LES REGARDS DU PILAT PRÉSENTENT

LES EAUX DU PILAT

JANVIER 2007

LE BIEF DU ROY

par Patrick BERLIER

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    Bien peu de promeneurs se posent des questions à la vue des vestiges d’un chenal conséquent, que l’on rencontre en divers endroits du Grand Bois, à l’ouest de la nationale 82. Ces traces pourtant curieuses constituent le dernier témoignage visible des malheureux essais de captage des eaux de la Semène, qui furent tentés à la fin du XVIIe siècle.
 
    L’idée était simple : creuser un canal coupant transversalement les divers ruisseaux composant les sources de la Semène pour détourner une partie de leurs eaux vers le bassin du Furan, et ainsi augmenter le débit de la rivière. À Saint-Étienne, de nombreux ateliers déploraient son irrégularité. En 1688 les échevins exposèrent le problème aux autorités, en avançant un argument décisif : Saint-Étienne, capitale de l’armurerie, ne pouvait plus produire suffisamment d’armes, alors que Louis XIV avait tant besoin pour ses guerres... En 1694 commencèrent les travaux de ce que l’on devait nommer « le bief du Roy ».

      C’était sans compter sur la farouche volonté des usagers du bassin de la Semène, en particulier les habitants de Saint-Genest-Malifaux, qui tentèrent de faire valoir leurs droits légitimes sur une eau nécessaire à leurs propres industries, moulins ou scieries. Protestations et pétitions se succédèrent, à chaque fois le ton était haussé entre citadins et campagnards, les premiers reprochant aux seconds de gaspiller leur eau pour le simple plaisir d’arroser leurs jardins, les seconds qualifiant les premiers de voleurs d’eau. Les paysans rusés finirent par adopter une solution radicale, rebouchant la nuit ce que les ouvriers creusaient dans la journée ! Finalement, le projet à peine ébauché dut être abandonné.

 

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    Un siècle plus tard, les révolutionnaires avaient eux aussi bien besoin d’armes. En 1795, le projet de détournement des eaux de la Semène vers le Furan renaissait. Les travaux reprirent, sous le nom cette fois-ci plus révolutionnaire de « Béal de la nation », provoquant les mêmes réactions des habitants, qui avaient retenu la leçon de leurs aïeuls ! À nouveau les travaux du bief furent abandonnés... Mais l’idée faisait son chemin. Le projet resurgit de ses cartons poussiéreux en 1815, puis en 1846, et encore en 1889. À chaque fois il rencontra une semblable opposition, même l’envoi de la troupe pour garder le chantier n’entama en rien la détermination des habitants. De guerre lasse, on abandonna définitivement l’idée de capter les eaux de la Semène. 
    Comment se présentait le « bief du Roy », et qu’en reste-t-il ? Il en existe un plan très précis, dressé en 1893, qui donne une bonne idée de la façon dont il aurait dû fonctionner. Le premier point de captage était à la Source des Bruyères, à peu près à 800 m à l’ouest de la D.22 (qui n’existait pas, à l’époque). Au passage les sources d’Amberg et des Vorges l’alimentaient. Puis la tranchée se dirigeait vers le Rioclard, un ruisseau dans lequel elle déversait son eau. On retrouve très bien ce chenal, avec son talus coté aval de la pente. On remarque encore sur le Rioclard un pont soigneusement réalisé à l’aide d’énormes pierres plates. Plus bas une autre tranchée captait les eaux du Rioclard pour les amener jusqu’à la Digonnière, en traversant les sources des Piqueurs, de la Raze, des Fonts Blanches. Chacun de ces ruisseaux donnait au « bief du Roy » une partie de son eau. La tranchée est encore bien visible, de place en place, jusqu’à la Digonnière où on la repère en contrebas de la route nationale. C’est là que le canal franchissait la ligne de partage des eaux entre les bassins de la Semène et du Furan. Il ne lui restait plus qu’à descendre presque en ligne droite au fond de la vallée, en s’enrichissant encore d’autres captages. 

    L’abandon de ce projet à la fin du XIXe siècle se justifia en outre par le fait qu’entre temps on avait réalisé un aqueduc captant les sources du Grand-Bois, et construit les barrages sur le Furan pour en réguler le débit. Et puis c’est finalement en Haute-Loire, dans le Lignon, que l’on est allé chercher l’eau devant alimenter Saint-Étienne...

  

EN MAI PROCHAIN :

L'AFFAIRE DU TERNAY

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