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ENTRETIEN-INTERVIEW
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VICTOR LEPOINTE
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Percer dans le domaine de la Bande Dessinée à l’échelle nationale, n’est pas chose simple. Avec Victor Lepointe, nous avons la chance dans le Parc Naturel Régional du Pilat d’avoir un dessinateur qui vit de son travail et qui a réussi à sortir du lot comme on dit. Depuis un certain nombre d’années, son nom commence sérieusement à être connu et même reconnu dans le monde de la BD. Les éditeurs le suivent et son talent n’y est pas étranger. C’est une chance d’avoir pu le rencontrer, lui qui est très occupé par ses diverses réalisations et plus largement par une vie bien remplie, que nous vous proposons maintenant de mieux découvrir. C’est dans son atelier que Victor a bien voulu nous accorder du temps, lui qui possède une personnalité, ouverte, généreuse et particulièrement conviviale.
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1/ Les Regards du
Pilat : Bonjour, Victor et bienvenue sur nos colonnes. Vous possédez
ce que l’on appelle un bon, voire un très bon coup de crayon. Vous êtes
dessinateur de Bandes Dessinées. Quelle est votre formation initiale pour être
en mesure aujourd’hui de pouvoir vivre de vos compétences ?
Victor Lepointe : Bonjour, et merci pour cet entretien.
Je n’ai pas de formation artistique, à proprement
parler. Je n’ai même jamais pris de
cours de dessin, tout juste suivi les conseils d’un magazine sur les beaux-arts
disponible à l’époque dans les rayons d’un magasin de bricolage. C’est pour
dire… Par contre, j’ai toujours dessiné. Le dessin est essentiel à ma vie et
m’a toujours accompagné, partout où j’allais, il me fallait une boite de crayons
et des feuilles de papier, beaucoup de papier.
J’ai eu une scolarisation normale jusqu’au bac. S’en
est suivi une errance estudiantine qui m’a fait passer du lycée militaire
d’Autun à l’IUT de Carcassonne. J’ai obtenu un DUT en Techniques de
Commercialisation en 2007. Je savais que je n’avais aucun avenir dans le
domaine mais ce diplôme me permet aujourd’hui d’avoir une vision assez claire
de ce qu’est le commerce, notre monde pour ainsi dire. On y reviendra surement.
Enfin, j’ai suivi une formation accélérée pour devenir infographiste 3D.
Rien de très cohérent dans cette
« formation », si on peut l’appelait ainsi. Je parlerais plutôt de
« parcours » chez un adolescent à qui on a expliqué si souvent que le
dessin n’était pas une fin en soi, et étrangement, je leur donne plutôt raison
aujourd’hui. Je m’explique.
Même si il existe des écoles d’arts, voire de
« bande-dessinée », je ne pense pas qu’il existe réellement de
formation, pour exercer ce « métier », si il en est un. Il faut avoir
un bagage, culturel, émotionnel, fait d’expérience et de rencontres parfois.
J’ai par exemple beaucoup appris auprès d’un
collègue qui avait fait une école de cinéma, véritable encyclopédie vivante du
7ème art. Comment cadrer, comment éclairer, comment regarder… Se
nourrir d’une image, savoir comprendre et utiliser les codes. Pas un cours
donc, mais des centaines d’heures d’échanges et de camaraderie.
J’ai longtemps étudié la peinture, dans mon coin, celle que j’admirais et celle
qui me dérangeait. J’avais sans doute besoin de me perdre pour mieux me
retrouver ensuite. Cette expérience hasardeuse, mais dans le sens noble du
terme, est en soi la meilleure des formations, je le pense, car elle nous
appartient. Elle définit peut-être ce qui sera notre « style », notre
propre vision du monde.
2/ Les Regards du Pilat : Avant de voler de vos
propres ailes, c’est-à-dire travailler actuellement à votre compte, avez-vous
eu un autre passé professionnel et si oui, lequel ?
