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DOSSIER NOVEMBRE 2015

Par Patrick Berlier




MARCELLIN CHAMPAGNAT

LE SAINT DU PILAT







Le petit hameau du Rozet, sur la commune de Marlhes, serait sans doute oublié aujourd’hui, s’il n’avait vu naître saint Marcellin Champagnat, canonisé en 1999 par le pape Jean-Paul II. Eh oui, parmi tous les saints de la chrétienté, l’un d’eux est né dans le Pilat, ce qui ne peut qu’ajouter une étoile supplémentaire dans les cieux au-dessus de notre chère montagne. Plusieurs livres, plusieurs sites Internet, ont déjà raconté la vie de Marcellin Champagnat. Aussi notre prétention n’est-elle pas d’ajouter une biographie supplémentaire, mais seulement de mettre l’accent sur les faits de sa vie en rapport direct avec le Pilat.

 

Marcellin Champagnat jeune

 

Le petit Marcellin Joseph Benoît Champagnat voit le jour le 20 mai 1789, dans la ferme paternelle du hameau du Rosey (orthographe de l’époque), paroisse de Marlhes, diocèse du Puy-en-Velay. Il est le fils de Jean-Baptiste Champagnat et de Marie Chirat son épouse. C’est le neuvième enfant de la famille, qui en comptera dix. Les Champagnat jouissent d’une certaine aisance, ils exploitent leur ferme, et possèdent un petit moulin. Le père est un homme instruit, il sait lire et écrire, ce qui est exceptionnel pour un paysan de l’époque. Il professe volontiers des idées progressistes, et lorsque la Révolution éclate, alors que le petit Marcellin n’a pas encore deux mois d’existence, il en approuve les idéaux. Il sera secrétaire de mairie et juge de paix.

 

La ferme natale de Marcellin Champagnat au hameau du Rozet

(carte postale ancienne)

 

Néanmoins la famille Champagnat reste fermement attachée à la religion catholique. La mère est profondément croyante, et Jean-Baptiste a accueilli dans sa maison sa sœur Louise, une religieuse des sœurs de Saint-Joseph que la Révolution a chassée de son couvent. C’est dans cette ambiance que grandit le petit Marcellin, enfant intelligent mais timide et sensible. Il fréquente un peu l’école du village, mais n’y apprend pas grand-chose. La vie à la ferme est prenante, le travail n’y manque pas, Marcellin est courageux et tient à aider ses parents. Son père l’initie aux travaux manuels, menuiserie et maçonnerie. C’est surtout sa tante Louise qui va lui apprendre quelques rudiments de lecture, lui enseignant le peu qu’elle sait elle-même. Quant à sa mère, elle lui communique son amour de la Sainte Vierge.

Le temps passe, les choses évoluent, et la France connaît successivement plusieurs régimes. La Révolution abolit la monarchie et apporte la République, entachée par période de la Terreur. Lui succèderont le Consulat et l’Empire. Nous voici en 1803. Depuis le Concordat de 1801, la paroisse de Marlhes est passée dans le diocèse de Lyon, à la tête duquel vient d’être nommé le cardinal Fesch, l’oncle de Napoléon. Il incite les professeurs du Grand Séminaire à parcourir les campagnes pendant leurs vacances pour tenter de recruter de futurs prêtres. C’est ainsi que l’abbé Cartal se présente à Marlhes, où l’abbé Allirot, curé de la paroisse, lui suggère d’aller visiter la famille Champagnat.

Marcellin, qui a alors 14 ans, lui fait bonne impression. L’idée de se mettre au service de Dieu séduit le jeune homme, qui passe de longues heures « à parler avec Jésus »… Mais il sait à peine lire, encore moins écrire, la pensée de devoir apprendre le latin le panique. « Si le Bon Dieu veut que tu deviennes prêtre, il s’arrangera pour que tu y arrives », dit l’abbé Cartal. Marcellin est encore hésitant. Pour finir d’apprendre à lire et écrire il entre au collège de Saint-Sauveur, dirigé par Benoît Arnaud, le mari de sa sœur aînée.

Lorsque Marcellin revient à Marlhes à la fin de l’année scolaire 1804, c’est pour apprendre que son père vient de décéder, le 13 juin. Le lendemain des obsèques il décide d’aller en pèlerinage à La Louvesc. C’est une excursion dans les pas de saint François Régis, celui que l’on surnommait le marcheur de Dieu, un saint qui est venu dans le Pilat, un saint qu’il a appris à admirer et à aimer. C’est à pied évidemment que Marcellin parcourt les 40 km du chemin montueux. Deux jours pour y aller, autant pour revenir, montées et descentes se succèdent. La rudesse du voyage lui éclaircit les idées : il fera une autre année à Saint-Sauveur, et il ira ensuite au séminaire pour devenir prêtre, « puisque Dieu le veut ».

