REGARDS DU PILAT
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   Juillet 2005
La Chartreuse de Sainte Croix
     L’ancienne Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez s’impose comme le monument du parc régional du Pilat. Pittoresque et magnifique, cette construction apporte indéniablement  une touche médiévale au patrimoine d’une région déjà bien riche par sa singularité et sa diversité. A l’entrée de Sainte-Croix, si l’on arrive du côté de Rive-de-Gier, après seulement quelques kilomètres, on peut lire sur une pancarte : “l’un des plus beaux villages de France”. Les critères d’appréciation engagent évidemment seulement les goûts de chacun, mais il arrive pourtant parfois que des consensus fassent l’unanimité. Cette vieille Chartreuse en symbolise un parfait exemple.
    Un mélange de styles semble être lié aux époques successives mais aussi aux agrandissements, aux rénovations qui l’ont embellie et lui ont donné une richesse architecturale sans commune mesure. Aujourd’hui, elle se distingue comme une des très rares anciennes Chartreuses, dans le monde, habitée par des laïcs. L’histoire des Pères Chartreux commence ici en 1280, juste après la signature de la charte de fondation. Elle s’est terminée en 1792 par une vente générale aux enchères ! Il semble important de retenir que ces lieux, aux croisements de trois vieux chemins, eurent une vocation militaire avant 1280. Judicieusement positionnée, une fortification protégeait les habitants de la vallée, des arrivants indésirables. La bâtisse silencieuse, située au milieu de la nature et entourée de bois, s’est ensuite prêtée à d’harmonieuses prières et méditations ; comme si son emplacement conditionnait sa destinée. Durant un peu plus de cinq cents ans, les religieux  travaillèrent à l’entretien et à l’embellissement de leur Chartreuse. Pendant ces longues années, des legs conséquents leur ont apporté une aide précieuse. Diverses familles nobles des alentours les ont régulièrement soutenus. Elles ont contribué à constituer ce grand ensemble. Les représentants de cette noblesse aimaient quitter le monde des vivants la conscience apaisée. En échange de prières posthumes, ils pensaient expier leurs pêchés et atteindre le paradis grâce à leurs dons. D’autres biens sont devenus possession des moines de Sainte-Croix par ces formes d’héritages, des bois, des vignes, des terres, des prés, des maisons, des domaines entiers... On retiendra parmi les généreux donateurs, l’archidiacre de Lyon, Thibaud de Vassalieu qui eut le privilège de pouvoir finir sa vie au sein même de cette Chartreuse et d’y être enterré en 1327. Plusieurs preuves incontestables témoignent de dons en provenance de ce religieux, mais paradoxalement, son nom ne figure pas sur l’inventaire, encore conservé de nos jours à la Grande Chartreuse. Cela prouve que cette liste demeure incomplète, ceci pour deux raisons. D’abord, l’incendie de cette Chartreuse du Jarez en 1611, ravagea quantité d’archives, et en second lieu, la Révolution spolia sur son passage de nombreuses traces écrites de ce riche passé ! Des membres de la remarquable société archéologique de Montbrison, la Diana, ont retrouvé, le cinq août 1896, des réalisations artistiques dissimulées sous d’autres peintures, conçues sur des parois murales, représentant l’enterrement de cet éminent personnage. Quatre scènes composent cet ensemble de fresques médiévales, très intéressantes, daté avec certitude par les spécialistes qui le situent entre 1327 et 1330.  On peut voir et apprécier ces oeuvres classées monuments historiques, âgées de plus de six cent cinquante ans, lors de la visite de la Chartreuse. En complément de ces biens légués aux Chartreux, il faut aussi souligner que plusieurs papes les ont affranchis de divers impôts et taxes non négligeables. Toutes les composantes de l’Eglise n’ont pas bénéficié de telles faveurs. En outre, Louise de Savoie, mère du roi François premier, les exonéra d’un autre impôt, celui sur le sel : la gabelle. Les Chartreux de Sainte-Croix-en-Jarez ont appartenu à une élite religieuse, discrète et mystérieuse. L’Histoire le constate, l’expliquer semble plus délicat et suscite parfois la polémique. Des historiens depuis cent cinquante ans ont nourri des approches divergentes sur des détails parfois importants. Nous essaierons plus loin d’éclairer quelques lanternes au milieu de versions passionnées, souvent sincères, mais aussi ésotériques ou fantaisistes. Néanmoins, les Pères Chartreux qui ont voué leur existence à servir Dieu ici, ne se doutaient sûrement pas qu’aujourd’hui et pour longtemps encore, ils se retrouveraient ainsi au devant de la scène...

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   La Renaissance italienne a eu, elle aussi, une influence certaine sur cette Chartreuse. Plusieurs tableaux d’artistes se trouvent encore dans l’enceinte, précisément dans la chapelle actuelle. A l’époque où les papes demeuraient en Avignon, au quatorzième siècle, de 1309 à 1376, des peintres italiens les avaient suivis et quelquefois s’éparpillèrent à travers le pays. Plusieurs artistes se sont essayés avec succès dans cette Chartreuse. Nous pouvons encore aujourd’hui apprécier leurs productions, que le temps et les meilleures volontés ont su préserver. Des incendies ravageurs ont hélas détruit à plusieurs reprises des parties du monument ; nous l’avons précédemment évoqué. Ainsi, cette ancienne Chartreuse ne comporte que de très rares murs datant de sa fondation, certains croient pourtant reconnaître une des tours du château primitif, à l’angle des bâtiments séparant les deux anciens cloîtres. Les moines vivaient à travers une discipline religieuse, l’aspect matériel de l’existence ne les préoccupait pas vraiment. Une simple braise pouvait sans qu’ils n’y prennent garde enflammer, puis endommager sérieusement leurs bâtiments pourtant choyés...

