Un Inconnu nommé Jean Jourde



Avril 2009 - Rubrique Rennes-les-Bains



Par notre Ami Franck Daffos


Première Partie
(dès le mois prochain seconde et dernière partie)



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De la part de l’immense majorité des auteurs qui m’ont précédé dans l’étude des mystères du Razès, deux choses m’ont toujours étonné : le peu de cas qu’il faisaient (forcément puisqu’ils ne pouvaient l’expliquer) de la subite apparition de l’abbé Boudet dans une énigme que la quasi totalité d’entre eux professait pourtant comme exclusivement liée à l’abbé Saunière, et le fait que certaines pièces incontestables du puzzle qui nous étaient parvenues (tombeau des Pontils, dalle de Coumesourde) étaient postérieures de plus d’une dizaine d’années à la mort de l’impétueux curé de Rennes-le-Château…

J’ai pour ma part découvert et expliqué dans quelles circonstances et à quel titre, l’abbé Henri Boudet se retrouva embarqué dans cette affaire, après avoir tout simplement été à Caunes-Minervois, de 1862 à 1864, le jeune vicaire d’un ancien chapelain de N-D de Marceille, le chanoine Gaudéric Mêche, qui le présenta ensuite à son successeur au sanctuaire limouxin, le chanoine Henri Gasc, lequel l’amena peu à peu, ayant impérativement besoin de quelqu’un sur place, à la cure de Rennes-les-Bains (1872) où il savait se trouver, par des documents du 17ème siècle, trouvés au milieu d’un important magot caché sous son sanctuaire, un extraordinaire trésor qu’il recherchait depuis plus de 30 ans.

Il ne me reste donc plus qu’à expliquer comment et pourquoi la mise en place du mystère dit « de Rennes-le-Château » survécut à l’abbé Saunière, mort en 1917, lequel ne fut, n’en déplaise à beaucoup, qu’une erreur de casting de cette irritante énigme dont l’épicentre se situe bien entendu non pas à la Rennes d’en haut, celle du miroir aux alouettes Saunière, mais près de la Rennes d’en bas, celle de l’érudit Boudet.

L’explication imparable de la continuité de l’élaboration cette affaire jusqu’à la fin des années 1920 tient tout simplement aux extraordinaires agissements raisonnés d’un seul homme, un autre ecclésiastique inconnu du grand public, mais issu lui des rangs de l’une des plus grande Congrégation de tous les temps, celle les Lazaristes fondé par saint Vincent de Paul au 17ème siècle…

Pour comprendre la destinée aussi fabuleuse que discrète de ce prêtre hors du commun, il nous faut donc, une fois de plus, retourner au sanctuaire de Notre-Dame de Marceille près de Limoux, administré depuis 1872 (date du départ du chanoine Gasc) par les Lazaristes de Monsieur Vincent.

Car une fois encore depuis le 17ème siècle, c’est dans le rang de ceux chargés de la bonne marche du pèlerinage à la Vierge Noire limouxine que s’est levé, grâce au discernement de leur supérieur de l’époque, le RP Léopold Vannier, celui qui amènera à un certain abbé Henri Boudet, bloqué depuis des années les solutions concernant Teniers et la compréhension de l’inattendu message d’outre-tombe que l’on avait étrangement prêté, 4 siècles après sa mort, à un pape de la fin du 13ème siècle, Célestin V. Il lui permettait ainsi, et très certainement en sa compagnie, de refaire très exactement 240 années après le fabuleux chemin de croix initiatique d’un pauvre berger du nom d’Ignace Paris.

Le R.P. Vannier étant donc supérieur des Lazaristes de Marceille, l’année 1880 le voyait accueillir une jeune recrue fort prometteuse, déjà dotée d’un cursus ecclésiastique exceptionnel, puisque marqué au sceau du plus prestigieux des séminaires de l’époque, Saint-Sulpice à Paris.



