LES BALCONS DU RHÔNE



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Présenté par
Patrick Berlier








Septembre
2022


Cela fait plusieurs années que nous avons pris l'habitude de convier nos amis à une balade estivale dans le Pilat, pour leur faire découvrir chaque fois un nouveau secteur de cette région qui nous est chère, le tout dans une atmosphère conviviale. En cet été 2022, nous avions choisi le thème des Balcons du Rhône, nom donné aux coteaux entre Saint-Michel-sur-Rhône et Chavanay, soit la partie du département de la Loire qui est longée par le fleuve Rhône. Nous sommes une bonne vingtaine à nous retrouver au point de départ, à proximité de l'église. La commune de Saint-Michel-sur-Rhône est peu connue, il faut dire qu'elle est à l'écart des grands axes, aussi c'est une découverte pour beaucoup de nos amis.

 

L'église de Saint-Michel-sur-Rhône

 

Pourtant le site est occupé depuis l'Antiquité. Le Tarnaud, ruisseau qui passe en contrebas du village, atteste par son nom qui vient de Taranis, le dieu gaulois du tonnerre, de la présence des Celtes. Lorsque les Romains sont arrivés, ils ont remplacé Taranis par leur propre dieu du tonnerre, Jupiter, et lui ont probablement élevé un temple. On en a retrouvé quelques traces au sommet de cette colline peu marquée portant encore le nom de Montjoux, du latin Mons Jovis, le Mont de Jupiter. Puis lorsque la religion chrétienne a supplanté celle des Romains, il a fallu un saint puissant pour vaincre les anciens dieux du tonnerre. Aussi la première église, édifiée sur le coteau autour de l'an mille, a-t-elle été dédiée à saint Michel, le chef de la milice céleste, le grand pourfendeur de dragons démoniaques, l'archange psychopompe, celui qui vient chercher les âmes des défunts pour les conduire vers leur jugement. Cet édifice primitif fut remplacé au XIIIe siècle par une nouvelle église, dont il subsiste le chœur, agrandie au XVIIe siècle, et rénovée en 1880. C'est à cette occasion que le clocher d'origine fut démoli, et remplacé par un clocher carré terminé par une haute flèche, entourée de quatre acrotères d'angle. La flèche a disparu, mais pas les acrotères, qui confèrent au clocher un aspect un peu singulier.

 

L'église au début du XXe siècle avait encore sa flèche

(carte postale ancienne)

 

Nous quittons Saint-Michel pour nous diriger vers Montjoux, puis le hameau de Saint-Abdon. Il doit son nom à la grande croix qui s'y élève, également ainsi nommée. Facture classique des croix du XVIIe siècle, haut fût de pierre sur dé et socle de section carrée, le croisillon d'origine en pierre a disparu et a été remplacé par une croix en ferronnerie. On remarque  à la base du fût la statuette de saint Abdon.

 

Croix de Saint-Abdon

 

Nous poursuivons jusqu'au hameau du Treuil, marquant le terme de la montée pour la matinée. Par un chemin de terre nous descendons jusqu'à Chantelouve. Nous entrons sur les terres viticoles, le hameau est connu pour ses vignerons. Puis nous poursuivons par Épitallon et les Gardes. Dans ce dernier hameau se trouve un site mégalithique peu connu. D'ailleurs Maurice Declerq, le président de l'association Des pierres et des hommes, ainsi que Jean-Luc Frenot, son trésorier, en ont seulement entendu parler, c'est dire. Il faut préciser que le site est dans une propriété privée, pour y accéder nous devrons commencer par demander l'autorisation au propriétaire. Nous sonnons à la porte. C'est une dame charmante qui nous accueille en s'écriant : « je vous attendais ! » Pourtant nous n'avions pas annoncée notre venue. En fait après palabres il s'avère que cette dame avait envoyé un message à l'association, qui en effet avait prévu de la contacter. Voilà qui est fait. Elle nous accompagne sur la grande barre rocheuse située derrière sa maison. C'est la même veine granitique qu'aux Grandes Roches de Triolet, où nous avons prévu de passer l'après-midi, qui resurgit là. Déjà à Chantelouve nous en avions aperçu un filon à fleur de terre. On y voit un grand bassin, peu profond, et une grosse cupule ronde terminée par une rigole. L'origine mégalithique ne fait aucun doute.

