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RUBRIQUE
Sociétés Secrètes Novembre 2020
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Par
Michel Barbot
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Prémices
et existence d’une Académie Angélique Nantaise Première
partie : les prémices Les
prémices d’une
présence Angélique Nantaise sont
difficilement repérables dans l’histoire connue de l’ancienne
capitale de la
Bretagne. Bien qu’étrangers aux thèmes angéliques,
les travaux du chercheur Nantais Jean-Paul Lelu, membre de la
Société de
Mythologie Française, intègrent des thèmes
médiévaux qui associèrent les
Chevaliers de l’Ordre du Temple, les Confréries de
Saint-Nicolas, de
Sainte-Catherine, de Saint-Éloi et, pouvons-nous le penser, les
Corporations
Gilpines. Ces dernières sont connues pour avoir
précédé, dans l’Italie puis
dans la France médiévale, les Académies
Angéliques. Mais il se peut qu’elles
soient elles-mêmes héritières de corporations plus
anciennes. Notre ami
Patrick
Berlier dans son livre La Société
Angélique - Une société secrète
d’humanistes & d’imprimeurs à la
Renaissance, nous présente ainsi les corporations
gilpines : « Saint-Gilpin,
c’est le nom donné à ces corporations de graveurs, rendus
très puissants par
l’invention de l’imprimerie, et que l’on nomme encore Saint-Gilles,
Gilpins,
Glypains, d’une racine grecque gluptos
(gravé) que l’on retrouve en français moderne dans les
mots glyphes (gravure en
creux) ou glyptique (art de graver). » Les
livres de Patrick sur la Société Angélique
lyonnaise La racine
grecque gluptos pénétra les langues
araméenne et
hébraïque. Nous retrouvons en araméen le mot Galf ou
Gluf, prononcé Glouf (le
Pé final des Sémites se prononce Phé). Dans le Dictionnaire Araméen Hébreu Français
English (Éditions Barazani) de
Baruch Krupnik et du Dr. A. M. Silbermann, nous découvrons le
mot Galf avec la
signification de « sculpteur, graveur,
ciseleur ». Le linguiste
Ernest Klein dans son Dictionnaire
étymologique de la langue hébraïque (1987), évoque une
« Hébraïsation de Gk.
Glyphein ».
Sur le site https://milog.co.il/גלף/e_1498 nous
découvrons, avec
orthographe complète, les différentes déclinaisons
de la racine GLP ayant donné
en araméen et en hébreu, le mot Gileph, Gilepha, etc…,
dans le sens de
« Guilde ». Le mot Gileph ou Gilef (prononcer
Guilef) désigne en
premier lieu la « sculpture ». Depuis la
déportation des Juifs à Babylone, la langue parlée
par les descendants
d’Abraham fut l’araméen ou chaldaïque. L’hébreu
perdura en tant que langue
sacerdotale. Une présence juive dans la cité nantaise est
attestée sous
l’épiscopat du Biturige Nonnechius Ier qui occupa le
siège
approximativement de l’année 462 à l’année 475.
Bien que cette présence soit
évoquée par André Chédeville et Hubert
Guillotel dans le livre La Bretagne des saints et des rois
(T.
I : Ve-Xe
siècle), il faut reconnaître que le sujet embarrasse,
non par cette
présence mais plutôt par l’énoncé de cette
présence. Il y a tout
d’abord
le curieux texte du Dominicain Albert le Grand (1599-1641) dont La Vie des saincts de la Bretaigne armorique
fut publiée en 1637 à Nantes chez Pierre Doriou.
