ENTRETIEN-INTERVIEW
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Avec notre invité, nous nous sommes rencontrés voici près de 8 ans, lors d’une manifestation culturelle, tenue au pied du Pilat, à Loire-sur-Rhône précisément. Tanguy Dujon présentait de beaux objets métalliques réalisés par lui-même à l’aide de sa Forge d’alors, au fin fond de l’Ardèche. Ce personnage, communiquant, attachant et compétent, s’est rapproché de nous et nous avons vraiment sympathisé. A la suite de ce carrefour des Arts, un modeste lien, mais régulier, s’est opéré, des échanges périodiques ont continué. C’est donc presque naturellement que Tanguy est revenu dans le Pilat pour mieux se faire connaître et répondre à un entretien-interview digne d’un reportage de terrain puisqu’il s’est concrétisé à Pélussin. C’est lui que vous allez découvrir à présent. |
1/ Les Regards du Pilat : Bonjour Tanguy
et bienvenue sur nos colonnes. Sans plonger littéralement dans votre vie et les
intérêts profonds qui en font tout son sens, on a l’impression qu’autrui compte
énormément pour vous, Qu’en est-il exactement ?
Tanguy Dujon : Certes, autrui compte
pour moi, mais je n’ai pas l’impression que ce soit exagérément. Pour autant
les aventures humaines me fascinent, les autres et leurs expériences me
fascinent. J’aime les voyages, les échanges, les différences. Ce sont les plus
grandes richesses, beaucoup plus que le matériel.
2/ Les Regards du Pilat : Votre profession
actuelle tourne autour de technicien formateur soudeur. C’est un métier noble
qui délivre un savoir-faire qui est recherché et où il manque même parfois
selon les régions de la main d’œuvre. Êtes-vous devenu pédagogue avec le temps
ou serait-ce ici une compétence plutôt innée, toujours liée au contact avec autrui ?
Tanguy Dujon : Le goût de la pédagogie m’a été transmis par mon grand-père maternel qui était officier dans la légion étrangère. En la quittant, il a fondé une école d’équitation et c’était un authentique pédagogue. Il faisait grandir les gens avec un cheval ; j’ai été fasciné très vite et à 19 ans, j’ai à mon tour enseigné avec lui, l’équitation.
3/ Les Regards du Pilat : Cette dernière année,
vous venez d’effectuer une sorte de retour aux sources en renouvelant un
engagement un peu délaissé et ce auprès des Pompiers. Vous cumulez là deux
traits et attraits, à savoir servir les autres et maitriser le Feu, ce dernier
aspect étant la base même de votre ancien métier de forgeron. Sommes-nous loin
de la vérité en vous présentant ainsi ?
Tanguy Dujon : Pompier, devenir pompier, est un
choix que j’ai effectué à l’âge mûr. J’ai un jour dû faire face à un accident
en étant arrivé le premier sur les lieux. Une situation forte car j’ai vécu la
mort d’un homme. Ce jour-là j’ai ressenti le besoin de pouvoir agir même si en
l’occurrence il n’y avait rien à faire. J’ai franchi le pas en devenant pompier
pour la première fois à 35 ans. Pour moi, devenir pompier c’était alors plus
sauver les gens que maitriser le feu. Il y a aussi dans cet engagement et pour
revenir à votre première question, quelque chose qui se rapproche de servir ou
tout au moins de se tourner vers autrui.
4/ Les Regards du Pilat : La Forge, vous en avez une qui sommeille et
dans le futur une autre sera peut-être partie prenante d’une construction,
celle de votre maison. Plus qu’un métier, nous vous avons connu en activité, la
Forge est une passion et vous le lui rendez bien si j’ose dire. Comment est née
cette fusion alchimique entre vous et l’action de forger ?
Tanguy Dujon : Je ne suis pas issu d’une famille d’artisans pas plus que d’artistes. Lorsque j’enseignais, lorsque j’encadrais des élèves en équitation, je ne travaillais pas non plus avec mes mains à proprement parler. En 2007, au sommet de mon art en équitation, j’ai eu un très grave accident suite à une chute à cheval. J’ai traversé plusieurs jours de coma et j’ai eu de graves séquelles à l’oreille interne qui ne sont pas totalement résolues. A partir de là, plus question de monter professionnellement à cheval. J’ai établi un bilan global sur ma vie en ne retenant que l’essentiel. C’est là qu’un peu par hasard j’ai été orienté sur la maréchalerie. Au contact d’un fer à cheval en école, en découvrant la forge finalement, j’ai eu comme une véritable révélation : en 2014, j’ouvris ma propre entreprise de forgeron ; en 2015 fut la dernière année où je suis remonté péniblement sur un cheval.
5/ Les Regards du Pilat : Vous possédez une
vraie connaissance des métaux ; vous écouter les décrire se fait solennellement
si l’on peut l’exprimer ainsi. Ces acquis de compétences se font certes avec l’expérience,
mais pensez-vous avec le temps et le recul qui est le vôtre, qu’il faut outre
de la patience, un intérêt très profond pour ce qui devient un art, puisque
vous en étiez arrivé là dans vos diverses réalisations ?
Tanguy Dujon : Acquis/inné, je pars du principe que personne ne vient au monde avec des dons. Tout ou presque reste à mes yeux une question de feeling, de coup de cœur, de sensibilités. A partir de là beaucoup d’expériences deviennent possibles et peuvent alors changer le cours d’une vie. Il faut évidemment miser sur le travail qui reste la base sur laquelle repose la réussite.
