans une nouvelle ère géologique », assorti du passage suivant : « Ce constat est aujourd’hui très largement partagé par la communauté scientifique. Pour autant, l’entrée dans l’anthropocène n’est pas encore actée par la Commission internationale de stratigraphie et l’Union internationale des sciences géologiques, seules arbitres en la matière. A fortiori, la chronologie de ce basculement n’est toujours pas arrêtée. Certains proposent de le faire commencer autour de 1800, avec la révolution industrielle. D’autres de remonter au début du néolithique, voilà quelque 10 000 ans, lorsque les sociétés de cultivateurs-pasteurs sédentaires se sont substitués aux chasseurs-cueilleurs nomades ». Ah, magie du verbe, voilà que nos digressions se mettent subitement à fleurer bon l’odeur de pierre-à-feu, corollaire de la taille du silex …du jaspe ou de la calcédoine !

Feu l’abbé Jean Granger, historien et archéologue auquel est dû le socle des découvertes concernant le site de la Font-Ria, aurait sans doute maugréé, dans son franc-parler habituel – et néanmoins à  haut-débit, oserait-on dire avec respect - que nous allions drôlement chercher midi à quatorze heures pour atteindre le bord d’une fontaine à l’eau pourtant si claire ! Critique virtuelle, certes, mais à laquelle l’actualité ne nous permettrait d’opposer que l’argument d’une crainte fondamentale. Celle qui nous assaille désormais, aussitôt que les mots «nomades »  « basculement climatique », etc. viennent coller, spontanément, à des images de famine à grande échelle et de banquise en voie de disparition. Film d’horreur au scénario inéluctable ? Certes, non ! Le questionnement que nous nous proposons d’introduire sur les traces de peuplement humain originel d’un territoire – par un regard transhistorique autour d’un site particulier du Pilat septentrional -  vise, au contraire, à mettre au jour les maillons d’une chaîne non pas de métal, mais d’espoir, d’un espoir qui ne se laisse éroder ni par le temps ni par les catastrophes de toute nature. Avec, en prime, gravée dans la roche, une églogue dont le charme perdure dans le cours ordinaire des siècles. 

 ? Sur ce point, rassurons notre lecteur (de plus en plus impatient, et pour cause !) : nous avons rangé notre engin à remonter le temps et nous avons la ferme intention de caler notre focus sur un trépied solidement accroché au deux rives du Cotatay. Du moins, telle était notre idée, au départ…

Mais, au départ de toute cette affaire, quel était au juste le paysage autour de la Font-Ria ? N’en disons pas davantage, pour l’instant, si l’on veut éviter que le sapin ne cache la forêt. Quelle forêt, en réalité ? Quelle végétation ? Quel gibier ? Quel matériau de taille de la pierre ? Là, sera bien le hic ! Allez, chut !!! N’en dévoilons rien, l’heure n’est encore qu’au prélude d’un orato-rio que n’auraient pas dédaignés les moines de l’abbaye de Valbenoîte (charmante anecdote suivra) …

Quoi ? De quoi s’agit-il, au juste ? Motus, là encore !  Même le Guide du routard n’en sait fichtre rien ! Alors, pas question de vendre la mèche au premier clin d’œil. Ni la peau de l’ours, ni celle du renne. Le fier animal qui, jadis, venait paisiblement se désaltérer à la Font-Ria, tandis que guettaient les chasseurs munis de leurs armes peu ou prou rudimentaires… Se tient, intemporellement, une discrète réunion cynégétique, dont il est hors de question, pour l’instant, d’afficher l’ordre du jour. Promis : rien du plan ni du tableau de chasse ne  sera épargné au lecteur, au fil des prochains numéros de Regards du Pilat !

Comment et pourquoi ? Ces questions ultimes de la gamme de nos interrogations archétypales ne devraient trouver, elles aussi, quelque réponse, tantôt solide, tantôt balbutiante, qu’au terme de nos prochaines circonvolutions sylvestres, livresques, voire mythiques. Or, comme le disait le très subtil Claude-Sosthène Grasset d’Orcet * (6) : « Ce n’est pas tout d’avoir de bonnes intentions, il faut pouvoir les réaliser. » Tel est, du moins, le désir fervent de l’auteur de cet article susceptible comme une poupée russe d’en laisser apparaître d’autres. Le tout à fleur d’écriture, sur cet « espace numérique » dédié aux regards curieux, ouverts et bienveillants…

          (à suivre…)

Le 22 mars 2017

 

·     (1) Nemus de farou – 1243 – Hist. de Saint-Etienne [Testenoire-Lafayette Théolier, 1902 […] in J.-E. Dufour, Dictionnaire topographique du Forez, Protat, Macon, 1946 ; Félix Gaffiot, Dictionnaire abrégé latin/français, Hachette, 1936, p. 412 : « nemus, némus, oris : […] forêt, bois […), bois consacré à une divinité […] ».

·       (2) « Inconnu il y a vingt ans, le mot « anthropocène » figure à ce jour dans le titre de trois revues universitaires, d’une douzaine de livres, des centaines d’articles, blogs et sites Internet », in « Le Monde diplomatique » n° 144, déc. 2015,  Manière de voir, article de Ian Angus : « Le capitalisme marqueur géologique ».

·     (3) Atesui : peuple de la Gaule Narbonnaise susceptible d’avoir occupé jadis un territoire, dont, la toponymie sud-ligérienne, notamment Saint-Romain-les-Atheux, Saint-Jacques d’Atticieux ou encore les Atheux (hameau de Saint-Héand) donnerait quelque idée de l’étendue. Voir : Félix Gaffiot, Dict.latin/français, éd. 1934, p. 179, ainsi que Bullletin n° 17 – 2009 - de Société d’Histoire du Pays de Saint-Genest-Malifaux, pp.17 ss.,  article de Jacques Laversanne sur « Les défenses, territoires et noms de lieux […] ».

·         (4) – cf. art. déjà cité en note 2.

·         (5) James Hansen et alii, « Ice melt, sea, level rfise and superstorms » - Atmospherix Chemistry and Physics, juillet 2015.

(6) – Chroniques & Récits d’Auvergne, 1899 - éd. e/dite, avril 2002.

 


< Retour au Sommaire du Site >