Jean Jourde, puisque tel était son nom, était né le 16 décembre 1852 (même année de naissance que Bérenger Saunière) à Aniane, près de Montpellier, de l’union de Jean Jourde et de Claire Rougier son épouse. Attiré par la prêtrise, il rejoignit dès 1874 les rangs des Lazaristes à Paris pour y faire son grand séminaire. C’est dans le cadre de sa formation ecclésiastique qu’il fréquenta alors de 1874 à 1880 les bancs de Saint Sulpice et plus précisément les cours du Père Fulcran Vigouroux (1837-1915 : exactement les mêmes dates de vie qu’Henri Boudet), sulpicien de grand renom, plus spécialement chargé du cours spécial d’Ecriture Sainte de 1868 à 1890. Ce cours réservé à une future élite cléricale avait la particularité de ne regrouper qu’une vingtaine d’élèves qui ainsi, pour la plupart, participèrent à la féconde œuvre collective impulsée par leur maître sous son nom et publiée ensuite dès 1880. Ce fut d’abord cette année-là le Manuel Biblique, qui regroupait la substance de ses enseignements, suivi du Bulletin Critique onze ans plus tard qui préfigurait l’ouvrage qui inscrira son nom à la postérité, le monumental Dictionnaire de la Bible, publié en 5 volumes de 1891 à 1912, et qui fédéra d’abord lors de son écriture bien antérieure l’essentiel des consciences religieuses de son temps, puis en révéla bien d’autres promises à un brillant avenir parmi ses étudiants.

Il en est ainsi entre autres du futur Père Joseph-Marie Lagrange (1855-1938), qui au sortir de Saint-Sulpice rejoignit les Dominicains pour s’illustrer ensuite dès 1890 à Jérusalem par sa fondation de l’Ecole pratique d’Etudes Bibliques, puis deux ans plus tard par la fondation de la Revue Biblique. Une autre étoile, mais hélas filante puisque disparue trop vite, devait porter haut les enseignements du Père Vigouroux : le tarnais Jacques Thomas (1853-1893), qui reçut l’insigne honneur en juillet 1877 d’être ordonné prêtre par Mgr Desprez, archevêque de Toulouse, dans sa chapelle privée. Jacques Thomas poursuivit ses études à Rome jusqu’à devenir un des plus brillants esprits théologiques et canoniques de son temps. Hélas miné par la tuberculose, il succombera dans son château prés de Lavaur (Tarn) alors qu’il assurait une chaire d’enseignement à l’Institut Catholique de Toulouse. Bibliophile plus qu’averti, il demanda à ce que son extraordinaire bibliothèque soit partagée entre le couvent des Dominicains et l’Institut Catholique de Toulouse. Hasard de la vie, je devais me rendre propriétaire de son domaine à la fin des années 1980.

Fulcran Vigouroux, quant à lui, quitta le séminaire de Saint-Sulpice en 1890 pour prendre une chaire d’Ecriture Sainte à l’Institut Catholique de Paris. En 1903 il partit pour Rome, appelé au poste de secrétaire de la Commission pontificale pour les Etudes Bibliques, qui venait d’être créée par le pape Léon XIII. Il y resta jusqu’à sa mort en 1915.

Jean Jourde donc, qui avait poussé la porte de la maison mère des Lazaristes à Paris le 14 août 1874, prononça ses vœux d’appartenance à cette Congrégation le jour de Noël 1876, reçut le sous-diaconat le 21 décembre 1878, le diaconat le 7 juin 1879 et fut enfin ordonné prêtre le 22 mai 1880. Son bagage aurait pu alors lui ouvrir les portes des plus belles destinées ecclésiastiques, mais il préféra pourtant dès son ordination rejoindre humblement le bataillon de base des Prêtres de la Mission. C’est donc simplement le hasard qui présida à son envoi dans un anodin sanctuaire de l’Aude, N-D de Marceille, suite au départ de deux de ses desservants, les Pères Denat et Lacombe. Placé sous la direction éclairée du R.P.Vannier, il y rejoignit ses futurs collègues : Pierre Pendariés, Etienne Portes, Marc Guéry, et Amédée Ferrafiat, que nous savons avoir officié à Rennes-le-Château, le 21 juin 1891, lors de l’une de ces mises en scène qu’affectionnait Bérenger Saunière pour ses inaugurations.