 

Cupule et bassin sur la pierre des Gardes

 

Le nom du hameau s'explique. C'est un endroit d'où l'on « garde » ou « surveille » quelque chose. En l'occurrence c'est le soleil qui faisait l'objet de toutes les attentions. Au solstice d'été, il se lève pile derrière le site des Grandes Roches de Triolet. La dame nous prévient que ce lieu est envahi par les broussailles et désormais difficilement accessible...

 

Les Gardes, la pierre vue d'en bas

 

Il est près de midi, les estomacs crient famine. Nous avons prévu de pique-niquer à la Madone de Chavanay, sauf qu'il y a encore un bon bout de chemin à faire. Nous prenons congé, Maurice et Jean-Luc promettent de revenir. Nous voici enfin à Izeras, le hameau où s'élève la statue de la Vierge dominant Chavanay et la vallée du Rhône. L'endroit est charmant, ombragé ce qui ne gâche rien car il commence à faire chaud. Les deux compères des Pierres et des hommes se sont éclipsés, ils connaissent un viticulteur dans le coin, et ils reviennent les bras chargés de bouteilles, du Côtes du Rhône blanc et même du Condrieu, bien frais de surcroît, un régal.

 

Jean-Luc et Maurice

 

Le pique-nique se déroule dans la bonne humeur. Le vin aidant, chacun y va de son histoire ou de sa blague. Pendant ce temps, une péniche remonte lentement le Rhône, ralentissant à peine pour passer sous le pont de Chavanay, un spectacle qui se fait rare aujourd'hui.

 

Guy Bonnard et Pierre-Bernard Teyssier

 

Il va être temps de prendre le chemin du retour, mais avant de quitter ce lieu accueillant il faut raconter son histoire. La Madone de Chavanay a été érigée en 1861. La statue est en pierre de Volvic, naturellement noire, placée au sommet d'une colonne maçonnée, en moellons de granit du pays. L'ensemble mesure 17 m de hauteur, ce qui en fait la plus haute Madone du Pilat. Mais elle présente en outre une particularité bien singulière. Ne dit-on pas qu'elle est est frappée par la foudre chaque fois qu'un conflit est sur le point d'éclater ? Une première fois juste avant la guerre de 1870 l'orage lui cassa un bras. On le remit en place. Aucun souvenir n'a été rapporté pour 1914, mais il se pourrait bien que la première guerre mondiale ait été annoncée de même façon. En tous cas cela s'est vérifié en 1939, pendant la nuit qui a précédé la déclaration de guerre. Réparée en 1956, la statue fut à nouveau mutilée par la foudre en janvier 1992, la veille du début de la guerre du Golfe. Depuis la municipalité de Chavanay a pourvu la Madone d'un paratonnerre. La foudre ne la touche plus, elle n'annonce plus les guerres...

 

La Madone de Chavanay

 

Nous voici au carrefour des routes entre les hameaux d'Izeras, du Pêcher et de la Côte. Une autre croix s'y élève, toujours vraisemblablement du XVIIe siècle. Un socle de section carrée, un dé avec écusson, un haut fût et un croisillon avec crucifixion, le tout d'époque. Certains sont frappés par l'expression de douleur qui émane du visage du Christ, pourtant de petite taille.

