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RUBRIQUE
Sociétés Secrètes

Novembre 2020












Par
Michel Barbot



Prémices et existence d’une Académie Angélique Nantaise

 

Première partie : les prémices

 

Les prémices d’une présence Angélique Nantaise sont difficilement repérables dans l’histoire connue de l’ancienne capitale de la Bretagne. Bien qu’étrangers aux thèmes angéliques, les travaux du chercheur Nantais Jean-Paul Lelu, membre de la Société de Mythologie Française, intègrent des thèmes médiévaux qui associèrent les Chevaliers de l’Ordre du Temple, les Confréries de Saint-Nicolas, de Sainte-Catherine, de Saint-Éloi et, pouvons-nous le penser, les Corporations Gilpines. Ces dernières sont connues pour avoir précédé, dans l’Italie puis dans la France médiévale, les Académies Angéliques. Mais il se peut qu’elles soient elles-mêmes héritières de corporations plus anciennes.

Notre ami Patrick Berlier dans son livre La Société Angélique - Une société secrète d’humanistes & d’imprimeurs à la Renaissance, nous présente ainsi les corporations gilpines :

« Saint-Gilpin, c’est le nom donné à ces corporations de graveurs, rendus très puissants par l’invention de l’imprimerie, et que l’on nomme encore Saint-Gilles, Gilpins, Glypains, d’une racine grecque gluptos (gravé) que l’on retrouve en français moderne dans les mots glyphes (gravure en creux) ou glyptique (art de graver). »

 

Les livres de Patrick sur la Société Angélique lyonnaise

 

La racine grecque gluptos pénétra les langues araméenne et hébraïque. Nous retrouvons en araméen le mot Galf ou Gluf, prononcé Glouf (le Pé final des Sémites se prononce Phé). Dans le Dictionnaire Araméen Hébreu Français English (Éditions Barazani) de Baruch Krupnik et du Dr. A. M. Silbermann, nous découvrons le mot Galf avec la signification de « sculpteur, graveur, ciseleur ». Le linguiste Ernest Klein dans son Dictionnaire étymologique de la langue hébraïque (1987), évoque une « Hébraïsation de Gk.   Glyphein ». Sur le site https://milog.co.il/גלף/e_1498 nous découvrons, avec orthographe complète, les différentes déclinaisons de la racine GLP ayant donné en araméen et en hébreu, le mot Gileph, Gilepha, etc…, dans le sens de « Guilde ». Le mot Gileph ou Gilef (prononcer Guilef) désigne en premier lieu la « sculpture ».

Depuis la déportation des Juifs à Babylone, la langue parlée par les descendants d’Abraham fut l’araméen ou chaldaïque. L’hébreu perdura en tant que langue sacerdotale. Une présence juive dans la cité nantaise est attestée sous l’épiscopat du Biturige Nonnechius Ier qui occupa le siège approximativement de l’année 462 à l’année 475. Bien que cette présence soit évoquée par André Chédeville et Hubert Guillotel dans le livre La Bretagne des saints et des rois (T. I : Ve-Xe siècle), il faut reconnaître que le sujet embarrasse, non par cette présence mais plutôt par l’énoncé de cette présence.

Il y a tout d’abord le curieux texte du Dominicain Albert le Grand (1599-1641) dont La Vie des saincts de la Bretaigne armorique fut publiée en 1637 à Nantes chez Pierre Doriou. Élément d’intérêt, ainsi que nous l’avions évoqué dans l’article consacré à Nostradamus, cet hagiographe Breton fut un membre de l’Académie Nantaise où il présentait régulièrement les nouvelles pages de son ouvrage tant attendu. La page qui nous intéresse, est ainsi rédigée :

