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JUILLET 2020
Rubrique Alchimie |
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Par notre Ami
Jean Artero |
Au
sujet de Julien Champagne (1877-1932)
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Quand
on pense au plus grand
alchimiste contemporain, il est difficile de ne pas évoquer le
nom de
Fulcanelli, dont l’identité civile reste à mon sens
incertaine à ce jour. Cet
Adepte probablement français
d’origine s’inscrit de ce point de vue dans une tradition d’anonymat
que Basile
Valentin, ou Irénée Philalèthe, par exemple, ont
illustré avant lui. C’est
donc au travers de son
œuvre écrite (Le Mystère des Cathédrales,
puis Les Demeures Philosophales)
parue entre les deux guerres mondiales qu’il convient avant tout de
chercher à
apprécier le rôle qu’il a pu jouer du point de vue de la
postérité. Précisons
ici, d’emblée, que ses
deux ouvrages ont connu assez rapidement un succès qui ne se
dément pas, et ce
en dépit de leur austérité apparente. En France
même, les rééditions se sont
succédées et se succèdent toujours, et cet opus a
été traduit dans les
principales langues occidentales (ainsi qu’en japonais). C’est
à Eugène Canseliet
(1899-1982) que l’on doit en partie l’aura qui est celle de Fulcanelli,
en
raison de la promotion inlassable qu’il a faite, presque ab initio, des
écrits
de celui qu’il a volontiers présenté comme son
Maître en alchimie. Il y
a quelques années encore, au
contraire, le rôle qu’a pu jouer dans ce domaine un Julien
Champagne, pourtant
illustrateur du Mystère comme des Demeures,
n’apparaissait pas
clairement. Ceci
était d’autant plus frappant
que Canseliet lui-même nous rapporte que lorsque, encore
adolescent, au début
de la première guerre mondiale, il rencontra Fulcanelli pour la
première fois,
Champagne se tenait auprès de ce dernier. Mais
il est vrai que Champagne
une fois disparu (presque en même temps que Fulcanellli et en
tout cas peu
après la publication des deux volumes déjà
mentionnés), Eugène restait à peu
près seul dépositaire du legs spirituel, intellectuel et
matériel en question,
et devait en tout cas seul brandir, selon ses propres termes
« l’étendard
rouge de l’alchimie » traditionnelle. Qui
plus est, pour des raisons
techniques, nous a-t-on aimablement expliqué de bonne source,
les dessins de
Champagne pour l’opus fulcanellien disparurent progressivement des
éditions
nationales, et furent remplacées par des photographies
(excellentes, il est
vrai). Son nom même disparut à son tour des couvertures et
des pages de garde… Tout
ceci explique finalement
qu’un « fulcanelliste » distingué en vint
à exprimer cette opinion
que de Julien on ne savait pas grand-chose, voire quasiment rien, alors
qu’à
l’époque, l’intérêt pour Eugène et son
Maître battait déjà son plein. C’est
précisément cet intérêt
d’une part, et de l’autre cette méconnaissance quasi-totale de
Champagne, qui
nous ont incités, Archer et moi, à créer en 2006
un blog qui lui est consacré
pour l’essentiel : http://www.archerjulienchampagne.com/ Une
petite quinzaine d’années et
un peu plus de trois cent articles plus tard, quel bilan global tirer
de cette
aventure ? Et
bien force est d’abord de
constater que c’est elle qui a conduit votre serviteur à entrer
en
écriture ; mentionnons rapidement ici Présence
de Fulcanelli (Arqa
de Thierry Garnier, 2008), et plus récemment sur l’ensemble des
« fulcanellistes » et autres
« fulcanellisables », Fulcanelliana
(Arqa toujours, 2017). Mais
bien entendu, pour ce qui
nous occupe aujourd’hui, notre petit essai sur Julien Champagne
Apôtre de la
Science Hermétique (Le Mercure Dauphinois de
Geneviève Dubois, 2014) est à
notre sens le plus significatif. Soit
me direz-vous, mais venez-en
au fait : Que savons-nous de plus sur cet « excellent
artiste »,
Canseliet dixit ? D’abord,
répondrai-je, que son
intérêt ne se limite certainement pas à
l’hermétisme. Elève de Léon Gérôme
à
l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, Julien est un peintre et dessinateur
coté, qui
figure au Bénézit, la « bible »
internationale en la matière. Et
que certaines de ses œuvres
picturales connues n’ont rien à voir à l’évidence,
ni avec l’alchimie, ni avec
l’opus fulcanellien. A
l’inverse, nous le voyons dès
1910 occupé à illustrer ce dernier, bien avant parution
par conséquent. C’est
cette année-là, également, qu’il peint son
célèbre tableau du Vaisseau du Grand
Œuvre, qu’il offrira à son jeune ami Eugène, et que ce
dernier reproduira dans
ses Deux Logis Alchimiques (Pauvert, 1979). Il