Jourde devait y rester onze années, ayant dès 1887 Joseph Courtade comme supérieur après le départ de Vannier en Espagne. En 1891, il était muté au sanctuaire de Valfleury, dans la région lyonnaise, où il devait rester jusqu’en 1899. C’était ensuite son retour à N-D de Marceille, mais honoré du titre de supérieur de la petite communauté. Il y restera jusqu’en 1906, s’y illustrant par une attitude quasi héroïque lors de la terrible période troublée des lois de séparation. De 1906 à 1914, nous le retrouverons basé à Figuéras en Espagne, en tant que supérieur des Filles de la Charité. En 1914 ce sera son retour dans l’Aude : d’abord dans le Razès puis ensuite à Montolieu où il prendra dès 1915 le poste d’aumônier dans la maison des Filles de la Charité, avant que d’en devenir le supérieur en 1917. Ce sera sa dernière affectation puisque la mort l’y viendra chercher le 17 mai 1930, à l’âge de 78 ans.



A première vue, voilà très succinctement brossé le parcours ecclésiastique d’un Prêtre de la Mission, d’un Lazariste parmi tant d’autres, qui consacra sa vie au service de Dieu et de sa Congrégation. Mais pourtant, lorsque l’on se penche quelque peu sur son sacerdoce et qu’on prend la peine de l’étudier plus en détail, on ne peut être que surpris par les nombreuses correspondances de ses allées et venues par rapport aux faits marquants de l’affaire de Rennes.

Mais pour comprendre et pouvoir cerner le vrai personnage de Jean Jourde, il faut avoir lu son homélie funèbre publiée en interne dans le numéro 376 des Annales de la Congrégation de la Mission et de la Compagnie des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul, tome 95, année 1930, n°1, et dont je vais reprendre en filigrane quelques extraits dans les lignes qui suivent… Grâce à cette homélie en effet, et à divers autres renseignements bien plus précis obtenus grâce à certaines accointances ecclésiastiques, il m’a été assez facile de reconstituer le rôle du R.P. Jean Jourde depuis son arrivée à N-D de Marceille au début des années 1880.



Photo réalisée par François Pous


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On peut penser que les premières années furent, entre Gasc, Boudet, Vannier et Jourde, celles d’observation et de transition. Vannier, en homme de confiance et de probité, gérait en toute discrétion le dépôt sous le sanctuaire de Marceille. Arrivé début 1879, presque 4 années lui seront nécessaires pour apprivoiser son prédécesseur le chanoine Gasc, et lui faire parler, peu avant sa mort, de l’autre cache du berger Paris. Laisser le temps au temps avait été le prix à payer pour être mis dans la confidence. D’autant que le tandem Gasc-Boudet piétinait sans résultat depuis des années. Car finalement, et contrairement à ce qu’avait toujours pensé l’ancien chapelain de Marceille, le fait d’être sur place à plein temps ne suffisait nullement à résoudre l’énigme…

Le tournant de la recherche fut donc certainement la disparition, le 14 décembre 1882, de l’ancien aumônier de N-D de Marceille. Devant un si sévère constat d’échec, le verrou Poussin / Teniers / Célestin V, créé au 17ème siècle par Mgr Pavillon et ses amis, refusait obstinément de sauter. Il apparaît en effet que si le Poussin fut bien commandité Par Nicolas Pavillon dans les années 1650-55, le Saint Antoine de Teniers fut une œuvre plus tardive dont on ne doit la commande qu’à l’un de ses principaux collaborateurs ayant trouvé refuge dans les Flandres Espagnoles comme beaucoup de jansénistes à l’époque. On sait que Pavillon fut très gravement malade à l’automne 1675, et qu’il ne survécut que par miracle. Croyant bien que la dernière heure de son maître était venue, celui qui savait parmi ses proches décida de s’adresser à l’atelier de David Teniers le jeune à Anvers pour, par un tableau de commande, lui faire définitivement préciser les Bergers d’Arcadie de Poussin bien trop peu explicite.

