REPORTAGE REGARDS DU PILAT
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DECEMBRE 2012


MADELEINE EN SON MIROIR :
ECHECS ET MAT




Par Michel BARBOT


Madame Elisabeth Pinto-Mathieu, dans son livre «  Marie-Madeleine dans la littérature du Moyen Âge » paru aux Editions Beauchesne (mise en ligne partielle sur Internet : books.google.), s’arrête longuement sur le thème du Miroir, vanité magdalénienne  majeure apparaissant dans la peinture et dans les textes religieux.

Le manuscrit Cambridge Fitzwilliam, prière vernaculaire du XIVe  siècle, nous présente Marie-Madeleine comme le « Mirour resplendissant / onquel mirer se doient tous pecchours penitans. »  (v. 57-58.) Madame Pinto-Mathieu commente : «  Au miroir de sa vie, les pénitents peuvent lire leur destin. »

L’auteur s’arrête ensuite sur le manuscrit Poitiers BM 95, rédigé au XVe  siècle, seul témoignage d’office vernaculaire à usage privé en l’honneur de la sainte. « Composé pour être récité aux sept heures du jour, il illustre par son découpage même la quête d’une ascèse progressive. » Marie-Madeleine y est qualifiée de bel mirouer et digne exemplaire.

L’oraison de cet office de Poitiers, fondée sur le « miroir » magdalénien est composée, ainsi que l’explique Madame Pinto-Mathieu., d’adorations contemplatives : « la démarche est la même, de la méditation du Saint-Sacrement devant l’autel à celle sur les ‘’ louanges ‘’ de Marie-Madeleine  devant un objet sacré. »

Le peintre Georges de La Tour au travers de ses Madeleine repentantes, a su mettre en relief cette méditation magdalénienne. Il achève en 1640 sa Madeleine au Miroir.







Tel le Penseur de Rodin, la sainte repentante, appuie sa tête sur sa main. La main gauche tente de faire parler le crâne posé sur un livre ouvert et dont le reflet apparaît dans le miroir. Le message du tableau est « rappelle-toi que tu vas mourir » : Memento mori. Nous voyons dans le miroir, ce que Marie-Madeleine voit, non pas son propre reflet mais celui du crâne posé sur le livre. La lumière de la chandelle est absente du miroir. Le reflet du miroir n’est pas celui de la grotte ou médite la sainte.

Si ce tableau du peintre Georges de la Tour diffère radicalement du tableau de la Madeleine de Pélussin, il nous permet néanmoins de comprendre plus encore les libertés géographiques prises par le peintre pélussinois Jean Bonnel. Ainsi que l’écrit Thierry Rollat dans son livre «  Sur la Trace de la Vérité » : « Effectivement, lorsque l’on se rend à la Grotte des Dames, on ne  peut pas apercevoir les Trois Dents, nettement identifiables dans l’œuvre réalisée » avec minutie par Jean Bonnel. » Si les Trois Dents sont visibles du Mont Ministre où se trouve la Grotte des Dames, la sainte, à supposée qu’elle soit passée un jour – voir une heure – en ces lieux, n’a pu voir de la grotte le Pic des Trois Dents.

Jean Bonnel retranscrit sur sa toile, le paysage avec minutie ; paysage reconsidéré, certes, mais avec toute l’intelligence qu’il convenait. Ainsi que le stipule  Thierry Rollat : « s’il était nécessaire, à la fois de faire ressortir la plus importante des symboliques pouvant identifier notre Pilat, à savoir les Trois Dents et dans le même temps accorder  une signification à la grotte de Chuyer, l’artiste ne pouvait pas procéder autrement. »