 

Saint François Régis (vitrail de l’église de Saint-Régis-du-Coin)

 

Toussaint 1805 : Marcellin Champagnat entre au Petit Séminaire de Verrières, près de Montbrison. Les débuts sont difficiles, il est plus âgé (16 ans) et plus grand que ses camarades, qui se moquent de lui. Mais son sérieux et son sens de la justice, un trait de caractère qu’il tient de son père, finissent par lui valoir l’estime de tous. Huit ans passent, Marcellin revient à Marlhes pendant les vacances, logeant dans une petite chambre à laquelle on accède, depuis le fournil de la ferme familiale, par une volée de marches. Un lit placard, une petite table, une chaise, un prie-Dieu qu’il a lui-même fabriqué, une bibliothèque, tels sont les meubles modestes de cette chambrette, dont la fenêtre unique donne sur la campagne apaisante. Une manière de prier Dieu et de le remercier de nous avoir donné une terre aussi belle…

Marcellin réunit les adultes du village, depuis son escalier il s’adresse à eux et prononce des sermons sur les devoirs du chrétien. Il rassemble aussi les enfants autour du four à pain pour leur faire le catéchisme. Son charisme séduit petits et grands : « il enseignait si bien aux adultes et aux enfants qu’on pouvait demeurer deux heures à l’écouter, sans en ressentir aucune fatigue » dira de lui une voisine, Julienne Epalle. Elle assiste avec son fils de sept ans au fameux « sermon de la pomme ». Marcellin saisit un fruit et le montre à l’assemblée en disant : « supposons que cela représente le globe terrestre. Nous autres, nous sommes ici, à cet endroit-là de la pomme. Mais si l’on pouvait percer la terre comme on perce ce fruit pour le traverser, de l’autre côté on trouverait de pauvres hommes qui ne connaissent pas encore le bon Dieu. » Cet enfant, qui écoute avec attention le prêche de Marcellin Champagnat, est le futur Monseigneur Epalle, qui mettra en application les paroles de son maître en devenant évêque missionnaire en Océanie. Il sera massacré en 1845 par les indigènes des îles Salomon, et deviendra l’un des derniers martyrs chrétiens.

 

L’ancien séminaire de Verrières au début du XXe siècle

(carte postale ancienne)

 

Le 1er novembre 1813 Marcellin Champagnat arrive à Lyon, il entre au Grand Séminaire situé sur les pentes de la Croix-Rousse, place de la Croix-Paquet. Il se lie d’amitié avec Jean-Marie Vianney, futur curé d’Ars, Jean-Claude Colin, futur fondateur des Pères Maristes, et Jean-Claude Courveille, qui était déjà son camarade à Verrières. Ce Courveille est quelque peu mystique, il revient d’un pèlerinage au Puy-en-Velay et il est persuadé que la Vierge Marie lui a demandé de créer une société de prêtres, qui se nommeraient les Maristes, pour assurer le salut des âmes en ces temps d’incertitude. Il en parle à Colin et Champagnat, lequel avait eu à-peu-près la même idée en allant prier devant la statue de Marie, dans la vieille église de Marlhes. C’est cette Vierge dite des Templiers, en réalité une statue en bois du XVIe siècle provenant des Hospitaliers.

 

Vierge dite des Templiers (église de Marlhes)

 

Ensemble, ils projettent de fonder une Société de Marie, un dessein que le directeur du séminaire encourage. Cependant, alors que Colin et Courveille restent dans l’idée d’une société de prêtres, aux objectifs essentiellement spirituels, Marcellin Champagnat imagine une congrégation plus ouverte, et commence à envisager une communauté de frères enseignants. Il se souvient de son enfance à Marlhes et sait que l’illettrisme est à-peu-près général dans les campagnes. Éduquer les enfants, et en faire de bons chrétiens, lui paraît primordial. Le 22 juillet 1816, tous sont ordonnés prêtres. Le lendemain, Marcellin Champagnat et ses amis montent prier à la vieille chapelle Notre-Dame de Fourvière, comme ils l’ont fait souvent au cours des trois années passées au Grand Séminaire. Là ils renouvellent leurs vœux à Marie, et font le serment solennel de créer la société.