« Karmundus, natif d’Auvergne (que je trouve nommé Cariundus par un acte de l’an 1160, qui en réfère un autre de l’an 576), fut envoyé par S. Sidonius evesque de Clermont vers Nonnechius son neveu, lequel le convertit et de juif qu’il estoit et né de parents juifs, le fist chrestien et l’esleva si bien qu’il le rendit digne de luy succéder à l’Evesché : et fut consacré l’an quatre cens octante huict, séant à Rome S. Félix, troisième ou deuxième, sous l’empire de Zénon et règne de Hoel IIe du nom. Il fit venir ses parents d’Auvergne en Bretagne et les convertit à la Foy chrétienne, de sorte qu’ils firent à leur frais, bâtir l’Eglise de Saintc-Donatien hors les faux-bourgs de Nantes, au lieu où les Saincts Martyrs avoient été ensevelis : et ce prélat estant mort le 27 octobre, l’an quatre cens nonante deux, y fust ensevely. »

L’abbé A. Delanoue en 1912 dans son livre Saint Donatien et Saint Rogatien de Nantes, éprouve assurément des difficultés à accepter ce texte :

« Avouons de suite que ce récit a été très discuté. La phrase : ‘’sous le règne de Hoël IIe du nom’’ ne paraît pas la phrase d’un historien sérieux. Nantes a eu des comtes. Elle n’a jamais eu de rois. De plus, les ‘’Hoël’’ ne vinrent que plus tard.

« Travers met aussi en doute la conversion du juif Cariundus : ‘’Le nom Kariundus, dit-il, n’est point le nom d’un juif.’’ M. de la Borderie, plus amer, assure que ‘’le bon Albert… invente tout. Jusqu’à de nouvelles découvertes, l’existence de Karmundus doit être tenue pour problématique’’ ».

L’abbé Travers voyait dans le nom de Kariundus, celui d’un Saxon ou d’un Breton. Karmundus ou Karvindus fut bien le successeur de l’évêque Nonnechius. Plusieurs historiens affirment même qu’il était le fils de Nonnechius. Le Père Albert le Grand, s’il eut vécu de nos jours, pourrait se vanter d’avoir « fait le buzz ».

Karmundus (Pierre du Monde), tel un Grand-Prêtre Juif, apparaît dans la galerie des 10 personnages de la façade de la basilique Saint-Donatien-et-Saint-Rogatien, entre deux autres évêques Nantais, Nonnechius le Biturige (Roi du Monde), Gaulois armé d’une hache et d’un bouclier et Landranus héritier des deux traditions :

 

NonnechiusKarmundus – Landranus

 

Dans une épître latine envoyée au Pape Nonnechius, Sidoine Apollinaire évêque de Clermont, recommande un certain Promotus, porteur de lettres : « devenu tout récemment notre coreligionnaire. Juif d’origine, il a préféré être israëlite par la foi que par le sang. »

L’évêque de Clermont garde le silence sur le but du voyage de son protégé tout en glissant dans son courrier des phrases sibyllines : « Il a mieux aimé la céleste Jérusalem (Hierusalem) que la Solyme (Hierosolymam) de la terre. Puis donc qu’il en est ainsi, que la spirituelle Sara reçoive dans ses bras maternels ce nouveau fils d’Abraham. Il a cessé d’appartenir à Agar l’esclave. » Sidoine ajoute : « D’ailleurs il vous expliquera lui-même les motifs qui l’ont décidé de venir vers vous. »

Si le nom de Karmundus ou Kar(v)indus n’est pas juif, celui de Promotus (Promotum) ne l’est guère plus. Les partisans d’Albert le Grand, ainsi que le notait l’abbé Delanoue, voient malgré tout, une grande ressemblance entre Karmundus et Promotus. Cet abbé quant à lui, y reconnaît « tout au plus un rapprochement curieux », avant d’ajouter : « Peut-être pourrait-on aussi traduire ‘’Promotus’’ par le ‘’Candidat’’, l’élu. »

Karmundus durant son épiscopat participa au premier concile des Vénètes (Vannes) vers 465, d’où l’hypothèse qui s’imposa un temps pour certains exégètes de l’épître de Sidoine : Karmundus était un transalpin ayant participé à un concile en la cité de Venise.