Lumière sur le Mont Ministre

En 2008 j’eus la chance, durant le week-end du 15 août, d’arpenter certains chemins du Pilat. Intéressé par le tableau de la Madeleine je me fondais, accompagné de Christian Lelièvre, guidé par Thierry Rollat et Patrick Berlier, dans les pas de Marie-Madeleine. Sur le chemin menant à la grotte, Patrick me demanda si le nom Ministre pouvait avoir une signification en langue hébraïque. Ce nom bien français, hérité de la langue latine, ne m’inspirait aucunement. J’indiquais sur le moment qu’il ne convenait peut-être pas de chercher toujours une lecture hébraïque. Pour Patrick, le nom de ce mont doit être la déformation d’un nom ancien. Il y a peu, je reconsidérais la question et surtout la réponse. Non la montagne ne pouvait devoir son nom à quelque ministre du culte protestant. Ce pouvait-il que l’on ait dans un passé, peut-être pas si lointain, donné un nom nouveau à cette montagne, nom appelé à supplanter l’antique Pérousses ?

A Piriac-sur-Mer en Bretagne, un rocher accessible à marée basse porte le nom d’Almanzor. Nous retrouvons ici le même cheminement qu’à Chuyer, à savoir, un nom pas très ancien, ayant rapidement supplanté le nom primitif. Les vieux piriacais  nommaient ce rocher la Pipe. Sa forme évoque en effet un récipient contenant du vin appelé pipe. Il est aujourd’hui considéré que le nom Almanzor d’inspiration romantique pourrait être l’œuvre de Parisiens fréquentant la région en des temps où les congés payés n’existaient pas encore. Si l’on creuse un peu, on s’aperçoit que le nom d’Almanzor dont le radical MAN rappelle le pain des anges recueilli dans le désert par les Israélites, donc ce nom n’est pas étranger à la Société Angélique Parisienne.

Se pourrait-il qu’à Chuyer, il en fut de même ? Des touristes, non pas Parisiens, mais Lyonnais, auraient-ils pu imposer un nouveau nom aux Pérousses ?

Le mot ministre désigne à l’origine un serviteur, la langue française le retint dans le sens de serviteur de Dieu. Le ministre du culte protestant répond bien à ce sens mais peut-être convient-il de creuser plus encore et surtout dans une autre direction.

Dans la langue hébraïque les voyelles n’existent pas, aussi pourrions-nous relier les trois premières lettes du mot : MIN, au radical MAN du toponyme piriacais, bien qu’il ne convienne pas de trop s’égarer. Le MINISTRE en question doit-il son MINISTÈRE aux lettres  hébraïque M(em) et N(oun), autrement dit, aux Eaux (Mem) et au Poisson (Noun) ? La lettre Noun dont la signification donnée est « poisson » en araméen est un synonyme de DAG, «  poisson » en hébreu, mot inscrit dans la grotte…

Le MIN du MINISTRE de Chuyer ne peut être dans l’hypothèse hébraïque qu’un Qitsour hébreu, autrement-dit une abréviation. MIN serait le qitsour de la MINHARAH hébraïque, désignant une caverne, un antre de montagne. Ce mot qui, phonétiquement rappelle La Minarie, lieu-dit de la Chapelle-Villars,  vient, ainsi qu’indiqué dans le célèbre Dictionnaire Hébreu-Français de Sander et Trenel (édition actuelle Slatkine Reprints Genève) toujours d’actualité bien que daté de 1859, donc ce mot vient de NAHAR : « torrent, parce que les eaux y affluent » ou de NAHARAH : « lumière, parce qu’on y pratiquait des ouvertures pour avoir du jour ». Le dictionnaire ajoute au mot NAHARAH, que cette lumière est celle du soleil. Il parait intéressant de noter que l’arabe MANARA : « phare » a donné le mot MINARET.

En tant que verbe, NAHAR signifie « affluer, accourir », « luire », « briller de joie ». Dans le sens d’affluer, ce verbe apparaît dans la Bible pour évoquer la montée à Jérusalem, au Temple. Le pèlerin apparaît dès lors rayonnant, lumineux.

La MINHARAH acquiert une autre dimension en araméen ainsi qu’indiqué dans Le Dictionnaire Araméen des éditions Barazani (Tel-Aviv Israël). Cette signification que Patrick Berlier appréciera… met en avant le mot « aube » mais surtout, en anglais et en français : « morning star », « étoile du matin ».