 

Chapelle N.-D. de Fourvière, à l’époque où Marcellin Champagnat la fréquentait

 

Marcellin reçoit son affectation : à partir du 12 août 1816 il est nommé vicaire de la paroisse de La Valla-en-Gier, dans le Pilat. Il quitte Lyon et revient passer quelques jours à Marlhes. Puis il part rejoindre sa nouvelle patrie. À pied, naturellement. Il suit ce vieux chemin par l’Allier, le bois du Sapt, l’Ollagnière, les Tours, Tarentaise… Encore quelques pas et le voici sur sa paroisse. La Valla est alors très étendue, elle compte 2500 habitants dont le cinquième seulement dans le bourg lui-même. Le reste est réparti dans plus de 60 hameaux, dont celui du Bessat qui n’a que quelques maisons autour d’une chapelle. Marcellin descend dans la vallée du Ban, qu’il suit jusqu’à son confluent avec un autre ruisseau, le Jarret. Là il monte à droite par ce raide chemin pavé, et bientôt le voici en vue du village de La Valla. Une croix se dresse là, comme un signe. Marcellin tombe à genoux et remercie Dieu. Depuis, la croix est peinte en rouge.

 

Croix rouge à l’entrée de La Valla

(photo prise lors de l’inauguration du sentier Marcellin Champagnat en 1989)

 

Le curé Rebaud l’accueille à bras ouverts. Il n’est plus très jeune, et ne parvient plus à aller voir ses fidèles dans les hameaux les plus éloignés. En plus, il faut dire que dans la paroisse de La Valla, tout est en pente. Marcellin est jeune et vigoureux, à lui reviendra la charge d’aller visiter les malades et de porter les derniers sacrements aux mourants. Pour le 15 août, c’est lui qui prend la tête de la procession, entre la chapelle Notre-Dame de Leytra, et l’église du village. C’est le seul chemin à-peu-près plat sur l’ensemble de la paroisse. D’ailleurs Leytra est une déformation de l’Étrat, nom désignant un replat, comme une estrade.

 

Vue générale de La Valla-en-Gier (carte postale ancienne)

 

L’automne 1816 a commencé. Depuis son arrivée à La Valla, Marcellin en marcheur infatigable a parcouru les sentiers de la montagne : « que de chemises j’ai mouillé dans ces chemins, dira-t-il. Je crois que si toute l’eau que j’ai suée dans mes courses était réunie dans ce vallon, il y en aurait assez pour prendre un bain ! Mais j’ai la douce consolation qu’aucun malade, grâce à Dieu, n’est mort sans que je sois arrivé à temps. » Le 28 octobre, Marcellin apprend que Jean-Baptiste Montagne, demeurant au hameau des Palais près du Bessat, est mourant. Il s’y rend sans plus tarder et arrive en début d’après-midi. Le jeune homme n’a que 17 ans. Son inculture religieuse atterre le vicaire : il va lui enseigner les rudiments de la foi, durant les quelques heures qui lui restent à vivre. Marcellin décide de ne plus tarder dans son projet d’une congrégation de frères éducateurs. Sur place, aux Palais, une plaque apposée contre un rocher rappelle cet évènement essentiel.

 

Plaque commémorative aux Palais

 

Dans les jours qui suivent, il fait venir à lui deux disciples, anciens camarades. Ensemble ils projettent de se réunir en communauté et de créer une école à La Valla. Pour cela Marcellin loue la maison Bonnair, à côté du presbytère. Le curé Rebaud ne voit pas cette initiative d’un très bon œil, il craint que la maison soit trop grande et que Marcellin ne trouve pas l’argent nécessaire à la location. « Je suis sûr que la Vierge Marie ne me laissera pas tomber », lui rétorque son vicaire. Avec l’année 1817 les premiers frères Maristes commencent leur activité. L’année suivante, Marcellin quitte le presbytère pour loger avec les frères et devient l’animateur spirituel de la communauté.

 

Chambre de Marcellin Champagnat à La Valla (carte postale ancienne)

 

Le succès est fulgurant, et d’autres frères rejoignent les premiers. Un autre établissement est fondé à Marlhes en 1819, à Saint-Sauveur-en-Rue en 1820, à Bourg-Argental en 1822. Cette année-là huit nouveaux novices arrivent de Haute-Loire. Ils permettront l’ouverture de maisons à Vanosc, Chavanay, Charlieu… Marcellin Champagnat décide de donner un habit distinctif à ses frères : il sera composé d’une « lévite », longue redingote de couleur bleue, d’un pantalon noir et d’un chapeau. À cause de cette lévite bleue les frères Maristes gardent pendant longtemps le surnom de « Frères bleus », un nom synonyme de sévérité pour les élèves qui fréquentent leurs établissements. On les nomme aussi « Frères quatre bras » à cause de leur habitude de poser un manteau sur leurs épaules sans l’enfiler. Mais on dit aussi que ce surnom leur vient des châtiments corporels qu’ils n’hésitent pas à infliger aux élèves indisciplinés : ceux-ci reçoivent une telle correction qu’ils ont l’impression d’avoir été frappés par quatre bras.