    On retiendra pour mémoire le passage de quelques prieurs. Ponce de la Sabliaire qui eut le privilège d’être le premier prieur de cette Chartreuse. Dom Bruno Fuzeau, qui sous des choix judicieux, embellit plus que d’accoutumée le monument, ceci vers le milieu du dix-huitième siècle ; Dom Livinhac qui dut prendre en charge de clore douloureusement cette longue présence des moines ici à Sainte-Croix. Il faut ajouter à cette liste, le controversé, Dom Polycarpe de la Rivière, prieur de Sainte-Croix au début du dix-septième siècle, précisément de 1618 à 1627. Il demeura un religieux charismatique jusqu’à la fin de sa vie, qui s’acheva dans des circonstances des plus troublantes. Ce Père Chartreux disparut mystérieusement et jamais on ne le retrouva . Sans lien évidemment avec Sainte-Croix, car il n’y exerçait plus depuis fort longtemps... En tout cas des rumeurs entourent toujours sa vie et son dénouement... 

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    Visiter la Chartreuse demeure chose facile  pour quiconque. Vous pouvez faire appel aux services de la société de sauvegarde du site. En toute saison, Sainte-Croix-en-Jarez ouvre volontiers ses portes au public qu’elle accueille chaleureusement. Visiter la Chartreuse à son rythme, avec son propre regard reste néanmoins très intéressant. On se laisse porter dans un autre temps grâce à son imagination. Certains plaisantins prétendent même apercevoir comme des fantômes, ceux des moines et de leurs blancs capuchons... De vrais connaisseurs, d’approches différentes, mais complémentaires, permettent aux visiteurs d’appréhender plusieurs points de vue. Cette nécessaire confrontation donne à l’historien de nombreux chemins d’accès vers la vérité. La sincérité de ces accompagnateurs transparaît à travers leurs discours. Ils reconstituent à leur manière, l’Histoire de ce monument : une démarche méticuleuse quelque peu semblable à celle du scientifique. Il demeure vrai, que ce site apparaît manifestement envoûtant. Certaines lectures ou visites préalables influencent aussi inconsciemment la pensée et le ressenti. Le lieu  pourrait presque s’apparenter à un pèlerinage culturel et spirituel. Il faut se rendre maintes fois sur place, afin de pouvoir mesurer et apprécier l’oeuvre dans son intégralité. On restera toujours admiratif devant la cheminée, de l’ancienne cuisine, d’une beauté majestueuse. En outre, au-dessus de certaines cellules de Pères, différents signes et gravures transportent comme par magie, le visiteur, dans le passé et ses mystères. Les blasons, toujours au-dessus des cellules, ne signifiaient pas que l’occupant appartenait à la famille ainsi représentée, c’était une nouvelle fois un don de la noblesse, qui laissait là comme un sceau pour authentiquer son droit d’ingérence spirituelle...

    Il ne semble pas indispensable de s’attarder ici sur le quotidien des religieux. Il resta celui de n’importe quel Chartreux cloîtré dans son monastère, alternant prière, méditation et travaux manuels. En revanche, venons-en au départ amer et définitif des moines de Sainte-Croix... La Révolution française s’impose comme une période charnière de l’Histoire de France. On distingue clairement l’avant et l’après, mais l’Histoire se vit, elle ne se refait pas. Le destin a entraîné, à tort ou à raison, des milliers de gens dans un camp ou dans un autre, bien souvent en toute innocence. Les révoltés défendaient à leurs yeux des causes légitimes. Leurs opposants aussi ; ces derniers soutenaient un système en place, certes ou régnait abusivement la richesse et des privilégiés, mais ce conservatisme leur garantissait certains repères, en partie sûrement illusoires... Durant cinq cents ans, à qui les moines de Sainte-Croix avaient-ils causé du tort ? Essayer de trouver une réponse serait un affront injuste et méprisant. Ils n’avaient bien évidemment rien à se reprocher en comparaison au mauvais sort qui leur a été réservé... L’Eglise, symbole d’injustice, était devenue le bouc émissaire désigné. Certains abus du clergé, avaient sûrement attisé la colère des révolutionnaires. Ces derniers parlaient et agissaient au nom du peuple, mais qui étaient les vrais instigateurs ? Des bourgeois, pour la plupart, qui ont combattu la monarchie pour des intérêts très partisans, sans se soucier foncièrement de ceux du peuple, qui lui, mourait de faim dans des conditions de vie déplorables, une hygiène médiocre, une soumission totale aux puissants. La misère de ces pauvres gens, à l’échelle d’un pays, a engendré, malgré elle, d’horribles ignominies ! C’est dans un élan de violence, de cupidité et d’exacerbation que se déroula un sinistre épisode à l’automne 1792. Des habitants du village de Pavezin ont bénéficié de ces ventes forcées, jusqu’au simple petit mobilier... Certains ont été comme emportés, dans un gigantesque élan collectif qu’ils ne maîtrisaient pas, leur responsabilité en reste par conséquent émoussée ; d’autres plus zélés ont au contraire profité de la situation,  le verdict pour ces derniers ne peut être clément... En France, le profit malsain favorisa des pillages organisés sans qu’aucun contrôle intègre ne puisse s’opérer : Sainte-Croix connut aussi ces dramatiques cérémonials... En aparté, sachez qu’à la Révolution, Sainte-Croix-en-Jarez n’existait pas en tant que commune, il faudra attendre 1888, c’est pourquoi la Chartreuse dépendait de Pavezin... Par bonheur, pour les générations actuelles, le monument lui même ne fut pas démantelé comme ce fut le cas ailleurs. Bon nombre de châteaux sont devenus des carrières de pierres ! Ici, les habitants ont préféré occuper les lieux. La petite morale, nous informe que la merveille que l’on peut visiter aujourd’hui, n’existerait plus si la Révolution n’avait éclaté. Effectivement, un projet prévoyait de raser cette structure en 1790. Une Chartreuse moderne devait donc se construire : là est notre consolation... Il y a quelques vingt ou trente ans, la sauvegarde de ce patrimoine a été une fois encore sérieusement compromise. La construction, mal entretenue, se délabrait peu à peu sous le regard consterné, mais impuissant des habitants. Un petit groupe dynamique et déterminé s’est alors constitué. Ses actions ont permis de sauver l’essentiel. Aujourd’hui, cette première équipe a passé le relais à une autre, afin que le travail commencé puisse se poursuivre.

