NOVEMBRE 2012
LE DOSSIER





Par Patrick BERLIER



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INITIATION A LA TOPONYMIE

QU’EST-CE QUE LA TOPONYMIE ?

            La toponymie étudie l’origine et le sens des noms de lieux. Le mot toponymie est composé des mots grecs topos, lieu, et onoma, nom. Un nom de lieu se dit aussi un toponyme, terme apparu dans la langue française en 1948.

            Si l’on veut être puriste, il faut distinguer

La toponymie, qui étudie les noms de lieux (villes, villages, hameaux, maisons isolées, écarts, lieux-dits)

L’oronymie, qui étudie les noms de montagnes (du grec oros, montagne)

L’hydronymie, qui étudie les noms de rivières, fleuves, lacs, cours d’eau (du grec udôr, eau)

Ces trois formes de l’étude des noms de lieux sont à mettre en parallèle avec l’anthroponymie, ou étude des noms de personnes (du grec anthrôpos, homme). Cet ensemble de disciplines se nomme l’onomastique, ou étude raisonnée des noms propres (grec onomastikos = nom propre). L’onomastique est aux noms propres ce que l’étymologie est aux noms communs.

Le nom d’un lieu constitue souvent le seul souvenir de ce qu’il a été dans les siècles passés. Aussi la toponymie est-elle précieuse pour les archéologues, qui y puisent des indices conduisant à de nouvelles découvertes. Elle offre aux historiens et aux sociologues de nouvelles hypothèses de travail parfois très fécondes.

 

 

LA FORMATION DES NOMS DE LIEUX

 

Les différentes origines linguistiques

            Chaque fois que l’homme s’est installé sur une terre pour y habiter, l’exploiter, y chasser, y enterrer ses morts ou y honorer ses dieux, par commodité il a donné un nom à cette terre, dans sa langue d’origine. De même il a donné un nom à tout ce qui l’entourait : montagnes, forêts, prairies, rivières, lacs, rochers, etc. Tous les toponymes possèdent leur raison d’être. Si notre montagne se nomme le Pilat, si ses principales bourgades se nomment Pélussin, Bourg-Argental, Saint-Genest-Malifaux ou Condrieu, si les cours d’eau qui la bordent se nomment le Janon, le Gier ou le Rhône, c’est que ces dénominations ont toutes une origine bien précise. La première difficulté consiste à déterminer dans quelle langue ces noms ont été créés : notre pays ayant été occupé par nombre de peuples au cours de son histoire, nos noms de lieux peuvent donc puiser leurs racines dans une multitude de langues.

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L’indo-européen est une famille de langues parlées de l’Europe à l’Asie, comprenant des langues antiques comme le sanscrit, le grec, le latin, et des langues modernes comme le français, l’anglais, l’allemand, etc. Toutes ces langues ont une origine commune qui est le pré-indo-européen, langue reconstituée par les travaux des linguistes. Le pré-indo-européen était parlé entre autres par les Ligures, peuplade occupant le sud-est du pays qui deviendra la Gaule.


Dans cette langue, le radical car désigne un lieu caillouteux ; il est à l’origine du mot local « chirat », décliné en Chier en Haute-Loire ou dans les zones limitrophes : Le Chier à Saint-Romain-les-Atheux.


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Vers – 600, des Phocéens (Grecs d’Asie mineure) s’installent à Marseille et remontent la vallée du Rhône où ils apportent la langue grecque et implantent des comptoirs commerciaux.

La ville d’Ampuis paraît devoir son nom au mot d’origine grecque emporium — place de commerce. Lampony, près de Saint-Julien-Molin-Molette, doit se comprendre L’Ampony et vient du grec l’ambon — tribune surélevée.


Dans le même temps, les Celtes venus de l’Europe du nord et de l’est, à la recherche de gisements de fer, traversent tout le pays en se mêlant aux populations locales. Bien que composés de peuples très divers, les Celtes sont fédérés par une langue commune, le celtique (ou gaulois). Cette langue, qui n’appartient pas à la famille des langues indo-européennes, a été précédée d’une version plus archaïque, le préceltique. À noter que le celtique s’est transmis uniquement par voie orale, à l’inverse du grec, car les Celtes détestaient écrire.


Le village de Chavanay était Cabannacus, « le domaine de Cabannus », version latine du nom celtique cavannos — le hibou, sans doute un surnom donné à ce propriétaire gaulois.


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À partir de – 121, la Gaule est conquise par les Romains, qui imposent le latin, une langue née des langages prélatins dits italiques, eux-mêmes issus du pré-indo-européen. Le latin supplantera toutes les autres langues à partir de 100 après J.-C., ce qui explique la latinisation de nombreux noms d’origine grecque ou gauloise.


Les Romains, surpris par notre montagne qui donne parfois l’impression de supporter les nuages comme une colonne supporte une corniche, lui donnent par métaphore le nom de pila — colonne, qui deviendra Pilat (avec un T final) à partir du XVIe siècle pour mieux s’adapter à la légende de Ponce Pilate.

La racine pila se retrouve également dans les noms comme Pilon, Saint-Pilon (en Provence), Pilou (en Languedoc). Cette manière de comparer une montagne à une colonne est aussi à l’origine du nom de la chaîne de l’Estaque, à l’ouest de Marseille, qui vient du provençal estaca — pilier ou colonne.


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D’autres envahisseurs, par la suite, apporteront ça et là des langues nouvelles comme le germain.

Les nombreux toponymes la Fare viennent du germain fara — famille, et désignent un domaine familial. La Ferramandie, près de Doizieu, dérive de la même origine (de fara, et mann — homme).


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Plus tard, de nombreux toponymes seront construits à partir de langues régionales (provençal, franco-provençal, occitan, etc.), de dialectes ou de patois (patois forézien pour une partie de notre région), ou de formes archaïques du français : ancien français, moyen français. La langue française moderne elle-même fournira des noms de lieux à la compréhension parfaitement claire (Maison-Neuve, Bellevue, le Grand-Bois, etc.) ; de tels toponymes sont, de fait, assez récents, ou sont la transcription en français moderne de noms en latin ou en vieux français.


Cependant il faut aussi se méfier des « faux amis » : à l’origine, Chambon n’est pas un « champ bon », mais vient du gaulois cambo — courbe, qui désigne une terre située dans la courbe d’une rivière. Mais cette terre ayant été souvent fertilisée par l’apport d’alluvions, elle est alors devenue réellement un « champ bon ».


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L’évolution des noms

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Il est bien connu que les noms propres n’ont pas d’orthographe. Aussi les copistes et cartographes successifs, au cours des siècles, ne se sont pas privés pour modifier à leur guise les noms de lieux.


