En Rubrique
Marie-Madeleine
Novembre
2015




Par
Patrick
Berlier

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LA SAINTE-BAUME

DANS LA LUMIÈRE DE MARIE-MADELEINE

 

 

Dans la légendaire histoire de sainte Marie-Madeleine, la Sainte-Baume en Provence, à l’est de Marseille, tient une place à part. C’est là que celle qui fut l’une des fidèles de Jésus, et qui l’accompagna jusqu’à la croix, aurait terminé ses jours. La connaissance que nous avons de Marie-Madeleine repose, d’une part sur les maigres indications des Évangiles, et d’autre part sur le récit merveilleux qu’en fit Jacques de Voragine dans sa célèbre Légende Dorée. Archevêque de Gênes au XIIIe siècle, il composa avant 1264 cet ouvrage dans lequel il conte la vie des principaux saints de la chrétienté.

Le mot « légende » ne signifie pas qu’il s’agisse d’un récit merveilleux, ce terme doit être pris dans le sens du mot latin legenda : « ce qui doit être lu ». Autrement dit c’est le sens second du mot légende : une explication ajoutée à un dessin, un plan, etc. Cette légende est « dorée » car écrite avec l’or le plus pur de la parole divine. Jacques de Voragine raconte les vies des saints comme s’il en avait lui-même été le témoin. Il exalte leurs destinées exemplaires d’où il ressort, en filigrane, le combat de Dieu contre le Mal. La Légende Dorée a servi de support aux prédicateurs, durant plusieurs siècles. Aujourd’hui le livre a évidemment perdu de sa céleste puissance, mais reste un récit au charme suranné. Il est d’ailleurs toujours édité : La Légende Dorée est disponible en deux volumes dans la collection GF-Flammarion, traduction de J.-B. M. Roze.

 

Début de La Légende Dorée

(Manuscrit du XIVe siècle, Bibliothèque Nationale)

 

Jacques de Voragine nous explique d’abord que Marie-Madeleine appartenait à une famille descendante de la race royale, et particulièrement riche :

« Marie possédait en commun avec Lazare, son frère, et Marthe, sa sœur, le château de Magdalon, situé à deux milles de Génézareth, Béthanie qui est proche de Jérusalem, et une grande partie de Jérusalem. Ils se partagèrent cependant leurs biens de cette manière : Marie eut Magdalon d’où elle fut appelée Magdeleine, Lazare retint ce qui se trouvait à Jérusalem, et Marthe posséda Béthanie. »

Pour la suite de l’histoire, Jacques de Voragine ne fait que répéter ce que disent par ailleurs les Évangiles : Marie-Madeleine venant laver les pieds de Jésus et les inondant de ses larmes, les séjours de Jésus à Béthanie durant lesquels Marie passe son temps à l’écouter, la résurrection de Lazare, l’amour fidèle que porte Marie-Madeleine à Jésus, sa présence au pied de la croix, et sa visite au tombeau où elle fut la première à qui Jésus ressuscité apparut.

Après l’Ascension du Christ, Marie-Madeleine et les siens vendirent tous leurs biens, et en remirent le prix aux apôtres. Ils vécurent alors dans la simplicité, prêchant la bonne parole. Mais ils furent finalement chassés de la Terre Sainte, quatorze ans après la Passion, comme l’explique La Légende Dorée :

« Au moment de cette dispersion, saint Maximin, Marie-Magdeleine, Lazare, son frère, Marthe, sa sœur, et Martille, suivante de Marthe, et enfin le bienheureux Cédonius, l’aveugle-né guéri par le Seigneur, furent mis par les Infidèles dans un vaisseau tous ensemble avec plusieurs autres chrétiens encore, et abandonnés sur la mer sans aucun pilote afin qu’ils fussent engloutis en même temps. Dieu permit qu’ils abordassent à Marseille. »

D’autres traditions existent quant au lieu d’abordage de la barque des saints, que l’on situe en divers endroits du rivage méditerranéen, et même en Languedoc, mais pour ce dossier tenons-nous en à la version marseillaise. Toujours selon Jacques de Voragine, Marie-Madeleine resta quelque temps dans la cité phocéenne pour prêcher la bonne parole et évangéliser la ville, avant de gagner une région désertique :

« Cependant la bienheureuse Marie-Magdeleine, qui aspirait ardemment à se livrer à la contemplation des choses supérieures, se retira dans un désert affreux où elle resta inconnue l’espace de trente ans, dans un endroit préparé par les mains des anges. »

Cette région désolée ne possédait aucune ressource, ni eau, ni arbre, ni herbe. Un « désert affreux » en effet, encore qu’il faille prendre le mot désert dans son sens spirituel : un lieu de retraite loin de l’agitation du monde.