Arrive l’hiver 1823. Un jour de février, Marcellin Champagnat apprend qu’un de ses disciples à Bourg-Argental est souffrant. Il décide d’aller le voir. Il prend avec lui un jeune novice, frère Stanislas, et marchant d’un bon pas en quatre heures ils font le trajet de La Valla à Bourg-Argental, par la Croix de Chaubouret. Finalement ils trouvent leur frère complètement remis. Le temps d’avaler une légère collation, et en début d’après-midi ils reprennent le chemin de La Valla. Mais entre temps la neige s’est mise à tomber ; on les exhorte d’attendre le lendemain, mais Marcellin est décidé à rentrer le soir même. Mauvaise décision, car à peine ont-ils dépassé l’embranchement du chemin de Thélis-la-Combe que la neige redouble. Ils devinent à peine le pont sur le Riotet, ensuite ils prennent au jugé la direction du nord, vers Graix. La progression est de plus en plus pénible, dans une couche de neige collante et épaisse. Frère Stanislas est épuisé, la nuit tombe maintenant et la neige a effacé tous les repères. Le père Champagnat n’a plus que la solution de prier la Vierge. Il entonne le « Souvenez-vous, ô très douce Vierge Marie… ».

 

Le hameau de la Chaperie aujourd’hui

 

Un peu plus haut sur le coteau est le hameau de la Chaperie. Une ferme isolée, habitée par un nommé Donnet, qui vit là avec sa jeune épouse. À ce moment-là il décide d’aller voir ses vaches à l’étable. Mais alors qu’il existe une porte entre la cuisine et l’étable, ce qui évite de sortir de la ferme, curieusement il lui prend l’idée de passer par dehors, malgré le mauvais temps. Il allume une lampe tempête et sort dans la neige. Il croit entendre une voix réciter le « souvenez-vous ». Il lève sa lampe, des cris retentissent. Marcellin et Stanislas sont sauvés. Le jeune novice revient à lui dans la cuisine bien chaude que plusieurs bougies éclairent. Madame Donnet se penche sur lui, Stanislas croit être au Paradis et commence à remercier la Vierge de l’accueillir. Marcellin Champagnat restera, durant toute sa vie, persuadé que ce soir-là une inspiration divine a poussé le paysan à sortir dehors avec une lampe. L’histoire est touchante, elle aussi fait l’objet d’une plaque commémorative posée contre la maison (partiellement effacée aujourd’hui).

 

Plaque commémorative à la Chaperie

 

Le succès de Marcellin Champagnat et des frères Maristes commence à susciter des critiques. On juge bien culotté ce simple vicaire de campagne qui se permet de créer une congrégation et d’ouvrir des maisons un peu partout. Les curés de La Valla et de Saint-Chamond sont les premiers détracteurs, mais Monseigneur Gaston de Pins, nouvel administrateur du diocèse de Lyon, le prend sous sa protection. Marcellin Champagnat est déchargé de ses fonctions de vicaire et peut désormais se consacrer totalement à son œuvre. En 1824 il entreprend la construction d’un vaste bâtiment de cinq étages, près de Saint-Chamond, dans le creux de la vallée du Gier, Notre-Dame de l’Hermitage. La chapelle est bénie l’année suivante, et à la fin de l’hiver 1825 le bâtiment est terminé et peut accueillir 150 personnes. Il ne cessera d’être agrandi par l’ajout d’ailes supplémentaires.

 

Notre-Dame de l’Hermitage (carte postale ancienne)

 

Marcellin Champagnat remue ciel et terre pour faire reconnaître son institution. La révolution de 1830 vient compliquer les choses. Il s’épuise et tombe malade. Le pape Grégoire XVI autorise la société des prêtres maristes en 1836. Le père Jean-Claude Colin est élu supérieur des pères, Marcellin devient son assistant et continue à animer les frères.

 

Marcellin Champagnat à la fin de sa vie

 

Sa santé se dégrade. Il souffre d’un cancer et meurt le 6 juin 1840 au terme d’une longue agonie. À son décès, l’ordre compte 280 frères et 48 écoles. La tombe de Marcellin Champagnat à Notre-Dame de l’Hermitage fera rapidement l’objet d’un culte fervent. À Marlhes, on ne doute pas qu’il sera un jour canonisé : le village deviendra un lieu de pèlerinage et aura besoin d’une grande église. Alors on construit un nouvel édifice en remplacement de la vieille église, devenue de toute façon trop exiguë. Mais ce n’est qu’en 1920 que le pape Benoît XV fait de Marcellin Champagnat un vénérable, puis il est béatifié en 1958 Pie XII, et enfin canonisé en 1999 par Jean-Paul II.