On chercherait vainement, dans toute la chrétienté, un saint nommé Chamond. Pourtant il existe une ville ainsi nommée. À l’origine, elle portait le nom de sa première paroisse, dédiée à saint Ennemond, sanctus Annemundus en latin. Dans un premier temps, les finales US sont tombées, puis la syllabe centrale NE, presque muette, a disparu aussi. Restait Sanct Amond, devenu dans le parler local Sanch Amond, transformé par agglutination en San Chamond, restitué en français par Saint-Chamond.


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Certains toponymes ont été francisés, le nom latin transformé par son équivalent en français, souvent approximatif.

On peut citer Villa Loria, « le domaine de Lorius », devenu en français Loire-sur-Rhône.


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Certaines francisations sont parfaitement abusives : un copiste a transformé en U le V du nom original, prenant pour du latin un nom qui était déjà en français.

Dans le nom Jurieu, dont la forme la plus ancienne est Giureu, la racine Givr…, forme locale de la vouivre, le serpent légendaire, a été transformée en Giur…, lui-même déformé par la suite en Juri… par transposition phonétique du G doux en J et métathèse (déplacement) du I.


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D’autres noms ont été hellénisés, c’est-à-dire qu’on leur a donné une illusoire tournure grecque, généralement par l’ajout de H et de finales IS.

Thélis-la-Combe doit son nom à la déesse romaine Tellus, personnification emblématique de la Terre, dont on retrouve la trace dans la langue française dans le mot « tellurique ». Par hellénisation, Tellus est devenu Thélis.


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Souvent ces triturations ont fini par donner des noms bien éloignés du nom originel, à tel point que des cartographes qui n’en comprenaient plus le sens les ont transformés en des noms familiers à la consonance proche.


L’île du Bièvre (le castor, en vieux français), francisée abusivement en Bieure, est devenue l’île du Beurre, ce qui ne veut plus rien dire. Même chose pour la Croix de Casarie, entre Seyoux et Ban. Casarie, sainte provençale, étant inconnue dans le Pilat, le nom latin Crux Casariae est devenu Croix du Cerisier. Des toponymes très répandus comme La Celle, qui vient du mot « cellule », signalent une ancienne présence monastique (monastère ou ermitage). Ils sont souvent devenus La Selle, un nom sans doute plus familier mais totalement dépourvu de sens.


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De telles déformations ne sont pas l’apanage des cartographes du passé, nous avons tous noté l’évolution, en bien ou en mal, des noms de lieux sur nos cartes topographiques, selon leur version.


La chapelle de l’Étrat (La Valla-en-Gier) devenue chapelle de Leytra, la Croix de Jean-Marie (près de Saint-Sabin) devenue la Croix de Laurent, puis la Croix de Saint-Laurent. À l’inverse, le Sahara (curiosité des cartes des années 60 – 70) a retrouvé son orthographe ancienne le Sara. Il y a souvent aussi des variantes entre les noms figurant sur les cartes et les noms signalés sur le terrain.


Méthodes et outils de la toponymie

 

            Compte tenu des déformations subies par les toponymes au cours des siècles, la règle d’or de la recherche toponymique est celle-ci : toujours retrouver la forme la plus ancienne d’un nom. Comment ? Il est possible de consulter de nombreux documents aux Archives Départementales (Loire ou Rhône), ou aux archives de la Diana (pour le Forez) :

les terriers, documents établis pour le compte d’un seigneur, recensant toutes les terres d’une juridiction ou seigneurie,

les pouillés (« registres de comptes », en ancien français), documents semblables mais établis par les diocèses ou les monastères,les cartulaires (du latin médiéval chartularium, « archiviste ») établis par les abbayes,

les obituaires (de l’ancien français obit, « trépas »), registres mortuaires des abbayes,

les registres paroissiaux,les actes notariés.À noter que ces documents sont généralement écrits en latin médiéval, et dans une calligraphie bien différente de la nôtre, nécessitant une connaissance de la paléographie.

Pour Pavezin, par exemple, on trouve un pouillé du Lyonnais de 1225 qui cite ecclesia de Plavaisins, c’est sa première mention écrite, révélant la forme orthographique la plus ancienne. Un cartulaire de 1255 parle de la parrochia de Pavaysin : le L a disparu. Le terrier de Châteauneuf de 1405 emploie l’orthographe Paveysins, qui devient Pavesins dans le cartulaire de l’abbaye de Savigny (XVIe siècle), puis Pavesin sur la carte de Cassini (fin XVIIIe siècle).

Un tel travail est certes passionnant, parfois émouvant, mais aussi particulièrement fastidieux. Heureusement, il existe un outil qui s’est déjà livré à toutes ces recherches pour chaque nom de lieu de France, c’est la série des « Dictionnaires topographiques ». Ces dictionnaires existent pour tous les départements français. Ils donnent pour chaque toponyme toutes les formes du nom au cours des siècles, et pour les lieux plus importants est ajoutée une courte notice historique. Pour notre région, il faut consulter le Dictionnaire topographique du Forez et des paroisses du Lyonnais et du Beaujolais formant le département de la Loire, publié en 1946 par J.-E. Dufour.

            Lorsque l’orthographe primitive est trouvée, reste à l’interpréter pour découvrir la signification du toponyme. Ne pas perdre de vue que la mention la plus ancienne correspond à la première apparition écrite du nom, transmis oralement auparavant. Cette orthographe est peut-être elle-même une déformation ! Une bonne connaissance des langues anciennes (latin, grec, celtique, ancien français) ou régionales serait évidemment un atout, mais cela n’est pas à la portée de tout le monde. Là encore il existe des outils bien pratiques, il s’agit de deux dictionnaires dont la publication avait été entreprise par Albert Dauzat, grand spécialiste français de la toponymie. Ils ont fait l’objet de multiples révisions et rééditions par ses disciples et successeurs.

Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, librairie Guénégaud, Paris.

Dictionnaire étymologique des noms de rivières et de montagnes en France, éditions Klincksieck.

            Pour débusquer d’éventuelles dérives phonétiques il ne faut pas hésiter à prononcer les noms à voix haute : des C ont pu être altérés en S, des O transformés en AU, des EN devenir AN, des AI détournés en È, ou l’inverse bien entendu. De même on observe souvent des agglutinations, en particulier pour les noms commençant par D ou par L. Dargoire cache D’Argoire, L’Amour cache La Moure, La Grève pour L’Agrève, etc. On peut citer aussi Bonzieu qui doit se comprendre « bons yeux », c’est-à-dire un lieu élevé offrant une belle vue.