Élément d’intérêt, ainsi que
nous l’avions évoqué dans l’article consacré
à Nostradamus, cet hagiographe
Breton fut un membre de l’Académie Nantaise où il
présentait régulièrement les
nouvelles pages de son ouvrage tant attendu. La page qui nous
intéresse, est
ainsi rédigée : « Karmundus, natif d’Auvergne (que je
trouve nommé Cariundus par un acte de l’an 1160, qui en
réfère un autre de l’an
576), fut envoyé par S. Sidonius evesque de Clermont vers Nonnechius son neveu, lequel le convertit et de juif
qu’il estoit
et né de parents juifs, le fist chrestien et l’esleva si bien
qu’il le rendit
digne de luy succéder à l’Evesché : et fut
consacré l’an quatre cens
octante huict, séant à Rome S. Félix,
troisième ou deuxième, sous l’empire de
Zénon et règne de Hoel IIe du nom. Il fit
venir ses parents
d’Auvergne en Bretagne et les convertit à la Foy
chrétienne, de sorte qu’ils
firent à leur frais, bâtir l’Eglise de Saintc-Donatien
hors les faux-bourgs de
Nantes, au lieu où les Saincts Martyrs avoient été
ensevelis : et ce
prélat estant mort le 27 octobre, l’an quatre cens nonante deux,
y fust
ensevely. » L’abbé
A. Delanoue
en 1912 dans son livre Saint Donatien et
Saint Rogatien de Nantes, éprouve assurément des
difficultés à accepter ce
texte : « Avouons
de suite que ce récit a été très
discuté. La phrase : ‘’sous le règne de
Hoël IIe du nom’’ ne paraît pas la phrase d’un
historien sérieux.
Nantes a eu des comtes. Elle n’a jamais eu de rois. De plus, les
‘’Hoël’’ ne
vinrent que plus tard. « Travers
met aussi en doute la conversion du juif Cariundus : ‘’Le nom
Kariundus,
dit-il, n’est point le nom d’un juif.’’ M. de la Borderie, plus amer,
assure
que ‘’le bon Albert… invente tout. Jusqu’à de nouvelles
découvertes,
l’existence de Karmundus doit être tenue pour
problématique’’ ». L’abbé
Travers
voyait dans le nom de Kariundus, celui d’un Saxon ou d’un Breton.
Karmundus ou
Karvindus fut bien le successeur de l’évêque Nonnechius.
Plusieurs historiens
affirment même qu’il était le fils de Nonnechius. Le
Père Albert le Grand, s’il
eut vécu de nos jours, pourrait se vanter d’avoir
« fait le buzz ». Karmundus
(Pierre
du Monde), tel un Grand-Prêtre Juif, apparaît dans la
galerie des 10
personnages de la façade de la basilique
Saint-Donatien-et-Saint-Rogatien,
entre deux autres évêques Nantais, Nonnechius le Biturige
(Roi du Monde),
Gaulois armé d’une hache et d’un bouclier et Landranus
héritier des deux
traditions : Nonnechius
– Karmundus –
Landranus Dans une
épître
latine envoyée au Pape Nonnechius,
Sidoine Apollinaire évêque de Clermont, recommande un
certain Promotus,
porteur de lettres : « devenu tout
récemment notre coreligionnaire. Juif
d’origine, il a préféré être israëlite
par la foi que par le sang. » L’évêque
de
Clermont garde le silence sur le but du voyage de son
protégé tout en glissant
dans son courrier des phrases sibyllines : « Il a mieux aimé la
céleste Jérusalem (Hierusalem) que
la Solyme (Hierosolymam) de la
terre. Puis donc qu’il en est ainsi, que la spirituelle Sara
reçoive dans ses
bras maternels ce nouveau fils d’Abraham. Il a cessé
d’appartenir à Agar
l’esclave. »
Sidoine ajoute : « D’ailleurs
il vous
expliquera lui-même les motifs qui l’ont décidé de
venir vers vous. » Si le nom de
Karmundus ou Kar(v)indus n’est pas juif, celui de Promotus
(Promotum) ne l’est guère plus. Les partisans
d’Albert le Grand, ainsi que le notait l’abbé Delanoue, voient
malgré tout, une
grande ressemblance entre Karmundus et Promotus. Cet abbé quant
à lui, y
reconnaît « tout
au plus un rapprochement
curieux », avant d’ajouter :
« Peut-être pourrait-on aussi
traduire ‘’Promotus’’ par le ‘’Candidat’’, l’élu. » Karmundus
durant
son épiscopat participa au premier concile des
Vénètes (Vannes) vers 465, d’où
l’hypothèse qui s’imposa un temps pour certains
exégètes de l’épître de
Sidoine : Karmundus était un transalpin ayant
participé à un concile en la
cité de Venise. Sidoine ne
donne à Nonnechius aucun détail dans son
épître sur la
mission de Promotus à Nantes : « il vous
expliquera lui-même les motifs qui l’on décidé de
venir vers vous. »
Promotus (francisé en Promote) est porteur d’une connaissance,
d’un projet dont
il pourrait-être l’élu, le dépositaire. Ce Juif
dont le nom resta inconnu, « a
préféré à la lettre qui tue, l’esprit qui
vivifie ». Les propos de Sidoine font
référence au chapitre 3 de la
Seconde Épître de Paul aux Corinthiens, dans lequel il est
écrit : « Il
nous a aussi rendus capables d'être ministres d'une nouvelle
alliance, non de
la lettre, mais de l'esprit ; car la lettre tue, mais l'esprit vivifie.
