Dossier Novembre
2023
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L'oRDRE CHARTREUX |
Par
Patrick Berlier |
Les Chartreux
constituent l'un des plus anciens ordres monastiques, dont les origines
remontent à une époque à peine postérieure à l'an mille. Malgré quelques
épreuves, imposées par divers événements, il existe toujours et possède encore
de nombreuses maisons, les chartreuses,
en France et en divers pays du monde.
Les Chartreux doivent
leur existence et leur organisation à une poignée de personnages animés par une
foi indéfectible. Trois d'entre eux sont considérés comme des saints par
l'Église : Bruno, Hugues et Anthelme. Bruno est né vers 1030 à Cologne, de
parents dont on ne sait presque rien, même pas le nom avec certitude, mais
appartenant probablement à la noblesse germanique. C'est dans la demeure
paternelle que Bruno passa son enfance et son adolescence, se montrant très
rapidement doté d'une grandeur d'esprit et d'une grandeur d'âme
exceptionnelles. Bruno renonça à succéder à son père à la tête des affaires
familiales, et décida de se consacrer à Dieu.
Saint Bruno (vitrail de l'église de Sainte-Croix-en-Jarez)
C'est à Reims, en
France, qu'il se rendit pour poursuivre ses études, commencées à Cologne. Reims
était alors un centre de culture dont la réputation s'étendait à toute
l'Europe. Bruno y passa les premières années de sa vie d'homme, puis il revint
vers sa ville natale où il reçut la prêtrise vers l'âge de 30 ans. Mais
l'archevêque de Reims, Gervais, qui l'avait remarqué, le fit revenir vers lui
pour lui confier la charge d'écolâtre. Bruno, que l'on nomma désormais Maître
Bruno, devint le directeur de l'école supérieure attachée à la cathédrale,
celle-là même où il avait fait ses études.
Une vingtaine
d'années s'écoulèrent, au cours desquelles Bruno forma des quantités d'élèves.
Parmi eux, il y eut en particulier Eudes de Châtillon, qui allait devenir le
pape Urbain II. En 1082, le siège archiépiscopal de Reims était vacant, et l'on
songea tout naturellement à Bruno, alors quinquagénaire, pour devenir le nouvel
archevêque. Mais Bruno, résolu à se retirer du monde, n'avait que faire des
honneurs, et il refusa d'endosser la charge.
Dans l'ancienne
chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, un tableau, longtemps exposé dans la
sacristie de l'église, représentait Bruno refusant l'épiscopat de Reims. Le
saint était figuré vêtu de l’habit noir des Bénédictins, il avait jeté à terre
la crosse et la mitre de l'évêque qu'il refusait d'être, et écartait les bras
dans un geste d’extase, en voyant apparaître dans une nuée Dieu le Père, Jésus,
la Vierge Marie soutenue par des anges, sainte Félicie et sainte Perpétue. Ce
tableau, qui avait souffert, a dû être retiré et n'est plus visible
aujourd'hui.
Saint Bruno refusant l'épiscopat de Reims
(Sainte-Croix-en-Jarez)
Distribuant tous ses
biens aux pauvres, Buno décida de quitter la ville de Reims. Il se dirigea vers
le sud, et finit par arriver à l'abbaye de Molesme en Bourgogne, fondée peu de
temps auparavant par saint Robert. Le saint abbé jugea que le goût de solitude
de Bruno était bien inspiré par Dieu. Il mit à sa disposition la forêt de
Sèche-Fontaine, une possession de l'abbaye, et secondé par deux compagnons
animés du même désir, Bruno entreprit d'y mener une vie d'ermite. Mais Reims
était à moins de 150 km, et dès que l'on sut que Bruno s'était établi à
Sèche-Fontaine, de nombreux visiteurs s'y rendirent. La communauté s'agrandit,
trop sans doute au goût de Bruno. Alors deux ans plus tard le saint ermite se
résolut à quitter les lieux pour rechercher une solitude plus grande encore. Se
dirigeant toujours vers le sud, puis obliquant vers les montagnes des Alpes,
Bruno arriva à Grenoble, dans le Dauphiné. Six compagnons l'avaient suivi dans
ce périple : Landuin, Étienne de Bourg, Étienne de Die, Hugues le Chapelain,
André et Guérin. Ils décidèrent de se présenter à l'évêque de la ville pour lui
exposer l'objet de leur recherche.