Sidoine ne donne à Nonnechius aucun détail dans son épître sur la mission de Promotus à Nantes : « il vous expliquera lui-même les motifs qui l’on décidé de venir vers vous. » Promotus (francisé en Promote) est porteur d’une connaissance, d’un projet dont il pourrait-être l’élu, le dépositaire. Ce Juif dont le nom resta inconnu, « a préféré à la lettre qui tue, l’esprit qui vivifie ». Les propos de Sidoine font référence au chapitre 3 de la Seconde Épître de Paul aux Corinthiens, dans lequel il est écrit : « Il nous a aussi rendus capables d'être ministres d'une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l'esprit ; car la lettre tue, mais l'esprit vivifie. Or, si le ministère de la mort, gravé avec des lettres sur des pierres, a été glorieux, au point que les fils d'Israël ne pouvaient fixer les regards sur le visage de Moïse, à cause de la gloire de son visage, bien que cette gloire fût passagère, combien le ministère de l'esprit ne sera-t-il pas plus glorieux ! »(Ch. 3 : V. 6 à 8)

L’apôtre Paul au versets 2 et 3, proclame que la lettre est « écrite dans nos cœurs […]. Vous êtes manifestement une lettre de Christ, écrite, par notre ministère, non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les cœurs. »

Deux tables s’affrontent, celle(s) gravée(s) par Dieu au Mont Sinaï et celle(s) gravée(s) également par Dieu dans le cœur des hommes. Bien que présentée(s) comme essentiellement chrétienne(s), la table ou les tables du cœur, sont déjà annoncées dans les Proverbes 3-3.

Sidoine n’a pas rédigé de lettre dans laquelle serait révélée la mission de Promotus car Promotus est lui-même la lettre gravée, la lettre de Christ gravée sur la table du cœur.

Promotus arrive à Nantes avec sa parenté. Incarnation de la lettre gravée, ils apparaissent comme les premiers Gilpins Nantais, les premiers membres de la Gileph ou Gilepha, dont le nom araméen issu du grec Gluptos désigne la « Sculpture, Gravure ».

Promotus transcende en vainqueur, le mythe grec de Prométhée dans lequel certains Pères de l’Église des premiers siècles, suivis plus tard par quelques peintres, verront une image pré-chrétienne de Jésus-Christ. Prométhée apporta aux hommes le feu, la lumière. Zeus le fit enchaîner à une pierre. Chaque jour, une aigle venait dévorer son foie, jusqu’au jour de la rédemption. Pour le Promotus ou Promote Nantais, il n’en va pas de même, en ayant choisi l’esprit qui vivifie, plutôt que la lettre qui tue, il ne fut « point condamné à d’éternels supplices. »

Promotus, écrit Sidoine, « a mieux aimé la céleste Jérusalem que la Solyme de la terre. » Promotus a choisi le « Royaume de Dieu », thème évangélique très important aux premiers siècles du Christianisme. À l’origine de cette Gileph nantaise, nous trouvons Sidoine, Promotus, Karmundus et Nonnechius. Arrêtons-nous sur ce dernier nom :

Nonnechius le Gaulois Biturige, neveu de Sidoine (le monde paraît bien petit…) porte un nom qui peut nous éclairer sur cette guilde naissante. La langue grecque ancienne comporte le mot Nounechos dont la signification est : « sagement, discrètement, prudemment ». Or, ce mot apparaît dans l’Évangile de Marc au chapitre 12, verset 34 lorsque Jésus s’adresse à cet homme que l’on appellera désormais « le scribe qui n’est pas loin du Royaume de Dieu » : « Jésus, voyant qu'il avait répondu avec intelligence (Nounechos), lui dit : Tu n'es pas loin du royaume de Dieu. »

Dans l’Évangile de Matthieu (Ch. 13, V. 47 à 50) est évoquée la parabole du filet. Jésus compare le Royaume des Cieux, autre nom pour le Royaume de Dieu, « à un filet qu’on jette en mer et qui ramène toutes sortes de poissons… » 

Cette lecture du Royaume peut trouver une certaine correspondance avec le nom de Sidoine, oncle de Nonnechius. Sidoine vient de l’hébreu Stidon : « abondance de poisson, pêche » et nom d’une « cité phénicienne » (Sidon ou Stidon).