Or, si
le ministère de la mort, gravé avec des lettres sur des
pierres, a été
glorieux, au point que les fils d'Israël ne pouvaient fixer les
regards sur le
visage de Moïse, à cause de la gloire de son visage, bien
que cette gloire fût
passagère, combien le ministère de l'esprit ne sera-t-il
pas plus glorieux
! ». (Ch.
3 : V. 6 à 8) L’apôtre
Paul au versets 2 et 3, proclame que la lettre est « écrite dans nos
cœurs […]. Vous êtes manifestement
une lettre de Christ, écrite, par notre ministère, non
avec de l’encre, mais
avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur
des tables
de chair, sur les cœurs. » Deux tables
s’affrontent, celle(s) gravée(s) par Dieu au Mont Sinaï et
celle(s) gravée(s) également par Dieu dans le cœur des
hommes. Bien que
présentée(s) comme essentiellement chrétienne(s),
la table ou les tables du
cœur, sont déjà annoncées dans les Proverbes 3-3. Sidoine n’a
pas rédigé de lettre dans laquelle serait
révélée la
mission de Promotus car Promotus est lui-même la lettre
gravée, la lettre de
Christ gravée sur la table du cœur. Promotus
arrive à Nantes avec sa
parenté. Incarnation
de la lettre
gravée, ils
apparaissent comme les premiers
Gilpins Nantais, les premiers membres de la Gileph ou
Gilepha,
dont le nom araméen issu du grec Gluptos désigne la
« Sculpture,
Gravure ». Promotus
transcende
en vainqueur, le mythe grec de Prométhée dans lequel
certains Pères de l’Église
des premiers siècles, suivis plus tard par quelques peintres,
verront une image
pré-chrétienne de Jésus-Christ.
Prométhée apporta aux hommes le feu, la
lumière. Zeus le fit enchaîner à une pierre. Chaque
jour, une aigle venait
dévorer son foie, jusqu’au jour de la rédemption. Pour le
Promotus ou Promote
Nantais, il n’en va pas de même, en ayant choisi l’esprit qui
vivifie, plutôt
que la lettre qui tue, il ne fut « point
condamné à d’éternels supplices. » Promotus,
écrit
Sidoine, « a mieux
aimé la céleste Jérusalem
que la Solyme de la terre. » Promotus a choisi le
« Royaume de
Dieu », thème évangélique
très important aux premiers siècles du
Christianisme. À l’origine de cette Gileph nantaise, nous
trouvons Sidoine,
Promotus, Karmundus et Nonnechius. Arrêtons-nous sur ce dernier
nom : Nonnechius le
Gaulois Biturige, neveu de Sidoine (le monde paraît bien petit…)
porte un nom
qui peut nous éclairer sur cette guilde naissante. La langue
grecque ancienne
comporte le mot Nounechos dont la signification est :
« sagement, discrètement, prudemment ».