Or cet évêque, Hugues
de Châteauneuf, était préoccupé par un songe, qu'il avait fait quelques nuits
auparavant. Dans ce rêve étrange il avait vu sept étoiles lui apparaître et le
guider sur le chemin menant dans le désert de Chartreuse, où il avait vu Dieu
se construire une maison. La Chartreuse est une vallée reculée des montagnes
proches de Grenoble. Si le mot « désert » évoque dans l'inconscient
collectif l'image d'une étendue sablonneuse comme le Sahara, le terme doit être
pris dans son sens premier, autrement dit c'est avant toute chose un lieu
dépourvu d'habitants.
Alors que l'évêque ne
parvenait toujours pas à trouver un sens à cette vision, on lui annonça
l'arrivée de sept visiteurs, Bruno et ses six compagnons. Lorsqu'il les vit,
Hugues de Châteauneuf comprit que ces sept hommes étaient les sept étoiles vues
en rêve, d'autant qu'ils s'ouvrirent à lui de leur désir de s'établir loin du
monde dans les montagnes. L'évêque se souvint du chemin, et emmena les sept
futurs ermites dans le désert de Chartreuse. Cela se passait, dit la tradition,
le 24 juin de l'an 1084, jour de la Saint-Jean Baptiste. La Chartreuse était un
lieu loin de tout, au plus profond d'une vallée encaissée dominée par de hautes
montagnes. Le climat y était rude, surtout en hiver, mais il y avait de l'eau
en abondance, une terre propice aux cultures, et la forêt proche pouvait
fournir le bois nécessaire à la construction des cellules et de l'église. Les
ermites pourraient y vivre en totale autarcie.
Comme nous l'apprend
la charte de fondation, divers propriétaires se partageaient la vallée, dont
l'évêque de Grenoble, et tous acceptèrent, pour le salut de leur âme, d'en
faire don aux ermites, qui en conséquence ne seraient pas dérangés. Ainsi
naquit le premier monastère de Chartreuse, établi à plus de 1200 m d'altitude
dans cette vallée alpestre. Les moines n'appartenaient à aucun ordre, ils
n'avaient donc pas de nom particulier, mais les rares habitants de la région ne
tardèrent pas à les appeler les Chartreux, ce qu'ils acceptèrent bien
volontiers.
Hugues de Châteauneuf
avait dessiné le plan du futur monastère, composé de cellules, de lieux de
réunion et d'une église conventuelle, le tout desservi par la galerie d'un
cloître. Les premiers bâtiments devaient ressembler aux chalets traditionnels
des Alpes, entièrement en bois. L'eau des sources était captée et distribuée
dans chaque cellule. Elle servait aussi à irriguer des jardins, où poussaient
fruits et légumes, et des viviers étaient aménagés sur le torrent pour y pêcher
des poissons. Aux sept premiers ermites s'en joignirent rapidement des
nouveaux.
Bruno voulait
seulement se retirer loin de tout, il n'avait pas pour dessein de fonder un
nouvel ordre monastique. Dans un premier temps, lui et ses compagnons suivirent
la règle de saint Benoît, à laquelle la plupart des moines se référaient.
Néanmoins il n'était pas question pour eux de se rattacher à l'ordre des
Bénédictins. Leur mode de vie était d'ailleurs bien différent, même si Bruno
décida de tempérer la vie solitaire des ermites par un peu de vie en
communauté, ce qui constitue l'essence-même de la vie monacale des Chartreux.
Le Musée des
Beaux-Arts de Lyon conserve un tableau représentant Bruno en extase dans le
désert de Chartreuse. Le saint est figuré en habit blanc de Chartreux, allongé
et en prière sur le sol d'une grotte ouverte de deux côtés sur un paysage
montagneux. Un crâne humain, une croix et un livre ouvert sont représentés à
côté de Bruno, ce sont ses attributs classiques.
Saint Bruno en extase dans le désert de Chartreuse
(Musée des Beaux-Arts, Lyon)
En 1088 un nouveau
pape fut élu, Eudes de Châtillon, qui prit le nom d'Urbain II. Il avait été
l'élève de Bruno. L'année suivante, ce souverain pontife fit appeler son ancien
maître auprès de lui, « pour l'utilité du siège apostolique ». L'Église
était alors déchirée par un schisme, et deux papes en réclamaient la direction,
Urbain II considéré comme vrai pape, et Clément III considéré comme antipape.
