La Mosaïque de Chavanay
Chaque année, des découvertes archéologiques subissent un mauvais sort, un devenir irréversible. Toutes les régions de France sont un jour ou l’autre concernées et parfois le Pilat figure parmi les victimes d’Hommes qui obéissent à des intérêts soi-disant supérieurs. Effectivement, lors de constructions ou rénovations, lors de terrassements, plus ou moins d’ampleur, des vestiges d’une valeur certaine, sont retrouvés. Alors que ces réalisations que l’on croyait à jamais anéanties réapparaissent, elles deviennent par la force des choses, encombrantes, puisqu’elles freinent concrètement l’avancées de travaux voués à des bâtiments principalement. L’enjeu financier finit trop souvent par l’emporter au grand dam des amoureux de patrimoines anciens, voire de trésors archéologiques. On peut en partie comprendre que des logements à venir imposent une importance non discutable tellement notre pays en a besoin. Pourtant et parallèlement, on peut se demander si parfois des solutions intermédiaires ne pourraient pas être trouvées. Elles pourraient modifier les plans initiaux ou encore permettre de récupérer convenablement les découvertes fortuites ainsi dégagées.
Dans ce présent reportage, nous allons nous attarder
sur un cas, certes peut-être, modeste, mais bien concret. Nous sommes au début des années 2000, à Chavanay. Le scénario
qui nous permet de retranscrire ce qui s’est passé, nous le devons à Didier
Chol, vigneron bien connu, aujourd’hui en retraite, qui l’a dument mentionné
dans son remarquable ouvrage paru en 2022 et édité par Visages de notre Pilat, Histoire
et histoires de Chavanay et de sa région. On apprend dans ce livre déjà
devenu une référence que cette commune du Pilat rhodanien possède au moins en
quatre quartiers, un passé romain indiscutable. C’est lors de la réalisation
d’un lotissement souhaité par les autorités municipales de l’époque que le
Préfet a décidé de lancer des fouilles qui seront supervisées par La Drac. Ces
précautions sont louables, respectables et elles vont s’avérer utiles. Bien sûr
c’est loin du regard du grand public que s’effectuent ses manœuvres, en l’occurrence
ici dix-neuf trous de sondages et l’ouverture de trois tranchées. Les résultats
validant un passé romain significatif, ne vont pas se faire attendre. Cette
occupation antique située entre un mètre trente et un mètre soixante sous
terre, a même pu être datée et il fut retenu une vie romaine aux alentours du
deuxième, voire troisième siècle après Jésus Christ. Concrètement des fragments
furent retirés et purent être interprétés comme se trouvant sur une habitation
de riches occupants. Le rapport est précis et Didier Chol s’y étend dans son
ouvrage. La conclusion même si beaucoup de découvertes restent sous la forme
d’hypothèses, parle bien d’une villa dépendant de la colonie de Vienne.
La rive droite du fleuve
Rhône en commençant à Sainte-Colombe et Saint-Romain en Gal,
proposait des villas jusqu’aux environs de Limony en Ardèche. Le terme villa n’est
pas à prendre au sens de nos villas modernes d’aujourd’hui. A l’époque romaine
on se trouvait en présence d’un véritable domaine, régulièrement agricole.
Lorsque j’ai publié en 2008 Sur les Traces de la Vérité, nous nous sommes
à l’époque beaucoup intéressé à la Villa Pontiana sur la commune de
Saint-Michel sur Rhône et aussi à celle beaucoup plus récente de Vérin, à Pontcin
exactement. Cette dernière possède une surface d’environ six cents hectares.
C’est considérable et à la fois habituel pour ce genre de possessions romaines.
La construction de la voie ferrée à la fin du dix-neuvième siècle a permis de
mettre à jour un grand nombre de vestiges romains. En restant à la Villa
Pontiana, eh bien on sait que le temps a été pris, pour en extraire de
nombreux. L’abbé Batia, dans son Forez Viennois, donne une liste non
exhaustive des découvertes d’alors et de leurs devenirs du moment. Avec le
recul qui est le nôtre, on se rend bien compte que l’approche d’alors, même si
une voie ferrée était à construire, présente une notion de temps qui passe et
de coût financier qui lui est associé, beaucoup plus respectueuse de l’archéologie
et du passé transmis aux générations présentes et futures.
