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REPORTAGE DECEMBRE 2016

Par Patrick Berlier



LA CHAPELLE OUBLIÉE


Un peu au nord-ouest de Malleval, à la frontière de la commune de Bessey, plusieurs chemins se croisent en un même lieu, bien connu des randonneurs, qui sur les cartes de l'IGN porte le nom de Sourdio de l'Agneau, lequel a succédé au Saut de l'Agneau, appellation qui a été valable pendant plusieurs décennies. À tel point que les habitués du lieu ont bien du mal à se faire au nouveau nom et continuent à employer l'ancien. En consultant de vieilles éditions des cartes IGN, des années 70 et même avant, nous avons remarqué qu'une chapelle était signalée à cet endroit, mention qui a totalement disparu des cartes actuelles. C'est assez étonnant, car la chapelle Saint-Claude n'est qu'à quelques centaines de mètres de là. Y aurait-il eu deux chapelles à 500 m l'une de l'autre ? Mais sur deux paroisses différentes, il est vrai : Malleval pour la chapelle Saint-Claude, Bessey pour la chapelle du Sourdio ou Saut de l'Agneau. Cette curiosité méritait une petite enquête.

Chose peu connue, l'Institut Géographique National a été fondé pendant la seconde guerre mondiale par le Maréchal Pétain. Après le conflit, sa première mission a été de cartographier la France pour remplacer les vieilles cartes d'État-Major. L'IGN a utilisé un avion B 17, une forteresse volante rescapée de la guerre, pour opérer une couverture photographique aérienne complète, et à partir de ces photos il a réalisé dans les années cinquante les fameuses cartes au dix-millième. Un travail exceptionnel, pour une époque où il n'y avait pas d'ordinateur. Sur la carte du secteur de Bessey, on constate qu'il y a bien au lieu-dit le Saut de l'Agneau une chapelle signalée par le symbole traditionnel – un rond surmonté d'une croix – et l'abréviation Chlle, mais sans indication de vocable.

 

Détail de la carte 1:10 000 – le Saut de l'Agneau et sa chapelle

 

Si l'on observe une image satellite récente, on distingue bien un bâtiment à l'endroit où l'IGN voyait une chapelle, mais en ruines, il n'en reste que les quatre murs. Heureusement, l'IGN propose en libre accès sur son site Internet Géoportail des photos aériennes de toutes ses campagnes de cartographie, des années cinquante aux années quatre-vingt. Après enquête, il apparaît que la chapelle était encore debout, avec un toit, en 1977, et en ruines en 1978. Voilà donc la raison de la disparition de la mention « chapelle » sur les cartes postérieures à cette date. Vraisemblablement donc, il existait bien jadis une chapelle à cet endroit.

 

Photos aériennes de l'IGN. À gauche vue de 1977, à droite 1978

 

Il ne restait plus qu'à aller sur place vérifier. Une sente entre deux vignes conduit au sommet de la petite éminence où se trouve la ruine. Du bâtiment que les premières cartes de l'IGN considéraient comme une chapelle, il ne reste qu'une ruine en effet, une cabane sans toit, faite de pierres et de briques, environ 7 m par 5. Elle s'élève au centre d'une zone de broussailles à peu de chose près rectangulaire. Il est d'ailleurs surprenant que la ruine n'ait pas été démolie, et le terrain débroussaillé, pour faire place au vignoble : nous sommes en plein dans l'appellation Saint-Joseph des Côtes du Rhône et chaque mètre carré de terre est précieux. Aurait-on voulu préserver un ancien lieu sacré ? Un cimetière, peut-être ?

 

Ce qu'il reste aujourd'hui de la chapelle du Saut de l'Agneau

 

Cette chapelle était un édifice tout simple : une porte excentrée dans l'un des pignons, côté sud-est, une fenêtre également excentrée dans chacun des murs latéraux, l'une en face de l'autre. Le deuxième pignon, côté nord-ouest, est sans ouverture. Mais au centre de façade où s'ouvre la porte il y a une grande croix, haute de 1,50 m environ, composée de briques, incluses dans la maçonnerie et en léger relief. Douze briques en tout, dont cinq qui sont en fait des demi-briques. On pourrait digresser longuement sur ces chiffres et leurs valeurs symboliques. Cette croix forme l'image d'une croix plantée sur un perron de trois marches ou degrés, et il est peut-être trop facile de dire que c'est un symbole d'initiation. Néanmoins un détail attire l'attention. Des briques de couleurs plus marquées ont été employées dans le dessin de la croix. Deux briques noires pour former le premier degré du perron, une autre brique noire pour la branche gauche de la barre transversale de la croix, et une brique rouge pour la branche droite. Cela n'est sans doute pas anodin.

