REPORTAGE
DECEMBRE 2016
Par Patrick Berlier
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LA CHAPELLE
OUBLIÉE
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Chose peu connue, l'Institut
Géographique
National a été fondé pendant la seconde guerre
mondiale par le Maréchal Pétain.
Après le conflit, sa première mission a été
de cartographier la France pour
remplacer les vieilles cartes d'État-Major. L'IGN a
utilisé un avion B 17, une
forteresse volante rescapée de la guerre, pour opérer une
couverture
photographique aérienne complète, et à partir de
ces photos il a réalisé dans
les années cinquante les fameuses cartes au dix-millième.
Un travail
exceptionnel, pour une époque où il n'y avait pas
d'ordinateur. Sur la carte du
secteur de Bessey, on constate qu'il y a bien au lieu-dit le Saut de
l'Agneau
une chapelle signalée par le symbole traditionnel – un rond
surmonté d'une
croix – et l'abréviation Chlle, mais sans indication
de vocable. Détail
de la carte 1:10 000 – le Saut de l'Agneau et sa chapelle Si l'on observe une image satellite
récente, on
distingue bien un bâtiment à l'endroit où l'IGN
voyait une chapelle, mais en
ruines, il n'en reste que les quatre murs. Heureusement, l'IGN propose
en libre
accès sur son site Internet Géoportail des photos
aériennes de toutes ses
campagnes de cartographie, des années cinquante aux
années quatre-vingt. Après
enquête, il apparaît que la chapelle était encore
debout, avec un toit, en
1977, et en ruines en 1978. Voilà donc la raison de la
disparition de la
mention « chapelle » sur les cartes
postérieures à cette date.
Vraisemblablement donc, il existait bien jadis une chapelle à
cet endroit. Photos
aériennes de l'IGN. À gauche vue de 1977, à droite
1978 Il ne restait plus qu'à aller
sur place vérifier.
Une sente entre deux vignes conduit au sommet de la petite
éminence où se
trouve la ruine. Du bâtiment que les premières cartes de
l'IGN considéraient
comme une chapelle, il ne reste qu'une ruine en effet, une cabane sans
toit,
faite de pierres et de briques, environ 7 m par 5. Elle
s'élève au centre d'une
zone de broussailles à peu de chose près rectangulaire.
Il est d'ailleurs
surprenant que la ruine n'ait pas été démolie, et
le terrain débroussaillé, pour
faire place au vignoble : nous sommes en plein dans l'appellation
Saint-Joseph des Côtes du Rhône et chaque mètre
carré de terre est précieux.
Aurait-on voulu préserver un ancien lieu sacré ? Un
cimetière,
peut-être ? Ce
qu'il reste aujourd'hui de la chapelle du Saut de l'Agneau Cette chapelle était un
édifice tout
simple : une porte excentrée dans l'un des pignons,
côté sud-est, une
fenêtre également excentrée dans chacun des murs
latéraux, l'une en face de
l'autre. Le deuxième pignon, côté nord-ouest, est
sans ouverture. Mais au
centre de façade où s'ouvre la porte il y a une grande
croix, haute de 1,50 m
environ, composée de briques, incluses dans la maçonnerie
et en léger relief.
Douze briques en tout, dont cinq qui sont en fait des demi-briques. On
pourrait
digresser longuement sur ces chiffres et leurs valeurs symboliques.
Cette croix
forme l'image d'une croix plantée sur un perron de trois marches
ou degrés, et
il est peut-être trop facile de dire que c'est un symbole
d'initiation.
Néanmoins un détail attire l'attention. Des briques de
couleurs plus marquées
ont été employées dans le dessin de la croix. Deux
briques noires pour former
le premier degré du perron, une autre brique noire pour la
branche gauche de la
barre transversale de la croix, et une brique rouge pour la branche
droite.
Cela n'est sans doute pas anodin. Détail
de la croix Le pignon nord-ouest de la
chapelle, qui devait
être le chevet, est tourné vers les sommets du Pilat. Dans
la maçonnerie sont
incluses des pierres de quartz blanc. C'est une pratique très
courante dans la
région, et souvent ces pierres dessinent une croix. Ce n'est pas
le cas ici. En
fait on a l'impression que deux lignes horizontales et
parallèles ont été
dessinées par le pointillé des pierres blanches, et
qu'entre ces deux lignes
les pierres dessinent des lettres... Mais pas des lettres de notre
alphabet, on
dirait plutôt des lettres... hébraïques. Oui,
l'affirmation peut paraître
énorme, mais justement nous n'affirmons rien. Nous disons
seulement : « on
a l'impression... on dirait ». Néanmoins, au cas
où, on ne sait jamais, il
était intéressant de consulter un avis autorisé.