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    Les possessions de la Chartreuse de Sainte-Croix étaient réparties sur de vastes territoires, en de nombreux villages. Dressons un inventaire des communes ayant eu sur leur sol au moins un bien ayant appartenu à nos moines et ceci sans ordre de classement, ni d’importance : Sainte-Croix, Pavezin, Longes, Trèves, Rive-de-Gier, Farnay, Tarentaise, La Valla, Le Bessat, Saint-Martin-la-Plaine, Givors, Saint-Andéol-le- Château, Saint-Genis-Laval, Loire-sur-Rhône, Lorette, Rochetaillé. Pourtant l’entretien de ce dernier, a plus d’une fois contraint les moines à vendre une partie de celui-ci, la moins utile de préférence... 

    Parler de la Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez en s’arrêtant là, serait se contenter d’une description bien superficielle. Intéressons nous à présent à sa principale donatrice et à la fois fondatrice, laissée dans l’ombre jusque-là, la noble dame Béatrix de Roussillon. 

    En plein moyen âge, la noble famille Roussillon règne dans la région allant du nord Drôme-Ardèche au Lyonnais. Seuls les comtes de Forez et les dauphins du Viennois ont une puissance comparable. Avec Guillaume, se concrétisera l’accomplissement du destin du plus célèbre des Roussillon qu’a retenu l’Histoire. Paradoxalement, son règne à la tête de la famille Roussillon reste le plus court, sa destinée se concrétise ailleurs : il part aux croisades, plus exactement en 1275, le roi Philippe le Hardi lui confie le commandement général des troupes françaises en Terre Sainte. Pour atteindre sa destination, il est accompagné de cent hommes à cheval, trois cents sergents à pied et plusieurs chevaliers. Guillaume, qualifié d’habile et de valeureux combattant, ne reviendra pas. Il disparaît en 1277 pour la cause qu’il a mortellement servie. La mort de Guillaume survient alors que ses enfants sont encore très jeunes. La grande charge de la gestion des biens, en attendant la majorité de son héritier, Artaud, est octroyée à sa femme, Béatrix de la Tour du Pin. Elle se fait, en ces moments particulièrement douloureux, la promesse, malgré les nombreux prétendants, de ne jamais se remarier ! Elle respecte son engagement. Avec courage et rigueur, elle assume tous ses devoirs, mais son aspiration se tourne alors vers Dieu, en vouant à celui-ci, le reste de son existence pour apaiser son chagrin. A ce moment-là, elle crée une maison Chartreux à Sainte-Croix. La charte de fondation de la Chartreuse de Sainte-Croix, comme nous l’avons vu précédemment, est datée de 1280. Elle est signée au cloître de Taluyers et porte entre autres la signature d’Amédée de Roussillon, archevêque de Valence et de Die, le frère de Guillaume. Béatrix de Roussillon se réserve notamment, avant Thibaud de Vassalieu, le privilège de finir ses jours dans cette Chartreuse et également le droit de pouvoir y être enterrée. A la différence de l’archidiacre cité juste avant, étant une femme, elle assiste à l’office sans le voir, ni pouvoir être vue. Lors de la visite du monument, on vous explique où se déroule cette scène... 

    Mais aux faits historiques, viennent s’ajouter de tenaces légendes... Guillaume et Béatrix de Roussillon auraient joué des rôles essentiels, les liant à des histoires religieuses controversées... 