Sauf que le second ayant décidé de siéger à Rome, en 1090 le premier dut se
réfugier en Calabre, à la pointe sud de l'Italie, et c'est vers cette
destination que Bruno se dirigea, après avoir fait ses adieux à ses compagnons
et à ses chères montagnes. Lorsqu'il y arriva durant l'été 1090, l'évêché de
Reggio de Calabre était vacant, et Urbain II le proposa à Bruno. Mais lui qui
naguère avait refusé l'épiscopat de Reims, n'accepta pas davantage celui de
Reggio.
Tout au plus Bruno
consentit-il à servir d'intermédiaire entre la cour pontificale et le comte
Roger de Hauteville, qui résidait à Mileto. C'était un Français, d'origine
normande, qui venait de s'installer en Calabre dans le dessein de conquérir la
Sicile toute proche, alors occupée par les musulmans. Une estime réciproque
s'installa entre le comte et Bruno, qui baptisa son fils. Avec son appui sans
doute, Bruno fonda une nouvelle chartreuse, celle de Santa-Maria della Torre, à
proximité de Mileto, où il reprit une vie solitaire, entouré de nouveaux
compagnons. Et c'est là qu'il s'éteignit, le 6 octobre 1101.
L'église de
Sainte-Croix-en-Jarez conserve un tableau montrant saint Bruno refusant
l'épiscopat de Reggio de Calabre. Bruno est représenté vêtu de l’habit blanc
des Chartreux, en prières dans une grotte devant un crucifix. Une lumière
surnaturelle se forme au-dessus de lui, on devine qu’il doit y voir une
apparition divine. Bruno a jeté au sol la mitre et la crosse, geste symbolisant
son refus de devenir l'évêque de Reggio. On voit également un crâne humain et
un livre ouvert, ses attributs traditionnels. Par l'ouverture de la grotte on
remarque ses compagnons qui l’attendent au dehors, et en arrière-plan on
distingue des bâtiments avec une tour, figurant la chartreuse de la Torre.
Saint Bruno refusant l'épiscopat de Reggio de Calabre
(église de Sainte-Croix-en-Jarez)
Lorsque la nouvelle
du décès de Bruno arriva dans le Dauphiné, les Chartreux chantèrent les
louanges de leur fondateur, et poursuivirent son œuvre. Trois prieurs avaient
succédé à Bruno à la tête du monastère après son départ. Le cinquième prieur,
nommé en 1109 à l'âge de 27 ans, fut Guigues, qui avait rejoint les Chartreux
trois ans plus tôt seulement. C'est lui qui rédigea les Coutumes,
c'est-à-dire la Règle de l'ordre des Chartreux, toujours en usage de nos jours.
Une vingtaine d'années s'écoulèrent paisiblement. La réputation de savoir et de
sagesse de Guigues se répandit dans tout le monde chrétien. On vint le voir, ou
on lui écrivit, pour lui demander conseil. Il entretint ainsi une
correspondance assidue avec des seigneurs, des évêques ou des cardinaux. On dit
qu'il ne fut pas sans influence dans la fondation des Templiers. Il est vrai
que Guigues avait pour ami saint Bernard, l'abbé de Clairvaux, grand protecteur
de l'ordre du Temple, qui vint le visiter vers 1125.
Saint Bernard de Clairvaux visitant Guigues le Chartreux
Tableau de Vincenzo Carducci (Musée du Prado)
Les croisades
venaient de commencer. La reconquête de la Terre Sainte avait été prêchée en
1095 à Clermont par Urbain II, et en 1099 Jérusalem avait été prise par les
Croisés. Vingt ans plus tard environ l'ordre du Temple y avait été créé, et en
1129 le concile de Troyes officialisa cette fondation.
Dans la paisible
vallée de Chartreuse, bien loin du tumulte du temps, un terrible événement se
préparait. Le 30 janvier 1132, une avalanche s'abattit sur le monastère créé
par saint Bruno, emportant les bâtiments et tuant la moitié de ses occupants.