Là c'est évidemment notre ami
Michel Barbot qui va prendre le relais. Voici ce qu'il nous a
écrit à ce sujet,
après avoir visionné les photos que nous lui avons
envoyées. Bien évidemment il convient de
lire ces lettres
de droite à gauche. À droite donc, cet espèce de Y
est la lettre Aïn. Il est
suivi d'un Kaf, qui ressemble à un C inversé, puis d'un
Yod qui a la forme
d'une apostrophe, et enfin d'un Phé, comme un G qui serait
doublement inversé. Le
chevet de l'ancienne chapelle – Détourage
des pierres blanches et équivalence en alphabet
hébraïque Mon premier travail a
été de déterminer si ces
quatre lettres formaient un mot en hébreu. J’ai dans un premier
temps cherché
une lecture en m’appuyant sur les deux lettres initiales :
Aïn – Kaf.
Résultat : rien ! Idem pour les deux dernières
lettres Yod –
Phé : nada ! Cela
dit, Aïn, Kaf, Yod et Phé sont des lettres dont la
signification évoque certaines
parties du corps. Aïn signifie « Œil », Kaf
signifie « Paume de
la main », Yod signifie « Main » et
Phé signifie
« Bouche ». Comme l'ont fait remarquer les
spécialistes Josy
Eisenberg et Adin Steinsaltz, le Kaf a la forme de la paume de la
main : celle
qui reçoit, celle qui retient, contrairement au Yod, qui
représente la main qui
donne. Ainsi le rapport du Yod et du Kaf constitue un des couples
fondamentaux
de la pensée juive : le
« donner-recevoir ». Dans
l'alphabet hébraïque, il y a deux sortes de Kaf : le
Kaf ordinaire,
utilisé à l'intérieur des mots, et le Kaf final.
Le premier représente l'homme
courbé, le second l'homme droit. Or, toujours d'après les
mêmes spécialistes,
il y a deux types d’identités du peuple juif. Il s’appelle
tantôt Yaacov
– Jacob –, de la racine acov, « tordu »,
tantôt Israël, de la
racine Yachar, roun, « droit ».
La présence du Yod et
du Kaf évoque le « don » et la
« réception ». Le Kaf courbé
c’est Jacob en exil mais c’est aussi Jacob qui reçoit. En hébreu, chaque
lettre a aussi une valeur
numérique. Les
lettres Yod et Kaph
écrivent les nombres 10 et 20. Nous obtenons un total de 30. Ce
nombre s’écrit
avec un Lamed dont l’une des significations est
« étude » ou
« science ». Pour le spécialiste Virya,
Lamed est une aile qui se
déploie, une comparaison dictée par la forme de la
lettre. L’existence du Lamed
implique un but vers lequel on doit aller, mais indique aussi la
transition
dans laquelle on se trouve avant d’aboutir à un état
nouveau. Lamed peut
également symboliser le choix d’un leader pour nous conduire. La
Torah se
termine par un Lamed, la lettre qui s’élève le plus haut.
Les
deux autres lettres, Aïn et Phé, forment le nombre 150, qui
peut se lire Qèn :
« Nid ». De ce nid s’élève le Lamed
dont la forme évoque une aile,
mot qui se dit en hébreu « Kanaph » ou
« Kènaph ». Ce nom
apparaît doublement intéressant : il a pour initiale
et finale, un Kaph et
un Phé. Quant à sa gématrie, elle est égale
à 150 ! Soit la guématrie de
Quèn, le « Nid ». Suivant la tradition
mentionnée par le Zohar, le
Messie attend son heure dans le Nid d’Oiseau… L’inscription se compose de
quatre lettres : deux lettres de taille
normale à droite et deux petites lettres à gauche, qui
sont de droite à gauche
un Yod et un Phé. Si la lettre Yod s’écrit naturellement
ainsi, il n’en va pas
de même pour la lettre Phé. S’agit-il d’une erreur de la
part du Compagnon
Kabbaliste qui aurait travaillé à cette
inscription ? Existe-t-il des cas
où des lettres seraient ainsi écrites ? La
réponse est oui, et les exemples
sont multiples. D’après le Talmud de telles lettres comportent
un message
caché. Dans le Livre d’Esther le message caché par ces
petites lettres
correspond à une date. Ce Phé est d'ailleurs doublement
anormal. Outre le fait qu'il est plus
petit, il est écrit comme un Phé ordinaire, à
l'intérieur d'un mot, alors que
nous devrions avoir un Phé final, dont la graphie est
différente. Si l’auteur
de cette inscription connaissait le thème de la petite lettre, il est
certain qu’il connaissait les règles du Phé ordinaire et
final. Si le
Compagnon, en connaissance de cause, n’utilise pas un Phé final,
c’est donc que
ce Phé est un nombre : le nombre 80. Il est lui-même
précédé de la lettre
Yod, soit le nombre 10. Il semblerait donc qu'il faille lire :
1080. Est-ce
un nombre ? Ou une date ? Pour les Juifs chaque heure du
jour est divisée en 1080 parties appelées
Halakim, pluriel de Héléq. Il y a donc dans un jour de 24
heures 25920 Halakim.