Or, ce mot apparaît dans
l’Évangile de Marc au chapitre 12, verset 34 lorsque
Jésus s’adresse à cet
homme que l’on appellera désormais « le
scribe qui n’est pas loin du Royaume de Dieu » :
« Jésus,
voyant qu'il avait répondu avec intelligence
(Nounechos), lui dit : Tu n'es pas loin du royaume de
Dieu. » Dans
l’Évangile de
Matthieu (Ch. 13, V. 47 à 50) est évoquée la
parabole du filet. Jésus compare
le Royaume des Cieux, autre nom pour le Royaume de Dieu, « à un filet qu’on
jette en mer et qui ramène toutes
sortes de poissons… » Cette lecture
du
Royaume peut trouver une certaine correspondance avec le nom de
Sidoine, oncle
de Nonnechius. Sidoine vient de l’hébreu Stidon :
« abondance de
poisson, pêche » et nom d’une « cité
phénicienne » (Sidon ou
Stidon). La Guilde
nantaise,
la « Sculpture », de Promotus,
édifia sous la direction de
Karmundus, hors les murs à l’Est, la première
église de
Saint-Donatien-et-Saint-Rogatien. La géographie et le calendrier
sacré de
Nantes allaient se dessiner tout au long des siècles. Le nom de
Nonnechius placé dans un contexte purement nantais et gilpin,
fait de
cet évêque natif de Bourges, une transposition au Ve
siècle du scribe
qui est près du Royaume de Dieu, symboliquement
représenté dans ce même
contexte par Sidoine. Ce scribe de l’Évangile de Marc,
s’entretint avec Jésus
après avoir écouté et apprécié
à leur juste valeur ses enseignements. La
parabole qui ouvre ce chapitre 12, apparaît comme une variation
d’un texte
d’Isaïe. Jésus raconte qu’un homme planta une vigne et
l’entoura d’une haie,
puis creusa un pressoir, avant de bâtir une tour. L’heure de la
récolte venue,
il envoya l’un après l’autre ses serviteurs afin d’obtenir la
part de la
récolte qui lui revenait. Si le premier fut battu et
renvoyé à vide, les
suivants furent tués. L’homme qui avait planté la vigne
envoya ensuite son fils
bien-aimé qu’ils tuèrent également parce qu’il
était l’héritier. « Maintenant,
que fera le maître de la vigne ? Il
viendra, fera périr les vignerons, et il donnera la vigne
à d'autres. »
(Verset 9) Jésus
explique
ensuite que cette parabole correspond à une autre
parabole : « La
pierre qu’on rejetée ceux qui
bâtissaient : Est
devenue la principale de l'angle ». Cette
pierre peut se retrouver avec
Karmundus : la Pierre du Monde ou Karvindu : la Pierre
Blanche. Le
texte d’Isaïe (Ch. 5) qui inspira à
Jésus la parabole du maître de la vigne, raconte que le
Bien-aimé a planté une
vigne sur un coteau plantureux. « Il
y retourna la terre et installa un plant de
son choix. Au milieu, il bâtit une tour et il creusa aussi un
pressoir (ou
une cuve). » Cette vigne était « la
vigne du Seigneur, le
tout-puissant, la maison d’Israël et les gens de
Juda ». Mais cette vigne
a donné du mauvais fruit… « elle ne sera ni
sarclée ni taillée, il y
poussera des épines et des ronces et j'interdirai aux nuages d'y
faire tomber
la pluie. » Au
milieu de la vigne fut bâtie une tour (Migdal)
et creusé un YEQEB, mot signifiant un pressoir
ou une cuve.
Les commentaires rabbiniques évoquent une cuve ou cave à
vin sculptée. En effet
le verbe H’ATSAB, « creuser » signifie
aussi « être
gravé », à la façon des lettres
gravées dans la pierre avec un stylet de
fer et de plomb (Job 19-24). Le même mot en tant que nom commun
désigne dans la
Bible un tailleur de pierre (II Rois 12-13). Le texte hébreu
permet suivant
l’opinion des anciens Rabbins, de penser que la cuve ou cave
était sculptée
d’une vigne : « Vignoble dans le vignoble ».