La Guilde nantaise, la « Sculpture », de Promotus, édifia sous la direction de Karmundus, hors les murs à l’Est, la première église de Saint-Donatien-et-Saint-Rogatien. La géographie et le calendrier sacré de Nantes allaient se dessiner tout au long des siècles.

Le nom de Nonnechius placé dans un contexte purement nantais et gilpin, fait de cet évêque natif de Bourges, une transposition au Ve siècle du scribe qui est près du Royaume de Dieu, symboliquement représenté dans ce même contexte par Sidoine. Ce scribe de l’Évangile de Marc, s’entretint avec Jésus après avoir écouté et apprécié à leur juste valeur ses enseignements. La parabole qui ouvre ce chapitre 12, apparaît comme une variation d’un texte d’Isaïe. Jésus raconte qu’un homme planta une vigne et l’entoura d’une haie, puis creusa un pressoir, avant de bâtir une tour. L’heure de la récolte venue, il envoya l’un après l’autre ses serviteurs afin d’obtenir la part de la récolte qui lui revenait. Si le premier fut battu et renvoyé à vide, les suivants furent tués. L’homme qui avait planté la vigne envoya ensuite son fils bien-aimé qu’ils tuèrent également parce qu’il était l’héritier. « Maintenant, que fera le maître de la vigne ? Il viendra, fera périr les vignerons, et il donnera la vigne à d'autres. » (Verset 9)

Jésus explique ensuite que cette parabole correspond à une autre parabole : « La pierre qu’on rejetée ceux qui bâtissaient : Est devenue la principale de l'angle ».

Cette pierre peut se retrouver avec Karmundus : la Pierre du Monde ou Karvindu : la Pierre Blanche.

Le texte d’Isaïe (Ch. 5) qui inspira à Jésus la parabole du maître de la vigne, raconte que le Bien-aimé a planté une vigne sur un coteau plantureux.

« Il y retourna la terre et installa un plant de son choix. Au milieu, il bâtit une tour et il creusa aussi un pressoir (ou une cuve). » Cette vigne était « la vigne du Seigneur, le tout-puissant, la maison d’Israël et les gens de Juda ». Mais cette vigne a donné du mauvais fruit… « elle ne sera ni sarclée ni taillée, il y poussera des épines et des ronces et j'interdirai aux nuages d'y faire tomber la pluie. »

Au milieu de la vigne fut bâtie une tour (Migdal) et creusé un YEQEB, mot signifiant un pressoir ou une cuve. Les commentaires rabbiniques évoquent une cuve ou cave à vin sculptée. En effet le verbe H’ATSAB, « creuser » signifie aussi « être gravé », à la façon des lettres gravées dans la pierre avec un stylet de fer et de plomb (Job 19-24). Le même mot en tant que nom commun désigne dans la Bible un tailleur de pierre (II Rois 12-13). Le texte hébreu permet suivant l’opinion des anciens Rabbins, de penser que la cuve ou cave était sculptée d’une vigne : « Vignoble dans le vignoble ». La cave au pied ou sous la tour, est environnée de vigne, dans la cuve apparaît le Vignoble représentant symboliquement la vigne de Noé. Cette sculpture viticole renvoie à la Vigne d’Or présente dans le Second Temple à Jérusalem. Cette vigne, ainsi que nous l’évoquions dans la seconde partie de note article Michel de NOSTREDAME ou l’invitation au voyage en terre Vestalique, fut gravée sur les pièces de monnaie de la Grande Rébellion (66-70/71) et de la rébellion de Bar Kokhba, le Fils de l’Étoile. Cette vigne représentait la Terre d’Israël, ses enfants et son Messie. Les raisons de sa présence dans le Temple restent méconnues. D’intéressantes représentations de la Vigne d’Or et des pièces de monnaie sont visibles sur le site  https://har-habait.org/articleBody/31023 

Nous avions pu voir dans ce précédent article que l’idée de cette Vigne d’Or se retrouve à Nantes, avec les Templiers d’une part (le Bois Tortu) et l’Académie de Nantes présidée par Pierre Biré.