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    Tout d’abord, revenons sur la fondation de la Chartreuse de Sainte-Croix par dame Béatrix, alors veuve et plongée dans d’intenses prières pour soulager son chagrin. Un coutumier récit fait allusion à un merveilleux rêve dans lequel elle aperçoit une croix lumineuse, entourée d’étoiles scintillantes. Ce songe se renouvelle une deuxième fois. Au matin, après la messe, la châtelaine part à cheval dans la campagne aux alentours de Châteauneuf. En chemin, la croix et les étoiles se manifestent à nouveau, mais alors de manière bien réelle. En les suivant, elle chemine vers une destination inconnue. Ses guides lumineux, se figent face à un homme qui les attend. Ce dernier a rêvé que dame Béatrix viendrait ici pour lui acheter le terrain sur lequel ils se trouvent à présent. Pour la châtelaine, il devient évident qu’il s’agit là d’un message divin. Elle achète alors le terrain par l’intermédiaire d’hommes discrets. A son tour et le même jour, un maître tailleur de pierres, au service du duc de Savoie, se présente chez la noble dame. Il lui explique qu’il a eu vent de ses souhaits et lui propose ses compétences pour bâtir une Chartreuse. C’est ainsi que se résume ce conte de fées médiéval. Certes, il prête à sourire. Néanmoins ce qui demeure curieux, provient du fait qu’il serait la traduction d’une lettre écrite en latin de la propre main de Béatrix de Roussillon. Elle l’aurait envoyée au prieur Dom Jean de Louvoyes du monastère Chartreux de Val-Vert, près de Paris. Une inscription, toujours en latin, sur un ancien tableau de la Grande Chartreuse, confirme ce rêve merveilleux... Pourquoi, cette pieuse et sérieuse noble dame aurait-elle ébruité cette histoire saugrenue ? Ce songe, bien connu d’un public local, distrait les esprits enclins aux chimères... Même si des récits miraculeux sont parfois contés avec conviction, gageons que celui-là n’est absolument pas l’oeuvre d’une fée. Précisons  aussi que l’original de la charte de fondation de cette Chartreuse scellé en 1280, n’y fait nullement référence ! Ces écrits sont évidemment grossièrement imagés et probablement bien postérieurs à la date citée juste avant. L’histoire magique, nous précise que le monument a été construit à cette date et achevé en trois années seulement ! Cela reste totalement inconcevable, pour le lieu et l’époque. Nous sommes là aussi face à une autre image, de cette histoire vraiment rocambolesque. Les raisons qui auraient poussé Béatrix de Roussillon à divulguer de tels écrits demeurent bien mystérieuses. Les faits authentifiés comme historiques, les présomptions et l’imagination, dans un curieux décor, offrent un singulier tableau où s’imbriquent complexité et étrangeté. Qui à l’origine, a vraiment écrit ce songe ? Certains supposent, qu’il aurait été porté au grand jour par un auteur cartusien, Dom Charles le Couteulx, qui travailla en 1681 à la rédaction des annales de l’ordre des Chartreux. Mais ce religieux, aurait repris le fameux Dom Polycarpe de la Rivière, qui en 1621, racontait dans son livre, “Mystères sacrés de la Rédemption”, cette fondation merveilleuse. Cet homme né en 1584, à Tence, Haute-Loire, moine Chartreux depuis 1609, fut prieur de la Chartreuse de Sainte-Croix de 1618 à 1627. Il passa les premières années de sa vie comme page, au service de Marguerite de Valois, la première femme d’Henri IV. Celle-ci vivait alors au château d’Usson de 1586 à 1605... Dom Polycarpe de la Rivière, au-delà de ses fonctions, mena plusieurs enquêtes entremêlées. La Chartreuse de Sainte-Croix ne constituerait qu’un épisode, les Roussillon un lien avec des secrets en rapport aux évangiles... Nous n’en dirons pas plus ici, ne voulant pas marcher sur les plates-bandes de Patrick Berlier, qui a traité tout ceci dans un passionnant ouvrage intitulé "la Société Angélique". Il s’avère que certains livres de Dom Polycarpe de la Rivière furent censurés par l’Eglise : il allait peut-être effectivement trop loin... Dans ses écrits sur le songe, Dom Polycarpe de la Rivière, aurait peut-être lui même été inspiré par le Père Gaultier qui évoquait déjà en 1609, ce rêve prémonitoire. Quoiqu’il en soit, en ces époques de fortes croyances, on prenait au pied de la lettre de tels propos religieux, approuvés par l’Eglise et les Chartreux eux-mêmes. Il aurait donc été facile de diffuser largement ce songe cousu main. Fallait-il masquer les réels motifs de réalisation de cette Chartreuse ? Nous reviendrons juste après sur des indices qui tendent à confirmer qu’une bâtisse prenait place ici avant 1280 appartenant également aux Roussillon... 

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     Pourquoi alors ces fondateurs, plutôt cachottiers, puis après eux les Pères Chartreux, firent-ils en sorte que cette trace du passé ne puisse se retrouver aisément ? On parle à présent du secret des Roussillon. Des origines très anciennes de cette famille laisseraient entrevoir une ramification généalogique, dans la province du Roussillon, dès la fin du neuvième siècle. Girard de Roussillon en serait un fil conducteur, ancêtre présumé de cette même dynastie. Au neuvième siècle, il était le mythique gouverneur de notre région mais surtout un légendaire comte de Barcelone, de Narbonne, de Gascogne, d’Auvergne, de Bourgogne et avant tout originaire du Languedoc. Opposé à Charles le Chauve, talonné par l’armée royale, il se réfugia dans une retraite sûre, le temps d’organiser la défense de Vienne orchestrée par son épouse. Sainte-Croix pourrait avoir accueilli cette mystérieuse cache... 
    Le vieux document, que nous avons déjà mentionné lorsque nous traitions le reportage sur "Les Roches de Merlin", publié au deuxième semestre 1792 par le Journal de la société des amis de la littérature, évoque un mystérieux château du Grand Roussilla. L’ancienne Chartreuse est retenue comme étant celui-ci, d’abord parce que cette maison était déjà fortifiée au début du treizième siècle ! Un écrit datant de 1914 l’atteste, il est signé de l’abbé Grandjean, membre de la prestigieuse Diana, extrait de “Histoire sur la vallée du Gier”, dans lequel il énumère une liste de sites concernés par des rénovations ou de nouvelles réalisations de remparts, ceci en 1220. Sainte-Croix y figure bel et bien ! Parallèlement, toujours d’après le Journal de la société des amis de la littérature, on se trouverait proche d’un lieu sacré, allusion faite au célèbre et mystérieux site mégalithique du Pilat “les Roches de Merlin”, écrit occasionnellement aussi Marlin. La Pierre qui Chante devient l’élément central. Ce rocher qui présente un faciès humain est aussi depuis des lustres appelé pierre du Diable. C’était sans doute pour faire fuir les fidèles chrétiens de ce haut lieu, préalablement celtique, puis païen et maléfique, en tout cas trop fréquenté selon l’Eglise, que cette dernière l’aurait jadis baptisé ainsi ! On aurait sur cette roche célébré des rois, soient les maîtres environnants, les Roussillon par excellence. Car, ce même vieux document situe précisément cette fabuleuse pierre, censée révéler de futurs souverains, sur la paroisse de Pavezin. Nous y reviendrons plus loin, mais en toute logique, cela nous ramène inéluctablement à l’ancienne forteresse de Sainte-Croix, existant bien avant la Chartreuse... Une concordance contemporaine, nous est encore donnée par Georges Pétillon, ancien responsable du Parc Régional du Pilat dans les années quatre-vingts, qui précise dans une de ses brochures, l’occupation originelle de ce site. Pour preuve, ses nombreuses découvertes archéologiques retrouvées lors de fouilles de ces mêmes sous-sols. 

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    Nous terminerons ce dossier par une belle légende, où certains y voient une authentique histoire...