Victor Lepointe : J’ai travaillé une dizaine d’année pour
l’architecture dans une agence lyonnaise. Rien de très passionnant pour moi qui
n’est jamais apprécié le béton et la construction. J’ai considéré ça comme un
mal nécessaire, presque alimentaire. Je suis beaucoup moins sévère aujourd’hui,
au regard de l’expérience acquise. Ce métier m’a appris la rigueur, le
pragmatisme et l’efficacité. On fait de l’image comme un technicien et non
comme un artiste. Les grandes visions d’architectes sont le plus souvent
réduites à leurs plus simples expressions, maintes fois contraintes par des
exigences financières et politiques. Cela m’a appris l’humilité et le devoir de
satisfaire une volonté qui n’était pas la mienne. En somme, apprendre à faire
vite et bien, tenir les délais coûte que coûte, jusqu’à épuisement, pour plaire
à un client qui a le pouvoir de celui qui paye. On est loin, très loin, d’une
vision d’artiste au grand cœur.
L’arrivée d’un premier enfant a précipité mon désir d’émancipation. J’ai débuté
une activité indépendante en 2018, en continuant ce travail d’infographiste 3D.
Ce choix m’a permis d’avoir du temps pour travailler sur mes propres
projets ; sortir un deuxième livre en 2021 et envisager une bascule, chez
un gros éditeur, en tant qu’auteur-dessinateur à temps plein en 2022.
3/ Les Regards du Pilat : Le secteur de la
Bande Dessinée où vous avez réussi à percer, reste un milieu difficile. Quels
conseils donneriez-vous à celui qui voudrait se lancer ?
Victor Lepointe : Tout d’abord, ce serait prétentieux de vouloir
donner des conseils, les parcours sont tellement différents... Comme je l’ai
dit avant, c’est peut-être cette « expérience » qui est nécessaire,
et que les jeunes oublient trop souvent. Savoir se nourrir de choses et
d’autres, être curieux, observer, ne pas hésiter à se tromper et recommencer,
se fabriquer son « background » comme on dirait en bon français.
C’est un peu vague mais tellement important.
Il faut aussi être réaliste et conscient des
réalités. La Bande-dessinée est et restera un objet commercial. La définir
autrement, c’est se méprendre. La réalisation d’une BD s’inscrit dans un
processus entrepreneurial où l’auteur n’est qu’un maillon de la chaîne. Il faut
se rendre chez un éditeur pour le comprendre. Il y a un secrétariat, un service
éditorial, commercial, administratif et j’en passe... sans compter les acteurs
externes comme l’impression, la logistique ou la diffusion. Il faut entrevoir
en filigrane l’ensemble des acteurs qui séparent l’auteur d’un lecteur. Et pour
entretenir la « bête », il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Il faut au minimum 40 à 50 000€ pour
sortir un livre avec l’espoir d’être lu.
Pour réussir à être auteur de bd, il faut donc être
conscient que notre travail répond à une attente commerciale. Pour cela, il
faut être suffisamment solide techniquement pour assurer un travail propre, de
qualité et surtout, surtout, dans des délais acceptables et respectés. La
première chose que demande un éditeur à la signature du contrat, c’est la date
de remise.
Cet écueil est souvent négligé, voir ignoré par de
jeunes dessinateurs qui se voient comme des artistes au long cours et pourtant,
le temps de production est la donnée essentielle, pour ne pas dire la seule qui
vaille pour survivre dans ce métier. Dans le cas d’une avance sur droits, ce
qui est la norme, on est payé à la planche donc la mécanique est facile à
comprendre. Plus on fait de planches, plus on est payé. Si on est trop lent, on
sera obligé de prendre un boulot à côté, et donc on sera moins rapide et donc
on sera encore moins payé… il faut donc être suffisamment rapide pour tenir la
barre. C’est pas plus compliqué.
Vous allez me dire, ça dépend du style. Oui,
évidemment ! Il faut donc avoir un style graphique qui nous convient mais
qui nous permet aussi d’avancer à un rythme acceptable et maitrisé. Rien ne
sert de faire une fulgurance sur une planche si on n’est pas capable de la
reproduire autant de fois qu’il le faudra. Un album de bd, c’est long, très
long et il faut garder cette sacro-sainte cohérence d’un bout à l’autre, que ce
soit sur les couleurs, les personnages, les décors, etc…
En définitive, il faut être endurant ; maitriser la
technique pour s’assurer d’avancer à un rythme constant, sans se fatiguer et se
perdre en cours de route.
