LES BALCONS
DU RHÔNE |
Patrick Berlier |
2022 |
Cela fait plusieurs
années que nous avons pris
l'habitude de convier nos amis à une balade estivale dans le
Pilat, pour leur
faire découvrir chaque fois un nouveau secteur de cette
région qui nous est
chère, le tout dans une atmosphère conviviale. En cet
été 2022, nous avions
choisi le thème des Balcons du Rhône, nom donné aux
coteaux entre
Saint-Michel-sur-Rhône et Chavanay, soit la partie du
département de la Loire
qui est longée par le fleuve Rhône. Nous sommes une bonne
vingtaine à nous
retrouver au point de départ, à proximité de
l'église. La commune de
Saint-Michel-sur-Rhône est peu connue, il faut dire qu'elle est
à l'écart des
grands axes, aussi c'est une découverte pour beaucoup de nos
amis. L'église
de Saint-Michel-sur-Rhône Pourtant le site est
occupé depuis l'Antiquité.
Le Tarnaud, ruisseau qui passe en contrebas du village, atteste par son
nom qui
vient de Taranis, le dieu gaulois du tonnerre, de la présence
des Celtes.
Lorsque les Romains sont arrivés, ils ont remplacé
Taranis par leur propre dieu
du tonnerre, Jupiter, et lui ont probablement élevé un
temple. On en a retrouvé
quelques traces au sommet de cette colline peu marquée portant
encore le nom de
Montjoux, du latin Mons Jovis, le Mont de Jupiter. Puis lorsque
la religion
chrétienne a supplanté celle des Romains, il a fallu un
saint puissant pour
vaincre les anciens dieux du tonnerre. Aussi la première
église, édifiée sur le
coteau autour de l'an mille, a-t-elle été
dédiée à saint Michel, le chef de la
milice céleste, le grand pourfendeur de dragons
démoniaques, l'archange
psychopompe, celui qui vient chercher les âmes des défunts
pour les conduire
vers leur jugement. Cet édifice primitif fut remplacé au
XIIIe
siècle par une nouvelle église, dont il subsiste le
chœur, agrandie au XVIIe
siècle, et rénovée en 1880. C'est à cette
occasion que le clocher d'origine fut
démoli, et remplacé par un clocher carré
terminé par une haute flèche, entourée
de quatre acrotères d'angle. La flèche a disparu, mais
pas les acrotères, qui
confèrent au clocher un aspect un peu singulier. L'église
au début du XXe siècle avait encore sa
flèche (carte
postale ancienne) Nous quittons Saint-Michel
pour nous diriger vers
Montjoux, puis le hameau de Saint-Abdon. Il doit son nom à la
grande croix qui
s'y élève, également ainsi nommée. Facture
classique des croix du XVIIe
siècle, haut fût de pierre sur dé et socle de
section carrée, le croisillon
d'origine en pierre a disparu et a été remplacé
par une croix en ferronnerie.
On remarque à la base du fût
la
statuette de saint Abdon. Croix de Saint-Abdon Nous poursuivons jusqu'au
hameau du Treuil,
marquant le terme de la montée pour la matinée. Par un
chemin de terre nous
descendons jusqu'à Chantelouve. Nous entrons sur les terres
viticoles, le hameau
est connu pour ses vignerons. Puis nous poursuivons par
Épitallon et les
Gardes. Dans ce dernier hameau se trouve un site mégalithique
peu connu.
D'ailleurs Maurice Declerq, le président de l'association Des
pierres et des
hommes, ainsi que Jean-Luc Frenot, son trésorier, en ont
seulement entendu
parler, c'est dire. Il faut préciser que le site est dans une
propriété privée,
pour y accéder nous devrons commencer par demander
l'autorisation au
propriétaire. Nous sonnons à la porte. C'est une dame
charmante qui nous
accueille en s'écriant : « je vous
attendais ! » Pourtant
nous n'avions pas annoncée notre venue. En fait après
palabres il s'avère que
cette dame avait envoyé un message à l'association, qui
en effet avait prévu de
la contacter. Voilà qui est fait. Elle nous accompagne sur la
grande barre
rocheuse située derrière sa maison. C'est la même
veine granitique qu'aux
Grandes Roches de Triolet, où nous avons prévu de passer
l'après-midi, qui
resurgit là. Déjà à Chantelouve nous en
avions aperçu un filon à fleur de
terre. On y voit un grand bassin, peu profond, et une grosse cupule
ronde
terminée par une rigole. L'origine mégalithique ne fait
aucun doute. Cupule et bassin sur la pierre des
Gardes Le nom du hameau s'explique.
