Le
Château de La Bâtie
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Présenté
par
André Trabet |
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Décembre
2020 |
JEAN DE BERNIN ET LE
CHATEAU DE LA
BATIE A VIENNE
Le
passant qui traverse le Rhône par le pont qui relie Sainte
Colombe à Vienne, a
naturellement son attention attirée par les vestiges imposants
du château
édifié sur le Mont Salomon. Il
imagine, à juste titre, que par son emplacement
stratégique, il devait s’agir
d’une forteresse édifiée peut-être par les
conquérants romains pour assurer la
défense de la ville, pour contrôler et protéger les
belles propriétés ou les
activités artisanales et portuaires de la rive droite du fleuve.
Ces
colonisateurs ont laissé tellement de beaux vestiges dans la
ville, que ce
château n’en serait qu’un élément de plus. Il
a raison et il se trompe. Il
a raison puisqu’il est avéré
que les
romains avaient édifié leur immense rempart, de sept
kilomètres, reliant les
collines viennoises à partir de ce mont. Il est plus que
probable qu’un ouvrage
de défense habitait ce haut lieu dominant tout à la fois
le fleuve et le port
sur la rivière la Gère. Et
il a tort. Il
a tort parce que ce n’est pas une forteresse mais une résidence
qui a été
édifiée par l’archevêque Jean de Bernin, qui
‘régna’ sur Vienne de 1218 à 1266. Il a probablement
utilisé les pierres des
anciennes constructions. Nous
savons relativement peu de chose sur sa composition. Il est facile de
constater
la présence d’un donjon, s’agissant d’une résidence
archiépiscopale il y avait
naturellement une chapelle. Des terrasses dominant la ville, un mur
d’enceinte,
une salle de réception, des chambres et probablement une
pièce protégée par y
loger les trésors du propriétaire. Nous
pouvons nous interroger sur le nom de l’architecte qui en conçu
les plans. Il
pourrait s’agir du sieur De L’Œuvre, qui édifia son propre
château sur
l’actuelle commune de Pont-Evêque. Il était l’architecte
ou l’un des
architectes de l’archevêque ? Un
des hauts faits historiques de cet édifice fut son occupation,
pendant le
concile de 1311/1312 par le pape Clément V qui s’y installa.
Nous savons que ce
pape avait une peur bleue des sbires de Philippe le Bel,
installés de l’autre
côté du Rhône dans le couvent des cordeliers
(actuelle institution Robin). Les
gazettes de l’époque rapportèrent que pour y monter son
trésor et sa vaisselle,
il fallut onze mules et autant de chariots. Le
pape était pourtant protégé par le fait que la
ville se trouvait dans le giron
du Saint Empire Germanique alors que la rive droite était dans
le royaume. Deux
précautions valent mieux qu’une et le Ciel n’offre pas une
garantie infaillible. Notre
archevêque n’était pas un personnage de second plan. Bien
au contraire. Sur
le plan local il fit restaurer le très beau pont sur la
Gère, il en aurait fait
construire un sur le Rhône. Nous lui devons
l’agrandissement de la
cathédrale dont les travaux avaient été
arrêtés en 1228. Dédiée à Saint
Maurice,
elle fut consacrée par le pape Innocent IV en 1251. Il reconstruisit
l’archevêché, fit édifier
trois chapelles à ses côtés. Il
fit rénover nombre d’édifices religieux et édifier
le couvent des Cordeliers et
un Hôtel Dieu. Jean
de Bernin consacra une grande partie de sa vie à la protection
des pauvres et
des malades. Fin
politicien, il accorda aux viennois le droit de se doter d’un
collège des élus. Mais
cet archevêque eut également une dimension
cléricale et politique de haut
niveau. En
1235 il est nommé légat du pape Grégoire IX et
reçoit la direction de
l’Inquisition. Il s’entoure de juges tous issus de l’Ordre des
Prêcheurs et va
intervenir à l’encontre des Cathares et notamment du comte
Raymond e Toulouse. L’Empereur
du Saint Empire, Frédéric II, le confirme dans les
fonctions d’archichancelier
du royaume d’Arles et de Vienne, avec tous les pouvoirs temporels que
cette
distinction comporte. Jean
de Bernin participe à de nombreux conciles, sa longue
carrière et ses nombreux
arbitrages dans les conflits religieux, en font un des plus hauts
personnages
de la chrétienté du XIIIe siècle. Revenons
à notre château de La Bâtie qui, après
l’épisode du Concile de 1311/1312, va
provisoirement tenir lieu de résidence pour les
archevêques de Vienne. Il
sera, un temps, utilisé en prison royale. En
1450, le Dauphin Louis le fait réaménagé en place
forte et en 1538, François
Ier, qui redoute les ambitions de Charles Quint, y fait édifier
un bastion dit
‘ de Saint Anne’ équipé de canonnières. Au
printemps de 1562 la ville est occupée par le sinistre
François de Beaumont,
plus connu comme Baron des adrets qui, à la tête des troupes
protestantes, va se livrer
au pillage et au saccage des édifices religieux. La Bâtie
n’y échappe pas. Le
6 septembre, le viennois Maugiron, lieutenant général des
gardes en Dauphiné,
reprend la ville. Ce
n’est que répit puisqu’ en 1567, Paulon de Mauvans et le
cardinal -archevêque
d’Aix, Jean de Saint Chamond, converti au protestantisme, reprennent la
ville
et se livrent à de nouveaux saccages. Ils en seront
délogés un mois plus tard
par les troupes du Duc de Nevers. La
Bâtie n’est plus qu’un champ de ruines ce qui n’empêche pas
Richelieu, par un
arrêt du Conseil d’Etat en date du 26 janvier 1663, d’ordonner la
démolition
des forts du Dauphiné. Il
nous aurait laissé les pierres et les vestiges encore visibles,
comme un
témoignage du glorieux passé de la ville. |