Certaines de ces agglutinations sont récentes, l’exemple le plus significatif dans notre région est Génilac, toponyme composé à partir des noms de deux communes fusionnées : Saint-Genis-Terrenoire et La Cula.

            Il y a aussi les déformations de lettres : des F changés en P, des C en G, des B en R ou en S (ou l’inverse), et d’autres plus difficiles. Sans oublier l’équivalence dans certaines langues anciennes : B = G = V. Un exemple dans la langue française : le latin liber a donné le mot livre mais on retrouve le B dans le mot librairie.

Les dictionnaires cités ci-dessus ne sont pas non plus une panacée universelle. Beaucoup de toponymes tirent leurs origines de la topographie ou de l’histoire locale, des détails que les auteurs de ces ouvrages ne peuvent pas toujours connaître. De même, les noms composés à partir de patois régionaux leur ont souvent échappé. Ainsi La Traverse est interprétée comme le français « traverse », dans le sens de lieu de passage, alors qu’en patois local cela désigne plutôt un lieu exposé au vent d’ouest.

Beaucoup de toponymes peuvent se comprendre de plusieurs façons. Reprenons l’exemple de Pavezin. Si l’on considère comme correcte son orthographe première Plavaisins, on peut la décomposer en Pla Vaisins : Pla, nom très répandu qui désigne un replat de terrain (du latin planum — espace plat), et Vaisins que l’on peut raisonnablement faire dériver du latin vicinum — village. Pavezin est précisément un village établi sur un replat de terrain. Mais si l’on considère que l’orthographe première (avec un L) est peut-être une erreur, vu qu’elle n’a jamais été répétée ensuite, on peut faire venir Pavezin du nom d’homme latin Pavatius, c’est la solution retenue par le Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France. Et pour les anciens du pays de Jarez, Pavezin signifie en patois pas d’vesins — pas de voisins, attribut d’un lieu isolé…

À l’inverse, personne n’a été capable d’expliquer l’origine d’un toponyme comme Maclas, qui reste énigmatique à ce jour…

 

 

Les différentes origines des noms

 

Les toponymes peuvent se subdiviser en deux grandes catégories : la nature (aspects et topographie du lieu), et les hommes (activités, industries, religions, noms de domaines). Nous allons passer en revue, brièvement, les principaux critères à l’origine des toponymes français et plus particulièrement de la région du Pilat, en les illustrant par quelques exemples significatifs (nous ferons généralement l’impasse sur les mots parfaitement clairs et compréhensibles par tous).

 

La nature

 

1. La topographie, l’aspect du lieu, sa situation, son exposition, le climat, le vent

            Commençons par les sommets. D’un croisement du pré-indo-européen et du celtique est né le mot suc –- sommet ou tête, très présent en Haute-Loire, et dans les zones limitrophes du Pilat (Suc des Trois Chiens), également en haute Ardèche. Déformé en Sud, il est à l’origine de la Croix du Sud, près de Sainte-Croix-en-Jarez. Le préceltique vel — hauteur se retrouve dans la Chaux de Veylon. Le latin mons — mont a donné les innombrables noms de lieux commençant par Mont… Le latin cresta a donné le mot français crête et sa forme dialectale « crêt », très répandue dans le Pilat. L’ancien provençal pom — pomme, pommeau, tombé dans l’attraction du mot plomb, a donné le Plomb du Cantal, et plusieurs lieux-dits le Plomb (Tarentaise, Condrieu, etc.).

Ces sommets présentent parfois des particularités ou des formes suggestives, qui se répercutent dans les toponymes. Le latin podium –- sommet isolé est à l’origine de nombreuses dérives dialectales Puy (surtout en Auvergne) et d’autres formes comme Pouay, Peu, Pet, Pin, Pech. Le pré-indo-européen serra — crête allongée, désignait un lieu clos ou bordé par une barre rocheuse ou une ligne de crête. Il est à l’origine du lieu-dit le Serras (1487) transformé par un cartographe bien audacieux en Sahara (années 60 - 70), redevenu plus sagement aujourd’hui le Sara (versant nord de la zone des crêts). La même racine a donné Serrières en Ardèche, et Serres dans les Alpes. Cal – hauteur dénudée ou rocheuse, a donné le bas latin calmis à l’origine du toponyme Chaux (fréquent), et ses dérivés la Chaume, la Chaumeille (Tarentaise), Chaumienne (sous l’Œillon), Chomiol (la Valla-en-Gier), les Hautes Chaumes en Forez, Chalm en Haute-Loire. Le patois forézien mollard –- croupe arrondie (en forme de meule) a donné Le Molard (Chuyer), ou le Molard (Châteauneuf).

            Les creux et les vallées. Le celtique cumba — vallée sèche, a donné le mot français combe, et les toponymes La Combe (très répandus). Ce nom est parfois altéré en Combat : Moulin-Combat, près de Saint-Chamond, ou le Combat, colline près de Rochetaillée ; c’est un exemple d’un toponyme cristallisé en oronyme : la montagne prend le nom de la vallée. En celtique encore, nantos — vallée humide, est à l’origine de toponymes fréquents tels que Nantas (la Terrasse-sur-Dorlay), Pont-Nantin (Izieux), la Mornante (rivière entre la Croix de Montvieux et la Terrasse), le Langonand. Le mot gurges –- gouffre est à l’origine du patois gourg, gour, qui a donné Gourdéza, Gourney (le Bessat). La Travary (le Bessat) est un territoire situé de l’autre côté d’une vallée.

Les plaines ou les lieux plats. Le latin planum –- espace plat a donné Planèze, Planil, Platon (toponymes fréquents), et les nombreux Pla, Plan, Plat, ou même le Flat (Colombier) par déformation du P en F. Le Plâtre a la même origine : ce nom désignait la place d’un village, ou un espace aplani à des fins agricoles, ou encore une montagne au sommet plat : le Plâtre (le Bessat), le Grand Plâtre (au-dessus de Péalussin).

La situation et l’exposition d’un lieu ont aussi donné naissance à de multiples toponymes. L’expression latine Ad directum — en face de, est à l’origine du mot adret, côté d’une vallée exposé au soleil, que l’on retrouve dans de multiples toponymes, parfois dérivé en Adroit. Son contraire est l’ubac, peu usité dans notre région où l’on préfère le terme l’Inversin (Pélussin), les Iversins. Des territoires situés sur la rive d’un cours d’eau se nomment la Rive, nom souvent déformé en Rivoire. La colline de Plaisance, à Saint-Chamond, doit son nom à la vue agréable qu’elle offrait… il y a bien longtemps. D’innombrables toponymes doivent leur origine à une vue étendue, une belle situation : Beauregard, Bellevue, Miribel (du vieux français mirer). À l’inverse, on trouve des noms comme Maupas, Malpasset (mauvais passage), Malleval (mauvaise vallée), etc.