 

Détail de la croix

 

Le pignon nord-ouest de la chapelle, qui devait être le chevet, est tourné vers les sommets du Pilat. Dans la maçonnerie sont incluses des pierres de quartz blanc. C'est une pratique très courante dans la région, et souvent ces pierres dessinent une croix. Ce n'est pas le cas ici. En fait on a l'impression que deux lignes horizontales et parallèles ont été dessinées par le pointillé des pierres blanches, et qu'entre ces deux lignes les pierres dessinent des lettres... Mais pas des lettres de notre alphabet, on dirait plutôt des lettres... hébraïques. Oui, l'affirmation peut paraître énorme, mais justement nous n'affirmons rien. Nous disons seulement : « on a l'impression... on dirait ». Néanmoins, au cas où, on ne sait jamais, il était intéressant de consulter un avis autorisé. Là c'est évidemment notre ami Michel Barbot qui va prendre le relais. Voici ce qu'il nous a écrit à ce sujet, après avoir visionné les photos que nous lui avons envoyées.

Bien évidemment il convient de lire ces lettres de droite à gauche. À droite donc, cet espèce de Y est la lettre Aïn. Il est suivi d'un Kaf, qui ressemble à un C inversé, puis d'un Yod qui a la forme d'une apostrophe, et enfin d'un Phé, comme un G qui serait doublement inversé.

 

Le chevet de l'ancienne chapelle –

Détourage des pierres blanches et équivalence en alphabet hébraïque

 

Mon premier travail a été de déterminer si ces quatre lettres formaient un mot en hébreu. J’ai dans un premier temps cherché une lecture en m’appuyant sur les deux lettres initiales : Aïn – Kaf. Résultat : rien ! Idem pour les deux dernières lettres Yod – Phé : nada ! Cela dit, Aïn, Kaf, Yod et Phé sont des lettres dont la signification évoque certaines parties du corps. Aïn signifie « Œil », Kaf signifie « Paume de la main », Yod signifie « Main » et Phé signifie « Bouche ». Comme l'ont fait remarquer les spécialistes Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz, le Kaf a la forme de la paume de la main : celle qui reçoit, celle qui retient, contrairement au Yod, qui représente la main qui donne. Ainsi le rapport du Yod et du Kaf constitue un des couples fondamentaux de la pensée juive : le « donner-recevoir ».

Dans l'alphabet hébraïque, il y a deux sortes de Kaf : le Kaf ordinaire, utilisé à l'intérieur des mots, et le Kaf final. Le premier représente l'homme courbé, le second l'homme droit. Or, toujours d'après les mêmes spécialistes, il y a deux types d’identités du peuple juif. Il s’appelle tantôt Yaacov – Jacob –, de la racine acov, « tordu », tantôt Israël, de la racine Yachar, roun, « droit ». La présence du Yod et du Kaf évoque le « don » et la « réception ». Le Kaf courbé c’est Jacob en exil mais c’est aussi Jacob qui reçoit.

En hébreu, chaque lettre a aussi une valeur numérique. Les lettres Yod et Kaph écrivent les nombres 10 et 20. Nous obtenons un total de 30. Ce nombre s’écrit avec un Lamed dont l’une des significations est « étude » ou « science ». Pour le spécialiste Virya, Lamed est une aile qui se déploie, une comparaison dictée par la forme de la lettre. L’existence du Lamed implique un but vers lequel on doit aller, mais indique aussi la transition dans laquelle on se trouve avant d’aboutir à un état nouveau. Lamed peut également symboliser le choix d’un leader pour nous conduire. La Torah se termine par un Lamed, la lettre qui s’élève le plus haut.

Les deux autres lettres, Aïn et Phé, forment le nombre 150, qui peut se lire Qèn : « Nid ». De ce nid s’élève le Lamed dont la forme évoque une aile, mot qui se dit en hébreu « Kanaph » ou « Kènaph ». Ce nom apparaît doublement intéressant : il a pour initiale et finale, un Kaph et un Phé. Quant à sa gématrie, elle est égale à 150 ! Soit la guématrie de Quèn, le « Nid ». Suivant la tradition mentionnée par le Zohar, le Messie attend son heure dans le Nid d’Oiseau…

L’inscription se compose de quatre lettres : deux lettres de taille normale à droite et deux petites lettres à gauche, qui sont de droite à gauche un Yod et un Phé. Si la lettre Yod s’écrit naturellement ainsi, il n’en va pas de même pour la lettre Phé. S’agit-il d’une erreur de la part du Compagnon Kabbaliste qui aurait travaillé à cette inscription ? Existe-t-il des cas où des lettres seraient ainsi écrites ? La réponse est oui, et les exemples sont multiples. D’après le Talmud de telles lettres comportent un message caché. Dans le Livre d’Esther le message caché par ces petites lettres correspond à une date.