 

Croix du Pêcher, et détail du croisillon

 

Nous poursuivons par la Voturéry, et un chemin qui doit nous emmener au hameau de Triolet en passant par les Grandes Roches. Il y a une quinzaine d'années c'était encore facile, malgré une clôture de barbelés à franchir, un sentier faisait la jonction. On accédait alors à deux grandes barres rocheuses, en pente douce côté sud-est, à-pic ou presque côté nord-ouest. Outre plusieurs cupules et bassins, chacune des deux faces sud-est présentait une traînée de roche polie, invitant à la glissade. On disait d'ailleurs que c'était la distraction favorite des enfants du hameau. En fait ce type de roche à glisser existe un peu partout en France. Généralement c'étaient les jeunes filles qui tentaient la glissade, si elles parvenaient en bas sans s'écorcher c'était le signe qu'elles se marieraient dans l'année.

 

Les Grandes Roches en novembre 2007

Au fond la seconde barre rocheuse

 

Aujourd'hui, plus de barbelés, mais plus de sentier non plus. Bruyères, genêts et ronces ont poussé jusqu'à former de hautes broussailles impénétrables. Finalement c'est en forçant le passage, au prix d'égratignures sur les jambes, que nous parvenons aux Grandes Roches, qui heureusement n'ont pas encore été recouvertes par les broussailles. Les traînées polies sont toujours là. On se souvient que dans les années 80 l'EDF avait prévu d'implanter sur ce site un pylône de la ligne à très haute tension venant de la centrale nucléaire de Saint-Alban-Saint-Maurice. Cela avait fait débat, d'une part à l'époque la charte du Parc Naturel Régional du Pilat prévoyait qu'aucune ligne haute tension ne devrait traverser son territoire, d'autre part certains amateurs de mégalithes faisaient valoir le caractère patrimonial du lieu. Le Parc Naturel Régional du Pilat avait dû finalement accepter le passage de la ligne, l'EDF consentant toutefois à déporter le pylône de quelques dizaines de mètres. 

 

Les Grandes Roches en juillet 2022

En arrière-plan le pylône objet des débats – à droite Maurice Declerck songeur

 

Comment faire pour sortir de ce site buissonneux ? Revenir en arrière ne nous avancerait à rien, il vaut mieux poursuivre comme prévu en direction du hameau de Triolet, qui n'est qu'à une centaine de mètres. Nous apercevons une voiture, c'est donc qu'il y a un chemin carrossable. Encore une zone de broussailles à traverser, et nous voici sur la route en effet, bien soulagés de nous être sortis de cette épreuve. Au carrefour avec la départementale, une troisième croix nous accueille. Celle-là est datée sur le dé de 1685. C'est la croix de Sainte-Agathe, ainsi que l'indique, de l'autre côté, l'inscription SAGATHA, le S initial étant l'abréviation de Sancta.

 

Croix de Sainte-Agathe

 

Il y a un Christ d'un côté du croisillon, deux saints portant des palmes de l'autre côté, et trois petits personnages à la base du fût, saint Jean Baptiste, sainte Marie-Madeleine, et sainte Agathe. Selon la tradition chrétienne, Agathe était une jeune vierge sicilienne martyrisée pour sa foi, qui eut les seins arrachés par le bourreau, avant de périr sur des braises ardentes. On la représente, comme c'est le cas pour cette croix, portant un plat dans lequel sont posés ses deux seins. Protectrice de la Sicile, son culte s'étendit rapidement à toute l'Italie, puis au sud-est de la France. Sainte Agathe était censée protéger des éruptions volcaniques, de la foudre, des incendies et des tremblements de terre. Elle fait l'objet d'une importante vénération dans la région de Chavanay, dont on dit que la cité antique fut détruite en une nuit par un cataclysme. Malgré la dévotion à cette sainte « ignifuge », l'église de Chavanay fut incendiée durant les guerres de religion, et surtout il y eut ce dramatique accident ferroviaire en 1991 qui embrasa le quartier de Luzin autour de la gare.

 

Détails du croisillon et des petits personnages

À droite sainte Agathe portant ses seins dans un plat

 

La chaleur s'est bien installée, et c'est sous un soleil de plomb que nous finissons la randonnée. À Saint-Michel, le bar nous accueille pour des rafraîchissements qui sont les bienvenus. Une belle journée, vivement l'année prochaine !




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