4/ Les Regards du Pilat : Lorsque l’on regarde
attentivement vos œuvres, nous croyons reconnaître le savoir-faire d’un
artiste. Pourtant et apparemment vous vous qualifiez plutôt d’artisan. Quelle
est la frontière entre les deux, pourquoi vous définissez-vous ainsi ?
Victor Lepointe : Merci, mais ma définition de l’artiste est un peu
différente. Pour moi, c’est quelqu’un qui pratique son art avec un tel brio
qu’il parvient à rompre les codes, à imposer sa propre vision, à nous faire
réfléchir. Son Art, son but, se suffit à lui-même. Il n’est pas dépendant d’une
logique commerciale ou du moins, feint de l’ignorer. Il n’est pas non plus
contraint par le temps. Peu importe finalement, c’est l’œuvre qui prime. Il a
le pouvoir de celui qui impose son talent et est reconnu pour celui-ci. Il peut même choquer ses contemporains et être
adulé post-mortem ; les exemples sont nombreux.
Pour toutes les raisons que j’ai énumérées
auparavant, la bande -dessinée est à cent lieues de cette vision de l’Art. On parvient peut être à faire de l’Art ou le
croit-on, mais à la manière d’un artisan. Dans le bon sens du terme j’entends, sans
dénigrer, bien au contraire. Parvenir à la quintessence après un travail
laborieux et soigné. Reproduire les mêmes gestes, déployer un savoir-faire
acquis avec le temps, et savoir terminer un travail dans la douleur le dos
courbé, littéralement. Se voir comme un artisan, c’est aussi reconnaitre la
réalité de ce métier ; En définitive, l’œuvre n’est pas exposée, même si
elle peut l’être parfois mais ce n’est pas son but. Elle est produite et
reproduite à grande échelle pour des clients, de simples clients.
L’achat d’une bande-dessinée se décide en général
en moins de 3 secondes, à la seule vue de la couverture, quand l’album aura la
chance de disposer d’une bonne mise en place, dans un marché de plus de 5000
nouveautés par an. Tout est dit.
Bien sûr, on peut vouloir faire de l’Art, en
ignorant totalement la réalité du marché. On prendra aussi le risque de ne pas
être vendu et donc de ne pas être lu. Bien souvent, les auteurs atteignent ce
graal au bout d’une carrière richement fournie. Alors, l’expérience parle pour
eux et les éditeurs sont prêts à les suivre sur des projets plus artistiques, en
sachant pertinemment qu’ils vendront de renom. Le chemin est encore long me
concernant…
5/ Les Regards du Pilat : La Grande Guerre de
14/18 paraît indéniablement vous avoir marqué. On croit même reconnaître, chez
vous, une véritable passion pour ce sujet. Comment est né votre intérêt pour
cet événement notoire du vingtième siècle ?
Victor Lepointe : Je suis né dans la Marne. Mes parents m’ont emmené,
comme beaucoup d’enfants, visiter le champ de bataille de Verdun. Je suis
revenu totalement bouleversé.
J’ai grandi avec ça, en parallèle de mon goût pour
le dessin. Alors quand j’ai décidé de
m’essayer à la BD, le sujet s’est très vite imposé. J’avais des choses à dire,
à montrer surtout. J’étais hanté par ces visions de tranchées, de souffrances
et d’injustices. Je voulais aussi un sujet original et mon choix s’est arrêté
sur les combats en Alsace, très peu exploités. Ce fut La Guerre des Loups, sorti en 2017. Ce premier livre, embryonnaire,
ne m’avait pas permis d’aller au bout. J’ai donc décidé de faire un livre sur
les premiers jours de la guerre, chez moi, dans la Marne ; un livre très
personnel en fin de compte, que j’ai voulu plus fourni, plus abouti, davantage
philosophique, pour faire réfléchir sur ce qu’était réellement la guerre.
J’ai terminé Après
l’orage au moment du Covid ; La longue et interminable commémoration
du centenaire m’avait fatigué et puis la guerre en Ukraine est arrivée. Dès
lors, je crois que j’ai pris mes distances avec le sujet. J’y reviendrais
peut-être mais il me faudra du temps pour digérer et pour tout dire, cette
passion contemporaine pour le militaria et plus largement la reconstitution
historique, dans ce qu’elle porte d’adorateurs et de fanatiques, le plus
souvent ignorants il faut le dire, me répugne et m’interroge. En tout cas, ce
n’est pas ma vision de l’Histoire...