 

Tombeau de Marcellin Champagnat à Notre-Dame de l’Hermitage

(carte postale ancienne)

 

En 1989, pour le bicentenaire de la naissance de Marcellin Champagnat, le Parc Naturel Régional du Pilat décide de lui dédier un sentier de randonnée allant de Notre-Dame de l’Hermitage, lieu de décès, au Rozet, lieu de naissance, en passant par La Valla-en-Gier. C’est l’un des derniers sentiers linéaires du Parc du Pilat, qui privilégiera ensuite les sentiers en boucle. D’une longueur de 33 km et d’un dénivelé cumulé de plus de 1000 m, il est réservé aux très bons marcheurs. La solution de facilité étant de le prendre à l’envers, autrement dit dans le sens de la descente, ou de le scinder en deux parties. Seuls les pèlerins les plus courageux le parcourent encore, les autres font le trajet en autobus…

 

Inauguration du sentier Marcellin Champagnat en 1989

Passage des marcheurs au Rot

 

11 août 2015 : l’équipe des Regards du Pilat est en balade dans le secteur de Marlhes. Après une visite à l’église, nous déambulons dans les rues du village. Puis à midi halte dans le hameau du Rozet. Après le repas, le frère Lucien vient nous raconter la vie de Marcellin Champagnat, puis nous fait visiter sa maison natale. Il est intarissable.

 

Une partie des Regards du Pilat et frère Lucien dans l'ancien fournil de la famille Champagnat

 

La découverte se termine par la chapelle construite en 1958. C’est un bel édifice en moellons de granit bleu de Marlhes, dû à l’architecte Moreau de Saint-Chamond, à l’initiative des frères et des anciens élèves, qui ont recueilli des fonds dans le monde entier. Des vitraux modernes, dans les tons de rouges très lumineux, racontent la vie de saint Marcellin Champagnat. Ils sont dus au talent du vitrailliste parisien Jean-Jacques Borghetto.

 

Chapelle Notre-Dame, édifiée en l’honneur de saint Marcellin Champagnat au hameau du Rozet




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A présent nous allons retrouver notre nouvel invité ; une sorte de légende bien vivante. C’est dans le décor feutré et quelque peu « secret » d’un restaurant stéphanois, que nous avons rencontré André Picon, cinéaste bien connu, président des Films du Hibou, et réalisateur entre autres du Druide du Pilat et de La Route des Aigles du Pilat, deux films produits par l’Association des Guides Animateurs du Parc Naturel Régional du Pilat, et commercialisés en DVD.






1/ Regards du Pilat : bonjour André Picon, merci de nous accorder cet entretien. Commençons par le commencement… Comment vous est venue la passion du cinéma ?

 

André Picon : le cinéma me fascine depuis mon enfance. Quand j’étais gamin, ma grand-mère m’emmenait voir les films de Laurel et Hardy. J’étais très intrigué par la façon dont l’image se projetait sur l’écran. Alors j’ai voulu faire la même chose, mais faute de pellicule je me suis amusé à projeter des négatifs photographiques à l’aide d’une lampe de poche. Cela me passionnait tellement qu’un jour mes parents m’ont offert un projecteur jouet « NIC », qui utilisait une espèce de bande dessinée sur papier translucide. Chaque case étant composée de deux images superposées, projetées alternativement plusieurs fois par seconde, comme les personnages avaient des positions un peu différentes d’une image à l’autre, cela ressemblait à un dessin animé.

 

Le projecteur jouet NIC

 

Après la guerre, j’ai vendu tous mes jouets pour m’acheter un « vrai » projecteur de cinéma. C’était un appareil à manivelle, mais mon père m’a bricolé un petit moteur électrique. Je louais des films chez Cizeron, célèbre magasin de photo à Saint-Étienne, et le soir je les projetais en famille. J’allais aussi souvent voir les vitrines du magasin d’optique Grenier, et je rêvais devant les appareils « Pathé Baby » qui y étaient exposés. À l’époque, c’était ce qui se faisait de mieux en matière de cinéma familial. Le système « Baby » se composait d’une caméra et d’un projecteur, en format 9,5 mm avec perforation centrale, ce qui permettait une image plus large, de bonne qualité. Un peu plus tard, j’ai rêvé de même façon devant le projecteur 35 mm « Phébus » de la cinémathèque.

 

Le projecteur Phébus

 

2/ Regards du Pilat : après avoir projeté des films, il vous est donc venu l’idée d’en tourner vous-même ?

 

Je suis devenu instituteur en 1955. J’ai pu alors m’acheter une caméra 8 mm. En même temps, j’ai adhéré à un caméra-club d’enseignants, qui possédait une caméra 16 mm. J’ai filmé plusieurs Fêtes de la Jeunesse à Saint-Étienne. Mon premier poste était à l’école du Soleil, ensuite à Côte-Chaude, des quartiers populaires et ouvriers de Saint-Étienne. J’ai été frappé par l’attrait des élèves pour le cinéma, surtout quand on leur permettait de réaliser leurs propres films. C’est ainsi que sont nées mes premières réalisations cinématographiques.