Ce Phé est d'ailleurs doublement anormal. Outre le fait qu'il est plus petit, il est écrit comme un Phé ordinaire, à l'intérieur d'un mot, alors que nous devrions avoir un Phé final, dont la graphie est différente. Si l’auteur de cette inscription connaissait le thème de la petite lettre, il est certain qu’il connaissait les règles du Phé ordinaire et final. Si le Compagnon, en connaissance de cause, n’utilise pas un Phé final, c’est donc que ce Phé est un nombre : le nombre 80. Il est lui-même précédé de la lettre Yod, soit le nombre 10. Il semblerait donc qu'il faille lire : 1080. Est-ce un nombre ? Ou une date ?

Pour les Juifs chaque heure du jour est divisée en 1080 parties appelées Halakim, pluriel de Héléq. Il y a donc dans un jour de 24 heures 25920 Halakim. Cette manière de partager le temps aurait été donnée par Dieu à Moïse sur le Mont Sinaï. Certains auteurs y voient plutôt l'intervention d'extraterrestres. Je me garderai bien de conclure. On peut évoquer aussi en géométrie le « système des 22 polygones » qui permet de diviser le cercle et débouche sur la structure de l'espace-temps. Je n'entrerai pas dans le détail car c'est horriblement compliqué, mais sachez qu'on l'on obtient au final 360 triangles soit 1080 côtés, et 234 carrés soit 936 côtés. Notez que la somme de ces deux nombres donne 2016.

Si 1080 est une date, est-ce une date du calendrier juif ou une date de notre calendrier ? Dans ce dernier cas, je note – sans en tirer de conclusions – que c'est la date de fondation de l'ordre des Chartreux par saint Bruno.

Maintenant revenons sur la première partie de l'inscription, les lettres Aïn et Kaf. Hélas, comme je l'ai dit, elles ne forment aucun mot. Leurs correspondances numériques sont 20 et 70. En y regardant de près, on peut voir entre les nombres 20 et 70, pour peu que l’on passe de l’hébreu au français (ou l’inverse), une certaine connexion. En français, le nombre 20 a la même consonance que le mot vin. Les Kabbalistes aiment à rappeler que les mots hébreux Yayin « vin » et Sod « Secret » ont l’un et l’autre une guématrie égale à 70. Dans le Talmud il est dit : « Quand le vin (Yayin) entre, le secret (Sod) sort. » Quand le Vin s’invite, quand il entre, il révèle le Secret. Le verbe « entrer » utilisé dans cette formule talmudique est NIKÉNAS, variante de KANAS : « rassembler, entrer », d’où le nom commun Knéssia ou Knesset : « assemblée,  réunion ». Le parlement de l’État d’Israël porte ce nom.

Yod Kaph ou Kaph Yod pourrait être compris dans l’inscription comme un acronyme : « Knesset Yayin : l’Assemblée du Vin ». Nous aurions un synonyme de la Maison du Vin évoquée par le Cantique des Cantiques, 2-4. Or cette chapelle du Saut de l'Agneau se situait au milieu des vignobles, et il n'est pas impossible qu'elle ait été à l'origine une simple maison de vignes, sacralisée ensuite.

De la démonstration de Michel, on peut retenir que Aïn est l’œil, Kaph la paume de la main, Yod la main, et Phé la bouche. Le Phé curieux invite peut-être à décaler cette lettre, comme si elle n'était plus en fin de mot mais à l'intérieur d'un mot, où sa graphie serait correcte. Il faudrait peut-être écrire : Aïn – Kaph – Phé – Yod, soit œil – paume de la main – bouche - main. Ainsi la bouche vient s'intercaler entre les mains. Or quand on veut rendre sa voix plus puissante, on place les mains autour de la bouche en guise de porte-voix. C'est exactement ce que devaient faire Claude et son frère Sabin, selon la légende, lorsqu'ils voulaient se parler et échanger : le « donner - recevoir ». Et l’œil, sur ce chevet tourné vers les sommets du Pilat, c'est l’œil de la chapelle qui regarde le Crêt de l'Œillon, c'est l’œil de Claude qui surveille Sabin sur sa montagne. Ainsi cette inscription hébraïque collerait parfaitement avec les lieux et avec leur légende.

Autre possibilité, tout aussi fantastique : l'altitude de la chapelle est de 354 m ; si on ajoute 1080 on obtient 1434 m, soit l'altitude du Crêt de la Perdrix, le point culminant du Pilat. Oui, celui qui a construit cette chapelle savait vraiment ce qu'il faisait... Ou alors tout cela n'est qu'un pur hasard.

 

Les sommets du Pilat vus de la chapelle

 

Reste cette chapelle oubliée, qui méritait bien ce petit dossier. Ses ruines interrogent les rares, très rares, visiteurs. Même si cette inscription en hébreu n'est que le fruit de notre imagination, le site mérite le déplacement pour la très jolie vue qu'il offre sur les sommets du Pilat et sur le piémont rhodanien, avec ses villages et les clochers et ses églises qui se détachent sur l'horizon.




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