Ceci étant, ce début de siècle est fascinant, cette
belle époque où tout semble être possible, ces personnages étonnants, ces
artistes inspirants ; Klimt, Mucha, Schiele pour ne citer qu’eux.
Finalement, c’est peut-être ce monde aujourd’hui disparu, qui a péri dans les
tranchées de 14, que j’aime tant et que j’essaye de ressusciter.
6/ Les Regards du Pilat : Originaire de la
Marne donc, vous êtes installés dans le Parc Naturel Régional du Pilat. Ce
dernier est-il une source d’inspiration dans votre travail, ou futur
travail ? Etes-vous imprégné de l’Histoire du Pilat à proprement
parler ?
Victor Lepointe : Non. Pour être tout à fait franc, je connais peu de
choses sur l’histoire du Pilat. Notre installation ici s’est fait un peu par
hasard mais on est tombés amoureux de la région. Dans tous les cas, ça se sent,
c’est une véritable terre d’histoire ! De sa nature gauloise, son
importance au Moyen-Age, en passant par ce qu’il se passa ici pendant les
guerres de religions ou plus récemment avec la résistance…
Mais il y a un lieu qui m’intéresse plus
particulièrement ; il s’agit de l’Hôtel Brûlé. Je ne sais pas pourquoi
mais j’ai toujours eu un intérêt pour ce qui n’est plus, pour les ruines. Peut-être
pour le goût de l’enquête, pour l’envie de ressusciter un lointain passé. J’ai
longtemps fait des fouilles, adolescent, au fort de Troyon, dans les
Hauts-de-Meuse. Ces lieux, laissés à l’abandon, sont toujours mystérieux et
intrigants. On a envie d’en savoir plus. Cet Hôtel du Mont Pilat, perchés sur
la crête de l’Oeillon, au milieu des sapins et de ceux-là. En plus, il
s’inscrit totalement dans l’époque. J’ai toujours eu envie d’écrire un récit à
la Shutter Island, ce lieu s’y prêterait parfaitement…Bref, c’est à l’état
d’ébauche pour l’instant mais pourquoi pas, un jour… Il faut vivre avec des
projets, j’en ai toujours…trop peut-être !
7/ Les Regards du Pilat : « César », « Marius »,
« Fanny » de Marcel Pagnol ont commencé de paraître en BD sous la
forme d’une trilogie. Ce sont trois dessinateurs dont vous faites partie qui
traitent indépendamment chaque ouvrage. Comment avez-vous été retenu, en
l’occurrence pour imager César ?
Victor Lepointe : Ce n’est pas de mon fait et pour tout dire, je
n’étais pas chaud au début. Le premier dessinateur, Sébastien Morice, s’était épuisé à la fin de
Marius. Il a donc arrêté et le projet est resté en attente. Dès ma première
prise de contact avec Bamboo, Hervé Richez, le directeur de la collection Grand
Angle, m’a proposé César. Cela m’a paru être un énorme Challenge, où j’allais
devoir très largement sortir de ma zone de confort. Tenir un huis clos sur 85
pages, c’est une gageure pour un dessinateur, pour ne pas dire un calvaire !
Mais l’éditeur a insisté. J’ai préféré faire un One Shot plus petit avant, pour
voir si j’en étais capable déjà, mais finalement j’ai signé les deux contrats
pratiquement en même temps.
Maintenant que j’en suis venu à bout, je dirais que
le défi a été bénéfique. Dur, éreintant mais bénéfique. Cela m’a permis de
faire des progrès, notamment dans l’expression des personnages et dans le
respect d’une mise en scène exigeante. Contrairement à Ange Leca, j’ai dû
respecter un scénario à l’ancienne, ciselé au millimètre, dans le placement des
caméras, des personnages, un nombre de cases important par page et de nombreux
dialogues à insérer. Cela oblige à être inventif, astucieux et efficace. Une
bonne expérience pour apprendre.
8/ Les Regards du Pilat : Nous nous sommes
aperçus à la Fête du livre de Roisey en 2023. Vous y présentiez un polar avec
un héros, Ange Leca. Comment êtes-vous parvenu à vous impliquer dans ce nouveau
créneau et y aura-t-il une suite, un tome 2 à cette BD qui apparemment s’est
bien vendue ?