Guigues ne se découragea pas. Avec les survivants, il entreprit de reconstruire
le monastère, mais deux kilomètres plus bas dans la vallée, à moins de 1000 m
d'altitude et à l'abri des avalanches. Dans cette tâche il fut aidé par un
jeune novice, Anthelme (ou Antelme). Quelques mois plus tard, le 13 octobre
1132, le nouveau monastère était inauguré, et consacré par le nouvel évêque de
Grenoble, le neveu d'Hugues de Châteauneuf. La Grande Chartreuse était née.
Anthelme en devint le
prieur après Guigues en 1136. C'est lui qui fit construire le grand cloître
gothique, toujours en place, et qui acheva le réseau de canalisations apportant
l'eau dans tous les bâtiments du monastère. On doit surtout à Anthelme l'institution
en 1141 d'un Chapitre Général, réunissant chaque année tous les prieurs de
l'ordre. Selon cette nouvelle organisation, le prieur de la Grande Chartreuse
devenait le Général de l'ordre, et le Chapitre nommait les prieurs de chaque
chartreuse, alors qu'auparavant cette nomination était à la charge des évêques
concernés. En effet les Chartreux étaient devenus un grand ordre monastique,
possédant de nombreuses maisons.
Quelques années plus
tard, Anthelme se retira comme simple religieux, mais on le nomma évêque de
Belley, sa ville natale, où il mourut en 1178. Choisi comme saint patron de la
cité, sa réputation de sainteté était telle que les édiles de Belley songèrent
sérieusement à rebaptiser leur ville Antelmopolis.
Saint Anthelme (gravure ancienne)
La Grande Chartreuse
était à l'abri des avalanches, mais construite en grande partie en bois, elle
n'était pas à l'abri des incendies. Un premier sinistre se déclara en 1320,
pendant la tenue du Chapitre Général. Tous les prieurs présents firent don d'une
obole pour la reconstruction de leur Maison Mère. Malheureusement elle eut à
souffrir d'autres incendies au cours des siècles, jusqu'au huitième et dernier
en 1676. Le feu étant devenu la hantise des Chartreux, ils reconstruisirent
leur monastère selon de nouveaux principes, en séparant les cellules et les
bâtiments, de manière à empêcher la propagation des flammes de l'un à l'autre.
En outre et malgré le coût tout fut bâti en pierres, et les toits furent
couverts d'ardoises. Ainsi la Grande Chartreuse fut sauvée, et l'ordre des
Chartreux avec elle.
Cependant un peu plus
d'un siècle plus tard, la révolution française éclatait, entraînant la
confiscation des biens de l'Église par l'État. En octobre 1789 les Chartreux
durent quitter leur monastère et se réfugier à l'étranger. Il en fut ainsi,
durant les années qui suivirent, pour l'ensemble des chartreuses de France.
C'est en Suisse que l'ordre survécut. Pendant ce temps, en France l'histoire
suivait son cours, à la République succéda l'Empire, et à l'Empire la
Restauration de la royauté. En avril 1816, une ordonnance de Louis XVIII
autorisa le retour des moines à la Grande Chartreuse, ce qui fut effectif en
juillet.
Cette renaissance fut
hélas de courte durée. Durant les premières années du XXe siècle, le
nouveau gouvernement radical commença par imposer la fameuse loi de 1901, qui
tout en autorisant la constitution d'associations civiles, contraignit
l'existence des associations religieuses. Deux ans plus tard une autre loi vint
quasiment toutes les supprimer. En 1903 les Chartreux furent expulsés de leur
monastère, qui devint un lieu touristique. Aux moines avides de solitude et de silence, succédèrent
des hordes de visiteurs curieux et bruyants.
La Grande Chartreuse, au début du XXe siècle (carte
postale ancienne)
Pendant ce temps,
l'ordre des Chartreux survivait en Italie près de Lucques, à peine troublé par
la première guerre mondiale. Cependant, vingt ans plus tard, à la veille de la
seconde guerre mondiale, quelques hommes politiques s'émurent du sort des Chartreux
exilés dans un pays ennemi. En juin 1940 ils purent enfin revenir à la Grande
Chartreuse, qu'ils remirent en état pendant les années de guerre. Rendue à la
vie monacale, il ne fut plus possible de la visiter, néanmoins les Chartreux
installèrent un musée dans l'ancienne correrie, la maison où arrivait le
courrier.
