REPORTAGE REGARDS DU PILAT
<Retour au Sommaire du Site>
DECEMBRE 2024

Par Thierry Rollat

La Mosaïque de Chavanay

      Chaque année, des découvertes archéologiques subissent un mauvais sort, un devenir irréversible. Toutes les régions de France sont un jour ou l’autre concernées et parfois le Pilat figure parmi les victimes d’Hommes qui obéissent à des intérêts soi-disant supérieurs. Effectivement, lors de constructions ou rénovations, lors de terrassements, plus ou moins d’ampleur, des vestiges d’une valeur certaine, sont retrouvés. Alors que ces réalisations que l’on croyait à jamais anéanties réapparaissent, elles deviennent par la force des choses, encombrantes, puisqu’elles freinent concrètement l’avancées de travaux voués à des bâtiments principalement. L’enjeu financier finit trop souvent par l’emporter au grand dam des amoureux de patrimoines anciens, voire de trésors archéologiques. On peut en partie comprendre que des logements à venir imposent une importance non discutable tellement notre pays en a besoin. Pourtant et parallèlement, on peut se demander si parfois des solutions intermédiaires ne pourraient pas être trouvées. Elles pourraient modifier les plans initiaux ou encore permettre de récupérer convenablement les découvertes fortuites ainsi dégagées.      

    Dans ce présent reportage, nous allons nous attarder sur un cas, certes peut-être, modeste, mais bien concret. Nous sommes au début des années 2000, à Chavanay. Le scénario qui nous permet de retranscrire ce qui s’est passé, nous le devons à Didier Chol, vigneron bien connu, aujourd’hui en retraite, qui l’a dument mentionné dans son remarquable ouvrage paru en 2022 et édité par Visages de notre Pilat, Histoire et histoires de Chavanay et de sa région. On apprend dans ce livre déjà devenu une référence que cette commune du Pilat rhodanien possède au moins en quatre quartiers, un passé romain indiscutable. C’est lors de la réalisation d’un lotissement souhaité par les autorités municipales de l’époque que le Préfet a décidé de lancer des fouilles qui seront supervisées par La Drac. Ces précautions sont louables, respectables et elles vont s’avérer utiles. Bien sûr c’est loin du regard du grand public que s’effectuent ses manœuvres, en l’occurrence ici dix-neuf trous de sondages et l’ouverture de trois tranchées. Les résultats validant un passé romain significatif, ne vont pas se faire attendre. Cette occupation antique située entre un mètre trente et un mètre soixante sous terre, a même pu être datée et il fut retenu une vie romaine aux alentours du deuxième, voire troisième siècle après Jésus Christ. Concrètement des fragments furent retirés et purent être interprétés comme se trouvant sur une habitation de riches occupants. Le rapport est précis et Didier Chol s’y étend dans son ouvrage. La conclusion même si beaucoup de découvertes restent sous la forme d’hypothèses, parle bien d’une villa dépendant de la colonie de Vienne.

La rive droite du fleuve Rhône en commençant à Sainte-Colombe et Saint-Romain en Gal, proposait des villas jusqu’aux environs de Limony en Ardèche. Le terme villa n’est pas à prendre au sens de nos villas modernes d’aujourd’hui. A l’époque romaine on se trouvait en présence d’un véritable domaine, régulièrement agricole. Lorsque j’ai publié en 2008 Sur les Traces de la Vérité, nous nous sommes à l’époque beaucoup intéressé à la Villa Pontiana sur la commune de Saint-Michel sur Rhône et aussi à celle beaucoup plus récente de Vérin, à Pontcin exactement. Cette dernière possède une surface d’environ six cents hectares. C’est considérable et à la fois habituel pour ce genre de possessions romaines. La construction de la voie ferrée à la fin du dix-neuvième siècle a permis de mettre à jour un grand nombre de vestiges romains. En restant à la Villa Pontiana, eh bien on sait que le temps a été pris, pour en extraire de nombreux. L’abbé Batia, dans son Forez Viennois, donne une liste non exhaustive des découvertes d’alors et de leurs devenirs du moment. Avec le recul qui est le nôtre, on se rend bien compte que l’approche d’alors, même si une voie ferrée était à construire, présente une notion de temps qui passe et de coût financier qui lui est associé, beaucoup plus respectueuse de l’archéologie et du passé transmis aux générations présentes et futures.