 

« Un désert affreux » (massif de la Sainte-Baume)

 

Mais Marie-Madeleine n’était point destinée à se rassasier de nourritures terrestres, ce sont seulement des nourritures spirituelles que Dieu lui procurait quotidiennement :

« Or, chaque jour, à l’instant des sept heures canoniales, elle était enlevée par les anges du ciel et elle y entendait, même des oreilles du corps, les concerts charmants des chœurs célestes. Il en résultait que, rassasiée chaque jour à cette table succulente, et ramenée par les mêmes anges aux lieux qu’elle habitait, elle n’éprouvait pas le moindre besoin d’user d’aliments corporels. »

Un prêtre était venu vivre en ermite à peu de distance de la grotte. Un jour, dit toujours La Légende Dorée, Dieu lui permit de voir de ses yeux cette femme que des anges enlevaient au ciel, sept fois chaque jour. Il eut la force de s’approcher d’elle, et Marie-Madeleine lui révéla qui elle était. Puis elle lui dit :

« Or, puisqu’il m’a été révélé par le Seigneur que je dois sortir de ce monde, allez trouver le bienheureux Maximin, et dites-lui que, le jour de Pâques prochain, à l’heure qu’il a coutume de se lever pour aller à matines, il entre seul dans on oratoire et qu’il m’y trouvera transportée par le ministère des anges. »

Au jour dit, saint Maximin trouva en effet Marie-Madeleine, entourée d’anges qui la maintenaient à deux coudées au-dessus de terre (une coudée = environ 50 cm). La Pécheresse reçut la communion, et « sa très sainte âme passa au Seigneur ». Maximin embauma son corps et l’ensevelit.

Dans le récit de Jacques de Voragine, ni le lieu de la retraite désertique de Marie-Madeleine, ni celui de sa sépulture, ne sont précisés. On sait seulement que cela se situe dans la région de Marseille. À partir du VIIIe siècle on commença à regarder du côté de ce massif minéral proche de la paroisse dédiée à saint Maximin, aujourd’hui la commune de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, dans le département du Var.

 

Falaise et grotte de la Sainte-Baume

En haut, le sommet du Saint-Pilon et sa chapelle

 

Gaston Duchet-Suchaux et Michel Pastoureau, dans leur ouvrage de référence La Bible et les saints – guide iconographique (Flammarion), affirment à ce propos :

« Cette partie provençale de l’histoire de Marie-Madeleine n’a aucun fondement scripturaire ni historique. Elle paraît avoir été forgée au XIe siècle par les moines de Vézelay pour expliquer et authentifier la présence de ses reliques dans leur église. »

En effet, selon le récit des moines de l’abbaye bourguignonne, un certain Baidilon aurait été envoyé à Saint-Maximin en Provence pour récupérer les reliques de Marie-Madeleine. Excédés par ce tapage, les moines de Saint-Maximin firent des fouilles dans leur église et découvrirent un squelette, qu’ils attribuèrent naturellement à Marie-Madeleine. C’était en 1279, quelques années après la rédaction de La Légende Dorée, qui ne put donc pas relayer cette information. Quant au lieu de retraite de la Pécheresse, cela ne pouvait être que cette grotte (une baume, en provençal) s’ouvrant dans la falaise aride, à peu de distance de là. Dès lors, le pèlerinage à Saint-Maximin et à la Sainte-Baume supplanta largement celui de Vézelay. Il devint même, en importance, le troisième au monde, après celui de Jérusalem sur le tombeau du Christ, et celui de Rome sur le tombeau de saint Pierre.

 

Reliquaire de Marie-Madeleine à Saint-Maximin (carte postale ancienne)

 

Le succès fut tel qu’il fallut construire une hôtellerie, au pied de la falaise, pour accueillir et héberger les pèlerins. Maison souvent remaniée au fil du temps, agrandie par l’ajout d’ailes supplémentaires, et offrant de fait un plan assez complexe. Ce sont des moines Dominicains qui assurent, aujourd’hui encore, l’accueil des pèlerins, ou des simples randonneurs. Le confort y est spartiate, la prière obligatoire avant chaque repas frugal, mais le délicieux sourire des jeunes moniales sud-américaines, venues aider les bons pères, fait oublier l’austérité du lieu…

 

L’hôtellerie de la Sainte-Baume, vue de la grotte

 

C’est de là que part le sentier conduisant à la grotte. Ce n’est pas très long, mais rapidement la grimpette devient plutôt raide, d’autant qu’elle se termine par une longue montée d’escaliers. Heureusement, la magnifique forêt de la Sainte-Baume apporte une ombre bienvenue.