            Un endroit généralement froid donne souvent des toponymes comme la Friaude, le Frioul (Planfoy).
À l’inverse un lieu chaud se reconnaît à des noms comme Côte-Chaude, le Soleil, Manissol (grand soleil).
Les Quatre-Vents, Ventefol, Vent-Fort, Piquavent, trahissent des lieux venteux.

 

2. L’humidité, les sources, l’eau

            Les hydronymes sont généralement formés à partir des mots « eau » ou « source », déclinés dans différentes langues, et d’un qualificatif ou descriptif, plus tardivement d’un nom d’homme. Le préceltique vara — eau a donné le radical gar qui se retrouve dans le Gard, le Garon, la Garonne, et bien sûr le Gier, dont l’orthographe ancienne Gar est à l’origine du Jarez, Garensi en 868, devenu Jarensi en 999. Cette même racine est à l’origine des toponymes Varizière (Véranne) ou Varizier, peut-être Varizelle. Un autre thème préceltique nommait l’eau courante dur, dor, racine que l’on reconnaît dans la Dordogne, la Durance, et dans notre région avec le Dorlay ou la Durèze. Le gaulois dubi — rivière sombre, s’est transformé en Déôme.

            Le patois sagne — source, lui-même tiré du latin sania, a donné de multiples toponymes, parfois accolés à des qualificatifs (Sagnemorte), et souvent dérivés en Sagnettes, Sagnolles. Mais une source se disait le plus souvent une font, du latin fons, à l’origine d’innombrables noms : Fonsala (source salée), Font-Choreyre (source des chèvres), Font-Foy (source des hêtres), Fontgravier (source des pierres), Bonnefonds (bonnes sources). On peut évoquer aussi les formes ri, rif, rio, rieu, tirées du latin rivus — ruisseau, accolées à un qualificatif : Riotord (ruisseau tordu), Riocreux (ruisseau creux), Riofrey (ruisseau frais), etc.

            Un ruisseau qui charrie des boues les jours d’orage se voit souvent attribuer un nom peu agréable mais très parlant : Merdaret, Merdary, Merdanson… Plus subtils sont les noms de ruisseaux comme le Charavoué, le Charavouay, ou l’Écharavay (Chavanay) qui viennent du latin scarabeus, l’insecte qui roule une boule de bouse !

 

3. Les arbres, la forêt, les prairies, la nature du sol

            La présence d’une forêt ou d’un bois, parfois vestiges de la forêt primitive, a donné de multiples toponymes Bois, que l’on trouve aussi sous les formes dialectales du mot : beu, bu, but, bost, bosc (la Font du But, la Scie du Bost), parfois altéré en bœuf (Saint-Pierre-de-Bœuf). La dégradation de la forêt a donné naissance à des brosses, bois taillis avec ronces, d’où les Brosses (fréquent).

            Parmi les essences forestières, le sapin tire son nom du celtique sappo. On le retrouve dans des toponymes comme le Sapt (Saint-Genest-Malifaux), le Sapey ou le Sapée. Le latin pinus — pin a donné le Piney (la Valla-en-Gier).

            Le chêne est présent dans la toponymie sous les diverses versions de son nom. La forme régionale roure a donné le Roule (fréquent) et les Rolles près du Coin (Saint-Chamond). On pourrait citer aussi tous les noms formés à partir des mots latins cassanus (Chasse-sur-Rhône), ou robur, souvent déformé en rouet (Grange-Rouet).

            D’autres arbres ont permis la formation d’un bon nombre de toponymes. Le noisetier : les Aullagnes (du latin avellana, avec francisation du radical latin AV en AU), l’Ollagnière, Ollagnier (déformation phonétique du AU en O). Le hêtre, décliné localement en fayard (du latin fagus) : le Fay, Fouay, Planfoy (plateau des fayards), Malifaux (mille fayards). Le frêne (fraxinum en latin) : Fraisses, la Freysse, Freyssonet. Le bouleau, forme locale besse (du celtique bettu) : le Bessat, le Crêt du Bessy (la Ricamarie), Béchetoile (Burdignes). Le peuplier, nommé localement le tremble (latin tremulus) : Trémolet. C’est souvent la forme locale d’un nom d’arbre qui a formé les toponymes : le verne pour l’aulne, l’agrève pour le houx, l’allier pour l’alisier, le vorze pour l’osier ou le saule, le teil pour le tilleul, etc.

            La forme principale qui désigne une prairie est Prat, du latin pratum. On le retrouve dans des noms comme la Prat, Pralon (pré long), Praroué (pré du roi). Des terres couvertes de ronces ont donné la Ronze (Saint-Jean-Bonnefonds) ou Rossillol. Un garat était le nom donné aux terres incultes, généralement réservées à la chasse. Le nom vient du bas latin warenna — parc à gibier, par permutation du V en G. D’où les variantes synonymes Garenne et Varenne. Maugara (Terrenoire) était un « mauvais garat ». L’Ardière était un lieu aride (du latin aridius).

            Terrenoire doit évidemment son nom à la couleur de son sol riche en charbon. Les toponymes révèlent souvent la nature d’un sol. Le vieux français ardille — argile a donné l’Arzelier (rue de l’Arzelier à Saint-Chamond), les Bonnes Ardelles à l’Horme.

 

4. Les animaux

            La fréquentation d’un lieu par des animaux donne parfois naissance à des toponymes. Le Crêt de la Chèvre était sans doute un lieu escarpé fréquenté par les chèvres. Un lieu où chantaient les corbeaux fut nommé Chantacreux, déformé en Châteaucreux ! Les locomotives y ont depuis chassé les corbeaux…

            La réputation attribuée à un animal se retrouve souvent dans le choix de cet animal comme origine d’un toponyme. Ainsi le crapaud, animal maléfique, attribut des sorciers et des faiseurs d’orages, a donné par sa forme bot (en patois comme en vieux français) le Crêt de Bote, lieu maudit, l’endroit le plus sinistre du Pilat dans les croyances populaires !

 

 

L’homme

 

1. L’activité humaine, la culture, l’élevage, l’industrie

            Beaucoup de terres agricoles ont été conquises sur les bois. Cette opération se nommait essarter. Elle a donné naissance à toponymes comme les Essertines (Rochetaillée). Dans le même ordre d’idée, un champ conquis sur un bois de pins devient Champin (Doizieu).