C'est un endroit
d'où l'on « garde » ou
« surveille » quelque chose. En
l'occurrence c'est le soleil qui faisait l'objet de toutes les
attentions. Au
solstice d'été, il se lève pile derrière le
site des Grandes Roches de Triolet.
La dame nous prévient que ce lieu est envahi par les
broussailles et désormais
difficilement accessible... Les Gardes, la pierre vue d'en bas Il est près de midi,
les estomacs crient famine.
Nous avons prévu de pique-niquer à la Madone de Chavanay,
sauf qu'il y a encore
un bon bout de chemin à faire. Nous prenons congé,
Maurice et Jean-Luc
promettent de revenir. Nous voici enfin à Izeras, le hameau
où s'élève la
statue de la Vierge dominant Chavanay et la vallée du
Rhône. L'endroit est
charmant, ombragé ce qui ne gâche rien car il commence
à faire chaud. Les deux
compères des Pierres et des hommes se sont
éclipsés, ils connaissent un
viticulteur dans le coin, et ils reviennent les bras chargés de
bouteilles, du
Côtes du Rhône blanc et même du Condrieu, bien frais
de surcroît, un régal. Jean-Luc et Maurice Le pique-nique se
déroule dans la bonne humeur.
Le vin aidant, chacun y va de son histoire ou de sa blague. Pendant ce
temps,
une péniche remonte lentement le Rhône, ralentissant
à peine pour passer sous
le pont de Chavanay, un spectacle qui se fait rare aujourd'hui. Guy Bonnard et Pierre-Bernard Teyssier Il va être temps de
prendre le chemin du retour,
mais avant de quitter ce lieu accueillant il faut raconter son
histoire. La
Madone de Chavanay a été érigée en 1861. La
statue est en pierre de Volvic, naturellement
noire, placée au sommet d'une colonne maçonnée, en
moellons de granit du pays.
L'ensemble mesure 17 m de hauteur, ce qui en fait la plus haute Madone
du
Pilat. Mais elle présente en outre une particularité bien
singulière. Ne dit-on
pas qu'elle est est frappée par la foudre chaque fois qu'un
conflit est sur le
point d'éclater ? Une première fois juste avant la
guerre de 1870 l'orage
lui cassa un bras. On le remit en place. Aucun souvenir n'a
été rapporté pour
1914, mais il se pourrait bien que la première guerre mondiale
ait été annoncée
de même façon. En tous cas cela s'est
vérifié en 1939, pendant la nuit qui a
précédé la déclaration de guerre.
Réparée en 1956, la statue fut à nouveau
mutilée par la foudre en janvier 1992, la veille du début
de la guerre du
Golfe. Depuis la municipalité de Chavanay a pourvu la Madone
d'un paratonnerre.
La foudre ne la touche plus, elle n'annonce plus les guerres... La Madone de Chavanay Nous voici au carrefour des
routes entre les
hameaux d'Izeras, du Pêcher et de la Côte. Une autre croix
s'y élève, toujours
vraisemblablement du XVIIe siècle. Un socle de
section carrée, un dé
avec écusson, un haut fût et un croisillon avec
crucifixion, le tout d'époque.
Certains sont frappés par l'expression de douleur qui
émane du visage du
Christ, pourtant de petite taille. Croix du Pêcher, et détail
du croisillon Nous poursuivons par la
Voturéry, et un chemin
qui doit nous emmener au hameau de Triolet en passant par les Grandes
Roches.
