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JUILLET 2025


ENTRETIEN-INTERVIEW



VICTOR LEPOINTE


 




Percer dans le domaine de la Bande Dessinée à l’échelle nationale, n’est pas chose simple. Avec Victor Lepointe, nous avons la chance dans le Parc Naturel Régional du Pilat d’avoir un dessinateur qui vit de son travail et qui a réussi à sortir du lot comme on dit. Depuis un certain nombre d’années, son nom commence sérieusement à être connu et même reconnu dans le monde de la BD. Les éditeurs le suivent et son talent n’y est pas étranger. C’est une chance d’avoir pu le rencontrer, lui qui est très occupé par ses diverses réalisations et plus largement par une vie bien remplie, que nous vous proposons maintenant de mieux découvrir. C’est dans son atelier que Victor a bien voulu nous accorder du temps, lui qui possède une personnalité, ouverte, généreuse et particulièrement conviviale.

 

















1/ Les Regards du Pilat : Bonjour, Victor et bienvenue sur nos colonnes. Vous possédez ce que l’on appelle un bon, voire un très bon coup de crayon. Vous êtes dessinateur de Bandes Dessinées. Quelle est votre formation initiale pour être en mesure aujourd’hui de pouvoir vivre de vos compétences ?

Victor Lepointe : Bonjour, et merci pour cet entretien.

Je n’ai pas de formation artistique, à proprement parler.  Je n’ai même jamais pris de cours de dessin, tout juste suivi les conseils d’un magazine sur les beaux-arts disponible à l’époque dans les rayons d’un magasin de bricolage. C’est pour dire… Par contre, j’ai toujours dessiné. Le dessin est essentiel à ma vie et m’a toujours accompagné, partout où j’allais, il me fallait une boite de crayons et des feuilles de papier, beaucoup de papier.

J’ai eu une scolarisation normale jusqu’au bac. S’en est suivi une errance estudiantine qui m’a fait passer du lycée militaire d’Autun à l’IUT de Carcassonne. J’ai obtenu un DUT en Techniques de Commercialisation en 2007. Je savais que je n’avais aucun avenir dans le domaine mais ce diplôme me permet aujourd’hui d’avoir une vision assez claire de ce qu’est le commerce, notre monde pour ainsi dire. On y reviendra surement. Enfin, j’ai suivi une formation accélérée pour devenir infographiste 3D.

Rien de très cohérent dans cette « formation », si on peut l’appelait ainsi. Je parlerais plutôt de « parcours » chez un adolescent à qui on a expliqué si souvent que le dessin n’était pas une fin en soi, et étrangement, je leur donne plutôt raison aujourd’hui. Je m’explique.

Même si il existe des écoles d’arts, voire de « bande-dessinée », je ne pense pas qu’il existe réellement de formation, pour exercer ce « métier », si il en est un. Il faut avoir un bagage, culturel, émotionnel, fait d’expérience et de rencontres parfois.

J’ai par exemple beaucoup appris auprès d’un collègue qui avait fait une école de cinéma, véritable encyclopédie vivante du 7ème art. Comment cadrer, comment éclairer, comment regarder… Se nourrir d’une image, savoir comprendre et utiliser les codes. Pas un cours donc, mais des centaines d’heures d’échanges et de camaraderie.
J’ai longtemps étudié la peinture, dans mon coin, celle que j’admirais et celle qui me dérangeait. J’avais sans doute besoin de me perdre pour mieux me retrouver ensuite. Cette expérience hasardeuse, mais dans le sens noble du terme, est en soi la meilleure des formations, je le pense, car elle nous appartient. Elle définit peut-être ce qui sera notre « style », notre propre vision du monde.

 

2/ Les Regards du Pilat : Avant de voler de vos propres ailes, c’est-à-dire travailler actuellement à votre compte, avez-vous eu un autre passé professionnel et si oui, lequel ?