Cette étoile, ô combien importante, se verrait confirmée dans la seconde partie du nom MIN-ISTRE ou dans son prolongement... MIN-ISTERE ! Une célèbre héroïne biblique se nomme Esther, prénom très important à la double signification, ainsi que le rapportent Marc-Alain Ouaknin et Dory Rotnemer dans « Le Livre des prénoms bibliques et hébraïques » (éditons Albin Michel) : « Le nom Esther vient de Lehastir qui signifie ‘’ cacher ‘’. Elle est nommée ainsi parce qu’elle cachait ce qui la concernait : sa naissance et son peuple. On peut trouver une allusion à l’histoire d’Esther déjà dans la Bible, lorsque Dieu annonce (Deut. XXXI, 18) : ‘’ Et moi, en ce jours-là, je cacherai bien (Haster Astir) ma face…’’ (…) Le prénom Esther vient aussi du nom de la déesse babylonienne Astarté, la Brillante, Vénus, mot qui a donné star en anglais et astre en  français. »

Le dictionnaire araméen indique pour Hester « cacher », d’abord en anglais puis en français : « divine anger… la dissimulation de la face, colère (divine) ».

Le Mont Ministre doit-il son nouveau nom à des membres de la Société Angélique Lyonnaise ? Si l’on réunit les différents sens associés aux mots MINHARAH et ISTRE-, la réponse ne pourrait qu’être affirmative. Des chercheurs spécialisés dans l’affaire de Rennes-le-Château ont mis en avant l’association qui pouvait être faite entre Marie-Madeleine et Vénus, l’Etoile du Matin. Or, ainsi que Patrick Berlier le rapporte dans son livre «  La Société Angélique » (ARQA éditons), le symbole le plus secret de la Société du Brouillard, comme de l’Angélique, fut la masse d’armes, massue étoilée, appelée Morgenstern ou Etoile du Matin…

Nous avons vu, dans les précédents articles consacrés à la Grotte du Mont Ministre, au travers du mot DAG et de son féminin DAGA, qu’une tombe, ou grotte immergée pourrait être cachée au cœur des mystères du Pilat. Quant à savoir où se trouve précisément cette Daga, ceci est une autre histoire.

La MINHARAH/ISTHER, antre de lumière cachée, liée aux eaux, peut cacher une nouvelle lecture, complémentaire à la première :

   M (lettre Mem)–             Nah –                   Rah –          Isther :

– Du                                   Gémissement :  le Miroir de l’Etoile (ou caché)

– Les Eaux (MEM)      du  Gémissement – Le Miroir de l’Etoile (ou caché)      

Peut-on raisonnablement associer un gémissement monté des eaux et une étoile ? Un premier élément de réponse pourrait se trouver dans le Livre de Job (26 – 5) : « Les Géants (les Ombres) gémissent (tremblent) au-dessous des eaux et de leurs habitants. »

Il faut néanmoins signaler que le verbe « gémir » apparaissant dans le verset n’est pas le mot NAH. Le sens du mot utilisé dans Job est plus large car, il signifie aussi, « enfanter », « créer ».

Le mot hébreu traduit dans ce verset par Géants, Ombres ou Fantômes est Rephaïm. La notion de Rephaïm est double, voir triple. Le chapitre du Livre de Job dans lequel ce verset est incéré se rapporte à la Création. Ces Rephaïm évoquent certaines créatures qui précédèrent l’homme sur la Terre, en des temps où notre terre n’était encore qu’un immense marécage. Ces créatures négatives antérieures à l’homme et dont le nom signifie « faible », peuvent être rapprochées de celles évoluant dans les récits de Lovecraft mais aussi des Fomoirés de la tradition celtique.  

Autres Rephaïm, les Géants fils du Ciel, vivant sur la terre avant le Déluge et dont le nom signifie les « Guérisseurs ». Enfin, à l’époque d’Abraham, de Moïse et de Josué son successeur il est mentionné dans la Bible que les derniers Rephaïm de Canaan, descendants des Rephaïm pré-diluviens, furent anéantis par les Hébreux.