Je me souviens d’avoir filmé la place Chavanelle à Saint-Étienne, à l’époque il y avait encore le marché de gros, qui devait être démoli peu après pour être remplacé par une gare routière, avant que la place ne connaisse d’autres destinées. Ce film constitue aujourd’hui un témoignage précieux sur cette époque.

Ensuite j’ai été en poste pendant deux ans dans une école de plein air à Saint-Paul-en-Jarez. C’était à la fois une école et une colonie de vacances. Les élèves y restaient 24 h sur 24. Ils cultivaient des fleurs qu’ils vendaient le dimanche à la sortie de la messe. Les instits devaient assurer à la fois la classe et les activités de loisirs. Naturellement, j’ai mis en place une activité cinéma. Je louais une caméra 16 mm et nous avons fait plusieurs petits films, comme Jeannot et le faucon. Là encore, les gamins était enthousiasmés par cette activité.

 

3/ Regards du Pilat : on peut dire que la région de Saint-Étienne a été favorisée pour le cinéma scolaire ?

 

André Picon : en effet, nous avons eu le bonheur d’avoir le Ciné-Jeunes Stéphanois. On peut faire remonter sa création aux années 1955/56. A cette époque, les patronages laïques offraient des projections de films, prêtés gracieusement par la Cinémathèque de Saint-Étienne. Mais les films proposés aux jeunes enfants n’étaient pas des oeuvres suffisamment intéressantes au goût des enseignants cinéphiles qui encadraient ces après-midi. Devant l’insuffisance de la programmation, deux instituteurs passionnés, aujourd’hui décédés, Aimé Tavaud et Lucien Levy, décidèrent d’adhérer à la Fédération Jean Vigo. Celle-ci avait à son catalogue des films beaucoup plus pointus.

L’ambition d’Aimé Tavaud et Lucien Levy fut d’organiser des projections pendant l’horaire scolaire et, pour y parvenir, il fallait convaincre les collègues, les parents et l’administration de l’importance de l’image et du film dans l’univers des enfants et de tous les partis que l’on pouvait tirer d’une telle pratique. Il a fallu mettre en place une programmation irréprochable, assortie d’une documentation qui ouvrait des pistes de travail dans toutes les disciplines de l’enseignement. C’est à ce prix que le Ciné-Jeunes Stéphanois a pu se développer et toucher près de 4000 élèves dans les années 70.

 

André Picon (à gauche) avec ses élèves en 1959

 

4/ Regards du Pilat : mais reprenons le cours de votre vie…

 

André Picon : en 1959 je suis parti pour le service militaire, en emportant ma caméra. C’était l’époque de la guerre d’Algérie, qui m’a permis de gagner quelques galons. Ma solde de lieutenant était supérieure au salaire d’un instituteur, mais pourtant je n’ai pas eu envie de rempiler. En 1962 je suis rentré au pays, j’ai repris mon métier, et ma passion. J’ai tourné plusieurs courts-métrages, dans différents styles. Pour La bagnole, petit conte satyrique, j’apparais dans le rôle d’un militaire auto-stoppeur. J’ai profité d’un voyage touristique dans l’Espagne de Franco pour réaliser Espagne, tu me fais mal, sur un scénario de Jean Duperray. Puis j’ai rencontré Michèle, qui allait devenir ma femme. Nous nous sommes mariés en 1965, et très rapidement nous avons eu trois enfants.

À cette époque je me suis inscrit à plusieurs stages de formation cinématographique de la Ligue Française de l’Enseignement. Puis en 1967, suite au départ d’Aimé Tavaud, j’ai été détaché à la Fédération des Œuvres Laïques, où j’ai pris en charge son secteur cinéma (UFOLEIS). Je suis même devenu le responsable pour la région Rhône-Alpes. J’assurais la formation en audio-visuel des élèves instituteurs. Dans des ateliers nous réalisions des films qui entraient dans la notation de leur diplôme de fin d’année Nous organisions des stages à Cannes, avec accès au Festival. C’est de cette époque que date entre autres mon court-métrage Timothée le rêveur.

J’ai aussi travaillé avec la Maison du Cinéma de Grenoble, ou encore avec des professeurs de l’École Normale, avec qui j’ai réalisé des films sur le thème de la France face à l’avenir. Et puis j’ai été animateur à la Maison de la Culture de Saint-Étienne, ce qui m’a valu de rencontrer deux personnalités du cinéma français, Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Mocky.

 

5/ Regards du Pilat : racontez-nous ça en détails.