 

Début de la montée d’escaliers : il faudra monter jusqu’à la grotte (indiquée par la flèche)

 

Pèlerins et randonneurs arrivent alors sur une terrasse dominante, où s’élèvent quelques bâtiments modestes. Une dernière volée de marches, et ils accèdent à la grotte elle-même, fermée par un mur percé d’une porte et de fenêtres garnies de vitraux modernes.

 

L’entrée de la grotte

 

La grotte est grande et sa fraîcheur naturelle est la bienvenue les jours d’été après la montée particulièrement « suante ». Son aménagement est entièrement dédié à la gloire de Marie-Madeleine. Parmi les éléments du décor, on remarque en particulier le fameux reliquaire, chef d’œuvre d’orfèvrerie, œuvre de Thomas-Joseph Armand-Caillat (1822 – 1901). Né Thomas-Joseph Armand, cet artiste rencontra à Lyon sa future épouse Jeanne Caillat (ou Calliat, orthographe rencontrée parfois), dont le père possédait une fabrique d’orfèvrerie. Il en hérita et se spécialisa dans l’orfèvrerie religieuse. Il travailla en particulier pour Pierre Bossan, l’architecte de la basilique Notre-Dame de Fourvière à Lyon.

 

Intérieur de la grotte (carte postale ancienne)

 

C’est en 1889 que cet artiste réalisa ce reliquaire, révélé entre autres par Christian Doumergue dans son livre L’affaire de Rennes-le-Château (éditions Arqa). Il faut rappeler que cet objet d’art, qui lui avait été commandité par la famille provençale Terris, valut à son auteur le grand prix d’orfèvrerie en 1890, après avoir été exposé à l’Exposition Universelle de Paris. Ce reliquaire est composé d’une châsse en or et verre, renfermant un os attribué à Marie-Madeleine, reposant sur un socle orné d’une marqueterie en or et matériaux précieux. Ce décor représente Marie-Madeleine et ses compagnons dans leur embarcation ; à l’arrière, la Pécheresse est en prières, penchée sur un corps entouré de bandelettes, comme une momie, ce qui soulève bien des interrogations. Sa tête est ceinte d’un nimbe, il s’agit donc d’un saint personnage. Serait-ce le corps de Jésus que Marie-Madeleine rapporte avec elle en Gaule ?

 

Détail de la marqueterie : qui est le saint défunt ?

 

Un peu las de voir arriver des curieux seulement attirés par ce décor singulier, les Dominicains ont, depuis 2013, retourné le reliquaire de manière à exposer aux regards la scène du verso, représentant Marie-Madeleine aux pieds de Jésus. Mais il est temps de prendre le chemin du retour. La longue suite d’escaliers d’abord, puis, variante moins fréquentée, le chemin constitué en grande partie par un escalier aux marches taillées dans le roc.

 

Escalier rustique au cœur de la forêt de la Sainte-Baume

 

Quoi qu’il en soit, on retourne à l’hôtellerie. Dans le hall d’entrée, est exposée depuis 2009 l’ancienne porte de la grotte, celle qui avait été offerte par François Ier, à la suite de sa visite à la Sainte-Baume en 1516. Venu remercier Dieu de sa victoire à Marignan l’année précédente, il fut touché par la pauvreté des lieux et finança cette porte monumentale dans le plus pur style Renaissance. Reléguée dans les réserves d’un musée lorsque l’on construisit l’entrée actuelle, répertoriée comme « cheminée », la porte de François Ier resta oubliée longtemps, avant qu’on ne lui donne une seconde jeunesse en l’installant dans le hall d’entrée de l’hôtellerie, où elle donne accès à la chapelle. On peut à nouveau admirer son décor d’angelots, de guirlandes de fleurs et de coquilles Saint-Jacques.

 

Hall d’entrée de l’hôtellerie. À gauche, l’ancienne porte de la grotte, devenue porte de la chapelle

 

La chapelle est un petit édifice de style néo roman, dont les arcs bicolores ne sont pas sans rappeler le style d’inspiration orientale des églises d’Auvergne. La voûte en cul-de-four de l’abside est décorée d’une grande peinture murale, due au talent de Frédéric Montenard, également auteur des tableaux sur toile marouflée, décorant la nef.

 

La chapelle de l’hôtellerie

 

Issu d’une vieille famille provençale, Frédéric Montenard (1849 – 1926) étudia les Beaux-Arts à l’école de dessin de Paris, puis se perfectionna dans l’atelier de Puvis de Chavanne. Il revint ensuite en Provence, fréquentant les Félibres et devenant l’ami de Frédéric Mistral. Il illustra sa Mireille. Montenard s’inspirait principalement des paysages provençaux, qu’il magnifiait en maître de la lumière et de la couleur. Sur la fin de sa vie, il devint en 1926 le peintre officiel de la Marine Française. C’est en 1911 qu’il réalisa les peintures de la chapelle de l’hôtellerie, que nous allons découvrir et détailler maintenant.