Victor Lepointe : J’ai travaillé une dizaine d’année pour l’architecture dans une agence lyonnaise. Rien de très passionnant pour moi qui n’est jamais apprécié le béton et la construction. J’ai considéré ça comme un mal nécessaire, presque alimentaire. Je suis beaucoup moins sévère aujourd’hui, au regard de l’expérience acquise. Ce métier m’a appris la rigueur, le pragmatisme et l’efficacité. On fait de l’image comme un technicien et non comme un artiste. Les grandes visions d’architectes sont le plus souvent réduites à leurs plus simples expressions, maintes fois contraintes par des exigences financières et politiques. Cela m’a appris l’humilité et le devoir de satisfaire une volonté qui n’était pas la mienne. En somme, apprendre à faire vite et bien, tenir les délais coûte que coûte, jusqu’à épuisement, pour plaire à un client qui a le pouvoir de celui qui paye. On est loin, très loin, d’une vision d’artiste au grand cœur.
L’arrivée d’un premier enfant a précipité mon désir d’émancipation. J’ai débuté une activité indépendante en 2018, en continuant ce travail d’infographiste 3D. Ce choix m’a permis d’avoir du temps pour travailler sur mes propres projets ; sortir un deuxième livre en 2021 et envisager une bascule, chez un gros éditeur, en tant qu’auteur-dessinateur à temps plein en 2022.

 

3/ Les Regards du Pilat : Le secteur de la Bande Dessinée où vous avez réussi à percer, reste un milieu difficile. Quels conseils donneriez-vous à celui qui voudrait se lancer ?

Victor Lepointe : Tout d’abord, ce serait prétentieux de vouloir donner des conseils, les parcours sont tellement différents... Comme je l’ai dit avant, c’est peut-être cette « expérience » qui est nécessaire, et que les jeunes oublient trop souvent. Savoir se nourrir de choses et d’autres, être curieux, observer, ne pas hésiter à se tromper et recommencer, se fabriquer son « background » comme on dirait en bon français. C’est un peu vague mais tellement important.

Il faut aussi être réaliste et conscient des réalités. La Bande-dessinée est et restera un objet commercial. La définir autrement, c’est se méprendre. La réalisation d’une BD s’inscrit dans un processus entrepreneurial où l’auteur n’est qu’un maillon de la chaîne. Il faut se rendre chez un éditeur pour le comprendre. Il y a un secrétariat, un service éditorial, commercial, administratif et j’en passe... sans compter les acteurs externes comme l’impression, la logistique ou la diffusion. Il faut entrevoir en filigrane l’ensemble des acteurs qui séparent l’auteur d’un lecteur. Et pour entretenir la « bête », il faut de l’argent, beaucoup d’argent.  Il faut au minimum 40 à 50 000€ pour sortir un livre avec l’espoir d’être lu.

Pour réussir à être auteur de bd, il faut donc être conscient que notre travail répond à une attente commerciale. Pour cela, il faut être suffisamment solide techniquement pour assurer un travail propre, de qualité et surtout, surtout, dans des délais acceptables et respectés. La première chose que demande un éditeur à la signature du contrat, c’est la date de remise.

Cet écueil est souvent négligé, voir ignoré par de jeunes dessinateurs qui se voient comme des artistes au long cours et pourtant, le temps de production est la donnée essentielle, pour ne pas dire la seule qui vaille pour survivre dans ce métier. Dans le cas d’une avance sur droits, ce qui est la norme, on est payé à la planche donc la mécanique est facile à comprendre. Plus on fait de planches, plus on est payé. Si on est trop lent, on sera obligé de prendre un boulot à côté, et donc on sera moins rapide et donc on sera encore moins payé… il faut donc être suffisamment rapide pour tenir la barre. C’est pas plus compliqué.

Vous allez me dire, ça dépend du style. Oui, évidemment ! Il faut donc avoir un style graphique qui nous convient mais qui nous permet aussi d’avancer à un rythme acceptable et maitrisé. Rien ne sert de faire une fulgurance sur une planche si on n’est pas capable de la reproduire autant de fois qu’il le faudra. Un album de bd, c’est long, très long et il faut garder cette sacro-sainte cohérence d’un bout à l’autre, que ce soit sur les couleurs, les personnages, les décors, etc…   

En définitive, il faut être endurant ; maitriser la technique pour s’assurer d’avancer à un rythme constant, sans se fatiguer et se perdre en cours de route.

