Le
Pilat au paléolithique
inférieur
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Présenté
par
Philippe Monteil |
Mai
2022 |
De nombreux indices, à la fois
géologiques et
hydrogéologiques, visuels et matériels, légendes
orales et écrits semblent confirmer
l’importance de notre petit massif du Pilat. Érigé depuis
l’orogenèse
hercynienne, à cheval entre les bassins hydrologiques de
l’océan Atlantique et
de la mer Méditerranée, et aujourd’hui entre deux fleuves
aux destins
divergents, le Pilat semble se positionner stratégiquement dans
cette partie de
l’Europe occidentale (Monteil [2021]). Les civilisations humaines qui s’y sont
succédées ont
bien évidemment tiré parti de cette position
géographique particulière. Des
ondes de l’ORTF de l’Oeillon, au silence des Pères chartreux de
Sainte Croix en
Jarez, les hommes vont laisser des indices de leur occupation de ce
massif. Mais plus on remonte les fils du temps et
plus les
indices sont difficiles à lire, à interpréter.
Alors, en insistant avec
patience et curiosité, en croisant les regards curieux,
professionnels et
passionnés, ces traces
d’occupations
s’établissent : templiers, moyen-age, romains, celtes,
gaulois,
civilisations mégalithiques, néolithiques… Toutes les
différentes civilisations
qui ont occupé l’Europe occidentale (peut-être même
depuis plus de 5000 ans…)
sont passées, voir se sont installées, dans notre Pilat. Et quid des occupations encore
antérieures au
Paléolithique ? Notre massif, dépourvu d’abris
protégés (comme les
grottes de Basse-Ardèche ou de la vallée du Rhône),
n’a peut-être pas été
occupé durablement durant les périodes froides du
paléolithique supérieur et
moyen. En tout cas, à ce jour, aucune trace, aucun indice des
civilisations
Aziliennes, Magdalénienne, Solutréenne, Aurignacienne, ni
même Moustérienne du
paléolithique supérieur et moyen n’ont été
retrouvées dans le Pilat. Mais durant les inter-glaciaires le climat a
pu être
propice. On connaît plusieurs sites[1]
associés aux premières civilisations humaines
installées dans cette partie de
l’Europe occidentale : les civilisations Acheuléennes. Ces
civilisations
Acheuléennes (du site de Saint Acheul à Amiens) sont
antérieures aux
civilisations Moustériennes de l’homme de Néandertal.
Elles sont attestées par
l’utilisation de galets aménagés de type chopper et
chopping-tools. Cette
technique a été utilisée depuis quasiment 2
millions d’années en Afrique par
les civilisations Oldowayennes du paléolithique
inférieur. En Europe
occidentale on les associe aujourd’hui à l’homme d’Heidelberg. Dans
« Il était une fois le Pilat... » (A4
typographié,
photocopié par le Parc Naturel Régional du Pilat –
Pétillon [1980]), Georges
Pétillon signale la découverte de très vieux
outils paléolithiques dans le
Pilat : « Le témoignage d’occupation humaine le
plus ancien connu dans
le Pilat est à ce jour constitué par une douzaine de
galets de quartzite
trouvés dans la commune de Bessey. Ces galets, aplatis, de forme
ovoïde ont été
remontés par un labour profond. » Un
peu plus loin il publie le dessin de l’un de ces galets
aménagés
(fig.1) qui semble effectivement être un authentique chopper
typique des
techniques du paléolithique inférieur.
Figure
1 : Dessin du chopper retrouvé à Bessey,
publié par Georges
Pétillon (taille
estimée 12 cm x 10 cm x 3 cm). Plus
récemment par l’intermédiaire de Patrick Berlier de
l’Association
des Guides du Pilat, nous avons eu accès à un inventaire
par commune, réalisé
lui aussi par Georges Pétillon pour le Parc Naturel
Régional du Pilat (Pétillon
[1973-80]). Dans
cet inventaire il y a deux fiches concernant la commune de Bessey.
L’une concerne les meulières du site des Alouettes (Monteil
[2012]) et l’autre
apporte des précisions sur les lieux et dates des
découvertes de ces fameux
galets de quartzites. George Pétillon en décrit quelques
uns dans cette fiche :
« La plupart sont des galets de forme ovoïde et
aplatis. Ils ont subi
une taille à un des bouts. Cette taille a enlevé trois
à quatre éclats sur une
seule face. » Cette
description correspond aux techniques des industries lithiques
oldowayennes ou acheuléennes du paléolithique
inférieur. Si nous retrouvons ce
matériel nous avons une preuve d’une occupation très
ancienne du massif du
Pilat. D’autant
qu’il précise encore : « L’ensemble a
été remis à
M. Chapotat qui les a apportés à la Direction
Régionale des Antiquités
Préhistoriques. » Nous
avons enquêté pour espérer retrouver ces outils.
Gabriel Chapotat a
été conservateur du musée de Vienne, mais suite
à nos demandes rien n’a été
retrouvé à Vienne. Il nous reste la piste de Jean Combier
directeur des
Antiquités Préhistoriques de Rhône-Alpes à
l’époque, décédé en 2021.