6/ Les
Regards du Pilat : En vous écoutant parler des métaux et notamment de ceux qui
ont été la base de la réalisation des épées, eh bien on voyage finalement grâce
à vous à travers les époques. Que nous direz-vous des Celtes et des Romains
justement à propos des armes alors en présence ?
Tanguy Dujon : Les Celtes restent probablement les premiers à avoir travaillé le fer. Ils réalisaient au départ des aciers très pauvres. On ne pouvait pas parler d’épées tranchantes. Ensuite, à un moment indéterminé on pourra parler de trempe, l’acier feuilleté était alors inventé. Il ne faut pas confondre ce dernier qui s’avère antique avec l’acier de Damas des Croisades. En fait, les Celtes écrasaient à froid les bords, les rendant coupants. On retient que se sont des mercenaires celtes qui auraient enseigné aux romains la maitrise de l’acier, eux qui au départ « arrivaient » tout droit de l’âge de bronze. A partir de là, les Romains devinrent invincibles en associant des armes de premier plan avec une organisation militaire bien au-dessus de celle des autres ennemis.
7/ Les Regards du Pilat : Qu’en est-il déjà
plus près de nous toujours à propos de ces armes entre nos Chevaliers européens
et les forces musulmanes aux Croisades ?
Tanguy Dujon : On peut retenir qu’en même temps que chutait l’empire romain, la longueur des épées s’est considérablement raccourcie. Il faudra attendre près de 8/9 siècles pour retrouver une équivalence à la longueur des épées celtes.
En effet, les Romains se battaient à l'aide du
Gladius (longueur de la lame 40 à 60 cm), qui était relativement court comparé
aux épées des Celtes d'avant Alésia (longueurs de lames de 80 à 100 cm).
Après la défaite d'Alésia et au cours de la
florissante période Gallo-Romaine, les Gallo-Romains se sont peu à peu habitués
au gladius Romain.
C'est entre le 8eme et le 10eme siècles que
sont réapparues les premières lames de 80 à 100 cm, avec notamment les lames
franques et "vikings".
L'explication vient sans doute de la maitrise
des techniques de forges, maitrisées par une branche très spécifique des
Druides (ancêtres des Alchimistes), qui étaient les seuls capables de forger
les lames et dont les techniques se sont perdues lorsque leur ordre a
"disparu". L'autre explication qui permettrait de comprendre que les
Romains n'aient pas cherché à allonger leurs lames viendrait de leurs
techniques de combat, et l'utilisation préférentielle de leur redoutable Pilum
Romain, le gladius devenant l'arme de combat au corps-à-corps. Ajoutons à cela
leurs troupes auxiliaires avec leurs archers Scythes et leur cavalerie légère,
le combat avait changé de donne.
Les Celtes arboraient des épées dont la
longueur des lames montrait leur position sociale, il y avait une forte
symbolique dans la force et la maitrise nécessaires pour manier de telles
lames.
En tous cas entre la chute de l'Empire Romain
et ses gladius, et l'avènement de Charlemagne, il y a environs 4 siècles d'une
période pauvre en termes de techniques de forge, maitrise de l'acier en
général, et complexité des armes et des outils. On voit l'utilisation des
Scramasaxes (7ème et 8ème siècles), lourds et grossiers, mais la hache et la
lance sont favorisées au combat.
Nous voyons bien 8 siècles s'écouler entre les
longues épées Celtes et les longues épées Franques...
Aux Croisades, on peut sans doute
conclure que les chrétiens comme les musulmans se battaient en somme à armes
égales.
8/ Les Regards du Pilat : Vous aimez mentionner
l’Alchimie, un terme qu’il n’est pas rare de retrouver dans vos phrases. La
pratiquez-vous concrètement, matériellement ou plutôt, tout au moins, celle-ci
reste chez vous symbolique et par conséquent très présente à ce titre ?
Tanguy Dujon : L’Alchimie est avant tout pour
moi symbolique. Je la vis avec mon travail du métal alchimique. Comprendre les
structures intrinsèques des métaux ; pouvoir agir dessus : on modifie
en profondeur ! L’Alchimie est donc pour moi la capacité à travailler la
matière. C’est aussi indépendamment à mes yeux un travail sur soi qui permet de
se bonifier.
9/ Les Regards du Pilat : Vous avez un projet,
que l’on peut qualifier d’atypique du fait de sa rareté, celui de construire
une maison en bois-paille-terre. Qu’en est-il et d’où jaillit cette
motivation ?
Tanguy Dujon : A la base, il s’agit de
construire une maison avec des matériaux qui peuvent retourner à la nature si
ruine de l’habitation. C’est la recherche d’une harmonie avec le lieu, en
l’occurrence chez nous, au cœur d’une châtaigneraie.
10/ Les Regards du Pilat : Jadis, il y a encore
trois ans, vous exposiez des objets magnifiques réalisés par vos soins.
Reverra-t-on un jour ce type d’offre en provenance de vos créations, celle de
travaux d’un Forgeron authentique aujourd’hui en veille ?
Tanguy Dujon : Bien sûr que oui. Avant j’étais forgeron/forgeron ! Maintenant je suis plus ouvert à d’autres procédés avec le travail du métal : soudure, tôlerie …. Je suis comme un chaudronnier d’art avec la forge dedans !