 

4/ Les Regards du Pilat : Lorsque l’on regarde attentivement vos œuvres, nous croyons reconnaître le savoir-faire d’un artiste. Pourtant et apparemment vous vous qualifiez plutôt d’artisan. Quelle est la frontière entre les deux, pourquoi vous définissez-vous ainsi ?

Victor Lepointe : Merci, mais ma définition de l’artiste est un peu différente. Pour moi, c’est quelqu’un qui pratique son art avec un tel brio qu’il parvient à rompre les codes, à imposer sa propre vision, à nous faire réfléchir. Son Art, son but, se suffit à lui-même. Il n’est pas dépendant d’une logique commerciale ou du moins, feint de l’ignorer. Il n’est pas non plus contraint par le temps. Peu importe finalement, c’est l’œuvre qui prime. Il a le pouvoir de celui qui impose son talent et est reconnu pour celui-ci.  Il peut même choquer ses contemporains et être adulé post-mortem ; les exemples sont nombreux.

Pour toutes les raisons que j’ai énumérées auparavant, la bande -dessinée est à cent lieues de cette vision de l’Art.  On parvient peut être à faire de l’Art ou le croit-on, mais à la manière d’un artisan. Dans le bon sens du terme j’entends, sans dénigrer, bien au contraire. Parvenir à la quintessence après un travail laborieux et soigné. Reproduire les mêmes gestes, déployer un savoir-faire acquis avec le temps, et savoir terminer un travail dans la douleur le dos courbé, littéralement. Se voir comme un artisan, c’est aussi reconnaitre la réalité de ce métier ; En définitive, l’œuvre n’est pas exposée, même si elle peut l’être parfois mais ce n’est pas son but. Elle est produite et reproduite à grande échelle pour des clients, de simples clients.

L’achat d’une bande-dessinée se décide en général en moins de 3 secondes, à la seule vue de la couverture, quand l’album aura la chance de disposer d’une bonne mise en place, dans un marché de plus de 5000 nouveautés par an. Tout est dit.

Bien sûr, on peut vouloir faire de l’Art, en ignorant totalement la réalité du marché. On prendra aussi le risque de ne pas être vendu et donc de ne pas être lu. Bien souvent, les auteurs atteignent ce graal au bout d’une carrière richement fournie. Alors, l’expérience parle pour eux et les éditeurs sont prêts à les suivre sur des projets plus artistiques, en sachant pertinemment qu’ils vendront de renom. Le chemin est encore long me concernant…

5/ Les Regards du Pilat : La Grande Guerre de 14/18 paraît indéniablement vous avoir marqué. On croit même reconnaître, chez vous, une véritable passion pour ce sujet. Comment est né votre intérêt pour cet événement notoire du vingtième siècle ?

Victor Lepointe : Je suis né dans la Marne. Mes parents m’ont emmené, comme beaucoup d’enfants, visiter le champ de bataille de Verdun. Je suis revenu totalement bouleversé.

J’ai grandi avec ça, en parallèle de mon goût pour le dessin.  Alors quand j’ai décidé de m’essayer à la BD, le sujet s’est très vite imposé. J’avais des choses à dire, à montrer surtout. J’étais hanté par ces visions de tranchées, de souffrances et d’injustices. Je voulais aussi un sujet original et mon choix s’est arrêté sur les combats en Alsace, très peu exploités. Ce fut La Guerre des Loups, sorti en 2017. Ce premier livre, embryonnaire, ne m’avait pas permis d’aller au bout. J’ai donc décidé de faire un livre sur les premiers jours de la guerre, chez moi, dans la Marne ; un livre très personnel en fin de compte, que j’ai voulu plus fourni, plus abouti, davantage philosophique, pour faire réfléchir sur ce qu’était réellement la guerre.

J’ai terminé Après l’orage au moment du Covid ; La longue et interminable commémoration du centenaire m’avait fatigué et puis la guerre en Ukraine est arrivée. Dès lors, je crois que j’ai pris mes distances avec le sujet. J’y reviendrais peut-être mais il me faudra du temps pour digérer et pour tout dire, cette passion contemporaine pour le militaria et plus largement la reconstitution historique, dans ce qu’elle porte d’adorateurs et de fanatiques, le plus souvent ignorants il faut le dire, me répugne et m’interroge. En tout cas, ce n’est pas ma vision de l’Histoire...    