La cave au pied ou
sous la tour, est environnée de vigne, dans la cuve
apparaît le Vignoble
représentant symboliquement la vigne de Noé. Cette
sculpture viticole renvoie à
la Vigne d’Or présente dans le Second Temple à
Jérusalem. Cette vigne, ainsi
que nous l’évoquions dans la seconde partie de note article Michel
de
NOSTREDAME ou l’invitation au voyage en terre Vestalique, fut
gravée sur
les pièces de monnaie de la Grande Rébellion (66-70/71)
et de la rébellion de
Bar Kokhba, le Fils de l’Étoile. Cette vigne
représentait la Terre
d’Israël, ses enfants et son Messie. Les raisons de sa
présence dans le Temple
restent méconnues. D’intéressantes représentations
de la Vigne d’Or et des
pièces de monnaie sont visibles sur le site https://har-habait.org/articleBody/31023 Nous
avions pu voir dans ce précédent article que
l’idée
de cette Vigne d’Or se retrouve à Nantes, avec les Templiers
d’une part (le
Bois Tortu) et l’Académie de Nantes présidée par
Pierre Biré. Devons-nous
pour autant appliquer la parabole biblique du
« Vignoble dans le vignoble » - sans pour autant
supprimer son
caractère israélite – à la cité de
Nantes ? L’histoire nantaise nous
apprend qu’au centre de l’actuelle quartier du Bouffay dans l’ancien
Portus
Namnetum des Gallo-romains, se trouvait la Grande Tour que les Vikings
vont
détruire tout comme le reste de la cité. Ils
s’installèrent sur l’autre rive de
l’Erdre et édifièrent le Namsborg. En 937 le duc
Alain
Barbetorte, le Libérateur de la Bretagne,
chassa les Vikings du Namsborg, relevant
dans un premier temps la Grande Tour gallo-romaine. Il aurait pu,
ensuite, suivant quelques auteurs, dresser les fondations du
Quadrilatère, le
premier château du Bouffay. Mais ce fut le conte de Rennes Conan
le Tort,
également duc de Bretagne et comte de Nantes qui mènera
à bien en 990 (l’année
988 est aussi avancée) l’édification de ce palais comtal. La tour du
Bouffay face à la parabole viticole Ce nom de
Bouffay aurait été donné par le duc Conan le Tort
au
Quadrilatère, le primitif château du Bouffay. On trouve
tout au long des
siècles les variantes Bouffaio, Bouffedio, Bufeto, Boffredum ou
Bufetum qui
aujourd’hui encore restent inexpliquées aux dires des
historiens. Il est vrai
que le mot Bouffay offre une grande possibilité de
significations. Le
récit arthurien de la branche Caradoc, mentionne
« la Tor del Boufois », la Tour du Bouffay de
Nantes, avec le sens de
« joyeux vacarme ». Le Docteur A. Sinan en 1933
dans son livre LE
VIEUX NANTES QUI S’EN VA, s’appuyait quant à lui sur une
étymologie
proposée par l’avocat et historien Nantais André
Perrraud-Charmentier
(1888-1963), puis sur « d’autres »
dont il ne donne pas les noms. La
tour du Bouffay à Nantes (Lithographie
ancienne) Une recherche
plus
affinée sur le Net, nous permet de découvrir la
source originelle :
l’abbé Sébileau. Nous découvrons en date du mardi
3 juillet 1906, dans
l’extrait des procès-verbaux de la séance de la
Société Archéologique et
Historique de Nantes et de la Loire-Inférieure,
présidée par M. le baron de
Wismes, historien Nantais de renom, la lecture du travail de M.
l’abbé
Sébileau, professeur à Saint-Stanislas « A propos du Bouffay ». Ce travail
appelé à paraître dans Le Pays d’Arvor
en d’octobre nous
présente d’intéressantes réflexions : « Le
terme, Bouffay, viendrait d’un latin
vulgaire apporté par les soldats de l’Empire : Boffretum
devenu Buffetum
et plus tard : buffeïum ce qui
signifie armoire, quelquefois aussi échafaudage roulant, sorte
de tribune, et
plus souvent la machine de guerre mobile dont parlent Xénophon,
César et
Vitruve et que connaissaient les Assyriens de Sennachérib au
VIII s. av.