A Chavanay et en apparence, en ce début de troisième millénaire, les choses auraient pu ou dû en rester là. Un minimum avait été fait et les promoteurs, concepteurs d’un nouveau quartier sous l’impulsion de la mairie, celui de La Petite Gorge, pouvaient alors passer à l’action si l’on peut dire. Ce passé romain avait été prouvé, les sondages avaient livré leurs différents verdicts mais on n’en faisait pas plus, le béton pouvait œuvrer à présent, si l’on ose dire. Eh bien non, puisqu’en promenant son chien, le frère de Didier, Jean-Edmond Chol, sur le chantier en question, allait faire un temps seulement, malheureusement, chambouler les plans associés de la mairie et des promoteurs. Ce compagnon domestique, bien inspiré, en grattant, sur le chantier non fermé au public par cet accès ici emprunté, allait mettre à jour dans un des sondages évoqués précédemment, une mosaïque romaine très probablement majestueuse. Pour ceux qui se sont ou qui vont se procurer l’ouvrage de Didier qui évoque cette découverte fortuite, eh bien vous savez ou vous saurez, que l’auteur en a fait sa couverture de livre, pas moins ! Ce sondage s’est avéré en réalité plus prolifique que ce que les rapports donnaient au public puisque cette mosaïque était bien concrète et vouée à l’oubli éternel. Jean-Edmond avait immédiatement prévenu son frère Didier pour lui montrer cet ensemble, cette découverte complètement inattendue.

En bon chercheur, en passionné d’histoire et de patrimoine de sa région, Didier eu l’heureuse idée comme vous l’aurez déjà compris de faire des clichés de cette mosaïque. Elle fut ainsi immortalisée pour la postérité. L’ouvrage de Didier permet de la transmettre au grand public et nous sommes heureux qu’avec Les Regards du Pilat, cet héritage commun puisse se transmettre à encore d’autres tiers avides de connaître des vestiges légitimement portés en information au moins à tout un chacun. Ecoutons Didier Chol nous en parler avec plus de précisions dans son ouvrage : Bien que peu dégagée (moins d’un mètre carré), et d’après les comparaisons que l’on put en faire par la suite, elle présentait de nombreuses similitudes avec celle qui avait été découverte lors des fouilles à Limony en 1973. Elle avait vraisemblablement été réalisée par le même atelier de Vienne, ce qui pourrait la dater au milieu du deuxième siècle. Les tesselles en marbre offraient une palette de couleurs allant du rouge au bleu turquoise, en passant par le jaune sur fond blanc. On distinguait l’amorce de deux cercles noirs, lesquels, s’ils avaient été dégagés, auraient offert un diamètre d’environ un mètre, laissant envisager une mosaïque de peut-être plusieurs dizaines de mètres carré … En lisant attentivement Didier, ce passeur de mémoire invétéré, on s’aperçoit clairement que cette mosaïque, outre le fait d’avoir été conséquente, était un véritable trésor archéologique. Si ces deux frères et le chien, n’étaient pas intervenus, finalement bien malgré eux, eh bien cette merveille serait définitivement passée sous silence.

Personne évidemment ne doit croire un instant, que les autorités compétentes n’avaient pas vu ce chef d’œuvre plus qu’en péril. Didier Chol s’est tout de suite fendu de très bonnes intentions, celles d’un responsable devant faire le nécessaire pour sauvegarder ce bien commun. Il pense immédiatement à déposer la mosaïque, voire à en faire un relevé scrupuleux. Très vite, le maire de l’époque va doucher ses espoirs. Pas de vague et faire silence, voilà l’esprit qui animait alors le premier magistrat de la commune de Chavanay. Comme le souligne avec justesse Didier dans son ouvrage, eh bien nous nous trouvions là avec une découverte longtemps espérée en Pilat rhodanien. Mieux il fut même question, suivie de faits vite rangés dans les tiroirs, de menaces judiciaires, pénales. On alla jusqu’à évoquer une violation du site par les frères Chol. Il faut toutes proportions gardées, rendre la honte à ceux qui ont agi de la sorte face à deux hommes qui ne souhaitaient qu’une chose, pérenniser un patrimoine, le faire connaître et le transmettre. Nous vous passons ici les détails du bras de fer, plus que déséquilibré, tant les enjeux financiers pèsent lourds dans la balance qui vise à trancher et prendre une décision finale, malheureusement déjà connue d’avance : le béton ! Une fois de plus le grand l’emporte sur le petit, même si ce dernier était animé de son bon droit. Pourtant la morale de cette histoire reste peut-être les photos de Didier, que nous avons l’honneur de présenter ici sur le site et dans ce reportage qui aura à l’échelle d’une goutte d’eau oui, valeur de transmission à ceux qui nous liront ou qui et nous le conseillons vivement, voudront se procurer l’ouvrage de Didier auprès de l’association Visages de notre Pilat ; un ouvrage qui fourmille d’anecdotes inédites sur des tas de sujets.

      Merci à Didier Chol d’avoir rendu à César et ici à Chavanay ce qui lui revenait et qui malheureusement fut passé longtemps sous silence. Cette omerta est aujourd’hui définitivement brisée et nous nous en réjouissons. Voici à présent un pannel de photos de mars 2000 prises sur le vif in situ par Didier.















<Retour au Sommaire du Site>