Devons-nous pour autant appliquer la parabole biblique du « Vignoble dans le vignoble » - sans pour autant supprimer son caractère israélite – à la cité de Nantes ? L’histoire nantaise nous apprend qu’au centre de l’actuelle quartier du Bouffay dans l’ancien Portus Namnetum des Gallo-romains, se trouvait la Grande Tour que les Vikings vont détruire tout comme le reste de la cité. Ils s’installèrent sur l’autre rive de l’Erdre et édifièrent le Namsborg. En 937 le duc Alain Barbetorte, le Libérateur de la Bretagne, chassa les Vikings du Namsborg, relevant dans un premier temps la Grande Tour gallo-romaine. Il aurait pu, ensuite, suivant quelques auteurs, dresser les fondations du Quadrilatère, le premier château du Bouffay. Mais ce fut le conte de Rennes Conan le Tort, également duc de Bretagne et comte de Nantes qui mènera à bien en 990 (l’année 988 est aussi avancée) l’édification de ce palais comtal.

 

La tour du Bouffay face à la parabole viticole

Ce nom de Bouffay aurait été donné par le duc Conan le Tort au Quadrilatère, le primitif château du Bouffay. On trouve tout au long des siècles les variantes Bouffaio, Bouffedio, Bufeto, Boffredum ou Bufetum qui aujourd’hui encore restent inexpliquées aux dires des historiens. Il est vrai que le mot Bouffay offre une grande possibilité de significations.

Le récit arthurien de la branche Caradoc, mentionne « la Tor del Boufois », la Tour du Bouffay de Nantes, avec le sens de « joyeux vacarme ». Le Docteur A. Sinan en 1933 dans son livre LE VIEUX NANTES QUI S’EN VA, s’appuyait quant à lui sur une étymologie proposée par l’avocat et historien Nantais André Perrraud-Charmentier (1888-1963), puis sur « d’autres » dont il ne donne pas les noms.

 

La tour du Bouffay à Nantes

(Lithographie ancienne)

 

Une recherche plus affinée sur le Net, nous permet de découvrir la source originelle : l’abbé Sébileau. Nous découvrons en date du mardi 3 juillet 1906, dans l’extrait des procès-verbaux de la séance de la Société Archéologique et Historique de Nantes et de la Loire-Inférieure, présidée par M. le baron de Wismes, historien Nantais de renom, la lecture du travail de M. l’abbé Sébileau, professeur à Saint-Stanislas « A propos du Bouffay ». Ce travail appelé à paraître dans Le Pays d’Arvor en d’octobre nous présente d’intéressantes réflexions : 

« Le terme, Bouffay, viendrait d’un latin vulgaire apporté par les soldats de l’Empire : Boffretum devenu Buffetum et plus tard : buffeïum ce qui signifie armoire, quelquefois aussi échafaudage roulant, sorte de tribune, et plus souvent la machine de guerre mobile dont parlent Xénophon, César et Vitruve et que connaissaient les Assyriens de Sennachérib au VIII s. av. J.-C. […] Ces travaux de stratégie militaire prirent, au moyen-âge, par corruption de boffretum et de buffetum,  le nom de beffroi qui s’appliqua même à la cloche, et dans le pays nantais, la forme buffeïum devint très facilement le Bouffay. Nous trouvons en effet plusieurs bouffays dans notre contrée : le château du Bouffay sur le territoire de la Chapelle-sur-Erdre, le village du Bouffay en Villepot, la place du Bouffay à Melestroit, etc. »

https://archive.org/details/bulletinsocietea47soci/page/n443/mode/2up/search/boffretum

Les différents Bouffay évoqués en 1906 par l’abbé Sébileau n’apportent en fait que peu dans l’énigme étymologique de Bouffay nantais.