La présence de biefs, ou saignées d’irrigation, est à l’origine de noms comme les Abialés (petits béals), parfois incompris qui sont devenus les Abeilles. Des retenues collinaires se nomment en patois des écharpies (lieu-dit les Écharpies à la Chapelle-Villars) ou des écherpents : la grange des écherpents sur cette même commune est devenue, par incompréhension du terme, la Grange des Serpents.

Les terrasses de culture se nommaient des chaillés en patois. C’est l’origine du nom Chuyer. Ces terres étaient souvent plantées de vignes, d’où de multiples toponymes les Vignes. Une vignasse était une mauvaise vigne. Un pressoir se disait un treuil, en patois, d’où les multiples toponymes le Treuil, un nom parfois altéré en Vireuil.

La Barbanche était le territoire des brebis, berbis en vieux français. Barbarie équivaut à bergerie.

La présence de mines a donné naissance à des toponymes variés. La Minette (Sainte-Croix-en-Jarez) était une petite mine, pas une petite chatte ! Le dur labeur dont les mines étaient synonymes s’est exprimé par des noms comme Mizérieux (Colombier, Éteize), lieu de misère.

Les ateliers de forges, fabrica en latin, souvent situés à l’écart des villages, ont donné naissance aux innombrables Faverge, Farge, Ferranche, etc.

 

2. Les installations, constructions ou bâtiments (fortification, villa, ferme, moulin, cimetière)

            Il existe dans le parler local un très vieux terme qui est celui de châtelard. Il désigne d’une manière générale toute fortification antique, voire préhistorique. On le retrouve dans la toponymie avec des noms comme Le Châtelard (près du Collet de Doizieu), le Crêt du Châtelard (près de Chavanol). Durant le haut Moyen-Âge il était toujours nécessaire de surveiller son territoire, d’où la présence de nombreuses tours de guets ou postes d’observation. C’est l’origine de toponymes comme Les Tourettes (Dizimieux), Toureyre, ou La Garde, Le Regard.

            La villa, terme latin bien connu, fut d’abord une maison de campagne, puis une exploitation agricole ou domaine rural. On en trouve la trace dans des noms comme Villebœuf (la villa des bois), Villelongue (la villa longue), Villemagne (la grande villa), la Villette, Écuville, etc. Le mot qui prit le sens d’agglomération dès l’époque gallo-romaine est à l’origine du mot français ville. Plus modeste, l’étable à bœufs qui se disait bovaria en latin a donné le nom Borie qui est féminin chez nous et masculin en Provence. La Borie a parfois été agglutinée en Laborie. Le latin jacium a donné le provençal jas — bergerie. Ce mot est à l’origine des nombreuses Jasserie du Forez, du Grand Jas (sous le Crêt de la Baronnette), et de la célèbre Jasserie du Pilat, un terme qui est quand même récent puisque jusqu’au XIXe siècle on a employé exclusivement le toponyme La Grange.

On peut citer encore d’autres mots latins : capanna — cabane, qui a donné Chavanne, Chavanol ; cortem — domaine (latin médiéval), à l’origine de tous les toponymes commençant ou se terminant par court, ou des noms comme La Cour, ou Lacour ; casa — maison, devenu la Chaise.

            Le mot mas date du Moyen-Âge, il désigne un grand domaine agricole. Il est dérivé du latin manere – demeurer, qui a donné aussi le mot maison. Très usité en Provence, on en trouve néanmoins bien représenté dans notre région.

            La présence d’un moulin se reconnaît par les innombrables toponymes « le Moulin… ». Ce mot est parfois remplacé par des termes moins évidents comme la Roue, le Battant (Battant-Froid près de Pélussin), le Maillot (Izieux). La proximité d’un moulin pouvait parfois donner lieu à des nuisances, exprimées par des toponymes comme Nuzières (de l’ancien français nuisement). Dans le même ordre d’idée, le Nez (près du Bessat) était un routoir, un lieu où l’on faisait rouir les fibres textiles, ce qui dégageait une odeur peu agréable.

            Les lieux où l’homme enterrait ses morts ont aussi donné naissance à des toponymes, souvent imagés comme le Paradis, Martoret (le champ des martyrs), les Fosses (le Bessat).

 

3. Les passages (route, chemin, carrefour, embranchement, péage, aqueduc)

            Les Romains furent les premiers à aménager en Gaule un réseau de communications structuré et entretenu, même s’ils ont souvent réutilisé des chemins gaulois. Le mot via — voie, route, se retrouve souvent dans des toponymes comme la Vée (Haute-Loire), la Vialle, le Viallon, qui ont donné le vieux français viol, violet (Cotaviol = côte à viol), souvent altéré en vieux (la Croix de Montvieux) ou en Violette. Le latin strata — voie pavée, est à l’origine des nombreux noms l’Étrat ou Leytra, peut-être Ratarieux (Saint-Priest-en-Jarez) qui serait strata rieu, passage (gué) d’une route sur un ruisseau.

            Une bifurcation à trois voies était un trève, du latin tri vium — trois voies. C’est l’origine de Trèves, Croix du Treyve, Trève du Loup, etc.

            Concernant la toponymie propre aux voies romaines, le sujet sera plus largement abordé lors de l’exposé prévu sur ce thème.

            Qui dit route dit aussi souvent péage, un droit perçu notamment à l’époque médiévale, à l’origine du Péage-de-Roussillon, poste de péage des seigneurs de Roussillon. Le hameau de Soulages, qui a donné son nom au barrage, était l’endroit où l’on était « soulagé » de ses deniers. La Barollière, maison forte sur les hauteurs de Saint-Chamond, marquait le point de péage sur la route entre Saint-Chamond et la vallée du Rhône. Son nom vient du vieux français barrel – barrière, dans le sens d’octroi. À proximité, Vigelon était sans doute un poste de vigie, chargé de la surveillance. Mais des petits malins parvenaient toujours à éviter les péages grâce à des itinéraires permettant de court-circuiter le tracé normal. Pour éviter la Barollière, les fraudeurs montaient par le hameau de Bayolle, qui vient du latin bajulus — porteur de fardeaux. Puis ils franchissaient la montagne au col de Trente Sous, déformation de Trente Sauts, car, disaient-ils, « cela ne nous coûte que trente sauts » (sans doute par jeu de mots avec les trente sous réclamés au péage).