A Chavanay et en apparence, en ce début de
troisième millénaire, les choses auraient pu ou dû en rester là. Un minimum
avait été fait et les promoteurs, concepteurs d’un nouveau quartier sous
l’impulsion de la mairie, celui de La Petite Gorge, pouvaient alors passer à
l’action si l’on peut dire. Ce passé romain avait été prouvé, les sondages avaient
livré leurs différents verdicts mais on n’en faisait pas plus, le béton pouvait
œuvrer à présent, si l’on ose dire. Eh bien non, puisqu’en promenant son chien,
le frère de Didier, Jean-Edmond Chol, sur le chantier en question, allait faire
un temps seulement, malheureusement, chambouler les plans associés de la mairie
et des promoteurs. Ce compagnon domestique, bien inspiré, en grattant, sur le
chantier non fermé au public par cet accès ici emprunté, allait mettre à jour
dans un des sondages évoqués précédemment, une mosaïque romaine très
probablement majestueuse. Pour ceux qui se sont ou qui vont se procurer
l’ouvrage de Didier qui évoque cette découverte fortuite, eh bien vous savez ou
vous saurez, que l’auteur en a fait sa couverture de livre, pas moins ! Ce
sondage s’est avéré en réalité plus prolifique que ce que les rapports
donnaient au public puisque cette mosaïque était bien concrète et vouée à
l’oubli éternel. Jean-Edmond avait immédiatement prévenu son frère Didier pour
lui montrer cet ensemble, cette découverte complètement inattendue.
En bon chercheur, en passionné d’histoire et de
patrimoine de sa région, Didier eu l’heureuse idée comme vous l’aurez déjà
compris de faire des clichés de cette mosaïque. Elle fut ainsi immortalisée
pour la postérité. L’ouvrage de Didier permet de la transmettre au grand public
et nous sommes heureux qu’avec Les Regards du Pilat, cet héritage commun puisse
se transmettre à encore d’autres tiers avides de connaître des vestiges
légitimement portés en information au moins à tout un chacun. Ecoutons Didier
Chol nous en parler avec plus de précisions dans son ouvrage : Bien que
peu dégagée (moins d’un mètre carré), et d’après les comparaisons que l’on put
en faire par la suite, elle présentait de nombreuses similitudes avec celle qui
avait été découverte lors des fouilles à Limony en 1973. Elle avait
vraisemblablement été réalisée par le même atelier de Vienne, ce qui pourrait
la dater au milieu du deuxième siècle. Les tesselles en marbre offraient une
palette de couleurs allant du rouge au bleu turquoise, en passant par le jaune
sur fond blanc. On distinguait l’amorce de deux cercles noirs, lesquels, s’ils
avaient été dégagés, auraient offert un diamètre d’environ un mètre, laissant
envisager une mosaïque de peut-être plusieurs dizaines de mètres carré … En
lisant attentivement Didier, ce passeur de mémoire invétéré, on s’aperçoit
clairement que cette mosaïque, outre le fait d’avoir été conséquente, était un
véritable trésor archéologique. Si ces deux frères et le chien, n’étaient pas
intervenus, finalement bien malgré eux, eh bien cette merveille serait
définitivement passée sous silence.
Personne
évidemment ne doit croire un instant, que
les autorités compétentes n’avaient pas vu ce chef d’œuvre plus qu’en
péril. Didier
Chol s’est tout de suite fendu de très bonnes intentions, celles d’un
responsable devant faire le nécessaire pour sauvegarder ce bien commun.
Il
pense immédiatement à déposer la mosaïque, voire à en faire un relevé
scrupuleux. Très vite, le maire de l’époque va doucher ses espoirs. Pas
de
vague et faire silence, voilà l’esprit qui animait alors le premier
magistrat
de la commune de Chavanay. Comme le souligne avec justesse Didier dans
son
ouvrage, eh bien nous nous trouvions là avec une découverte longtemps
espérée
en Pilat rhodanien. Mieux il fut même question, suivie de faits vite
rangés
dans les tiroirs, de menaces judiciaires, pénales. On alla jusqu’à
évoquer une
violation du site par les frères Chol. Il faut toutes proportions
gardées,
rendre la honte à ceux qui ont agi de la sorte face à deux hommes qui
ne
souhaitaient qu’une chose, pérenniser un patrimoine, le faire connaître
et le
transmettre. Nous vous passons ici les détails du bras de fer, plus que
déséquilibré, tant les enjeux financiers pèsent lourds dans la balance
qui vise
à trancher et prendre une décision finale, malheureusement déjà connue
d’avance : le béton ! Une fois de plus le grand l’emporte
sur le petit, même si ce dernier était animé de son bon droit. Pourtant
la
morale de cette histoire reste peut-être les photos de Didier, que nous
avons
l’honneur de présenter ici sur le site et dans ce reportage qui aura à
l’échelle d’une goutte d’eau oui, valeur de transmission à ceux qui
nous liront ou qui et nous le conseillons vivement, voudront se
procurer
l’ouvrage de Didier auprès de l’association Visages de notre
Pilat ; un
ouvrage qui fourmille d’anecdotes inédites sur des tas de sujets.
Merci à Didier Chol d’avoir rendu à César et
ici à Chavanay ce qui lui revenait et qui malheureusement fut passé longtemps
sous silence. Cette omerta est aujourd’hui définitivement brisée et nous nous
en réjouissons. Voici à présent un pannel de photos de mars 2000 prises sur le vif in situ par Didier.