Il y a une quinzaine d'années c'était encore facile,
malgré une clôture de
barbelés à franchir, un sentier faisait la jonction. On
accédait alors à deux
grandes barres rocheuses, en pente douce côté sud-est,
à-pic ou presque côté
nord-ouest. Outre plusieurs cupules et bassins, chacune des deux faces
sud-est
présentait une traînée de roche polie, invitant
à la glissade. On disait
d'ailleurs que c'était la distraction favorite des enfants du
hameau. En fait
ce type de roche à glisser existe un peu partout en France.
Généralement
c'étaient les jeunes filles qui tentaient la glissade, si elles
parvenaient en
bas sans s'écorcher c'était le signe qu'elles se
marieraient dans l'année. Les Grandes Roches en novembre 2007 Au fond la seconde barre rocheuse Aujourd'hui, plus de
barbelés, mais plus de sentier
non plus. Bruyères, genêts et ronces ont poussé
jusqu'à former de hautes
broussailles impénétrables. Finalement c'est en
forçant le passage, au prix
d'égratignures sur les jambes, que nous parvenons aux Grandes
Roches, qui
heureusement n'ont pas encore été recouvertes par les
broussailles. Les
traînées polies sont toujours là. On se souvient
que dans les années 80 l'EDF
avait prévu d'implanter sur ce site un pylône de la ligne
à très haute tension
venant de la centrale nucléaire de Saint-Alban-Saint-Maurice.
Cela avait fait
débat, d'une part à l'époque la charte du Parc
Naturel Régional du Pilat
prévoyait qu'aucune ligne haute tension ne devrait traverser son
territoire,
d'autre part certains amateurs de mégalithes faisaient valoir le
caractère
patrimonial du lieu. Le Parc Naturel Régional du Pilat avait
dû finalement
accepter le passage de la ligne, l'EDF consentant toutefois à
déporter le
pylône de quelques dizaines de mètres.
Les Grandes Roches en juillet 2022 En arrière-plan le pylône
objet des débats – à droite
Maurice Declerck songeur Comment faire pour sortir de
ce site buissonneux
? Revenir en arrière ne nous avancerait à rien, il vaut
mieux poursuivre comme
prévu en direction du hameau de Triolet, qui n'est qu'à
une centaine de mètres.
Nous apercevons une voiture, c'est donc qu'il y a un chemin
carrossable. Encore
une zone de broussailles à traverser, et nous voici sur la route
en effet, bien
soulagés de nous être sortis de cette épreuve. Au
carrefour avec la
départementale, une troisième croix nous accueille.
Celle-là est datée sur le
dé de 1685. C'est la croix de Sainte-Agathe, ainsi que
l'indique, de l'autre
côté, l'inscription SAGATHA, le S initial étant
l'abréviation de Sancta.
Croix de Sainte-Agathe Il y a un Christ d'un
côté du croisillon, deux
saints portant des palmes de l'autre côté, et trois petits
personnages à la
base du fût, saint Jean Baptiste, sainte Marie-Madeleine, et
sainte Agathe.
Selon la tradition chrétienne, Agathe était une jeune
vierge sicilienne
martyrisée pour sa foi, qui eut les seins arrachés par le
bourreau, avant de
périr sur des braises ardentes. On la représente, comme
c'est le cas pour cette
croix, portant un plat dans lequel sont posés ses deux seins.
Protectrice de la
Sicile, son culte s'étendit rapidement à toute l'Italie,
puis au sud-est de la
France. Sainte Agathe était censée protéger des
éruptions volcaniques, de la
foudre, des incendies et des tremblements de terre. Elle fait l'objet
d'une
importante vénération dans la région de Chavanay,
dont on dit que la cité
antique fut détruite en une nuit par un cataclysme.
Malgré la dévotion à cette
sainte « ignifuge », l'église de Chavanay
fut incendiée durant les
guerres de religion, et surtout il y eut ce dramatique accident
ferroviaire en
1991 qui embrasa le quartier de Luzin autour de la gare. Détails
du croisillon et des petits personnages À
droite sainte Agathe portant ses seins dans un plat La chaleur s'est bien
installée, et c'est sous un
soleil de plomb que nous finissons la randonnée. À
Saint-Michel, le bar nous
accueille pour des rafraîchissements qui sont les bienvenus. Une
belle journée,
vivement l'année prochaine ! |