Les premiers Rephaïm sont descendus au Shéol, les Enfers ou Pays des Ombres, sous les eaux. Il est indiqué dans le Dictionnaire Sander/Trenel, au sujet des Rephaïm , première génération  de Job 26 – 5 : « les choses mortes (la semence qui paraît morte sous la terre), sont engendrées, se forment ; selon d’autres : des géants (des formations gigantesques) se forment, sont engendrés (…) ; ou : des géants qui sont dans l’angoisse, gémissent… »

L’édition Martin de la Bible proche de ce dictionnaire, traduit ainsi le verset : « Les choses inanimées sont formées au dessous des eaux, et les poissons aussi qui habitent dans les eaux ». Bien que le mot DAG, « poisson » n’apparaisse point dans ce verset, il y a sa pleinement sa place.

Ces Géants, Ombres ou Fantômes liés au Poisson, se convulsent sous les eaux, au lieu même de leur formation. Ces Rephaïm première génération sont dits faibles, rapport  à leur physiologie, ou peut-être, ont-ils été rendus faibles… Ces Rephaïm de la nuit des temps se confondent dans les récits avec les Rephaïm pré-diluviens dont le nom signifie non plus les Faibles mais les Guérisseurs… A l’époque d’Abraham (Genèse 14 – 5), ces êtres aux origines obscures sont dits résidants d’Ashtarot-Karnaïm, la cité de la déesse Astarté aux deux Cornes, la déesse Vénus ! Dans ce même verset, sont évoqués les Zouzim vivant à Hâm. Les Zouzim sont des Géants légendaires que nous retrouvons en Deutéronome (2 – 20) sous le nom de Zamzoumim, nom que les Amonites donnent suivant ce verset aux Rephaïm.

Les Zouzim, Géant du Mouvement, « Zouz », mot également lié aux eaux, aux sources, occupent la cité de Hâm, cité-sœur d’Ashtarot, la vénusienne. Au stade de cette étude, il convient de se tourner vers la poésie de Jean Parvulesco (Cergy-Pontoise, édition Moniteur Images), spécialiste de l’ésotérisme politique :

« au-dessus des étangs de Ham pétrifiés en leurs miroirs de plomb (…) tout le pouvoir ici revient de droit à la Jonction de Vénus ; nous sommes entre nous, et dans la région frontalière des non-signes nous sommes ces ombres claires, sur les étangs de Ham qui glissent, à l’aube, étincelantes de l’Autre Lumière : venez, venez saluer la renaissance de la parole pré-humaine, le chant à peine chuchoté des générations post-humaines en leurs architectures clandestines, au Palais Blanc du Belvédère, (…) Appartenances : nous sommes les poursuivants de Solutré, aux cornes de pierre sanglante, nous sommes les invités du Puits  de Vénus en revivant l’Ascension des chairs déchiquetées en bas de la divine faille, et le soleil des os… »

Cette suite poétique et ésotérique apparaît comme une lecture symbolique de l’AXE MAJEUR de Cergy. Cet Axe est l’œuvre de l’artiste israélien Dan Karavan. Dans son livre « Les Secrets de Salomon », Robert Graffin analyse longuement cet Axe, démontrant que nous sommes ici à la croisée d’une tradition celtique unie à une tradition Kabbaliste hébraïque. Pour Robert Graffin, les étangs de Ham doivent être reliés par leur nom à Ham (Cham) l’un des trois fils de Noé. L’initial de ce Ham est un Heth, soit un H guttural, je pense pour ma part, qu’il conviendrait plus justement de retenir un Hé, H de prononciation douce. Soit, le Hé initial de Ham, cité des Zouzim. Jean Parvulesco poétise sur les étangs de Ham pétrifiés en leurs miroirs : « renaissance de la parole pré-humaine, le chant à peine chuchoté des générations post-humaines… »

Des Ombres (les Rephaïm…) évoluent sur les étangs de Ham pétrifiés dans leur miroir. Ici apparaît le lieu de la parole pré-humaine que le poète annonce comme le chant à peine chuchoté des générations post-humaines.