Victor Lepointe : La chance, le karma, je ne sais pas comment il faut
l’appeler ? Ma rencontre avec Bamboo a été très rapide. Hervé Richez avait
envie de me faire démarrer rapidement. Quand c’est comme ça, il y a toujours
des scénarios en stock, des vieux trucs qui attendent dans le fond d’un tiroir,
en attente d’un dessinateur.
Il m’en a proposé trois dont deux que je n’ai pas
lu. En effet, il m’a fallu moins de cinq minutes pour savoir que je ferais Ange
Leca. C’est exactement ce que j’aurais voulu écrire ! Un bon polar, se
déroulant à la belle époque. De beaux personnages, une ambiance unique en
pleine crue centennale, je ne pouvais pas rêver mieux. L’album, pour un premier
en tant que professionnel, allait être exigeant, je le savais mais j’ai fait le
pari ; je le sentais bien comme on dit…le feeling, ça m’inspirait.
J’ai eu raison puisque l’album a approché les
10 000 ventes. Cette réussite et les bonnes critiques ont motivé
l’écriture d’un tome 2, et même d’un tome 3 tout récemment. L’aventure continue
donc et maintenant que mon adaptation de Pagnol est terminée, je vais pouvoir
commencer ce tome 2, ENFIN ! Notre Ange corse va allait enquêter en
Amérique, en pleine canicule. Le titre ; « Monstres
Américains », tout un programme…
9/ Les Regards du Pilat : On a l’impression que
tout ce que vous touchez vous réussit, déjà en termes de ventes. Pas forcément
facile à définir, mais quelles qualités professionnelles pensez-vous posséder ?
Parallèlement, devez-vous maitriser des spécificités propres à un style de
BD ?
Victor Lepointe : Pour répondre à cette question, précisons une
chose… Rien ni personne ne peut prévoir le succès d’un album. On peut avoir une
merveille qui ne se vendra pas et vice versa. C’est un peu la loterie.
Mais je pense qu’il faut parler aux gens. Toucher
leur cœur, leur parler d’eux en fin de compte, à travers l’histoire de
personnages inventés ou ayant réellement existé. On lit pour s’évader, pour
rêver, pour vivre des aventures par procuration… c’est un peu courant de dire
ça mais ça reste vrai. Les meilleures histoires ne sont pas forcément les plus
folles ou les plus sensationnelles. Elles sont avant tout les plus
crédibles ; celles dans lesquelles le lecteur va pouvoir se retrouver.
C’est du moins ce que je pense. Ange Leca a convaincu parce qu’il nous
ressemble. Il n’est pas forcément intelligent, il n’est pas le plus fort, il
n’est pas sans reproche. Il est amoureux d’une femme volage, il boit plus que
de raison, il fait davantage confiance à son chien, il enquête sans trop savoir
comment…bref, il nous ressemble.
En termes de graphisme, je pense que les gens
(certains du moins) ont compris ce qui m’animait. Il faut avoir une flamme
intérieure, un leitmotiv, quelque chose à transmettre. Par ma part, je
travaille sur l’ambiance. J’ai justement la volonté de transposer le lecteur
dans le récit, je lui prends la main et lui fait croire qu’il est là, parmi les
personnages. C’est son histoire quelque part. Mon dessin est le plus clair
possible et c’est la couleur qui amène ça. Dans le choix des teintes, que je
souhaite les plus naturelles et les plus crédibles possibles, et puis grâce aux
artifices, des fumées, des éclats de lumières etc…
L’éclairage est aussi très important. Je le pense
dès le début et il doit être au service du récit. Les couleurs ne sont que du
remplissage, tandis que la lumière, c’est l’émotion.
La voilà la clef sans doute, susciter l’émotion.
10/ Les Regards du Pilat : Vous résidez dans un
petit village de moins de trois cents âmes, Lupé, dans le Pilat rhodanien. Pour
autant et notamment grâce à la présence d’un château ancestral, cet humble
bourg possède une riche histoire. Cette dernière remonte même à la nuit des temps.
Qu’en retenez-vous et quelle époque vous intéresse le plus ?