 

André Picon : j’avais organisé à la Maison de la Culture un festival Jean-Luc Godard. Quelqu’un m’a proposé de l’inviter en personne. Je lui ai fait visiter la Maison de la Culture, ce qui ne l’a pas spécialement impressionné ! Il a voulu voir la ville, en commençant par « les Verts ». Je l’ai donc emmené dans ma voiture jusqu’au stade Geoffroy Guichard. Fermé, malheureusement, et impossible de se faire ouvrir tout de suite. Il a perdu patience et nous avons continué. On est passés devant la gare de Châteaucreux. Il a voulu s’y arrêter, prétextant des repérages pour un futur film éventuel. En réalité, il en a profité pour filer… Le soir, devant une salle comble, j’ai dû annoncer que Jean-Luc Godard ne serait pas présent. J’ai ensuite renouvelé l’expérience avec Jean-Pierre Mocky, qui lui a été plus sympa heureusement.

 

6/ Regards du Pilat : dans les années soixante-dix, on vous retrouve aussi à la tête de deux cinémas à Saint-Étienne ?

 

André Picon : en effet, je me suis occupé du France, une salle gérée par les Amis du Bon Cinéma, qui existe toujours, tout en ayant changé de structure, ainsi que du Lux, une petite salle d’art et d’essai qui malheureusement a disparu. D’ailleurs j’ai eu l’occasion d’en racheter les fauteuils, pour les installer dans la grange d’une vieille ferme que j’avais achetée, du côté d’Ambert, et retapée avec mon épouse. Je faisais des projections pour mes enfants et les enfants du village.

 

7/ Regards du Pilat : votre carrière s’est réorientée dans les années quatre-vingt…

 

André Picon : par la force des choses ! Avec l’élection de Joseph Sanguedolce à la tête de la municipalité de Saint-Étienne, position renforcée par l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, n’étant pas jugé assez « à gauche » je suis devenu un peu l’indésirable de la vie culturelle stéphanoise. J’ai profité de cet éloignement contraint, ayant trouvé des financements ailleurs, pour réaliser en 1983 mon court-métrage Julie et Grégory, que j’ai présenté au Festival de Cannes, et qui a ensuite été diffusé sur France 3.

 

8/ Regards du Pilat : nous arrivons aux années quatre-vingt dix, un grand tournant dans le cinéma avec l’apparition de la vidéo et de l’informatique.

 

André Picon : une révolution, en effet. La vidéo apportait de nouvelles facilités pour tourner. Plus de pellicule à développer, et surtout on pouvait visionner le résultat tout de suite après la prise de vue, et recommencer au besoin. Quant à l’informatique, elle a révolutionné le montage des films. Aujourd’hui, l’ordinateur a remplacé l’ancienne table de montage. C’est devenu plus facile aussi pour la commercialisation des films, avec les cassettes VHS et aujourd’hui les DVD ou Blue-ray. Une autre petite révolution a été le passage au numérique.

 

André Picon aujourd’hui (juillet 2015)

 

9/ Regards du Pilat : parlez-nous maintenant de votre association Les films du Hibou.

 

André Picon : depuis toujours, mes productions étaient estampillées Films du Hibou. C’est donc naturellement ce nom que j’ai repris quand j’ai fondé cette association. Nous avons créé la collection Mémoire d’hommes pour réaliser les portraits de quelques acteurs de la vie culturelle régionale. C’est ainsi que j’ai immortalisé des personnages comme le dessinateur Pierre Zellmeyer, le conservateur et ethnologue Daniel Pouget, ou le sculpteur Albert Louis Chanut, pour n’en citer que trois parmi tant d’autres. Un autre film important a été celui consacré au souvenir d’Aristide Briand, que le regretté Jean Navrot a fait revivre magnifiquement en s’appropriant les textes de ses discours.

 

10/ Regards du Pilat : et donc vous avez été amené à réaliser ces deux films pilatois, Le druide du Pilat et La Route des Aigles du Pilat. Pouvez-vous nous en parler, nous expliquer comment ils sont nés, comment ils ont été tournés ?

 

André Picon : tout d’abord je dois préciser que j’avais déjà réalisé d’autres films sur le Pilat. J’ai beaucoup travaillé avec Jean Andersson, qui était animateur culturel pour le Parc Naturel Régional du Pilat. Ensemble nous avons fait un film sur Saint-Genest-Malifaux, montrant par exemple les différentes étapes de la construction de la salle Jules Verne. J’ai aussi tourné des films sur la journée Vélocio, ou sur la Jasserie, avec un plan filmé en ULM, que j’ai réutilisé pour l’introduction du Druide du Pilat.