Si cette explication était la bonne, peu de proches de Pavillon pourraient trouver grâce à nos yeux : Mgr Dagen, l’ancien Vicaire Général du diocèse de Narbonne, limogé au milieu des années 1670 dés l’arrivée du successeur de Mgr François Fouquet ; Vincent Ragot, l’ancien promoteur du diocèse d’Alet ou le chanoine M. du Vaucel, ancien théologal du même diocèse, et tous deux chassés de l’entourage de Pavillon par lettre de cachet de Louis XIV courant 1676. Mais peut-être suffirait-il tout simplement d’envisager l’énigmatique prêtre François Paris, au patronyme si lourd de conséquence dans cette affaire, et qui, si un quelconque lien de parenté avait existé avec le berger Ignace du même nom, aurait été de fait au courant de bien des choses…

On décida alors de jeter dans la bataille quelque troupe fraîche en la personne de Jean Jourde. Il était jeune, 30 ans à peine, doté d’un cursus d’études remarquable et présentait toutes les garanties de probité et d’intégrité morales nécessaires. Ce choix était pertinent puisque Jourde, simple prêtre de la Mission, ne dépendait que de son supérieur, le R.P. Vannier. Il pouvait donc voyager à sa guise, prenant ainsi la place d’un Boudet dont on sait à présent qu’il n’a jamais quitté le département de l’Aude de sa vie.

Cette liberté d’aller et venir qui avait tant fait défaut à ses initiateurs, tout laisse à penser que Jourde la mit rapidement à profit, car à peine en un peu plus de deux ans, il avait reconstitué les pièces du puzzle du 17ème siècle, permettant ainsi à Boudet d’aboutir au but tant recherché au début du mois de juin 1885 (en l’état actuel de nos connaissances, rien ne permet de penser que Boudet soit lui-même personnellement entré dans la cache de la région des deux Rennes. Il avait 48 ans, alors que Jourde n’en avait que 33). La suite est à peu prés connue mais peut-être est-il bon de la revisiter sous un éclairage nouveau…



Un peu plus d’un an plus tard, fin 1886, l’abbé Boudet faisait paraître à compte d’auteur à Carcassonne son livre La vraie langue celtique et le Cromleck de Rennes-les-Bains. Bien entendu, ce livre recèle une part occulte, mais son auteur ayant vite compris que son livre était trop hermétique parce que trop confus, aurait eu l’idée de profiter de la prise de possession d’une paroisse voisine, Rennes-le-Château, par un de ses jeunes collègues du nom de Bérenger Saunière, pour financer, beaucoup le croient, la restauration entière de son église qui menaçait ruine et en faire, par sa décoration, le véritable livre d’images de son livre.

Mais il semblerait pourtant, au vu d’éléments nouveaux, que Boudet se soit en fait bien peu impliqué dans cette restauration et que les choses aient été plutôt prises en main - ou plutôt en sous main, devrais-je dire - par Jean Jourde. Car les arcanes des énigmes de Marceille et de Rennes-les Bains étaient à cette époque totalement concentrés entre les mains de certains Lazaristes du sanctuaire limouxin. On peut même penser qu’au départ de Vannier pour l’Espagne en 1887, Jourde se retrouva seul récipiendaire, avec un Boudet semblant de moins en moins concerné, du secret des deux caches.