Victor Lepointe : Comme je l’ai dit précédemment, je connais peu de
choses mais oui, le château est emblématique de Lupé. Lorsqu’on parle de
château, on pense forcément au Moyen-Age. Dans le cas de notre village, c’est
complexe. Je regrette qu’il soit si absent en fin de compte, caché aux regards
des visiteurs, aujourd’hui propriété privée d’un prioritaire discret et on peut
comprendre pourquoi. Le château étant bien souvent associé à la famille de
l’illustre Mayol de Lupé, aumônier de la sinistre division Charlemagne. Pas de quoi reluire le blason du village…
11/ Les Regards du Pilat : Très occupé par
votre métier, vous trouvez aussi du temps pour vous impliquer en tant que
conseiller municipal dans votre commune. Cette fonction civique est-elle
importante pour vous ?
Victor Lepointe : Là encore, je vais être tout à fait franc. C’est
Monsieur le Maire, Farid Chériet, qui se trouve aussi être mon voisin, qui est
venu me voir un jour pour être conseiller municipal. Et puis finalement, il m’a
proposé aussi le poste d’adjoint, en charge de l’école et de la communication.
Mon rôle se résume surtout à la création du site internet et du bulletin
municipal. Sous l’impulsion du Maire, la commune s’est lancé dans de vastes
projets (à son échelle) ; extension de la salle des fêtes, aménagement et
sécurisation de la départementale, renouvellement de la station d’épuration,
etc…
Néanmoins, je vais peut-être vous décevoir mais je
ne trouve pas particulièrement mon plaisir dans cette fonction. J’essaye, même
si c’est très difficile, de dégager du temps mais je le fais sans passion. Et
puis naïvement, je pensais qu’avec une communauté de communes, il y aurait une
certaine synergie, que les projets et les collaborations seraient plus évidents,
plus ambitieux. En vérité, chacun se regarde un peu le nombril et la sclérose
n’est jamais très loin. Les choses trainent en longueur et il faut avoir une
patience infinie. De plus, je n’ai pas l’âme d’un gestionnaire et les tableurs
Excel m’ennuient très rapidement.
12/ Les Regards du Pilat : Nous avons jusque-là
évoqué vos principales réalisations ou réalisations en cours. On a notamment
l’impression qu’il y a toujours en fil rouge dans vos exécutions une sorte de
trame historique au-delà de la fiction en elle-même. Dans Ange Leca, vous
donnez l’impression par exemple, d’être parfaitement documenté sur les
inondations de Paris de 1910. A plus longue échéance, si ce n’est pas
indiscret, quels sont vos projets et y travaillez-vous déjà en amont ?
Victor Lepointe : Comme je l’ai dit, c’est cette époque qui
m’intéresse. Pour résumer ; de Napoléon III à la deuxième guerre. La fin
du vieux monde et la naissance du XXème siècle. Les innovations techniques,
l’art nouveau…etc.. Je suis notamment passionné par l’histoire du Titanic, les
histoires criminelles, la naissance de la police scientifique, cette époque aux
destins hors du commun, aux multiples aventures comme la découverte du tombeau
de Toutankhamon, par exemple.
J’aime aussi me documenter. Ce qui est vécu comme
une corvée pour nombre de dessinateur est pour moi comme une enquête. Le
plaisir de découvrir, de redécouvrir tel ou tel document sur un événement
précis. Faire le tour d’un sujet, bien au-delà parfois pour en retenir
l’essentiel. C’est passionnant !
Concernant les projets, parlons déjà de
l’actualité. A la fin du mois, une édition toilée d’Ange Leca sortira avec un cahier graphique. Ensuite, en mai,
sortira César qui viendra clôturer la
trilogie de Marcel Pagnol, toujours chez GrandAngle. Sortira également à la fin
de l’année 10 planches sur l’histoire des frères Nièpce dans le journal Les Bulles de Bourgogne à l’occasion du
festival de Chalon sur Saone dont j’ai réalisé l’affiche. Cette dernière sortie
sera également complétée par une exposition autour de la BD et de la naissance
de la photographie. J’espère pouvoir la faire venir dans le Pilat !
Sinon, pour l’avenir, je commence dès à présent la
suite d’Ange Leca : 66 pages à priori. Cela devrait sortir en septembre
2025. J’espère pouvoir enchainer sur le Tome 3, mais c’est un peu tôt pour le
dire.
Je ne m’ennuie pas en tout cas J
Merci !
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