est donc plus que
vraisemblable qu’à ce moment il connaissait déjà
Fulcanelli, sachant que ce
dernier ne peut être ni Champagne, ni Canseliet, compte tenu de
leurs âges
respectifs et de leur bagage intellectuel de l’époque. Mais nous
reviendrons
ultérieurement sur ce point particulier. En
fait, nous savons maintenant
que l’intérêt de Julien pour l’alchimie est malgré
tout antérieur à cette époque,
puisque dès 1908 il est suffisamment instruit dans ce domaine
pour commettre un
petit essai d’alchimie théorique, La Vie Minérale,
au sous-titre si
fulcanellien : Etude de Philosophie Hermétique et
d’Esotérisme Alchimique. Conservé
par sa famille, son manuscrit
sera, grâce à Bernard Allieu, publié un
siècle plus tard (Les Trois R, 2011, et
seconde édition, 2015). Les
Trois R nous ont également
gratifiés, en 2015 encore, de la publication d’un autre
manuscrit de Champagne,
le Procédé de Mr Yardley, toujours de provenance
familiale. Cette fois
il ne s’agit pas d’une œuvre de Julien stricto sensu mais de la
présentation et
de la traduction par ses soins en 1913 d’un traité d’alchimie
pratique
d’origine britannique, attribuable à un certain Frederick
Hockley (Yardley et
Hockley seront mentionnés par Fulcanelli). Allieu
en proposera en 2016 une
version anglaise. L’intérêt de cette plaquette
réside dans le fait qu’on y a
certes affaire à une sorte de (procédé)
particulier, de l’ordre de la spagyrie,
mais que parallèlement, comme souvent ou parfois, on ne s’y
trouve guère
éloigné du cheminement au laboratoire, d’un
Philalèthe dans ce cas précis. Ce
qui évidemment n’a pas échappé
à Champagne, lequel s’était donc, dès avant la
première guerre mondiale, lancé
dans des expérimentations. Sommes-nous
désormais au bout de
nos découvertes sur Julien ? Il nous semble bien que non.
C’est ainsi,
notamment, que nous sommes toujours à la recherche de deux
autres de ses
écrits, dont l’existence dans un fonds du magiste Jules Boucher,
qui fut un
temps un proche de Champagne, nous paraît avérée,
même si la trace s’en est
perdue pour l’instant : un Dictionnaire Hermétique
et une étude sur Le Symbolisme Alchimique. Pour
en terminer provisoirement,
revenons à présent sur mon assertion antérieure
selon laquelle ni Champagne ni
Canseliet ne sont Fulcanelli. Je la
maintiens, même si ce sont
tous deux des Fulcanelli. En effet, tous deux ont contribué
à l’élaboration du Mystère
et des Demeures. Pour Canseliet, c’est bien connu, il les a mis
en
forme. Pour Champagne, çà l’est moins, et pourtant nous
avons pu établir -au-delà
de son rôle d’illustrateur- qu’il s’était (par exemple)
intéressé de près à
certain monument hermétique écossais (le cadran solaire
d’Holyrood) bien avant
la publication de l’opus fulcanellien, et dans des termes très
voisins de ceux
de Fulcanelli. A
l’inverse, il est généralement
su que Julien a parfois dédicacé le Mystère
ou les Demeures en
signant d’un AHS Fulcanelli (un « fulcanelliste »
a émis l’hypothèse
qu’il faut lire cette mention ainsi : Apôtre de la Science
Hermétique de
Fulcanelli). Eugène de son côté a , lors de
son admission à la Société des
Gens de Lettres, demandé à ce qu’on le reconnaisse comme
Fulcanelli pour les
ouvrages en question… Mais
voilà, je le répète, ni l’un
ni l’autre n’avaient pu avoir acquis, avant 1914, une culture
scientifique,
littéraire et historique suffisante pour avoir
élaboré seuls ces deux livres
magistraux. Donc
à côté ou derrière, ou
au-dessus d’eux, se tenait et se tient peut-être toujours le
« vrai », le grand Fulcanelli. Alors
qui ? Un Dujols ou un
proche des Dujols ? Un Lesseps ou un proche des Lesseps ? Un
membre
avéré ou caché d’une de ces familles, ou des
deux ? Mystère. Et mystère
louable, au regard de la tradition alchimique, puisqu’il permet
à la fois de
magnifier l’aura fulcanellienne, et de se concentrer sur ce que
l’Adepte Fulcanelli
nous a légué de plus précieux : son œuvre. Sur ce dernier aspect des choses, je ne peux que vous recommander, chers lecteurs et chères lectrices, de visionner un échange de 2018 autour de Fulcanelli, auquel a avec bonheur participé votre humble serviteur : croyez-m’en, il est très riche. https://lalchimieauquotidien.Last
but not least, si vous
voulez à nouveau pouvoir consulter Mystère et Demeures
en
bénéficiant de l’apport inestimable des illustrations de
Julien Champagne,
c’est désormais chose possible et même aisée,
grâce cette fois à Gilbert
Bonnet. Ses
éditions Alcor les ont en
effet republiés, et de bien belle façon, en 2013. Valete ! ![]() |
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