Ce fut donc principalement Jourde qui fit financer le curé de Rennes-le-Château dans les premières années de la restauration de son église, grâce à un système de quête dans l’Aude mis en place par les Lazaristes de N-D de Marceille alimentant, via certains curé des paroisses concernées, l’envoi de pseudos intentions de messes. Mais avec le turbulent Bérenger Saunière, les choses pouvaient difficilement se passer comme on aurait voulu. Car avant d’être prêtre, l’homme était surtout un de ces habiles roublards aptes à vite comprendre, en se voyant à la tête de telles liquidités, qu’il serait beaucoup plus lucratif de placer cet argent plutôt que de payer rubis sur l’ongle les fournisseurs. Ainsi se trouve expliquée l’ouverture de multiples comptes bancaires qu’il fit dès cette époque dans différentes banques, parfois même à l’étranger.
 
Très rapidement, Saunière sut donc jouer avec l’argent de Jourde, bien entendu sans que celui-ci ni Boudet ne s’en doutent. Mais on verra que ce système qu’il avait érigé comme une règle le mena à quelques débordements, notamment lors de la construction du domaine. Il le plaça et profita des intérêts générés, alors que ses fournisseurs attendaient, parfois pendant des années, l’échéance des traites qu’ils avaient reçues pour tout règlement. On comprend dès lors que Saunière ait été plus tard réduit à la cavalerie du trafic des messes pour pouvoir honorer certaines échéances.

Les inspirateurs et les financiers de la décoration de l’église de RLC (ainsi que du domaine) furent bien les Lazaristes de N-D de Marceille dirigés par les RP Léopold Vannier (supérieur de 1879 à 1886) puis par le RP Jean Jourde. Pour preuve, ils ont indiscutablement signé leur conception de l’église de Saunière par la phrase qui se trouve sous le haut relief du confessionnal : « Venez à moi vous tous qui souffrez… et je vous soulagerai» Cette phrase n’a jamais été une citation biblique, mais j’ai découvert grâce à une vieille carte postale qu’elle se trouvait EXACTEMENT TELLE QUELLE peinte sur l’arc de cintre qui surplombait le chœur de l’église conventuelle du couvent de Montolieu (près de Carcassonne), fief et tête de pont des Lazaristes dans l’Aude :



Intérieur église de Montolieu / Carte Postale Franck Daffos






Intérieur église de Montolieu Détail / Gros Plan Franck Daffos

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Cette sentence n’existe nulle part ailleurs. Hélas cette église fut entièrement refaite et cette inscription effacée en mai 1930 pour les funérailles de….. Jean Jourde, alors supérieur de la communauté de Montolieu.

Mais revenons en 1891 : Jourde est muté, par une hiérarchie tout à fait ignorante de ce qui se passait, au sanctuaire de Valfleury, prés de Lyon sur la route du Pilat, qui appartenait depuis le 18ème siècle en toute propriété aux enfants de Saint Vincent, présents sur place depuis 1687. Louis XIV lui-même leur en avait en effet octroyé la pleine jouissance par une Ordonnance Royale en 1711 (A. Berjat, Notre-Dame de Valfleury, Lyon, Audin imprimeur, 1931, page 33.). Valfleury par bien des points semble être le miroir de Marceille : deux Vierges Noires pour deux sanctuaires millénaires, et le chassé-croisé que firent entre les deux de nombreux Lazaristes, dont les noms se retrouvent parfois cités dans l’affaire de Rennes, fait que l’on pourrait se demander si certains circuits financiers ne réunirent pas parfois les deux pèlerinages.

1891, c’est justement l’année où la restauration de l’église de Saunière marque le pas : ce qui, lorsqu’on y réfléchit, démontre parfaitement la non implication de Boudet dans sa restauration. Si il en avait été l’instigateur, lui qui est toujours resté sur place à RLB, il n’y aurait jamais eu de longues pauses dans les travaux… A part la chaire en 1893, mais qui avait été commandée en même temps que le tympan d’entrée, pratiquement plus rien ne se fait avant 1897, date de l’arrivée de la majeure partie de la décoration effectuée par les Ets Giscard de Toulouse. Dans la même période, entre fin 1890 et 1893, le sanctuaire de N-D de Marceille est racheté en son propre et privé nom, et non en celui du diocèse dont il avait pourtant la charge, par Mgr Billard, l’évêque du lieu, suite à une homérique bataille judiciaire qui servit de couverture à ses manipulations. Sur ce sujet, voir mon livre, Le secret dérobé, ODS 2005, où je publie en annexe l’acte d’achat du 20 mai 1893 de N-D de Marceille par Mgr Billard, que j’ai miraculeusement retrouvé et qui prouve définitivement, malgré les dénégations de l’Evêché de Carcassonne, la malversation du prélat.