            Les ponts ont vu souvent naître des agglomérations autour d’eux. Ces villages prenaient naturellement un nom né de la présence de ce pont. Le latin pons a donné les multiples toponymes commençant par le préfixe pon, pons, pont. Moins évident est le mot gaulois briva, à l’origine des nombreux Brive, de Brioude ou de Briolles.

            Le passage d’un aqueduc laisse souvent des traces dans la toponymie. Des noms comme les Arcs ou Arçon révèlent la présence d’arches, même si celles-ci ont disparu. L’Arcelet doit se comprendre « l’arc seulet », arc isolé.

 

4. La religion (divinités, cultes, vie monacale, le saint honoré)

            Des lieux de cultes où les hommes honoraient leurs dieux, il ne reste bien souvent que le nom. La mythologie celtique se cache derrière un bon nombre de toponymes. Borvo, dieu des sources et des eaux bouillonnantes, a donné La Bourboule en Auvergne, et dans notre région Bourbouillon (Rive-de-Gier), Bourbourey (Roisey). Groselos, esprit des eaux et des lieux humides, a permis de nommer la source du Groseau en Provence. On le retrouve aussi dans le Pilat près du Tracol, par le lieu-dit Groselarey. C’est une divinité souvent christianisée, qui se cache derrière Notre-Dame des Groseilles, honorée en Haute-Provence. Taranis, dieu du tonnerre, a donné son nom au ruisseau du Ternay, ou à Tarentaise. Fur, dieu des voleurs, est peut-être à l’origine du Furan, rivière dont les crues emportaient les récoltes des riverains, mais l’histoire est sans doute trop belle pour être vraie…

            La mythologie gréco-romaine a laissé des traces semblables. Jupiter, surnommé Jovis, était toujours honoré sur un sommet. Il a laissé son nom au Montjoin (Rive-de-Gier), au Plomb de Joux (Châteauneuf), à Montjoux (Saint-Michel-sur-Rhône). Janus, dieu aux deux visages, a donné son nom à la rivière Janon, qui longe un temps la ligne de partage des eaux, et semble donc regarder les deux bassins versants de l’Atlantique et de la Méditerranée. Un bois sacré se disait en latin lucus, mot qui a subi l’attraction de lupus — loup, pour donner le Creux du Loup, la Font du Loup, le Pet du Loup…

            D’innombrables toponymes se réfèrent à la religion chrétienne, soit par la présence de moines ou d’ermites que l’on retrouve dans des toponymes comme La Celle, Les Monges, Lemoine, soit par le vocable de la paroisse honorant un saint particulier, devenu le nom de la commune. Très souvent, une paroisse située à la frontière de plusieurs diocèses n’est pas consacrée à un saint mais à Jésus-Christ, sous des vocables comme Saint-Sauveur ou Saint-Christol (Provence). Un « faux ami » : Saint-Christo est la variante locale et patoisante de saint Christophe.

 

5. Les termes propres à la législation féodale

            Certains lieux gardent le souvenir d’une terminologie propre à la féodalité. Ainsi la vallée du Ban était un territoire frappé d’interdictions spéciales du seigneur du Toil, sans doutes relatives à la chasse. Une telle réserve de chasse s’exprimait aussi par le vieux provençal devesa, du latin défensa — défense, dans le sens d’une interdiction. C’est l’origine des toponymes comme le Devey, Bois d’Avaize (Daveyses en 1454), Dovezet (Burdignes). Une terre proche du château, réservée au seigneur, était nommée en latin médiéval condominium — près du seigneur. C’est l’origine des multiples Condamines, un nom très répandu en France. Seul le seigneur avait le droit de posséder un colombier ; des toponymes comme Colombey ou Colombier marquent la terre où il s’élevait.

Parfois le seigneur faisait don de quelques mauvaises terres à ses serfs, cette opération se nommait un abénévis. Il en est resté des toponymes comme les Bénévis (Bourg-Argental), mais c’est un nom parfois déformé en Bonnevie. Il existait des territoires occupés par des communautés de pariers (hommes égaux, tous « pareils »), qui se partageaient les maigres ressources de ces champs. C’est l’origine des toponymes comme les Communaux (Doizieu) ou les Égaux (Izieux). Un arrière-fief possédé par un vassal a donné naissance à des toponymes comme Vasseras (la Valla-en-Gier).

            Les condamnés à morts étaient exécutés à l’écart, souvent sur un lieu élevé et exposé, pour que la vision des gibets ou fourches patibulaires ait aussi un caractère dissuasif. Le Crêt des Vieilles Fourches (Izieux – n’apparaît plus sur les cartes) doit ainsi son nom à la présence des fourches patibulaires. De même Chaubouret (Chaulborel en 1530) est la « montagne du bourreau ». On peut citer encore la Croix du Pendu (la Terrasse-sur-Dorlay), ou le Rocher des Pendus (Malleval).

 

 

6. Le nom de l’homme propriétaire du domaine

            Beaucoup de toponymes doivent leur origine au nom de l’homme, ou de la famille, qui posséda ce lieu à une certaine époque. La forme du nom, et particulièrement son suffixe, nous renseigne sur son époque d’origine.

            Les noms de domaines romains ou gallo-romains étaient construits à partir du nom du propriétaire, suivi du suffixe acum — domaine de. Cet acum a donné les suffixes en ac, en particulier en Haute-Loire, en gny, et en ieu dans notre région. Les noms en ieu se sont vus tardivement attribuer un X final injustifié. On peut citer en vrac : Cellieu (Celliacum — domaine de Cellius), Izieux (Usiaco en 984, francisation de Visiacum — domaine de Visius), Doizieu (Doiciaco en 812, de Duatiacum — domaine de Duatus), Virieu (Castrum de Viriaco en 1307, de Viriacum — domaine de Virius), Jonzieux (Iunsiaco en 1183, de Iunsiacum — domaine de Iunsus ou Junsus), etc…

            À une époque plus récente, les noms de domaines ont perdu l’usage du latin pour se former sur le nom du propriétaire ou de la famille, précédé de l’article « la », et suivi du suffixe arie, erie, qui s’est très souvent changé en ière depuis le XVIe siècle. Dans la montagne, ce suffixe est souvent devenu enche, anche. Ailleurs il a pu évoluer en ade. Ces toponymes sont eux aussi innombrables : la Berlière (domaine et berceau de la famille Berlier), la Bonnetanche, ou la Bonnetarie, (domaines des Bonnet), la Bouchardière (du nom germanique Bouchard), la Chabure (du patronyme Chabut, surnom d’homme à grosse tête), la Galetière (du nom de famille Galet), la Guillaumade (domaine de Guillaume), l’Héritarie (domaine de la famille Héritier), la Montanerie (d’une famille Montagne ou Montagnier), la Perrotière (propriété des Perrot), la Philippière (de la famille Philippe), la Ravacholière (famille Ravachol, surnom de cultivateur signifiant « rave –chou »), etc. etc.