 

Frédéric Montenard

 

La première scène représente Marie-Madeleine regardant partir Jésus après son premier séjour à Béthanie. Le tableau est divisé en deux parties presque égales. À gauche la maison de Marthe et Marie-Madeleine, dont on ne voit que le péristyle abondamment fleuri, à droite le décor de fond. L’artiste a imaginé le site de Béthanie dans le merveilleux cadre, d’inspiration provençale, d’une vallée ensoleillé entourée de falaises et plantée d’oliviers. Au loin on distingue un coteau cultivé en terrasses. Au premier plan l’artiste a placé à droite une maison blanche de style oriental. Jésus est de dos, il s’éloigne sur le chemin. Marie-Madeleine, la chevelure flamboyante, se tient dans l’entrée de sa maison, négligemment appuyée du bras gauche contre le montant de la porte. Elle jette un dernier regard à son Seigneur. Un regard d’amour, pourrait-on ajouter, tant le peintre a su restituer, avec une dimension presque charnelle, en jouant sur les ombres et la réverbération de la lumière, l’attitude d’une femme aimée et aimante, regardant s’éloigner l’homme qu’elle aime plus que tout, en route vers son destin.

 

Marie-Madeleine regarde partir Jésus

 

Avec le tableau suivant Marie-Madeleine est arrivée en Provence. Elle se tient debout sur un petit rocher blanc, dans la rade de Marseille bien reconnaissable, avec les îles du Frioul en arrière-plan. Elle brandit une croix et s’adresse aux pêcheurs, qui l’entourent dans leurs embarcations. Il y a même une galère blanche au second plan à droite.

 

Marie-Madeleine dans la rade de Marseille

 

Suit alors la scène de l’abside, Marie-Madeleine dans le décor crépusculaire de la Sainte-Baume, environnée d’anges qui s’apprêtent à l’emporter vers le ciel. Sa longue chevelure rousse flamboie dans le soir naissant, le peintre maîtrisant toujours à la perfection le jeu des ombres et de lumières.

 

Marie-Madeleine emportée par les anges (fresque de l’abside)

 

De l’autre côté de la nef, deux autres tableaux complètent la série et racontent la fin de vie de Marie-Madeleine. Le premier la montre debout à l’orée de sa grotte, contemplant le fantastique paysage minéral des falaises de la Sainte-Baume, et de sa forêt aux couleurs d’automne. Dans le crépuscule rougeoyant, des nuages s’accrochent au relief et donnent au paysage une étonnante profondeur.

 

Marie-Madeleine à la Sainte-Baume

 

Le dernier tableau a pour cadre une plaine provençale, plantée d’oliviers et de pins sylvestres ; on reconnaît la silhouette blanche de la montagne Sainte-Victoire en arrière-plan. Marie-Madeleine s’avance vers l’ermite qui préviendra saint Maximin de sa mort prochaine.


Marie-Madeleine s’approche du saint ermite

 

On ne peut pas quitter la Sainte-Baume sans aller faire un tour au village voisin de Saint-Zacharie. Sur une placette ombragée s’ouvre la vieille église, dédiée à saint Jean-Baptiste.

 

Saint-Zacharie, l’église (carte postale ancienne)

 

On peut y voir une statue de Marie-Madeleine étonnamment semblable au bas-relief de l’autel de l’église de Rennes-le-Château. Mais en réalité cette manière de représenter la Pécheresse est assez courante, et elle a pu servir de modèle au concepteur de l’autel de Rennes-le-Château. Jadis il y avait une statue identique à la Sainte-Baume, comme en témoignent les cartes postales anciennes.

 

Marie-Madeleine en prières

À gauche : statue à la Sainte-Baume (d’après une carte postale ancienne)

À droite : bas-relief de l’autel de l’église de Rennes-le-Château

 

Ce qui attire surtout l’attention, c’est un tableau du XIXe siècle représentant Marie-Madeleine dans sa grotte. Elle est agenouillée et s’appuie contre un rocher, éclairée par un rayon de lumière divine. Tous ses attributs traditionnels sont représentés : la croix, le vase à parfum, le livre et le crâne. La ressemblance, cette fois, avec le tableau de notre chapelle Sainte-Madeleine du Pilat, dans la forêt de Pélussin, est frappante. D’autant qu’il y a même, en paysage d’arrière plan visible par l’ouverture de la grotte… une montagne constituée de trois dents… Le hasard est vraiment, parfois, miraculeux… !

 

Marie-Madeleine dans sa grotte

À gauche : tableau de l’église de Saint-Zacharie

À droite : tableau de la chapelle Sainte-Madeleine du Pilat

 


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