J.-C. […] Ces travaux de stratégie militaire prirent, au
moyen-âge, par
corruption de boffretum et de buffetum,
le nom de beffroi qui
s’appliqua même à la cloche, et dans le pays nantais, la
forme buffeïum devint
très facilement le Bouffay. Nous
trouvons en effet plusieurs bouffays
dans notre contrée : le château du Bouffay sur le
territoire de la
Chapelle-sur-Erdre, le village du Bouffay en Villepot, la place du
Bouffay à
Melestroit, etc. » https://archive.org/details/bulletinsocietea47soci/page/n443/mode/2up/search/boffretum Les
différents Bouffay évoqués en
1906 par l’abbé
Sébileau n’apportent en fait que peu dans l’énigme
étymologique de Bouffay
nantais. L’idée
d’armoire
est intéressante, elle se doublera aussi dès le Haut
Moyen-Âge avec celle du
buffet. Il y eut le buffet où l’on rangeait le pain mais il y eu
aussi le
buffet où l’on rangeait le vin. Ce buffet à vin se
retrouvera en 1150 dans le Roman de Thèbes et plus tard chez François Villon avec le Vin de buffet. Nous
découvrons
dans le Dictionnaire Historique de la langue française
d’Alain Rey
(2011), un lien médiéval d’intérêt entre le
vin et le buffet : « Il
est probable qu’il y ait un rapport entre buffet
‘’meuble’’ et l’ancien français bufet ‘’piquette’’
(Xe s.)
qui a donné l’expression vin de buffet
(XIVe s., en particulier Villon). » La vieille
langue française
nous apprend que l’on mettoit le vin sur le buffet d’où
les
expressions : ‘’Servir en buffet,
ou ‘’à buffet’’, et vin
de buffet.’’ » Bien que
l’idée
d’un mot bufet désignant une vulgaire ‘’piquette’’ au Xe
siècle
n’est guère valorisante pour l’origine de la tour du Bouffay, il
semble malgré
tout que nous ne soyons pas loin de la vérité nantaise du
Bouffay : IN
VINO VERITAS ! Une
étymologie plus
gilpine et que Grasset d’Orcet n’aurait assurément pas
désavouée, figure dans
le récent ouvrage de Fanny Cheval (préfacé par
Stéphane Pajot dont les livres
sur Nantes sont des pièces majeures), Les Gens de Nantes
ou Légendes
de Nantes (Éditions Coop Breiz). Elle fut
présentée dans l’ancien journal
nantais Le Phare de la Loire le 29 août 1904 : « […]
À mon avis, la dénomination de ‘’Bouffay’’ a
été donnée à certaines forteresses
en raison des matériaux employés à leur
construction : la pierre, surtout
dans les parties supérieures de l’édifice, était
souvent au début du Moyen Âge
remplacée par le bois et les peaux de bêtes. « Dans
les grossiers châteaux du premier âge féodal, dit
Léon Gautier, dans ces tours
de bois couvertes de peaux de bêtes saignantes, […] et ces
châteaux sont moins
des abris que des tanières. » « Bouffay
veut dire : ‘’fait avec des peaux de bœuf’’. Le radical bou
dans le
sens de ‘’bœuf’’ se trouve dans ‘’bouverie’’, étable de bœuf,
‘’bouvier’’,
conducteur de bœufs, ‘’bouvillons’’, jeunes bœufs. « C’est
au Xe siècle, c’est-à-dire dans un
siècle encore barbare, au
lendemain de la septuple invasion normande, que Conan le Tort,
construisit à
Nantes son château ou plutôt sa tanière, au bord
d’un marais, au confluent de
l’Erdre et de la Loire. Du haut de la tour on faisait le guet et, en
cas de
danger, on sonnait l’alarme ; l’édifice contenait en outre
des cachots
pour les prisonniers. « Dans
certains actes, le mot ‘’Bouffay’’ est latinisé en celui de bufetum
ou Buffetum ;
jadis en latin, bu se prononçait à la romaine [bou]. Bu,
du reste, était
maintes fois employé dans le sens de bœuf, bucéphale,
cheval ayant la tête d’un
bovidé, monstre du grand Alexandre, ou bugrane,
dénomination scientifique de la
plante ‘’Arrête-bœuf’’. » L’auteur de
ces
quelques lignes n’hésite pas, ainsi qu’on pu le faire d’autres
auteurs, à
rapprocher le mot ‘’bouffay’’ du mot ‘’beffroi’’
« donné primitivement aux
tours mobiles qui servaient à l’attaque des enceintes
fortifiées avant
l’invention de la poudre à canon, et dont l’armature de bois
était garnie de
peaux d’animaux pour protéger les assaillants – puis dans bien
des villes, à la
tour qui parfois se confondait avec le clocher d’une église. Si
cela est,
‘’beffroi’’ voudrait dire ‘’bœufs frais’’ (fait avec des peaux
fraîches et non
encore tannées). Cette lecture
bovidienne de nature gilpine aurait assurément parlé aux
membres de l’Angélique
nantaise. Fragment
de cuve de sarcophage – guirlandes de bucranes
avec grappe de raisin fin du IIe - début du IIIe
s. ap.