L’idée d’armoire est intéressante, elle se doublera aussi dès le Haut Moyen-Âge avec celle du buffet. Il y eut le buffet où l’on rangeait le pain mais il y eu aussi le buffet où l’on rangeait le vin. Ce buffet à vin se retrouvera en 1150 dans le Roman de Thèbes et plus tard chez François Villon avec le Vin de buffet.

Nous découvrons dans le Dictionnaire Historique de la langue française d’Alain Rey (2011), un lien médiéval d’intérêt entre le vin et le buffet : « Il est probable qu’il y ait un rapport entre buffet ‘’meuble’’ et l’ancien français bufet ‘’piquette’’ (Xe s.) qui a donné l’expression vin de buffet (XIVe s., en particulier Villon). » La vieille langue française nous apprend que l’on mettoit le vin sur le buffet d’où les expressions : ‘’Servir en buffet, ou ‘à buffet’’, et vin de buffet.’’ »

Bien que l’idée d’un mot bufet désignant une vulgaire ‘’piquette’’ au Xe siècle n’est guère valorisante pour l’origine de la tour du Bouffay, il semble malgré tout que nous ne soyons pas loin de la vérité nantaise du Bouffay : IN VINO VERITAS !

Une étymologie plus gilpine et que Grasset d’Orcet n’aurait assurément pas désavouée, figure dans le récent ouvrage de Fanny Cheval (préfacé par Stéphane Pajot dont les livres sur Nantes sont des pièces majeures), Les Gens de Nantes ou Légendes de Nantes (Éditions Coop Breiz). Elle fut présentée dans l’ancien journal nantais Le Phare de la Loire le 29 août 1904 :

« […] À mon avis, la dénomination de ‘’Bouffay’’ a été donnée à certaines forteresses en raison des matériaux employés à leur construction : la pierre, surtout dans les parties supérieures de l’édifice, était souvent au début du Moyen Âge remplacée par le bois et les peaux de bêtes.

« Dans les grossiers châteaux du premier âge féodal, dit Léon Gautier, dans ces tours de bois couvertes de peaux de bêtes saignantes, […] et ces châteaux sont moins des abris que des tanières. »

« Bouffay veut dire : ‘’fait avec des peaux de bœuf’’. Le radical bou dans le sens de ‘’bœuf’’ se trouve dans ‘’bouverie’’, étable de bœuf, ‘’bouvier’’, conducteur de bœufs, ‘’bouvillons’’, jeunes bœufs.

« C’est au Xe siècle, c’est-à-dire dans un siècle encore barbare, au lendemain de la septuple invasion normande, que Conan le Tort, construisit à Nantes son château ou plutôt sa tanière, au bord d’un marais, au confluent de l’Erdre et de la Loire. Du haut de la tour on faisait le guet et, en cas de danger, on sonnait l’alarme ; l’édifice contenait en outre des cachots pour les prisonniers.

« Dans certains actes, le mot ‘’Bouffay’’ est latinisé en celui de bufetum ou Buffetum ; jadis en latin, bu se prononçait à la romaine [bou]. Bu, du reste, était maintes fois employé dans le sens de bœuf, bucéphale, cheval ayant la tête d’un bovidé, monstre du grand Alexandre, ou bugrane, dénomination scientifique de la plante ‘’Arrête-bœuf’’. »

L’auteur de ces quelques lignes n’hésite pas, ainsi qu’on pu le faire d’autres auteurs, à rapprocher le mot ‘’bouffay’’ du mot ‘’beffroi’’ « donné primitivement aux tours mobiles qui servaient à l’attaque des enceintes fortifiées avant l’invention de la poudre à canon, et dont l’armature de bois était garnie de peaux d’animaux pour protéger les assaillants – puis dans bien des villes, à la tour qui parfois se confondait avec le clocher d’une église. Si cela est, ‘’beffroi’’ voudrait dire ‘’bœufs frais’’ (fait avec des peaux fraîches et non encore tannées).