L’inventaire du matériel qu’il a accumulé est en cours,
nous espérons que les
spécialistes en charge de cet inventaire nous signalerons
d’éventuelles découvertes
de ce tupe d’objets. Aussi,
comme la fiche indiquait des numéros de parcelles, nous sommes
allés nous balader sur place…
Figure
2 : Galet aménagé trouvé à Bessey en 2021. Et au
bord d’une des parcelles citées, un récent labour avait
fait émerger
sur le bord du chemin un galet qui nous est tout de suite apparu comme
exceptionnel (fig 2). Même
si ce galet n’a pas les caractéristiques aussi rudimentaires que
ceux cités par George Pétillon, sa patine et son style
semble le rapprocher incontestablement
d’un véritable outil très ancien. De plus cette
découverte n’a pas fortuite.
Elle a justement eu lieu a proximité des parcelles citées
par George Pétillon
50 ans plus tôt. Marie-Hélène
Moncel (préhistorienne, directrice de recherche au CNRS)
n’a pas voulu se positionner sans études plus approfondies sur
le caractère
anthropique des traces d’enlèvements. En revanche, Bernard Gely (Ingénieur au service régional
de l'archéologie de la
DRAC Rhônes-Alpes) ainsi que Jean-Michel Geneste (Conservateur
général du
patrimoine et directeur du Centre national de la Préhistoire
jusqu'en 2014)
penchent comme nous, après observations attentives, pour des
caractéristiques
anthropiques.
Figure
3 : Les deux galets retrouvés au bord d’une parcelle
labourée à Bessey Ce
genre de galet fracturé peut être effectivement dans
certains cas
naturel. Il est fréquent d’observer des galets de quartzites
charriés, érodés
et ayant subit des fracturations naturelles notamment dues aux grands
écarts de
température durant les périodes glaciaires du quaternaire
(Raynal [2000]). Aussi,
nous sommes allés sur une terrasse alluviale indiquée sur
la
carte géologique au-dessus de Salaise sur Sanne (38). Cette
terrasse regorge
effectivement de galets dont la plupart ont exactement cette même
patine ocre
et lisse. Et un grand nombre de ces galets porte des cassures
naturelles. Mais
aucune de ces multiples fracturations observées ne ressemble
à celles du galet
de Bessey (fig. 3). Nous n’avons donc quasiment plus aucun doute, ce
galet de
quartzite aménagé est un outil. Et si on l’associe avec
les publications de
George Pétillon, un outil du paléolithique
inférieur ! Il
semble avoir été réalisé à partir
d’une forme initiale ovoïde assez
conséquente (certainement supérieure à 20 cm x 15
cm) et dispose de traces
d’enlèvements sur les deux faces (fig. 4 et 5). On
pourrait même dire, en imaginant le galet initial ovoïde que
l’outil
a été réalisé sur un éclat. Son
épaisseur qui n’excède pas les 4 cm montre une
réduction conséquente relativement au galet ovoïde
initial. Sur la face
inférieure : nous observons de nombreuses traces
d’enlèvements sans
régularité apparente pour les petits impacts. L’ensemble
de ces impacts
semblent s’organiser en-dessous des deux enlèvements principaux
(fig.4) dont
les arêtes et les plans de frappe semblent encore visibles.
Figure
4 : Face inférieure du galet aménagé.
Figure
5 : Face supérieure du galet aménagé. Sur
la face supérieure : seuls deux enlèvements
conséquents
définissent la forme globale de l’objet. Ils semblent avoir
été effectués dans
l’intention d’y positionner les doigts pour une meilleure
préhension de l’outil
(fig. 5). Enfin
le « tranchant », et quasiment tout le pourtour
de
l’objet, a subi de nombreux petits enlèvements dits de
« retouche », certainement
pour une régularisation de la forme, ou pour un affûtage. On ne peut que s’émerveiller de la
qualité et la
précision des frappes intentionnelles qui ont permis d’aboutir
à un tel objet.
Même si cette technique n’est pas aussi rudimentaire que celle
employée pour
réaliser les choppers de l’Acheuléen comme celui
dessiné par George Pétillon
(fig.1), au vu du contexte de cette découverte, cela nous semble
confirmer une
occupation très ancienne (datant certainement du
paléolithique inférieur) du massif
du Pilat. Pour poursuivre nos investigations, il faudrait bien sur
retrouver
les différents outils mis à jour dans les années
70. Cet outillage ainsi réuni
devrait attirer l’attention de spécialistes de cette
période dont les vestiges
sont extrêmement rares. Bibliographie Monteil
Philippe, 2012 - Les
meulières du Pilat. Dan
L’Tan N°33, Revue de
Visages de Notre Pilat, pp. 42-45. Monteil
Philippe, 2021 - Une industrie lithique du
paléolithique inférieur dans le Pilat. Dan L’Tan
N°43, Revue de Visages de
Notre Pilat, à paraître février 2021. Monteil
Dominique et Philippe, 2021 – Petit
aperçu du contexte géologique du Pilat, Dan
L’Tan N°43, Revue
de Visages de Notre Pilat, à paraître février 2021. Pétillon
Georges, 1973-80 - Fiches
Archéologiques, publication
du Parc Naturel
Régional du Pilat, 67p. [1]
(depuis l’Espagne jusqu’à Orgnac (Ardèche – de 100 km en
ligne droite) en
passant par Tautavel (Pyrénées Orientales)
avec de nombreux indices (outils, et ossements), et
d’autres sites moins
emblématiques dans la vallée du Rhône ou le Massif
Central) |