Le monastère de la
Grande Chartreuse constitue toujours de nos jours la Maison Mère de l'ordre,
qui compte au total 21 maisons réparties
dans le monde entier, dont quelques unes de femmes. Les Chartreux mènent une vie
solitaire, en cellule, tempérée comme l'avait souhaité saint Bruno par un peu
de vie communautaire, au moment des offices, du repas dominical, ou lors de la
promenade commune hebdomadaire, le « spaciement ».
Chaque chartreuse
comporte, en principe, trois parties distinctes. La première s'articule autour
d'une cour, dite des obédiences, c'est la partie nécessaire à la vie matérielle
de la maison, domaine des frères, où l'on trouve les ateliers, la boulangerie,
les celliers, les fenils et les greniers. Vient ensuite un noyau central,
autour de l'église, avec la salle capitulaire, la bibliothèque, la cuisine, le
réfectoire, l'hôtellerie pour les hôtes de passage, mais aussi le petit cloître
autour du cimetière. Une seconde cour est occupée par le grand cloître, dont la
galerie dessert les cellules des pères. Naturellement ce plan-type peut varier
en fonction de la topographie du terrain, du climat, de la région, etc. Les
chartreuses comptent en principe une douzaine de pères, plus le prieur qui
dirige la maison, et quelques frères. Chaque moine est vêtu d'une robe épaisse
de drap blanc, serrée à la taille par une ceinture de cuir, par dessus laquelle
il passe le scapulaire, également en épais drap blanc, dont les deux pans sont
liés par des bandes de la même étoffe, les « guiches ».
Chartreux à l'étude dans son oratoire
La journée d'un
Chartreux commence à 6h du matin, par la récitation de prières et d'oraisons. À
8h, tous se dirigent vers l'église pour la messe conventuelle chantée, suivie
de messes basses en chapelle. À 10h c'est le retour en cellule, pour des
exercices spirituels, des lectures, puis un peu de travail manuel. Après le
repas de midi, pris en cellule les jours de semaine, et en commun au réfectoire
le dimanche, vient un nouveau temps de prières et d'oraisons, suivi à 15h de
travail manuel. À 15h45, nouvel office à l'église, celui des Vêpres. Le
Chartreux est de retour en cellule vers 16h30, et la soirée se passe en études
ou lectures spirituelles, seulement coupées par une collation prise à 17h15. Un
premier coucher est prévu à 19h, mais le sommeil est interrompu un peu avant
minuit pour l'office de nuit à l'église, qui dure jusque vers 2h30, heure à
laquelle le Chartreux peut retourner se coucher pour le reste de la nuit. C'est
une vie austère. Le Chartreux reste seul le plus souvent, et il ne peut recevoir
la visite de sa famille que deux fois par an. Son régime alimentaire est
végétarien, la consommation de viande est interdite, seuls les œufs, les
laitages et les poissons sont autorisés. Même pendant la promenade commune, les
Chartreux doivent rester à l'intérieur de la clôture monastique, généralement
bornée par des croix. Ils ne peuvent en sortir que pour des raisons
impérieuses, médicales par exemple.
Croix de limite du spaciement (environs de Sainte-Croix-en-Jarez)
Il est important que
le corps n'ait pas à souffrir pour pouvoir libérer l'esprit. Aussi les cellules
sont-elles confortables et spacieuses. On parle d'ailleurs plus volontiers
d'ermitages. Chacun comporte deux niveaux, desservis par un promenoir et un escalier.
Au niveau supérieur se trouvent une antichambre dite Ave Maria, une
pièce de vie ou cubiculum, avec un grand meuble contenant d'un côté le
lit clos et de l'autre l'oratoire avec stalle et prie-Dieu. Entre les deux
pièces un cabinet de travail permet au Chartreux de lire, d'étudier ou
d'écrire. Au niveau inférieur se trouvent le bûcher et l'atelier pour le
travail du bois. Dans le promenoir, à côté de la porte d'entrée ouvrant sur la
galerie du cloître, un guichet aménagé dans l'épaisseur du mur sert
essentiellement à la livraison des repas. Chaque ermitage dispose généralement
d'un petit jardin, pour la culture de fleurs et de plantes médicinales.
Schéma de l'intérieur d'une cellule de Chartreux