André-Marie Gérard dans son Dictionnaire de la Bible, éditions Robert Laffont, confond à juste titre les Zouzim des Zamzoummim reprenant ainsi la thèse de Rashi le célèbre Rabbi champenois du Moyen-Âge. Il ajoute que Zamzoummim signifierait : les « Murmurants », là où le Dictionnaire Sander/Trenel évoque : « peuples bruyants ». Il y aurait là une certaine antinomie. Les Zouzim résident à Ham, cité dont le nom peut-être rapproché de l’hébreu HAMAH dont la signification est justement… « murmurer » ! Le langage de ces Géants fut-il celui que Jean Parvulesco présente comme « une parole pré-humaine, le chant à peine chuchoté » ?

Etrange murmure, Etrange Hamah de Ham, sachant que Ham ou Hem signifie aussi : « force », « richesse » et au figuré « enfant ».

הַזּוּזִים בְּהָם Ha-Zouzim Bé-Ham : Les Zouzim  à Ham (Genèse 14 – 5). Le texte hébreu de ce verset est important. Il se compose de deux mots : HaZouzim : les Zouzim et de BéHam que l’on traduit : « à Ham » mais que l’on peut aussi traduire: « Bête au masculin », et « bouvier », « pâtre » en araméen. Béhem, Béhémah… Béhémot déjà rencontré (cf l’éléphant du Pilat) n’est pas loin !

Il a été vu plus haut que…

   M (lettre Mem)–             Nah –                  Rah –         Isther, peut se lire :

– Du                                   Gémissement :  le Miroir de l’Etoile (ou caché)

– Les Eaux (MEM)      du  Gémissement – Le Miroir de l’Etoile (ou caché)      

… une lecture en hébreu dans l’autre sens, de gauche à droite, se lira comme suit : Har – Han – M.

Har = Mont(agne) – Han ou Ham (permutation valide du Noun en Mem) = (ville de) Ham / murmure(er) M(em)  = des Eaux.

Soit : La Montagne du Murmure des Eaux… Mais attention à ce murmure car c’est un rugissement, un mugissement : « ses eaux mugiront (rugiront) » Psaumes 46 – 4. André Chouraqui traduit : « Les eaux effervescentes… ». Ce son, cet Ham est à l’origine le cri d’une bête !

Bien qu’il soit difficile de bien saisir ce murmure, il est aussi musical. En hébreu biblique ce verbe est aussi utilisé pour évoquer les sons sortant d’un instrument de musique. Il devient ici tentant d’évoquer « Le Miroir de Marie-Madeleine », œuvre musicale, Chœur Piano, de 1933, musique de Jacques Charpentier et texte de Marie-Thérèse Fontanier. Cette cantate est ainsi présentée par les Editions A Cœur Joie :

 « Le titre de l'œuvre – "Le miroir de..." – est déjà une indication du procédé utilisé par le compositeur : le miroir, qui consiste à appliquer le renversement des intervalles à l'ensemble des voix d'une polyphonie. Les éléments mélodique et harmonique de celle-ci se trouvent ainsi reproduits symétriquement dans l'ordre inverse, comme s'ils étaient réfléchis par un miroir. »
Miroir et Jeu d’Echecs

Lorsque Jean Bonnel peint sa Madeleine pénitente, il recompose quelque peu le paysage visible depuis la grotte du Mont Ministre. Le Pic des Trois Dents surgit soudain comme par magie. Ce paysage recomposé semble révéler tout en le cachant le Grand Mystère du Pilat.

Jean Bonnel utilise un gigantesque miroir, le Miroir Magdalénien. Ses pinceaux peignent l’intérieur du miroir que nos yeux observent sans en pénétrer la profondeur.