J.-C. Sarepta (Liban) © 2009 Musée du Louvre / Thierry
Ollivier http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not&idNotice=36436 Le bucrane
cher aux
Gilpins, fut souvent associé aux grappes de raisin dans
l’Antiquité. Le nom
biblique de cette cité phénicienne située non loin
de Sidon, était Tsarfat. Ce
nom est aussi le nom de la France en hébreu. Les Rabbins ont
apporté et
apportent encore une grande importance à l’expression
« De Tsarfat à
Sépharad », soit « De la France à
l’Espagne », en référence au
Livre d’Abdias, I-20, où sont évoqués les Temps
Messianiques… Un Gilles sur
le bûcher ou le parachèvement de l’Axe Saint-Aubin –
Saint-Gilles / Saint-Laud ! Il semble
probable
que les premiers Graveurs ou Gilpins
Nantais du Guileph (la Guilde ou la Gravure) aient accompagné au
long des
siècles, la longue mise en place des trois axes calendaires
majeurs : un
axe Est / Ouest et deux axes Nord / Sud. L’Axe Nord /
Sud sur lequel nous nous arrêterons dans cette étude
est l’axe saint Aubin
/ saint Gilles et saint Lau(d) ou Leu (le saint Loup de Sens). Voir sur le
sujet (http://www.mythofrancaise.asso.fr/mythes/cadres/NAcalenC.htm Plan
ancien du centre historique de
Nantes avec ses axes calendaires La
particularité de cet axe nantais (particularité que l’on
retrouve avec
les autres axes) est que les fêtes de saint Aubin et de saint
Gilles, ainsi que
le remarqua avec justesse Jean-Paul Lelu, « sont
séparées exactement par un
intervalle de six mois. La coïncidence est trop extraordinaire
pour n’être pas
significative. » (La géographie sacrée de
Nantes au Moyen Âge et les
mythes du forgeron et des jumeaux – J.-P. Lelu in Mélanges
de Mythologie
française.) Le patronage
de saint Aubin remonterait au VIe siècle. Il
faudra ainsi, pas moins de 9 siècles avant que l’on puisse
valider l’existence
de l’Axe saint Aubin - saint Gilles. Étrange création que
cet axe car il prend
réalité avec la mort du fameux Gilles de Rais dans la
Prairie de la Madelaine,
ancienne île de la Loire. Le 26 octobre
1440, Gilles de Rais fut – égard à son haut lignage –
pendu, puis livré au bûcher, d’où il fut rapidement
retiré avant que les
flammes l’aient atteint. Ancien compagnon de Jeanne d’Arc, le baron de
Rais ou
de Retz, l’un des plus grands seigneurs féodaux, faisait de
l’ombre au duc de
Bretagne ainsi qu’au roi de France dont il était le
créancier, et ce à de
nombreuses reprises. Homme brave et loyal, il resta au service du roi
Charles
VII jusqu’à l’âge vingt-sept ans puis se retira dans ses
domaines où il
pratiqua l’alchimie, sacrifiant dit-on des enfants pour parvenir au
Grand
Œuvre. Son procès a été refait maintes et maintes
fois : condamné par les
uns, acquitté par les autres… Gilles
de Laval, sire de Rais,
(1404-1440). Huile sur toile exposée dans la galerie des
maréchaux de France,
château de Versailles par Éloi Firmin Féron, 1835 Durant les
trois jours qui séparèrent Gilles de Rais de la sentence
et de
son exécution, il fit connaître ses dernières
volontés ; curieuses
volontés assurément. Pour Jean-Paul Lelu « Certains
lieux ont marqué les derniers moments de la vie de Gilles de
Rais. Il est
possible qu’ils aient été
délibérément choisis par lui et ils paraissent
lourds
de symbolisme. […] Le choix de ces lieux
suggère en tout cas une lecture de la géographie urbaine
de Nantes. » Gilles de