Cette lecture bovidienne de nature gilpine aurait assurément parlé aux membres de l’Angélique nantaise.

 

Fragment de cuve de sarcophage – guirlandes de bucranes avec grappe de raisin fin du IIe - début du IIIe s. ap. J.-C. Sarepta (Liban) © 2009 Musée du Louvre / Thierry Ollivier http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not&idNotice=36436

 

Le bucrane cher aux Gilpins, fut souvent associé aux grappes de raisin dans l’Antiquité. Le nom biblique de cette cité phénicienne située non loin de Sidon, était Tsarfat. Ce nom est aussi le nom de la France en hébreu. Les Rabbins ont apporté et apportent encore une grande importance à l’expression « De Tsarfat à Sépharad », soit « De la France à l’Espagne », en référence au Livre d’Abdias, I-20, où sont évoqués les Temps Messianiques…

 

Un Gilles sur le bûcher ou le parachèvement de l’Axe Saint-Aubin – Saint-Gilles / Saint-Laud !

Il semble probable que les premiers Graveurs ou Gilpins Nantais du Guileph (la Guilde ou la Gravure) aient accompagné au long des siècles, la longue mise en place des trois axes calendaires majeurs : un axe Est / Ouest et deux axes Nord / Sud.

L’Axe Nord / Sud sur lequel nous nous arrêterons dans cette étude est l’axe saint Aubin / saint Gilles et saint Lau(d) ou Leu (le saint Loup de Sens).

Voir sur le sujet (http://www.mythofrancaise.asso.fr/mythes/cadres/NAcalenC.htm

 

 

Plan ancien du centre historique de Nantes avec ses axes calendaires

 

La particularité de cet axe nantais (particularité que l’on retrouve avec les autres axes) est que les fêtes de saint Aubin et de saint Gilles, ainsi que le remarqua avec justesse Jean-Paul Lelu, « sont séparées exactement par un intervalle de six mois. La coïncidence est trop extraordinaire pour n’être pas significative. » (La géographie sacrée de Nantes au Moyen Âge et les mythes du forgeron et des jumeaux – J.-P. Lelu in Mélanges de Mythologie française.)

Le patronage de saint Aubin remonterait au VIe siècle. Il faudra ainsi, pas moins de 9 siècles avant que l’on puisse valider l’existence de l’Axe saint Aubin - saint Gilles. Étrange création que cet axe car il prend réalité avec la mort du fameux Gilles de Rais dans la Prairie de la Madelaine, ancienne île de la Loire.

Le 26 octobre 1440, Gilles de Rais fut – égard à son haut lignage – pendu, puis livré au bûcher, d’où il fut rapidement retiré avant que les flammes l’aient atteint. Ancien compagnon de Jeanne d’Arc, le baron de Rais ou de Retz, l’un des plus grands seigneurs féodaux, faisait de l’ombre au duc de Bretagne ainsi qu’au roi de France dont il était le créancier, et ce à de nombreuses reprises. Homme brave et loyal, il resta au service du roi Charles VII jusqu’à l’âge vingt-sept ans puis se retira dans ses domaines où il pratiqua l’alchimie, sacrifiant dit-on des enfants pour parvenir au Grand Œuvre. Son procès a été refait maintes et maintes fois : condamné par les uns, acquitté par les autres…

 

Gilles de Laval, sire de Rais, (1404-1440). Huile sur toile exposée dans la galerie des maréchaux de France, château de Versailles par Éloi Firmin Féron, 1835

 