Lewis Carroll n’est pas loin… Comment ne pas penser, en effet, au roman de ce mathématicien anglais : De l’autre côté du miroir. Bien que les mystères d’Alice ne soient pas liés à l’origine à cette partie de la France, ils le deviennent par delà la mort de Lewis Caroll. En effet, ce fut Christophe Leroy, Maître d’Echecs, Président du Comité Rhône Eches et délégué du club Lyon Olympique Echecs  qui, suite à la demande faite en 1999 par l’Ensemble NOAO de Lyon (www.ensemblenoao.co) résolut l’énigmatique partie d’échecs dont Alice est l’actrice principale. C. Leroy publiera le résultat de ses recherches dans le livre « Alice et le maître d’échecs » aux éditions URDLA Villeurbanne. L’Ensemble NOAO mettra en scène cette découverte dans la fameuse exposition « Jardin Secret : le miroir d’Alice » du 10 mai au 16 septembre 2007 au Domaine de Lacroix-Laval situé sur les communes de Marcy-l’Etoile, Charbonnières-les-Bains et la Tour de Salvagny dans le Rhône.

Si les salles du château étaient consacrées à cette énigme, le clou de l’exposition était l’échiquier de miroirs de 64 m2, composé de miroirs géants dont l’assemblage créait une impression de profondeur…

Se pourrait-il que le peintre Jean Bonnel, dirigé en ce sens par le concepteur du tableau, ait peint une partie d’échecs. La partie jouée par Lewis Caroll n’est pas celle jouée par Jean Bonnel mais il y peut-être une association d’idée.

Sur le tableau, la croix, omniprésente dans l’art magdalénien, n’est autre que la Croix de l’Œillon que le miroir magdalénien rend proche de la sainte. Chez Lewis Caroll la croix des jeux d’échecs apparaît d’importance ainsi que l’écrit Christophe Leroy :

« J’en profite pour indiquer aux lecteurs non joueurs que l’échec au Roi est, dans la notation échiquéenne, désigné . Une croix qui représente, et encore plus pour les joueurs d’échecs du XIXe siècle, la croix du Christ (ou la mort, car un Roi en échec est menacé de mort, autrement appelée ‘’ échecs et mat ‘’). »

Plus loin, le Maître d’Echecs ajoute : « Cette croix représente donc aussi un signe religieux… et, par ricochet, le diacre Charles L. Dodgson dans son habit noir. »

Dans le même ordre d’idée il serait intéressent d’envisager que la croix du tableau de la Madeleine puisse évoquer un évêque, soit précisément le Bishop des jeux d’échecs anglais ! En effet, le Bishop ou le Fou des jeux d’Echecs représente le clergé auprès du Roi et de la Reine. Dans ce jeu, le Fou, élément ô combien intéressant au vu du tableau de Jean Bonnel, a succédé à l’Eléphant !

Si nous traçons une ligne entre l’Eléphant et la Croix du tableau, nous obtenons la célèbre  Diagonale du Fou.

Pierre Carnac dans son livre « La symbolique des échecs » (éditions Veyrier) apporte de précieux renseignements quant à la proximité étymologique de l’Eléphant et du Fou. Le mot clef n’est autre que le mot arabe FIL déjà bien présent dans mes précédents articles. Ce mot nous dit cet auteur : « inspira bien plus tard le vocable espagnol Alfilo, responsable par la suite du terme bas-latin Arphillus et du vieux terme français Auphin (dit aussi Dauphin). Filiation parallèle, la qualité de Général de la pièce se retrouva dans le terme espagnol Alferez (Aide de camp du Roi) d’origine arabe. »

Au sujet du Fou, l’Initié en tant que pièce du jeu d’Echecs, Pierre Carnac ajoute : « D’origine arabe il dérive, comme on l’a dit de celui de l’éléphant (Fil ou Al-Fil). Introduit par les Arabes en Provence l’Al-Fil devint simplement Fil et, par une altération logique, Fol. Le Fol du Midi remontant vers le Nord finit par s’appeler Fou. Léger et nerveux, le Fou… Lourd et paisible, l’Eléphant… Ces images ne seraient-elles pas trop contradictoires pour se retrouver – sans cassure – aux racines d’une même symbolique ? »