Ceci étant, ce début de siècle est fascinant, cette belle époque où tout semble être possible, ces personnages étonnants, ces artistes inspirants ; Klimt, Mucha, Schiele pour ne citer qu’eux. Finalement, c’est peut-être ce monde aujourd’hui disparu, qui a péri dans les tranchées de 14, que j’aime tant et que j’essaye de ressusciter. 

 

 

6/ Les Regards du Pilat : Originaire de la Marne donc, vous êtes installés dans le Parc Naturel Régional du Pilat. Ce dernier est-il une source d’inspiration dans votre travail, ou futur travail ? Etes-vous imprégné de l’Histoire du Pilat à proprement parler ?

Victor Lepointe : Non. Pour être tout à fait franc, je connais peu de choses sur l’histoire du Pilat. Notre installation ici s’est fait un peu par hasard mais on est tombés amoureux de la région. Dans tous les cas, ça se sent, c’est une véritable terre d’histoire ! De sa nature gauloise, son importance au Moyen-Age, en passant par ce qu’il se passa ici pendant les guerres de religions ou plus récemment avec la résistance…

Mais il y a un lieu qui m’intéresse plus particulièrement ; il s’agit de l’Hôtel Brûlé. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai toujours eu un intérêt pour ce qui n’est plus, pour les ruines. Peut-être pour le goût de l’enquête, pour l’envie de ressusciter un lointain passé. J’ai longtemps fait des fouilles, adolescent, au fort de Troyon, dans les Hauts-de-Meuse. Ces lieux, laissés à l’abandon, sont toujours mystérieux et intrigants. On a envie d’en savoir plus. Cet Hôtel du Mont Pilat, perchés sur la crête de l’Oeillon, au milieu des sapins et de ceux-là. En plus, il s’inscrit totalement dans l’époque. J’ai toujours eu envie d’écrire un récit à la Shutter Island, ce lieu s’y prêterait parfaitement…Bref, c’est à l’état d’ébauche pour l’instant mais pourquoi pas, un jour… Il faut vivre avec des projets, j’en ai toujours…trop peut-être !

 

7/ Les Regards du Pilat : « César », « Marius », « Fanny » de Marcel Pagnol ont commencé de paraître en BD sous la forme d’une trilogie. Ce sont trois dessinateurs dont vous faites partie qui traitent indépendamment chaque ouvrage. Comment avez-vous été retenu, en l’occurrence pour imager César ?

Victor Lepointe : Ce n’est pas de mon fait et pour tout dire, je n’étais pas chaud au début. Le premier dessinateur, Sébastien Morice, s’était épuisé à la fin de Marius. Il a donc arrêté et le projet est resté en attente. Dès ma première prise de contact avec Bamboo, Hervé Richez, le directeur de la collection Grand Angle, m’a proposé César. Cela m’a paru être un énorme Challenge, où j’allais devoir très largement sortir de ma zone de confort. Tenir un huis clos sur 85 pages, c’est une gageure pour un dessinateur, pour ne pas dire un calvaire ! Mais l’éditeur a insisté. J’ai préféré faire un One Shot plus petit avant, pour voir si j’en étais capable déjà, mais finalement j’ai signé les deux contrats pratiquement en même temps. 

Maintenant que j’en suis venu à bout, je dirais que le défi a été bénéfique. Dur, éreintant mais bénéfique. Cela m’a permis de faire des progrès, notamment dans l’expression des personnages et dans le respect d’une mise en scène exigeante. Contrairement à Ange Leca, j’ai dû respecter un scénario à l’ancienne, ciselé au millimètre, dans le placement des caméras, des personnages, un nombre de cases important par page et de nombreux dialogues à insérer. Cela oblige à être inventif, astucieux et efficace. Une bonne expérience pour apprendre.

 

8/ Les Regards du Pilat : Nous nous sommes aperçus à la Fête du livre de Roisey en 2023. Vous y présentiez un polar avec un héros, Ange Leca. Comment êtes-vous parvenu à vous impliquer dans ce nouveau créneau et y aura-t-il une suite, un tome 2 à cette BD qui apparemment s’est bien vendue ?