Mais il y a aussi des exceptions à cette règle. Certains toponymes par exemple relèvent d’un jeu de mots. Ainsi la Jurarie (Longes) doit se décomposer en juris aria, en latin : autel du droit, car elle fut la propriété des Choul, famille de juristes et magistrats lyonnais. Il faut noter que les noms en arie, erie ont tendance aujourd’hui à prendre un Y final.

 

 

En conclusion, si la toponymie rend de grands services aux historiens, aux archéologues, ou d’une manière générale à tous ceux qui cherchent à comprendre leurs racines, il ne faut pas oublier qu’elle n’est pas une science exacte, loin de là. Un même nom peut donner lieu à plusieurs interprétations, ou au contraire rester obscur. Parmi les exemples cités ci-dessus, certains peuvent se prêter à d’autres analyses. Les ouvrages spécialisés ne donnent souvent qu’une indication, il faut aussi faire jouer le bon sens et la logique.




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Retrouvons à présent notre nouvel invité, notre ami Guy Bonnard



D’une humilité parfois touchante, Guy Bonnard ne possède pas moins de réelles compétences sur la Chartreuse de Sainte-Croix dont peu pourrait faire état. Originaire de Rive-de-Gier, très jeune, « gamin » comme il le dit lui-même, il déambulait déjà dans les recoins de l’ancien couvent qu’il a si bien su apprivoiser. Guy impose une confiance naturelle et sait se montrer toujours chaleureux, cordial et serviable. Avec de tels atouts, il ne peut que cultiver de solides amitiés. Il aime aussi le chant et fait partie de la chorale des 4 Vents, comprenant les villages de Trèves, Longes et des Haies. Homme de terrain et de bon sens, il a perfectionné au fil du temps ses connaissances sur le vieux monastère, mais aussi sur de multiples Domaines qui appartenaient aux Chartreux. Le Pilat est par conséquent son vaste jardin, qu’il visite paisiblement, en étant par la force des choses paysagiste de formation. Aujourd’hui, à la retraite, c’est un homme très occupé. Les dernières années de sa carrière professionnelle, il a exercé avec talent et autant de passion, le métier de Guide touristique au service des visites guidées proposées à la Chartreuse. Très fidèle et généreux, doté d’un remarquable sens pratique et historique, nous le considérons comme un précieux serviteur de ce passé.
 




1/ Bonjour Guy, c’est un grand plaisir de vous retrouver ; vous avec qui nous avons tant partagé par le passé. Pour commencer, nous aimerions savoir quand et comment vous avez compris que votre ferveur marquée vous unirait durablement à ce site admirable ?

 

Je suis né en 1947 ; concernant Sainte-Croix, j’ai des souvenirs qui remontent à 1956 ! Elève à l’école primaire privée à Rive-de-Gier, nous effectuions régulièrement des sorties avec nos enseignants. Les aqueducs romains, principalement le tronçon de Chagnon et bien sûr la Chartreuse de Sainte-Croix, s’inscriront définitivement dans ma mémoire comme les images les plus marquantes de cette époque. Les années qui suivront, je ne tarderai pas à revenir à Sainte-Croix ; Louveteau puis Scout, ce lieu restera alors longtemps un formidable terrain de jeux pour moi. Cet espace gigantesque pour mes yeux d’adolescents, offrait des variantes heureuses. C’était le temps des copains, celui des escapades en multiples recoins de la Chartreuse. Je me souviens aussi des messes auxquelles on assistait régulièrement. Sans m’en rendre compte en ces moments-là, je me suis beaucoup imprégné de Sainte-Croix, dès cette époque.

 

2/ Vous avez jeté votre dévolu en généralisant votre soif de connaître à l’ensemble du patrimoine des Chartreux de Sainte-Croix. Jurieu, demeure à proximité du couvent ; les Pères y furent possessionnés. Avez-vous une explication visant à justifier le surnom peu courant, attribué à une époque inconnue à la chapelle du 12ème siècle, dite des fous ?

 

Comme beaucoup je suis tenté d’avoir l’oreille tendue vers une certaine tradition populaire, mais dont on n’est pourtant en rien certain qu’elle soit la juste explication. Il est répété que le site bien mystérieux des Roches de Marlin, peut-être mégalithique et déclaré par certains presque jusqu’à maléfique, pourrait dans un temps très, très ancien avoir incité les populations des environs à répandre une sorte de légende. Cette dernière parle à mots couverts en disant que ceux qui s’endormaient sur la Pierre qui Chante (un bloc bien connu, voire célèbre, de micaschiste appartenant à ce site) pouvaient se réveiller « fous » ou bien fatigué. Redescendant dans la vallée, ils se seraient directement rendus à la chapelle la plus proche, en l’occurrence celle de Jurieu, pour y trouver la guérison. C’est une explication que je connais depuis longtemps, comme bien des gens, maintenant dire que je la partage, il y a un pas que je n’ai jamais pour tout dire franchi.

 

En revanche, j’ai une réflexion plus personnelle, mais qui n’apporte pas néanmoins une réponse et encore moins une certitude expliquant cette appellation parfois évoquée de la chapelle des fous. Cet édifice chrétien est placé sous le vocable de Sainte Brigitte et il y a un intérêt à mes yeux, à s’interroger ici sur l’origine de Ste Brigitte. On connaît l’ancienneté de la chapelle de Jurieu, tout au moins des textes anciens prouvent qu’elle existait déjà vers l’an 1000. Maintenant a-t-elle toujours eu ce même vocable ? Je me suis demandé si des confusions n’ont pas pu s’installer en des périodes indéterminées et donc à propos de la Sainte Brigitte à retenir. En suivant ce raisonnement et en ayant à disposition de ma réflexion au moins trois Brigitte, je me suis interrogé plus avant sur Sainte Brigitte de Suède. Cette dernière a vécu au 14ème siècle (1303-1373) et elle prodigua de nombreux soins au cours de sa vie, ceci en plus d’avoir été une Sainte dont la vie reste marquée de nombreuses révélations et de visions. Ces facultés à soigner, me feraient dire avec prudence que ces soins administrés aux possédés peuvent ou plutôt pourraient justifier l’appellation chapelle des fous accolée au vocable Sainte Brigitte de cette chapelle, mais ce n’est qu’une remarque et non une explication.