L’auteur développe ensuite l’aspect symbolique du l’éléphant avec les yeux, dit-il, des Orientaux, puis conclut : « Le passage de l’Eléphant au Fou n’a fait qu’enrichir et développer, parfois avec des aboutissements surprenants, les attributs et les fonctions symboliques d’un fidèle porteur, serviteur et défenseur du Roi. Le hasard… linguistique du passage de l’Al-Fil au Fou fut bien servi par le surplus de mobilité acquis par cette pièce au cours de son histoire. »

Ces trois extraits tirés du livre de Pierre Carnac, au travers des mots qu’ils révèlent, peuvent aisément trouver leur place dans l’histoire secrète du Pilat. Ils permettent, c’est certain, de mieux comprendre cette Diagonale du Fou/Bishop/Eléphant du tableau. Dans cette série d’articles consacrés au tableau de la Madeleine, ont été mis en relief les aspects Eléphant/Baphomet, tout en expliquant que ce Baphomet était de tradition associé au Léviathan et au Ziz.

Le Ziz, créature évoluant dans les cieux en des temps oubliés, a été avec intention confondu avec l’Oiseau Rock des Arabes qui, dans certains jeux d’Echecs remplaçait la Tour. Cette Tour, de tradition était à l’origine placée au-dessus de l’éléphant, tel le Ziz survolant le Baphomet. Pierre Carnac rappelle que la Tour des jeux d’Echecs est analogue à la montagne, à la colonne, au pilier, soit autant de termes pouvant s’appliquer aux Monts du Pilat. L’auteur évoque la légendaire Bab-i-Illani, la fameuse tour de Babel, bien présente dans les articles précédents consacrés au tableau de la Madeleine. L’Oiseau Ziz, sur lequel il faudra revenir dans un prochain article, possédait les dents acérées du ptérodactyle. Le Pic des Trois Dents visible sur le tableau va représenter symboliquement la Montagne du Ziz, son Nid sa Tour. Une partie d’échecs se joue par delà le temps sur les Monts du Pilat. Quel joueur émérite osera jouer cette partie ?

Marc-Alain Ouaknin dans son livre « Concerto pour quatre consonnes sans voyelles » aux éditions Payot, s’attarde longuement sur ce jeu des rois, notamment dans le chapitre « Cabale et jeu d’échecs », rappelant que ce jeu d’origine indienne, puis perse, « a très rapidement séduit les penseurs juifs de par ses qualités pédagogiques incontestables ». Pierre Carnac dans son livre édité en 1985 évoquait déjà certains liens existants entre la Kabbale et l’Echiquier malgré leur origine différente : « Néanmoins un tel rapprochement existe et s’exprime aisément à travers certains aspects particuliers de la symbolique, communs à l’Echiquier et à l’arbre séphirothique ou à travers les lettres-nombres… »

Il serait trop long et sans doute hors de propos de résumer les liens unissant la Cabale ou Kabbale au jeu d’Echecs mis en lumière par M.-A. Ouaknin, mais il est intéressant d’évoquer une fois encore l’Eléphant, le Fou du jeu d’Echecs. M.-A. Ouaknin rappelle d’une part que le Fou dans la tradition biblique désigne le Prophète et d’autre part que ce Fou des jeux d’Echecs était à l’origine un Eléphant, soit le Pil en hébreu. Il existe suivant l’auteur un rapport entre l’Eléphant (Pil) et le Talmud, rapport qui intéresse le jeu d’Echecs. « (…) la casuistique  talmudique se dit en hébreu pilpoul. »

La casuistique est la partie de la théologie qui traite des cas de conscience. L’expression talmudique Pilpoul va désigner un raisonnement sophistiqué dont les subtilités donnent l’impression, suivant M.-A. Ouaknin, de « couper les cheveux en quatre ». « Le mot pilpoul provient de pilpèl, ‘’ poivre ‘’… L’écrivain hébraïque S.J. Agnon disait à propos de ce raffinement excessif de raisonnement : le pilpoul transforme un éléphant (pil) en fève (poul) et une fève en éléphant… »

Si certains rabbins ont condamné le Pilpoul, d’autres allaient jusqu’à l’appliquer dans des enquêtes occasionnelles de détectives amateurs qu’ils pouvaient être amenés à effectuer. Avec des indices opposés, ils arrivaient, tels Sherlock Holmes, à découvrir la vérité. Il en va de même pour le jeu d’Echecs, deux clans opposés d’où naîtra au final la vérité.