Cette manière de partager le temps aurait été
donnée par Dieu à Moïse sur le
Mont Sinaï. Certains auteurs y voient plutôt l'intervention
d'extraterrestres.
Je me garderai bien de conclure. On peut évoquer aussi en
géométrie le
« système des 22 polygones » qui permet de
diviser le cercle et
débouche sur la structure de l'espace-temps. Je n'entrerai pas
dans le détail
car c'est horriblement compliqué, mais sachez qu'on l'on obtient
au final 360
triangles soit 1080 côtés, et 234 carrés soit 936
côtés. Notez que la somme de
ces deux nombres donne 2016. Si 1080 est une date, est-ce
une date du calendrier juif ou une date de
notre calendrier ? Dans ce dernier cas, je note – sans en tirer de
conclusions – que c'est la date de fondation de l'ordre des Chartreux
par saint
Bruno. Maintenant revenons sur la
première partie de l'inscription, les lettres
Aïn et Kaf. Hélas, comme je l'ai dit, elles ne forment
aucun mot. Leurs
correspondances numériques sont 20 et 70. En y regardant de près,
on peut voir entre les nombres 20
et 70, pour peu que l’on passe de l’hébreu au français
(ou l’inverse), une
certaine connexion. En français, le nombre 20 a la même
consonance que le mot vin.
Les Kabbalistes aiment à rappeler que les mots hébreux
Yayin « vin »
et Sod « Secret » ont l’un et l’autre une
guématrie égale à 70. Dans
le Talmud il est dit : « Quand le vin (Yayin)
entre, le secret
(Sod) sort. » Quand le Vin s’invite, quand
il entre, il révèle
le Secret. Le verbe « entrer » utilisé
dans cette formule talmudique
est NIKÉNAS,
variante de
KANAS : « rassembler, entrer », d’où
le nom commun Knéssia ou Knesset :
« assemblée, réunion ».
Le
parlement de l’État d’Israël porte ce nom. Yod
Kaph ou Kaph Yod pourrait être compris dans l’inscription comme
un
acronyme : « Knesset Yayin : l’Assemblée du
Vin ». Nous
aurions un synonyme de la Maison du Vin évoquée par le Cantique
des
Cantiques, 2-4. Or cette chapelle du Saut de l'Agneau se situait au
milieu
des vignobles, et il n'est pas impossible qu'elle ait été
à l'origine une
simple maison de vignes, sacralisée ensuite. De
la démonstration de Michel, on peut retenir que Aïn est
l’œil, Kaph la paume de
la main, Yod la main, et Phé la bouche. Le Phé curieux
invite peut-être à
décaler cette lettre, comme si elle n'était plus en fin
de mot mais à
l'intérieur d'un mot, où sa graphie serait correcte. Il
faudrait peut-être
écrire : Aïn – Kaph – Phé – Yod, soit œil –
paume de la main – bouche -
main. Ainsi la bouche vient s'intercaler entre les mains. Or quand on
veut
rendre sa voix plus puissante, on place les mains autour de la bouche
en guise
de porte-voix. C'est exactement ce que devaient faire Claude et son
frère
Sabin, selon la légende, lorsqu'ils voulaient se parler et
échanger : le
« donner - recevoir ». Et l’œil, sur ce chevet
tourné vers les
sommets du Pilat, c'est l’œil de la chapelle qui regarde le Crêt
de l'Œillon,
c'est l’œil de Claude qui surveille Sabin sur sa montagne. Ainsi cette
inscription hébraïque collerait parfaitement avec les lieux
et avec leur
légende. Autre
possibilité, tout aussi fantastique : l'altitude de la
chapelle est de 354
m ; si on ajoute 1080 on obtient 1434 m, soit l'altitude du
Crêt de la
Perdrix, le point culminant du Pilat. Oui, celui qui a construit cette
chapelle
savait vraiment ce qu'il faisait... Ou alors tout cela n'est qu'un pur
hasard. Les
sommets du Pilat vus de la
chapelle Reste
cette chapelle oubliée, qui méritait bien ce petit
dossier. Ses ruines
interrogent les rares, très rares, visiteurs. Même si
cette inscription en
hébreu n'est que le fruit de notre imagination, le site
mérite le déplacement
pour la très jolie vue qu'il offre sur les sommets du Pilat et
sur le piémont
rhodanien, avec ses villages et les clochers et ses églises qui
se détachent
sur l'horizon. |