    Plus de cinq siècles de présence des Chartreux dans le monastère de Sainte-Croix, ont inspiré des pensées divergentes. Une vie, sous le signe de la foi et du renoncement, résume l’image que ces religieux ont souhaité véhiculer. Elle était conforme à leur vocation. Mais au-delà des seules jalousies, si bien incarnées par les moins scrupuleux de leurs détracteurs, une autre légende est née. A la différence des précédentes qui visent principalement des événements qui auraient pu se dérouler aux treizième et quatorzième siècle, celle-ci fait référence à des faits, qui n’ont que deux cent quinze ans, si l’on peut dire. Les Chartreux auraient eu un fabuleux Trésor... En septembre 1792, à l’approche de leur départ définitif, devenu imminent, les derniers représentants de l’ordre Chartreux à Sainte-Croix, se seraient donné une mission salutaire et secrète. Ils auraient souhaité cacher des objets en métal précieux, mais aussi des livres, des parchemins, des pièces d’or... La collection remarquable et unique de livres légués par Thibaud de Vassalieu aurait ainsi été sauvée. La légende nous conte que trois chariots auraient quitté la Chartreuse remplis de sacs en cuir hermétiquement clos, camouflés sous des bottes de foin. En un endroit des environs appelé la Rabarie, les sacs auraient été jetés dans une mare. Les religieux auraient attendu qu’ils disparaissent dans les eaux sombres du point d’eau et seraient retournés à la Chartreuse le devoir accompli. Cet acte, réalisé dans une discrétion discutable ne serait en fait qu’une diversion. Pendant ce déroulement cérémonieux, d’autres chariots auraient quitté le pieux monument pour aller cacher en lieu sûr les richesses des religieux. Le mystérieux Trésor est ainsi entré dans la légende. Des lieux multiples sont présumés renfermer encore aujourd’hui ce Trésor. Des terrains, près de Ban, à Farnay, auraient la faveur des pronostics... Des messages codés, reposant sur les astres et les constellations, soi-disant laissés par les malicieux Chartreux, nous conduisent sur des pistes ésotériques. La Croix du sud, serait une clef pour déchiffrer et retrouver la cache secrète. Ce qui en revanche est certain, c’est que des feux de joie populaires, ont été alimentés par des révolutionnaires à Saint-Etienne, grâce aux livres de la bibliothèque des Pères et Frères Chartreux de Sainte-Croix. Est-ce qu’aujourd’hui certains livres précieux ayant appartenu aux moines sont encore en quelques endroits oubliés ou bien cachés ? Plusieurs prétendent qu’ils auraient retrouvé leur trace en Suisse dans une bibliothèque privée...

Thierry Rollat


 

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Nous vous proposons de retrouver maintenant notre invité, Mr Christian Rollat, lors d'un entretien exceptionnel.
Résidant à Loire sur Rhône, Christian Rollat n'a pas attendu d'être à la retraite pour voyager et rechercher dans l'intimité des secrets d'Histoire. Rigoureux, précis et doté d'un sens critique redoutable, ces composantes qui vont de paires avec le chercheur avisé, lui permettent des avancées intéressantes dans ses investigations. Passionné de généalogie, de vieux livres, mais aussi de cartes postales anciennes, il s'est plongé depuis quelques années dans tout ce qui touche à l'histoire de la Chartreuse de Sainte-Croix. Grâce notamment aux livres anciens des dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècle, il a enregistré des avancées très intéressantes. Il précise que les auteurs contemporains du vingtième siècle, même de notoriété reconnue, comme Antoine Vachez par exemple, nous ont laissé bon nombre d'erreurs préjudiciables à une juste lecture des événements qui se sont réellement déroulés. Nous allons maintenant retrouver Christian Rollat dans un entretien exceptionnellement long et surtout précis ; extrait de ses recherches présentes qui nous livrent des données inédites. Il avait beaucoup de choses à dire, aussi serons nous sûrement amené à revenir  sur ces sujets qui lui tiennent particulièrement à coeur. Précisons pour être complet, qu'il est le père de Thierry Rollat, auteur du livre 'le Vieux Secret' et animateur avec ses amis de notre site 'Regards du Pilat'. 

RDP : Dans quelles conditions Béatrix de Roussillon décida t-elle selon vous de fonder cette Chartreuse au cœur du Pilat ? Où situez vous précisément la part de la légende ?

CR : Il faut dire auparavant avant d’apporter toute réponse, que Sainte-Croix existe déjà avant 1280. Ce lieu-dit de « paveisin » est au moyen âge, une possession parmi d’autres, essaimé de quelques foyers d’habitations que protège une maison forte avec moulinage, martinet et four banal. La présence inépuisable de l’houille blanche du Pilat, une desserte exceptionnelle font de ce lieu une source de revenus appréciée depuis des lustres.

RDP : Alors que vient faire la vision de Béatrix ?

On dit souvent, qu’il n’y a pas de fumée sans feu dans les légendes. Je répondrais tout bonnement par cette digression : pas de Guillaume pas de Béatrix, pas de mission en Terre Sainte pas de mort de Guillaume en 1276, pas de financement occulte pas de Chartreuse. Vous voyez où se situe pour moi la part du rêve. Notons également autre fait curieux, pourquoi les armes des Roussillon ne figurent pas à son entrée ?

RDP :  Mais comment peut-elle passer du rêve à la réalité ?

CR: Béatrix de Roussillon a le coup de foudre pour ce lieu qu’elle côtoie bien avant son veuvage et qui appartenait sans doute déjà aux Roussillon. Son besoin d’isolement fit le reste. La vision enluminée de copistes cartusiens doit impérativement trouver un justificatif aux serfs du lieu. Dans le contexte, cette dépense est inconvenante. N’oublions pas, que ces faits se déroulent en période de disette, de pauvreté extrême du peuple, consécutive aux Croisades de Saint Louis.

RDP : On entend dire que l’Ordre du Temple aurait joué un rôle dans le proche environnement de Sainte-Croix entre 1280 et 1314 ?