Pour fonder l’association Les Films du Hibou j’avais retrouvé mon ami Pierre Bessenay. C’est un camarade d’enfance, nous étions ensemble au lycée Claude Fauriel, puis nous nous sommes perdus de vue arrivés à l’âge adulte, avant de nous retrouver à l’âge de la retraite ! Pierre qui était également membre de l’association des Guides du Pilat, en est devenu le président en 2004. Il se trouve que le secrétaire de cette association était alors un certain Patrick Berlier. Or j’avais connu Patrick dans les années 1968/70, alors qu’il était au Lycée du Mont, où il avait ma femme comme professeur. C’était l’époque de l’après mai 68, les établissements scolaires s’étaient vus imposer la création de Foyers Socio-éducatifs destinés à organiser des activités d’éveil pour les élèves, à l’intérieur même des établissements. Patrick s’était inscrit au club photo et cinéma, encadré entre autres par ma femme. Je suis intervenu pour l’aider et le conseiller. Ensemble nous avons réalisé un diaporama, présenté au lycée en fin d’année. Puis nous nous sommes perdus de vue, et retrouvés par hasard bien des années plus tard, lors de l’exposition Zellmeyer à la Médiathèque, en 2005 je crois. Entre temps, Patrick avait fait le chemin que l’on sait, et publié ses livres sur le Pilat et sur la Société Angélique.

L’idée de faire un film sur lui s’est alors imposée. Comme les Guides avaient surnommé Patrick « le Druide », Pierre Bessenay s’est écrié : « le titre du film sera Le Druide du Pilat ». Puis ce projet a évolué vers l’idée d’un film de fiction dont il serait le personnage principal. Patrick nous a proposé un synopsis, puis a écrit le scénario. Il avait bien retenu mes leçons puisqu’il s’est souvenu de la façon de découper un scénario en plans. Les Guides du Pilat se sont beaucoup investis dans l’aventure, en acceptant de jouer des petits rôles. Patrick et les Guides m’ont emmené dans des coins perdus du Pilat que je ne connaissais pas, et où je serais incapable de retourner ! Je dois dire que j’ai eu un peu de mal à entrer dans l’univers imaginé par Patrick, mais j’ai suivi ses directives et j’ai tourné, sans trop comprendre. Ce n’est qu’en montant le film que j’ai fini par saisir le sens de l’histoire ! Le DVD est sorti en 2008 pour le 25e anniversaire de l’Association des Guides Animateurs du Parc Naturel Régional du Pilat.

 

Tournage à la table d’orientation du Crêt de Chaussitre

 

11/ Regards du Pilat : et vous avez renouvelé l’aventure avec La Route des Aigles du Pilat

 

André Picon : le projet était porté par le nouveau président des Guides, Bernard Jamet, qui avait envie que l’association produise un nouveau film, à vocation touristique cette fois. Lors d’une réunion préparatoire, Patrick Berlier a proposé le thème de « la route des aigles », nom poétique donné au chemin parcourant la ligne de crête du Pilat, d’un bout à l’autre. Finalement, c’est lui aussi qui a enregistré le commentaire, ce qui était logique puisqu’il en était l’auteur. Les Guides se sont cependant moins enthousiasmés que la première fois, et puis en accord avec le Parc il a été décidé de demander une participation financière à la région Rhône-Alpes. Les premières images ont été tournées en été 2010, nous avons réalisé l’une des balades pour montrer concrètement ce que pouvait donner le projet.

En 2012, alors que le film était déjà bien avancé, Patrick est tombé malade et a dû être hospitalisé pour une délicate intervention de neurochirurgie. Franchement, nous étions pessimistes… Lorsque, avec Joseph Machabert, autre maillon fort à la fois des Guides et des Films du Hibou, nous sommes allés le voir à l’Hôpital Nord début novembre, il était encore en Réanimation. Pas très brillant… Il commençait juste à reprendre ses esprits, mais il manifestait quand même son désir de poursuivre le film. Et le DVD est sorti en 2013, avec une première projection publique en salle Jules Verne à Saint-Genest-Malifaux.

 

André Picon au chevet de Patrick hospitalisé (novembre 2012)

 

12/ Regards du Pilat : Pour terminer cet entretien, pouvez-vous nous parler de vos projets ?

 

André Picon : je ne suis plus tout jeune, alors je voudrais finir de mettre de l’ordre dans mon catalogue, pour pouvoir monter tous mes vieux films en DVD et les déposer à la Cinémathèque, ce que j’ai déjà fait pour un certain nombre. Et puis je viens enfin d’avoir l’accord financier de la ville de Saint-Étienne pour réaliser un portrait de Jacques Plaine, qui fut un libraire bien connu, et l’organisateur de la Fête du Livre. L’idée serait de sortir le film pour le trentième anniversaire. Enfin je vous signale que depuis quelques années je dispose d’un site Internet, où il est possible de voir les vidéos de plusieurs de mes films anciens ou nouveaux : www.lesfilmsduhibou.fr

 

Regards du Pilat : il ne nous reste plus qu’à vous remercier de nous avoir consacré un peu de votre temps.

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