Prophétie et jeu d’Echecs

Pierre Carnac dans son livre « La symbolique des échecs » aborde un sujet peu connu, celui de la Tchatrangomancie (Tchatrang, nom persan du jeu d’Echecs) qui consigne à « lire l’avenir à l’aide du jeu d’Echecs, plus précisément en se servant de l’Echiquier. Jeu de tempérament à très forte symbolique et qui s’exprime à la fois dans le nombre, la forme et la couleur... »

L’auteur évoque trois moyens utilisés pour la divination par le jeu d’Echecs. Le troisième se fondait sur une vision cosmique de l’Echiquier. Les carrés étaient identifiés à la marche des planètes. Le tout s’ordonnait à partir de l’Île des quatre cases centrales confondues avec la Terre. 

« Une savante combinaison de coups de dés et d’interprétations d’ordre astrologique de la position du sujet devait faire le reste. Variante plus ancienne – les coups de dés étaient absents – un jeu d’ombre et de lumière, projeté sur la pièce ou figurine qui désignait le sujet à l’aide d’un miroir approprié, se faisait l’avocat du destin. »

Pierre Carnac ajoute : « Cette alliance de la catoptromancie (divination à l’aide de miroir) et de tchatrangologie n’était point de souche hindoue. La découverte de disques-miroirs en métal à côté de figurations en forme de damier ou de grille à carrés attribue les débuts de la catoptromancie aux Assyriens. »

L’auteur indique que des détails sur la pratique et les buts de la tchatrangologie ainsi qu’un aperçu sur ses origines firent l’objet d’une étude entreprise au début du XXe siècle par Milo Temesvar et publiée en 1902 à Rome aux éditons Numina. Cette étude, De l'utilisation des miroirs dans le jeu des échecs, est citée par Umberto Eco dans son roman « Le Nom de la rose ».

La partie centrale des échiquiers, appelée l’Île, devient pour les chercheurs pilatois l’Île de l’Eléphant. Certains de ces chercheurs ont-ils tenté de jouer la partie d’échecs proposée par le tableau de la Madeleine ? Ces mêmes chercheurs ont-ils tenté l’utilisation du miroir géant ? Tout ceci n’est que spéculation, autrement dit miroir. Souhaitons seulement que ce miroir ne soit pas le miroir aux alouettes.

 

MADELEINE EN SON MIROIR : ECHECS ET MAT ! En arabe, SHAH MAT : « le Roi est mort ». M.-A. Ouaknin indique : « la règle du jeu ne consiste pas à ‘’ tuer ‘’ le roi mais à le mettre dans une situation où il ne peut plus bouger, sous peine de se trouver dans l’axe d’une pièce adverse avec laquelle il ferait structure et perdrait ainsi sa liberté d’être ce qu’il est, c’est-à-dire ‘’ unique ‘’. Il ne s’agit donc pas de la’’ mort du roi ‘’ ni de la ‘’ mort de Dieu ‘’ mais de l’arrêt même d’une possibilité du monde par perte d’une pluralité de mondes. Quand le Monde égale le monde, il y a destruction du monde. C’est ce qui eut lieu lors du Déluge et dans l’épisode de Sodome et Gomorrhe. Dans ces deux moments bibliques, le manque d’un espace de jeu a produit une idéologie de la ‘’ mêmeté ‘’, comportement identique pour tous et parole unique pour tous. C’est la  définition même de la violence absolue. »

Le tableau de la Madeleine, pacifisme absolue – dans l’apparence – l’après Déluge, éternel recommencement, nous plonge dans cette partie d’Echecs dont l’enjeu nous dépasse assurément, bien qu’il soit à n’en pas douter humain.


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