CR : L’éventualité est plausible pour Sainte-Croix à condition de la fixer entre 1275 et 1281. Le Temple est encore tout puissant, le petit royaume de France sort à grand peine de la tutelle de ses trésoriers, des Commanderies notamment, celles du Temple à Paris et Beaucaire par exemple. Philipe le Hardi, plus tard son fils Philippe le Bel piétinent…. Les caisses du Temple sont au plus haut, les caisses de Philippe le Hardi sont au  plus bas encore en 1274 ! Et un miracle s’opère en 1275 : comprenez-y quelque chose. Le changement est avéré avec le remboursement inopiné des nouveaux remparts d'Aiguës Mortes, correspondant au départ de Guillaume de Roussillon en mission. L’Histoire est simple parfois, la rancœur tenace. N’est-il pas dit que les Templiers ce sont vraiment fait tirer l’oreille pour payer la rançon pour tirer St-Louis qui croupissait alors, dans un cachot outre-mer? Le lien avec Sainte-Croix est ténu mais interpelle. Aucun acte ne l’atteste, même pas Vachez, mais la corrélation est troublante et sans appel. Philippe le Hardi est sur d’avoir trouvé un financement. Les us et coutumes de l’époque sont connus. L’Ordre du Temple obéit aux injonctions papales, au Roi de France, aux nobles fortunés qui notamment partent ou reviennent des Croisades. Les Roussillon en sont l’exemple. Le roi paie la mission de Guillaume et ses mercenaires, le Pape affrète les nefs, le Temple règle au fur à mesure des besoins, le ballet est bien rodé. On peut éluder cette question et dire : mais où le Temple ne jouait-il pas un rôle en France en cette fin du XIII ème siècle ?

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RDP : Cette hypothèse peut-elle être conjecturée pour Sainte-Croix ?

CR : Oui en analysant la concomitance des faits nationaux. Là où s’entremêlent les personnes  précitées, Sainte-Croix s’inclut très facilement dans ce schéma, et ce dès 1275, même si le décès de Guillaume en 1276 n’est pas prévisible. J’y reviendrais car cet homme est tout à fait conscient de la dangerosité de la mission politique qui lui incombe. Le lien est tissé entre le nouveau maître du Temple et les Roussillon depuis 1274 grâce au Concile de Lyon.

RDP : N'est-ce pas surprenant de voir apparaître dans l’Histoire un lieu aussi modeste et isolé que Sainte-Croix dans un contexte national ?

CR : Premier mystère oui ; ce sera encore le cas avec Thibaud de Vassalieu enterré à Sainte Croix. Lui qui gravite déjà dans les hautes sphères à Paris au tout début de l'année 1306, peut être même en 1305, avec Nogaret principal conseiller de Philippe le Bel. Deuxième mystère je pense pour Sainte-Croix vis à vis des Templiers, mais c’est un autre sujet, très intéressant également.

RDP : Il faut en tout état de cause donner un justificatif à tous ?

CR : Absolument, il faut intégrer le rôle de l’oligarchie Roussillon, du « triumvir» naissant. De Guillaume l’aîné, preux chevalier, seigneur d’Annonay et autres places, belliqueux, diplomate, ambassadeur missioné par le roi de France en Terre Sainte. Du cadet Aymar, promu subrepticement archevêque de Lyon courant juin 1274 avec éclat. Protégé simultanément par le Roi de France Philippe le Hardi, du nouveau Pape arrivé de Palestine. D’Amédée enfin le puîné le plus futé, abbé de Savigny, plus habile à manier l’épée que le goupillon. Désigné lui aussi sans coup férir, évêque de Valence puis de Die ! Dès sa nomination en date du 15 septembre 1275, il peut verrouiller le couloir rhodanien tant et si bien que sans son aval plus rien ne transite sans son accord. Ecclésiastique il emprisonne le premier qui le dérange. La boucle est bouclée, le Pape est obligé de le modérer à maintes reprises !

RDP : Croyez-vous pensable que les Roussillon ai pu alors échafauder un plan familial pour s’enrichir rapidement ?

CR :  Une stratégie Rhodanienne pour eux-mêmes je le crois volontiers. En dehors des Templiers, du Roi de France et de la Papauté, personne n’est ennemi de son porte monnaie. Surtout pas au Moyen Âge quand l’occasion s’y prête sans prendre les armes et sans mariages forcés. Un relevé chronologique des actes peut le laisser penser oui. Au fil des mois et des années, les dates sont concordantes. Les Roussillon ne laissent rien au hasard, ni individuellement parlant. Ils ont pu tisser une véritable toile d’araignée qui géographiquement a pour épicentre Sainte-Croix, surprenant non ? Regardez pour preuve, la carte de Cassini, les fiefs appartenant à cette famille, leurs liens de parenté, les alliances, les rôles joués par chacun, le reste se passe de commentaire. La devise des Roussillon aurait très bien pu être, celle des mousquetaires : un pour tous, tous pour un. Une entraide sans limite, des appuis sans faille, même après la mort de Guillaume avec Artaud son fils. Ils ont travaillé pour leurs commanditaires c’est indéniable mais pour eux-mêmes aussi …… à méditer.

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RDP : Comment expliquer cette théorie ?