Victor Lepointe : La chance, le karma, je ne sais pas comment il faut l’appeler ? Ma rencontre avec Bamboo a été très rapide. Hervé Richez avait envie de me faire démarrer rapidement. Quand c’est comme ça, il y a toujours des scénarios en stock, des vieux trucs qui attendent dans le fond d’un tiroir, en attente d’un dessinateur.

Il m’en a proposé trois dont deux que je n’ai pas lu. En effet, il m’a fallu moins de cinq minutes pour savoir que je ferais Ange Leca. C’est exactement ce que j’aurais voulu écrire ! Un bon polar, se déroulant à la belle époque. De beaux personnages, une ambiance unique en pleine crue centennale, je ne pouvais pas rêver mieux. L’album, pour un premier en tant que professionnel, allait être exigeant, je le savais mais j’ai fait le pari ; je le sentais bien comme on dit…le feeling, ça m’inspirait.

J’ai eu raison puisque l’album a approché les 10 000 ventes. Cette réussite et les bonnes critiques ont motivé l’écriture d’un tome 2, et même d’un tome 3 tout récemment. L’aventure continue donc et maintenant que mon adaptation de Pagnol est terminée, je vais pouvoir commencer ce tome 2, ENFIN ! Notre Ange corse va allait enquêter en Amérique, en pleine canicule. Le titre ; « Monstres Américains », tout un programme…

 

9/ Les Regards du Pilat : On a l’impression que tout ce que vous touchez vous réussit, déjà en termes de ventes. Pas forcément facile à définir, mais quelles qualités professionnelles pensez-vous posséder ? Parallèlement, devez-vous maitriser des spécificités propres à un style de BD ?

Victor Lepointe : Pour répondre à cette question, précisons une chose… Rien ni personne ne peut prévoir le succès d’un album. On peut avoir une merveille qui ne se vendra pas et vice versa. C’est un peu la loterie.

Mais je pense qu’il faut parler aux gens. Toucher leur cœur, leur parler d’eux en fin de compte, à travers l’histoire de personnages inventés ou ayant réellement existé. On lit pour s’évader, pour rêver, pour vivre des aventures par procuration… c’est un peu courant de dire ça mais ça reste vrai. Les meilleures histoires ne sont pas forcément les plus folles ou les plus sensationnelles. Elles sont avant tout les plus crédibles ; celles dans lesquelles le lecteur va pouvoir se retrouver. C’est du moins ce que je pense. Ange Leca a convaincu parce qu’il nous ressemble. Il n’est pas forcément intelligent, il n’est pas le plus fort, il n’est pas sans reproche. Il est amoureux d’une femme volage, il boit plus que de raison, il fait davantage confiance à son chien, il enquête sans trop savoir comment…bref, il nous ressemble.

En termes de graphisme, je pense que les gens (certains du moins) ont compris ce qui m’animait. Il faut avoir une flamme intérieure, un leitmotiv, quelque chose à transmettre. Par ma part, je travaille sur l’ambiance. J’ai justement la volonté de transposer le lecteur dans le récit, je lui prends la main et lui fait croire qu’il est là, parmi les personnages. C’est son histoire quelque part. Mon dessin est le plus clair possible et c’est la couleur qui amène ça. Dans le choix des teintes, que je souhaite les plus naturelles et les plus crédibles possibles, et puis grâce aux artifices, des fumées, des éclats de lumières etc…

L’éclairage est aussi très important. Je le pense dès le début et il doit être au service du récit. Les couleurs ne sont que du remplissage, tandis que la lumière, c’est l’émotion.

La voilà la clef sans doute, susciter l’émotion.

 

10/ Les Regards du Pilat : Vous résidez dans un petit village de moins de trois cents âmes, Lupé, dans le Pilat rhodanien. Pour autant et notamment grâce à la présence d’un château ancestral, cet humble bourg possède une riche histoire. Cette dernière remonte même à la nuit des temps. Qu’en retenez-vous et quelle époque vous intéresse le plus ?