Rais se fit-il ni plus ni moins le protecteur des
enfants ! Un pèlerinage défini par un
itinéraire sacré va se met en place,
semble-t-il à l’initiative de ce puissant seigneur : « Notre-Dame-de-Délivrance
invoquée avant la
naissance, Notre-Dame-de-Vie au moment critique de la naissance, et
Notre-Dame-de-Crée-Lait après la naissance. »
Ces vocables sont-ils
antérieurs à la mort de Gilles de Rais ? Rien ne
vient le confirmer bien
qu’ils existaient antérieurement en d’autres lieux. Ils seront
associés dans le
pèlerinage au petit monument que Gilles de Rais mandera
d’édifier au lieu même
de son trépas, un oratoire, une croix dont le socle portait
trois niches, contenant
chacune les saints préférés de Gilles de
Rais : la Vierge ou Notre-Dame du
Crée-Lait, saint Gilles son patron et saint Laud. Ce monument
prit le nom de
Pilier Notre-Dame. Exécution
de Gilles de Rais, gibet
et bûcher (vers 1530). Manuscrit à peinture aux armes du
président Bouhier,
Paris, BnF, département des manuscrits, Ms. Bien que
saint Laud (le saint Loup de Provins) soit associé à
saint
Gilles dans la dédicace de certains édifices religieux,
car fêté le même jour,
sa présence peut surprendre au Pilier Notre-Dame. Cette
présence permettait,
peut-être, de mieux faire passer celle du saint gilpin, patron de
Gilles de Rais. Pilier
Notre-Dame : niche de
Notre-Dame de Crée-Lait La
présence de saint Gilles (1er septembre) sur cet axe
routier marqué au Nord par saint Aubin (1er mars),
valide pleinement
cet Axe Poissons / Vierge de Nantes, sachant qu’au centre même de
cet axe, se
trouve l’église Saint-Saturnin fêté le 29 novembre,
avant-veille de saint Éloi
(1er décembre) vénéré tout
à côté et placé dans le calendrier, trois
mois après saint Gilles et trois mois avant saint Aubin… Les
volontés de Gilles
de Rais ont surpris le chanoine G. Durville (Études sur le
vieux Nantes
T.II), mais il appartenait à Jean-Paul Lelu de décrypter
les dernières volontés
de ce puisant de l’époque féodale. Tenant compte
du fait que Gilles de Rais fut inhumé aux Carmes, sur sa
demande, J.-P. Lelu n’hésitait à avancer
l’hypothèse suivante : « Peut-être
lui laissa-t-on aussi le choix du lieu
de son supplice. » et ainsi, « si ce double choix
a été volontaire
(qu’il vienne de Gilles lui-même ou de ses confesseurs de l’ordre
des Carmes),
il pourrait avoir été guidé par des
considérations issues de la pensée
alchimique, dont Gilles de Rais était familier. Dans la conduite
du ‘’premier
œuvre’’, les alchimistes parlent de la préparation du ‘’lait de
la Vierge’’. A
l’étape suivante, le mélange de ce ‘’lait’’ avec diverses
matières est qualifié
de ‘’cadavre’’. Il y a là un symbolisme dont il conviendrait
d’étudier de plus
près l’application aux particularités observées
ici autour de la mort de Gilles
de Rais. » (A Nantes, autour de Gilles de Rais
– Jean-Paul
Lelu, N°107 de la Société
de Mythologie Française, 1977) Cet auteur,
dans cet article évoque l’intérêt tout particulier
que Gilles
de Rais aurait porté à la Sainte Croix jusque dans sa
chair. Cet intérêt fit
qu’il fut très proche des Carmes de Nantes. Les dernières
volontés de
Gilles de Rais témoignent assurément de cette
proximité mais aussi de sa
proximité – pouvons-nous le penser – avec les Gilpins ou
Saint-Gilles de
Nantes. A suivre... |
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