Dès lors, et comme de bien entendu, le trésor du sanctuaire passa sous son contrôle, si ce n’est effectif, du moins moral, via les Lazaristes du lieu. On sait ce qu’on en fit : des sommes plus qu’astronomiques furent en moins de dix ans investies au monastère de Prouilhe prés de Fanjeaux. D’immenses bâtiments et rien de moins qu’une basilique entière sortiront de terre sous l’impulsion financière occulte de Félix-Arsène Billard. Mais le reliquat du trésor de Marceille ne suffit pas à satisfaire la mégalomanie de l’évêque audois : il cumula les malversations financières allant même jusqu’à piller les caisses de retraite des prêtres de son diocèse. Voir à ce sujet le pamphlet du curé Laborde, publié par Pierre Jarnac, Les archives de Rennes-le-Château, Bélisane 1987, pages 460 et suivantes.

De 1891 à 1899, Jourde est donc à Valfleury. Concernant l’église de Rennes-le-Château, tout avait été prévu avant son départ et son financement mis en place. Mais si coder une église pour faire passer un certain message à l’aide d’éléments de décoration n’était certes pas une mauvaise idée, encore fallait-il pour qu’elle réussisse que l’on réussisse à attirer l’attention sur elle. C’est peut-être alors que vint à germer dans l’esprit de Jourde l’idée de constructions anachroniques sur les terrains laissés libres en haut du village. Ainsi naquit l’idée du futur domaine de Saunière… Très certainement beaucoup plus tôt que ce que la majorité ne le pense, puisque certaines indications dans les papiers de l’abbé du fonds Corbu-Captier amènent à penser que l’achat des terrains était prévu depuis au moins 1894.



Mais que se soit à cause d’un certain détachement, ou que se soit en rapport avec le monstrueux assassinat toujours inexpliqué, le 1er novembre 1897, de l’abbé Gélis leur collègue de Coustaussa, on peut être assuré que l’abbé Boudet dès cette date, n’eut plus aucun rapport avec l’abbé Saunière à qui il fallait pourtant bien l’argent pour acheter les terrains convoités. Saunière se résolut donc à quelques déplacements à Lyon à la toute fin des années 1890, pour aller en chercher le financement des mains de Jean Jourde. Des factures tout à fait authentiques de location d’attelage dans la région le prouvent : cf. Lumières nouvelles sur Rennes-le Château, CEP d’OR de PYLA, Numéro spécial n°1, Lyon 1995. Rien n’interdit de penser qu’il en profita alors quelque peu pour déborder avec certaines recherches personnelles concernant le père Joseph Chiron qu’il avait certainement reconnu dans la décoration de son église, statufié par les Ets Giscard sous les traits d’un improbable Saint Antoine Ermite.