3/ Les Chartreux de Sainte-Croix acquérront de nombreux biens immobiliers au 17ème. En 1656, le Prieur Dom Gilibert achète la terre dite du Château sur Longes. La forme polygonale de sa tour principale, lui vaudra le nom de Grand Torrepane. Pas loin de celui-ci, existait le Petit Torrepane. Que savez-vous de cette propriété qui entre dans l’oubli ?

 

Le Petit Torrepane doit très probablement son nom au fait pratique que ce site était tout simplement contigu au Grand Torrepanne (700 mètres à vol d’oiseau de constructions à constructions). L’emplacement exact des constructions pose néanmoins et justement un questionnement ; il provoque un intérêt, une curiosité, sur l’endroit exact où le corps de bâtiments prenait place au Petit Torrepanne. Les données théoriques laissées par les auteurs anciens sont devenues approximatives peu éloigné de la Durantière (pour ceux qui voudraient le visualiser sur une carte, elle est notifiée). A-t-il réellement et complètement disparu en 2012 en terme de constructions ou de bâtiments (fondations en l’occurrence) ou bien au contraire les indications chiffrées que l’on n’interprète plus forcément avec la justesse nécessaire font qu’il serait tout simplement la ferme qui se trouve juste au-dessus de cette même Durantière ? Je ne l’exclus pas et je me suis même replongé dans ce questionnement ces derniers temps.

 

4/ Restons sur Longes. Il est courant d’entendre que les Pères de Sainte-Croix auraient possédé La Jurarie, une propriété dont le cachet vieillissant laisse encore transparaître une élégance d’antan. Les du Chol ou du Choul (illustre famille) sont rigoureusement liés au passé du Château. Pouvez-vous nous éclairer sur ce qu’il en fut des Chartreux ?

 

Il est parfois répondu spontanément et de bonne foi mais bien alors à tort, que la Jurarie aurait appartenu aux Pères Chartreux de Sainte-Croix. Ils n’en furent pourtant jamais les propriétaires. L’ouvrage précis et documenté, publié par Marcel Boyer en 1988, consacré aux Chol et aux origines de Longes d’après un manuscrit de l’abbé Grandjean, curé d’Echalas et de Rive-de-Gier de 1910 à 1942, est là pour nous donner toutes les informations attendues. On y retrouve peut-être même l’explication de la confusion qui pousse certains à se tromper car « …Flory de la Motte vendit aux Chartreux de Sainte-Croix la dîme de Colombet qui appartenait au fief de la Jurary, le 3 août 1662… ».

 

Il m’est indépendamment donné l’occasion de déplorer et d’être surtout attristé devant les dégradations du bien merveilleux de la Jurarie, usé par des siècles mais qui avec des moyens et peut-être des aides financières (conséquentes ?) pourrait retrouver quelques couleurs et au moins bénéficier de rénovations devenant salutaires ; oui pendant qu’il en est encore temps. Je referme ma parenthèse en gardant un espoir.

 

5/ Les moines et le village de Farnay ont partagé une longue histoire. Vous êtes bien placé pour le savoir. Ils y furent possessionnés dès la fin du 14ème siècle avec certitude.

Attardons-nous entre autres sur le Domaine d’Antouilleux. En voisin, avez-vous aussi des anecdotes ou des bribes issues de la mémoire collective à nous apprendre?

 

Oui, il est vrai que je réside au beau milieu d’un ensemble géographique où nombreuses propriétés furent anciennement celles des Chartreux ; un vaste territoire étiré sur des kilomètres et de tout côté. Antouilleux pour la petite histoire n’est pas un Domaine au 14ème siècle, mais une grange chartreuse ; il existe encore un écrit de 1381 qui le prouve. On assimile d’ailleurs facilement aussi des possessions cartusiennes de Farnay à celles de Rive de Gier et réciproquement, car c’est mêlé et entremêlé ; on peut même y ajouter Lorette. C’est pourquoi je m’avance sans m’avancer, à parler d’un tout conséquent. Le Reclus (pas moins que l’ancien nom de la commune de Lorette) conserve encore un pré chartreux en 1790. Le Marthoret et Roche Abert, deux autres gros territoires chartreux furent acquis en même temps et ce au 17ème siècle. Ces deux Domaines historiques s’étendaient respectivement sur Rive-de-Gier et Farnay, mais en ce qui concerne le second, seulement sur Farnay. Antouilleux, associé à ces trois autres propriétés, forme un ensemble d’activités disparates et restées productives dans les mémoires transmises au travers des générations. Les fruits (pommes, poires, pêches), les moutons et les chèvres, sans oublier la vigne et peut-être mêmes des forges au Marthoret, on comprend alors que sur un petit secteur finalement et en relativisant l’échelle, se concentre beaucoup d’activités dont les Pères Chartreux demeuraient les propriétaires. Justement, il est vraisemblable que des Frères venaient ou restaient même régulièrement sur place, afin de s’employer à de durs labeurs, car ils en avaient l’habitude et là les besoins étaient importants. Antouilleux pour vous repérer sur une carte, c’est vraiment tout proche du village même de Farnay, alors qu’à l’opposé Le Marthoret commence tout au bas de la vallée, juste au-dessus de la gare de Rive-de-Gier. Oui, il y a eu très tôt (moins d’un siècle après la fondation, voire peut-être toujours pourquoi pas ?) des Chartreux de Sainte-Croix propriétaires sur Farnay ; Antouilleux en restant encore en 2012 le plus vieux souvenir connu.


6/ La Chartreuse aurait été précédée d’une place forte ; nous n’allons pas entrer ici dans une réflexion visant le haut moyen-âge. Beaucoup plus rare, il arrive d’entendre parler d’antiquité au sens propre du terme en rapport au lieu. Guy, avez-vous personnellement des indices à votre disposition qui nous ramèneraient carrément à l’époque romaine ?

 

Vous ne me posez pas cette question au hasard, car il est vrai que par le passé je vous ai évoqué plus ou moins le sujet. Effectivement, j’ai accordé du crédit aux dires d’un habitant de Sainte-Croix qui m’avait indiqué dans les années 1980 avoir trouvé des pièces romaines. Celles-ci furent découvertes quelque part sur la petite colline qui surplombe la route au-dessus de la Guilleranche, le ruisseau qui coule en direction de l’ancien moulin. Cette donnée n’entraîne pas pour autant d’interprétations qui pourraient plus avant valider un passé et surtout un vécu romain sur ces lieux ou ces environs directs. Je n’ai rien à ajouter ici sur cette époque très ou bien trop éloignée.

Guy, nous vous remercions.



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