CR : Ce n’est pas une théorie, ce sont des faits réels qui méritent quelques éclaircissements d’ordre général. Je me borne à retenir l’automne 1275. Là ou Guillaume s’apprête à appareiller d’Aigues Mortes. Alors que bientôt dans l’autre sens vont arriver, des norias de nefs chargées de « biens » avec des équipages désabusés par les nouvelles de St Jean d’Acre. Le port d’Aigues Mortes en pleine ébullition, voit accoster directement aux pieds de ses nouveaux remparts, les nefs huissières sous pavillon du Temple. Ce même Ordre du Temple qui coordonne les déchargements et doit composer avec la batellerie du Rhône. Les transitaires sont nombreux, les «trésors de Terre Sainte» ou ce qui l’en reste gagneront au fur et à mesure des rapatriements, les différentes commanderies de France. Sous haute surveillance, les convois remontent le couloir Rhodanien. La première plaque tournante est bien entendu la Commanderies de Baucaire (Beaucaire) clé du Rhône avec 66 Templiers. Celle de Montélimar, Valence ne pointe pas très loin, avec Marlhes, ne l'oublions pas, modeste soutien en replis. Les Commanderies principales assurent un rôle d’agences bancaires et doivent honorer les traites d’autres maisons dans tous les sens des flux. Comme elles disposent de numéraires en assez grosse quantité, elles seront les premières visées et persécutées en 1307 ; cas d’Alès 150, Nîmes 150 aussi, tout comme Beaucaire.

RDP : Ces transports inhabituels dirons nous sont-ils connus ?

CR : Bien entendu, ils hantent encore les esprits où, en France, combien de lieux n’ont-ils pas conservés la légende de leur propre trésor des Templiers ? Les plus connus sont le Bézu avec Rennes-le-Château, le Beaujolais avec Argigny, la forêt d’Orient en pays Champenois. On peut fixer selon les auteurs nationaux un trafic de lourds convois et équipages pas très discrets sillonnant le Rhône à partir de 1276 pour le Temple. C’est précis, mais suffisant pour comprendre que la situation en Palestine est tristounette. Les croisés et leurs familles n’auront jamais plus aucune aide de La Chrétienté. Les Hospitaliers plus modestes optent pour une autre stratégie. Divisés entre eux, les gouvernants du royaume de Jérusalem ; la jalousie entre les Templiers et les Hospitaliers, les croisés sont condamnés à mourir égorgés ou rentrer. Là bas personne n’est dupe, sauf en France où le petit peuple inconscient sera bien tenu au secret aux fins fonds des campagnes du Royaume. A qui le clergé cache la cruelle vérité en Terre Sainte, et continue de percevoir une dîme inutile. La preuve vient d’être faite au Concile de Lyon. La noblesse française refuse au Pape désormais tout secours en Terre Sainte à partir de 1274. L’expédition de Guillaume de Roussillon en 1275 avait un autre fondement c’est évident.

RDP : On s’écarte un peu de Sainte-Croix ?

CR : Pas du tout on s’en rapproche au contraire. Le parallèle existe de plus belle avec la Chartreuse dès 1278 avec son plan de préfinancement, le début de sa construction entre 1280/81, le choix prémonitoire du prieur Ponce Sableri par Amédée et Béatrix en 1281. Le décès de ce frère de Guillaume la même année avec un testament, qui correspond à l’élévation des murailles de Sainte-Croix, toujours sous l’œil lointain, mais malgré tout bienveillant de Marlhes. De l’autre, la montée en puissance des Musulmans qui veulent en finir de la Chrétienté. Bibars, puis Kelaoun surtout en 1278 a compris que plus personne ne viendra le gêner. Il consent pour d’autres raisons à prolonger la trêve, jusqu’en 1282. A cette date, il s’empare de l’importante forteresse de Margat. Je fixe cette date comme le signal de la curée. Les Templiers usent de toute leur diplomatie, le cœur n’y est plus. Ils ont perdu la foi de leur aîné Hugues de Payns. Ils poursuivent sur mer, la  course effrénée pour évacuer leur argent « en lieu sur » dans le Royaume de France, grossière erreur que confirmera bientôt l’histoire. Guillaume de Beaujeu n’ignore point de ce qu’il adviendra de la Palestine et des richesses accumulées, après la trêve arrachée par le fils du Roi de France en 1270 et le Comte de tripoli en 1279. La chute des lieux saints est inéluctable. Les places fortes des Hospitaliers, des Templiers maintenant tombent, comme des dominos, aucun prisonnier ! Seul résiste alors St-Jean d’Acre et pour combien de temps en 1280 ?

RDP: Il y aurait alors un lien direct entre 1280 et Sainte-Croix ?

CR : Bien entendu, il est fort probable que la Chartreuse ai été financé comme toute construction à l’époque, avec un prêt ou un don (moins sur) du Temple ; cas d’Aigues Mortes pour le Roi, celui d’Amédée de Roussillon pour Ste Croix. D’ailleurs ne figure-t-il pas en première place dans les bienfaiteurs de la Chartreuse de Sainte-Croix.
Le rêve de Béatrix est beau. Ce n’est pas une veuve éplorée, qui va concevoir Sainte-Croix en regardant les étoiles de midi, dans son manoir de Châteauneuf. Avec la subite disparition de Guillaume, elle ne peut pas subvenir à l’éducation de ses 8 enfants sans le secours d’Aymar, archevêque de Lyon, dernier survivant du triumvir.

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RDP : le lien historique qui a rapproché Guillaume de Roussillon et Guillaume de Beaujeu maître du Temple serait le début de cette hypothétique piste Templière. Pensez vous que cette rumeur puisse avoir quelques fondements ?

CR : Les liens habituels des Roussillon penchent inévitablement pour les Templiers d’abord, pour l’Archevêque de Lyon par nature. Les Hospitaliers ou chevaliers de St-Jean de Jérusalem concurrents directs, sont les protégés du Roi de France et du Pape. Ceci étant dit les seigneurs de Beaujeu s’articulent entre l’appui du roi de France et celui des Templiers. Difficile dans cet imbroglio  à cerner  le jeu des alliances entre telles et telles personnes.
On ne peut que s’appuyer, sur les ouvrages lyonnais et Viennois du 17me et 18me pour émettre des conjectures et encore. Une chose est certaine, les Roussillon et la Famille de Beaujeu ont des racines identiques dans le Forez.

RDP C’est logique mais le lien entre les deux Guillaume ?