Victor Lepointe : Comme je l’ai dit précédemment, je connais peu de choses mais oui, le château est emblématique de Lupé. Lorsqu’on parle de château, on pense forcément au Moyen-Age. Dans le cas de notre village, c’est complexe. Je regrette qu’il soit si absent en fin de compte, caché aux regards des visiteurs, aujourd’hui propriété privée d’un prioritaire discret et on peut comprendre pourquoi. Le château étant bien souvent associé à la famille de l’illustre Mayol de Lupé, aumônier de la sinistre division Charlemagne.  Pas de quoi reluire le blason du village…

 

11/ Les Regards du Pilat : Très occupé par votre métier, vous trouvez aussi du temps pour vous impliquer en tant que conseiller municipal dans votre commune. Cette fonction civique est-elle importante pour vous ?

Victor Lepointe : Là encore, je vais être tout à fait franc. C’est Monsieur le Maire, Farid Chériet, qui se trouve aussi être mon voisin, qui est venu me voir un jour pour être conseiller municipal. Et puis finalement, il m’a proposé aussi le poste d’adjoint, en charge de l’école et de la communication. Mon rôle se résume surtout à la création du site internet et du bulletin municipal. Sous l’impulsion du Maire, la commune s’est lancé dans de vastes projets (à son échelle) ; extension de la salle des fêtes, aménagement et sécurisation de la départementale, renouvellement de la station d’épuration, etc…

Néanmoins, je vais peut-être vous décevoir mais je ne trouve pas particulièrement mon plaisir dans cette fonction. J’essaye, même si c’est très difficile, de dégager du temps mais je le fais sans passion. Et puis naïvement, je pensais qu’avec une communauté de communes, il y aurait une certaine synergie, que les projets et les collaborations seraient plus évidents, plus ambitieux. En vérité, chacun se regarde un peu le nombril et la sclérose n’est jamais très loin. Les choses trainent en longueur et il faut avoir une patience infinie. De plus, je n’ai pas l’âme d’un gestionnaire et les tableurs Excel m’ennuient très rapidement. 

 

12/ Les Regards du Pilat : Nous avons jusque-là évoqué vos principales réalisations ou réalisations en cours. On a notamment l’impression qu’il y a toujours en fil rouge dans vos exécutions une sorte de trame historique au-delà de la fiction en elle-même. Dans Ange Leca, vous donnez l’impression par exemple, d’être parfaitement documenté sur les inondations de Paris de 1910. A plus longue échéance, si ce n’est pas indiscret, quels sont vos projets et y travaillez-vous déjà en amont ?

Victor Lepointe : Comme je l’ai dit, c’est cette époque qui m’intéresse. Pour résumer ; de Napoléon III à la deuxième guerre. La fin du vieux monde et la naissance du XXème siècle. Les innovations techniques, l’art nouveau…etc.. Je suis notamment passionné par l’histoire du Titanic, les histoires criminelles, la naissance de la police scientifique, cette époque aux destins hors du commun, aux multiples aventures comme la découverte du tombeau de Toutankhamon, par exemple.

J’aime aussi me documenter. Ce qui est vécu comme une corvée pour nombre de dessinateur est pour moi comme une enquête. Le plaisir de découvrir, de redécouvrir tel ou tel document sur un événement précis. Faire le tour d’un sujet, bien au-delà parfois pour en retenir l’essentiel. C’est passionnant !

 

Concernant les projets, parlons déjà de l’actualité. A la fin du mois, une édition toilée d’Ange Leca sortira avec un cahier graphique. Ensuite, en mai, sortira César qui viendra clôturer la trilogie de Marcel Pagnol, toujours chez GrandAngle. Sortira également à la fin de l’année 10 planches sur l’histoire des frères Nièpce dans le journal Les Bulles de Bourgogne à l’occasion du festival de Chalon sur Saone dont j’ai réalisé l’affiche. Cette dernière sortie sera également complétée par une exposition autour de la BD et de la naissance de la photographie. J’espère pouvoir la faire venir dans le Pilat !

Sinon, pour l’avenir, je commence dès à présent la suite d’Ange Leca : 66 pages à priori. Cela devrait sortir en septembre 2025. J’espère pouvoir enchainer sur le Tome 3, mais c’est un peu tôt pour le dire.

Je ne m’ennuie pas en tout cas J

 

Merci !

 

 Les Regards du Pilat : C'est nous qui vous remercions vivement pour l'ensemble de vos réponses généreuses et très argumentées.



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