Durant les trois jours qui séparèrent Gilles de Rais de la sentence et de son exécution, il fit connaître ses dernières volontés ; curieuses volontés assurément. Pour Jean-Paul Lelu « Certains lieux ont marqué les derniers moments de la vie de Gilles de Rais. Il est possible qu’ils aient été délibérément choisis par lui et ils paraissent lourds de symbolisme. […]  Le choix de ces lieux suggère en tout cas une lecture de la géographie urbaine de Nantes. »

Gilles de Rais se fit-il ni plus ni moins le protecteur des enfants ! Un pèlerinage défini par un itinéraire sacré va se met en place, semble-t-il à l’initiative de ce puissant seigneur : « Notre-Dame-de-Délivrance invoquée avant la naissance, Notre-Dame-de-Vie au moment critique de la naissance, et Notre-Dame-de-Crée-Lait après la naissance. » Ces vocables sont-ils antérieurs à la mort de Gilles de Rais ? Rien ne vient le confirmer bien qu’ils existaient antérieurement en d’autres lieux. Ils seront associés dans le pèlerinage au petit monument que Gilles de Rais mandera d’édifier au lieu même de son trépas, un oratoire, une croix dont le socle portait trois niches, contenant chacune les saints préférés de Gilles de Rais : la Vierge ou Notre-Dame du Crée-Lait, saint Gilles son patron et saint Laud. Ce monument prit le nom de Pilier Notre-Dame.

 

Exécution de Gilles de Rais, gibet et bûcher (vers 1530). Manuscrit à peinture aux armes du président Bouhier, Paris, BnF, département des manuscrits, Ms.

 

Bien que saint Laud (le saint Loup de Provins) soit associé à saint Gilles dans la dédicace de certains édifices religieux, car fêté le même jour, sa présence peut surprendre au Pilier Notre-Dame. Cette présence permettait, peut-être, de mieux faire passer celle du saint gilpin, patron de Gilles de Rais.

 

Pilier Notre-Dame : niche de Notre-Dame de Crée-Lait

 

La présence de saint Gilles (1er septembre) sur cet axe routier marqué au Nord par saint Aubin (1er mars), valide pleinement cet Axe Poissons / Vierge de Nantes, sachant qu’au centre même de cet axe, se trouve l’église Saint-Saturnin fêté le 29 novembre, avant-veille de saint Éloi (1er décembre) vénéré tout à côté et placé dans le calendrier, trois mois après saint Gilles et trois mois avant saint Aubin… Les volontés de Gilles de Rais ont surpris le chanoine G. Durville (Études sur le vieux Nantes T.II), mais il appartenait à Jean-Paul Lelu de décrypter les dernières volontés de ce puisant de l’époque féodale.

Tenant compte du fait que Gilles de Rais fut inhumé aux Carmes, sur sa demande, J.-P. Lelu n’hésitait à avancer l’hypothèse suivante : « Peut-être lui laissa-t-on aussi le choix du lieu de son supplice. » et ainsi, « si ce double choix a été volontaire (qu’il vienne de Gilles lui-même ou de ses confesseurs de l’ordre des Carmes), il pourrait avoir été guidé par des considérations issues de la pensée alchimique, dont Gilles de Rais était familier. Dans la conduite du ‘’premier œuvre’’, les alchimistes parlent de la préparation du ‘’lait de la Vierge’’. A l’étape suivante, le mélange de ce ‘’lait’’ avec diverses matières est qualifié de ‘’cadavre’’. Il y a là un symbolisme dont il conviendrait d’étudier de plus près l’application aux particularités observées ici autour de la mort de Gilles de Rais. » (A Nantes, autour de Gilles de Rais – Jean-Paul Lelu, N°107 de la Société de Mythologie Française, 1977)

Cet auteur, dans cet article évoque l’intérêt tout particulier que Gilles de Rais aurait porté à la Sainte Croix jusque dans sa chair. Cet intérêt fit qu’il fut très proche des Carmes de Nantes. Les dernières volontés de Gilles de Rais témoignent assurément de cette proximité mais aussi de sa proximité – pouvons-nous le penser – avec les Gilpins ou Saint-Gilles de Nantes.

 

A suivre...





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