Mais courant 1899, Jourde était de retour à Limoux comme supérieur de N-D de Marceille. Finies donc les escapades lyonnaises pour Saunière. Dès 1900, les travaux de construction du domaine démarrent. L’heureux bénéficiaire se voit confier de fortes liquidités en avance, et comme pour l’église il va préférer placer l’argent et payer ses fournisseurs avec des délais. Il n’était en fait que le maître d’œuvre de la construction d’un domaine dont il n’avait pas choisi les plans. En intermédiaire peu scrupuleux il dérapa lors de la construction de la villa, laquelle pour flatter son ego, il choisit de faire construire en premier, puisant largement dans l’enveloppe globale dont il avait été doté. C’est la raison pour laquelle il a toujours refusé de l’habiter, préférant se réserver le presbytère. Il savait malgré tout qu’il n’était pas chez lui. Il y a fort à parier que sur les plans communiqués par son bienfaiteur Jourde, elle était de moindre importance et surtout beaucoup moins richement dotée. Ce dépassement de budget dès le début du chantier l’amena ensuite en cascade à manquer d’argent et l’obligea plus tard à suspendre les travaux de la tour, après quand même avoir tenté, pour compenser, de rogner hélas le plus possible – mais en vain – sur la qualité des matériaux. Nous en payons le prix à présent avec la surprenante et inquiétante détérioration continue du domaine. Acculé financièrement, il lui fallut alors aller quêter une rallonge à N-D de Marceille. Gageons que la rencontre avec Jourde dut, ce jour là, être plutôt orageuse.

Il est intéressant de noter que parallèlement aux « évènements » du Razès, l’église du sanctuaire de Valfleury prés de Lyon, puis son rosaire extérieur avec un calvaire monumental, furent totalement reconstruits à partir des années 1850 sous l’impulsion première d’un aristocrate Lazariste, le comte James Lugan, issu d’une très vieille famille du Sud-Ouest puisque montalbanaise. Les travaux s’échelonnèrent sur plusieurs décennies : le clocher et le beffroi ne furent installés par exemple qu’au début des années 1880, lors de la présence de Jourde. Il est amusant de constater une fois de plus que N-D de Marceille avait bénéficié des mêmes travaux à peine quelques années plus tôt. Les plans avaient été dressés à l’origine par celui qui allait devenir l’illustre architecte de la basilique Notre-Dame de Fourvière à Lyon, Pierre Bossan (1814-1888), et sous la responsabilité de supérieurs Lazaristes qui pour la plupart, comme pour un grand jeu de chaises musicales, s’entrecroisèrent entre Valfleury et Marceille : il en est ainsi, en outre de Jean Jourde, de Joseph Courtade, de Pierre Souchon, ou de M. de Bussy (celui-là même qui quelques années auparavant était aux côtes de Léopold Vannier à Madrid), qui finit pratiquement le chantier au tout début du XXème siècle. N’oublions pas Pons Belot (que nous retrouverons pourvoyeur d’intentions de messes à Saunière dans les années 1890) qui de Valfleury rejoindra d’abord Marceille, puis Montolieu où Jourde lui succédera.

Lorsqu’on regarde à présent l’église et les dépendances de Valfleury, on ne peut qu’être frappé par son style néo-gothique qui n’est pas sans nous rappeler les bâtiments quasi contemporains du domaine de Saunière… Comme si le cabinet de l’architecte Bossan avait aussi dressé dans les années 1890 les plans du domaine destiné à Bérenger Saunière qui furent ensuite repris par Caminade. Je ne sais si une quelconque vérification est toujours possible, mais il est de fait que jamais personne dans la région castelrennaise ne vit les plans du domaine. Il n’en existe aucune trace dans les papiers de l’abbé. Et ce n’est certes pas la fable du prétendu vol de plans inventée par Gérard de Sède pour clôturer L’or de Rennes qui pourrait prouver qu’ils furent effectivement établis dans la région. Car concernant ce domaine, les objectifs de son véritable promoteur, Jean Jourde, obéissaient à deux attentes principales : d’abord attirer l’attention sur le petit village de Rennes-le-Château, puis ensuite, on peut à présent le révéler, que l’agencement des lieux illustre, à l’échelle un, la configuration de la cache de Rennes-les-Bains. Pour bien appréhender alors le message de Jourde, on aura tout intérêt à se souvenir que les noms donnés par l’abbé Saunière à ses différents bâtiments n’ont rien à voir avec ceux initialement choisis, preuve supplémentaire, s’il en fallait une encore, que le curé du lieu n’a jamais rien compris à ce qui se passait chez lui.