CR : Oui réel et fondé. Tous les bibliophiles ou presque connaissent le rôle prédominant de Guillaume de Beaujeu dernier maître du Temple en Palestine  avant la chute programmée de  St-Jean d’Acre. Moins connaissent le lien véritable unissant Guillaume de Roussillon et Guillaume de Beaujeu. En Novembre 1273, le Pape arrive depuis l’Italie  sous l’escorte des Hospitaliers de st Jean de Jérusalem. Se joignent à Lyon, les troupes Royales du prince Imbert de Beaujeu pour ouvrir le Concile de Lyon en mai 1274. Entre autres sujets devra être abordé la requête des maîtres du Temple et des Hospitaliers venus en personne. Proposer sous l’égide du Pape une 9me croisade pour essayer de sauver du désastre, les derniers carrés de croisés qui sont restés en Terre Sainte. La seconde inavouée, de Philippe le Hardi, se rapprocher des bourgeois Lyonnais en bute avec leur Chapitre afin de préparer l’annexion implicite du Lyonnais à la couronne de France.

RDP: L’appel à une nouvelle Croisade ce serait traité hors Concile ?

CR : Absolument, les écrits le prouvent mais les auteurs ecclésiastiques ne sont pas diserts. La raison ? le Pape Grégoire X fraîchement élu depuis 1271, sait qu’il ne pourra pas tenir face au Concile, les engagements qu’il a pris devant tous les croisés à St-Jean d’Acre où il résidait lorsqu’il reçut la nouvelle de sa nomination. Philippe le Hardi débarque alors incognito à Lyon en février 1274 suite à la convocation officielle dirons nous, du Pape Grégoire X datée de Lyon en novembre 1273. Ils eurent nous dit-on ensemble de longues conférences dont il résulta de grands avantages pour le Sainte Siège. L’archevêque de Lyon Pierre de Tarentaise, celui de Vienne Gui d’Auvergne ne peuvent assister à tous les sujets et pour cause. Le maître du Temple Guillaume de Beaujeu, et celui des Hospitaliers sont bien entendu en route depuis St-Jean d’Acre ou même déjà présent. Et les Roussillon ? Guillaume certainement, si une ou plusieurs de ces réunions se tiennent sur le découpage du diocèse de l’Eglise de Vienne, sous la protection du Seigneur d’annonay. Aymar le cadet est encore moine de Cluny, Amédée abbé de Savigny.

RDP : Ces réunions secrètes ont-elles eu un impact sur les Roussillon ?

CR : Jusqu’à preuve du contraire bien sur. Les faits d’histoires décortiqués le démontrent allègrement. Les réunions «secrètes» se terminent, tout se précipite. Le roi de France décline le Concile et rentre à Paris. Il laisse le soin à ses représentants d’agir. Philippe le Hardi et le Pape vont faire appel à Aymar qu’il désigne, « garde et conservateur de la paix pendant la durée du Concile » avec l’appui des Templiers. Six mois après ce jeune moine inconnu ou presque de Cluny va devenir pendant le Concile même, Archevêque de Lyon ! Guillaume de Roussillon lui, sera vraisemblablement missioné en personne par le roi de France avant l’ouverture du Concile ! Il va se préparer à partir, coordonner le reliquat des troupes présentent en Terre Sainte avec Guillaume de Beaujeu. Jouer un rôle de médiation impossible, sans renfort, contrairement à ce qui était prévu. Amédée de Roussillon enfin, abbé de Savigny a pour charge de protéger l’Archevêque de Lyon Guillaume de Tarentaise avec sa petite garde rapprochée de Savigny, oh combien efficace. Il doit seconder Aymar son frère en cas de troubles. Les seuls que l’on relève seront paradoxalement l’élection contestée d’Aymar ! A l’aube de son appareillage pour la Terre Sainte Guillaume de Roussillon à la confirmation de la nomination de son jeune frère Amédée. Amédée est sacré par le Pape évêque de Valence le 30 septembre 1275 en la cathédrale de Vienne. Le rattachement de l’église de Die à Valence viendra 4 mois plus tard, pour donner plus de consistance au verrouillage de la vallée du Rhône. J’ajouterais  pour l’anecdote : afin de pouvoir aussi frapper sa propre monnaie en deniers d’argent ! Pas sot du tout Amédée... Ne me faites pas dire blanchissement par des alchimistes régionaux !

RDP : En définitive, on peut comprendre les passions que suscitent encore la Chartreuse de Sainte-Croix ?

CR : Chacun analysera comme il le souhaite tous ces faits d’Histoire nouveaux peut-être, relatés sans fart et parfois méconnus. Je reste pour l’heure sur cette 9me croisade avortée, où la décision ne fut même pas abordé pendant le Concile. Le plus grand en nombre, nous dit-on que l’Eglise n’est jamais réunie. Vous en connaissez un peu mieux la raison, la motivation éteinte et le manque de finance. La mission officieuse de Guillaume, la thésaurisation d'Amédée, l’existence d’un trésor Templier détourné en 1307 en pleine confection des Philippines ? Si oui, par qui, pourquoi, comment, à quels moments en si peu de temps ? Comment les Pères Chatreux ont ils vécu l'atmosphère sulfureuse de la période s'étalant des Philippines à la condamnation des Templiers. Plus précisément je dirai de janvier 1306 à mai 1312, avec l'archidiacre Lyonnais Thibaud de Vassalieu. Avec un Philippe le Bel, de mars à mai 1312 avec son nouvel ami Thibaud de Vassalieu, n'ont apparemment pas trouvé la solution ; le roi présent pendant deux mois dans le couvent des Cordeliers de Sainte Colombe à moins de 25km de cette magnifique Chartreuse de Sainte Croix. Pour l'heure tout ceci reste une énigme passionnante que je partage.

RDP : Nous vous remercions pour ce poignant entretien, extrêmement novateur quand aux pistes proposées.

En Novembre prochain le dossier sera réalisé par notre ami Patrick Berlier et s'intitulera :
La Grotte des Fées du Mont Ministre et la "Solitaire des rochers"

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