 

Mais tandis que le domaine sort de terre, Jourde a d’autres préoccupations : 1903 voit déferler dans tous les bâtiments religieux la haine anti-cléricale. Sœurs, moines et prêtres sont expulsés, souvent de façon dramatique, des lieux de culte conformément aux lois du petit Père Combes. Dans tous les villages, les percepteurs commissionnés par l’administration des domaines se présentent dans toutes les églises et pour y dresser l’inventaire des biens saisis par l’état. A Valfleury et à Marceille, l’inventaire ne put se faire : s’agissant de propriétés privées, elles n’étaient pas soumises à la loi. Mais les Lazaristes durent partir. A Limoux, l’impossible se produisit : un prêtre se leva dans la tourmente et refusa de quitter le sanctuaire, entrant en résistance officielle contre des lois qu’il considérait scélérates : c’était Jean Jourde ! Sa clandestinité officielle dura trois ans. Il s’entêta et ne lâcha jamais prise ; ravitaillé par de bonnes âmes, il soutint seul à N-D de Marceille le siège contre l’état félon. L’affaire fit grand bruit dans le pays et nimba bientôt l’insoumis de la gloire des martyrs, lui procurant ensuite pour le restant de sa vie l’auréole et le charisme de ceux qui n’ont pas raté les grands rendez-vous de l’Histoire. Il ne faut pas chercher plus loin la grande liberté de manœuvre qui lui fut ensuite accordée de tout temps aussi bien par sa Congrégation que par l’Evêché de Carcassonne…

La même chose se produisit à Valfleury, puisqu’un Lazariste avec lequel Jourde fut très lié refusa de quitter le sanctuaire : il s’agir du R.P. Jean-Marie Gonachon (1848-1933), qui effectua l’essentiel de sa carrière ecclésiastique à Lyon.

Mais si Jourde avait refusé de partir, c’est qu’en 1903, ses intérêts matériels lui commandaient surtout de rester car il avait quelques « chantiers » en cours. Il fallait finir le domaine de Saunière, et on en était à construire le premier tombeau des Pontils sur l’alignement Galamus / Marceille ; Boudet, pour ce faire, avait fourni un maçon de Rennes-les- Bains du nom de Bourrel. Surtout Jourde se devait d’achever la conception d’un codage beaucoup plus syncrétique de toute cette affaire et auquel il s’était attaqué quelques années auparavant. Car il avait choisi de revenir aux sources historiques telles que définies au 17ème siècle : les deux tableaux de Poussin et Teniers. Armé de ses solides connaissances ecclésiastiques, il s’était attelé à la conception et à la réalisation de vraisemblablement 4 parchemins codés (en fait deux recto verso) qui, s’inspirant de passages choisis de la Bible, étaient à même de délivrer son message. Ces parchemins devaient, dans son esprit, se trouver étroitement liés à deux pierres tombales dont il lui fallait à tout prix faire cautionner l’existence. Il ne nous est parvenu hélas que deux de ces parchemins (en fait la copie de calques légèrement retouchés de copies ou photographies de ces parchemins, recto verso donc d’une même feuille), mais nous avons l’intégralité de ces dalles.

Jourde, dans son travail de composition, avait prévu de livrer la solution conjointement aux codages. Le procédé peut paraître incompréhensible mais il se révèle très habile si l’on pense que tout avait été très certainement prévu pour être réuni dans un anodin ouvrage de communication de découvertes archéologiques dans la région. Cet ouvrage bien entendu devait renvoyer, pour mieux ainsi le préciser, au livre de l’abbé Boudet paru quelques 20 ans plus tôt.



À suivre...

     Nous retrouverons, dès le mois prochain, la suite de ce passionnant récit que Franck Daffos a bien voulu nous conter. Attendez-vous à des surprises et à des révélations bien surprenantes !

L’affaire de Rennes-le-Château n’a pas fini de nous étonner…

           












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