L’ancienne Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez s’impose comme le monument du parc régional du Pilat. Pittoresque et magnifique, cette construction apporte indéniablement une touche médiévale au patrimoine d’une région déjà bien riche par sa singularité et sa diversité. A l’entrée de Sainte-Croix, si l’on arrive du côté de Rive-de-Gier, après seulement quelques kilomètres, on peut lire sur une pancarte : “l’un des plus beaux villages de France”. Les critères d’appréciation engagent évidemment seulement les goûts de chacun, mais il arrive pourtant parfois que des consensus fassent l’unanimité. Cette vieille Chartreuse en symbolise un parfait exemple.
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Résidant à Loire sur Rhône, Christian Rollat n'a pas attendu d'être à la retraite pour voyager et rechercher dans l'intimité des secrets d'Histoire. Rigoureux, précis et doté d'un sens critique redoutable, ces composantes qui vont de paires avec le chercheur avisé, lui permettent des avancées intéressantes dans ses investigations. Passionné de généalogie, de vieux livres, mais aussi de cartes postales anciennes, il s'est plongé depuis quelques années dans tout ce qui touche à l'histoire de la Chartreuse de Sainte-Croix. Grâce notamment aux livres anciens des dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècle, il a enregistré des avancées très intéressantes. Il précise que les auteurs contemporains du vingtième siècle, même de notoriété reconnue, comme Antoine Vachez par exemple, nous ont laissé bon nombre d'erreurs préjudiciables à une juste lecture des événements qui se sont réellement déroulés. Nous allons maintenant retrouver Christian Rollat dans un entretien exceptionnellement long et surtout précis ; extrait de ses recherches présentes qui nous livrent des données inédites. Il avait beaucoup de choses à dire, aussi serons nous sûrement amené à revenir sur ces sujets qui lui tiennent particulièrement à coeur. Précisons pour être complet, qu'il est le père de Thierry Rollat, auteur du livre 'le Vieux Secret' et animateur avec ses amis de notre site 'Regards du Pilat'. |
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RDP : Dans quelles conditions Béatrix de Roussillon décida t-elle selon vous de fonder cette Chartreuse au cœur du Pilat ? Où situez vous précisément la part de la légende ?
CR : Il faut dire auparavant avant d’apporter toute réponse, que Sainte-Croix existe déjà avant 1280. Ce lieu-dit de « paveisin » est au moyen âge, une possession parmi d’autres, essaimé de quelques foyers d’habitations que protège une maison forte avec moulinage, martinet et four banal. La présence inépuisable de l’houille blanche du Pilat, une desserte exceptionnelle font de ce lieu une source de revenus appréciée depuis des lustres.
RDP : Alors que vient faire la vision de Béatrix ?
On dit souvent, qu’il n’y a pas de fumée sans feu dans les légendes. Je répondrais tout bonnement par cette digression : pas de Guillaume pas de Béatrix, pas de mission en Terre Sainte pas de mort de Guillaume en 1276, pas de financement occulte pas de Chartreuse. Vous voyez où se situe pour moi la part du rêve. Notons également autre fait curieux, pourquoi les armes des Roussillon ne figurent pas à son entrée ?
RDP : Mais comment peut-elle passer du rêve à la réalité ?
CR: Béatrix de Roussillon a le coup de foudre pour ce lieu qu’elle côtoie bien avant son veuvage et qui appartenait sans doute déjà aux Roussillon. Son besoin d’isolement fit le reste. La vision enluminée de copistes cartusiens doit impérativement trouver un justificatif aux serfs du lieu. Dans le contexte, cette dépense est inconvenante. N’oublions pas, que ces faits se déroulent en période de disette, de pauvreté extrême du peuple, consécutive aux Croisades de Saint Louis.
RDP : On entend dire que l’Ordre du Temple aurait joué un rôle dans le proche environnement de Sainte-Croix entre 1280 et 1314 ?
RDP : Cette hypothèse peut-elle être conjecturée pour Sainte-Croix ?
CR : Oui en analysant la concomitance des faits nationaux. Là où s’entremêlent les personnes précitées, Sainte-Croix s’inclut très facilement dans ce schéma, et ce dès 1275, même si le décès de Guillaume en 1276 n’est pas prévisible. J’y reviendrais car cet homme est tout à fait conscient de la dangerosité de la mission politique qui lui incombe. Le lien est tissé entre le nouveau maître du Temple et les Roussillon depuis 1274 grâce au Concile de Lyon.
RDP : N'est-ce pas surprenant de voir apparaître dans l’Histoire un lieu aussi modeste et isolé que Sainte-Croix dans un contexte national ?
CR : Premier mystère oui ; ce sera encore le cas avec Thibaud de Vassalieu enterré à Sainte Croix. Lui qui gravite déjà dans les hautes sphères à Paris au tout début de l'année 1306, peut être même en 1305, avec Nogaret principal conseiller de Philippe le Bel. Deuxième mystère je pense pour Sainte-Croix vis à vis des Templiers, mais c’est un autre sujet, très intéressant également.
RDP : Il faut en tout état de cause donner un justificatif à tous ?
CR : Absolument, il faut intégrer le rôle de l’oligarchie Roussillon, du « triumvir» naissant. De Guillaume l’aîné, preux chevalier, seigneur d’Annonay et autres places, belliqueux, diplomate, ambassadeur missioné par le roi de France en Terre Sainte. Du cadet Aymar, promu subrepticement archevêque de Lyon courant juin 1274 avec éclat. Protégé simultanément par le Roi de France Philippe le Hardi, du nouveau Pape arrivé de Palestine. D’Amédée enfin le puîné le plus futé, abbé de Savigny, plus habile à manier l’épée que le goupillon. Désigné lui aussi sans coup férir, évêque de Valence puis de Die ! Dès sa nomination en date du 15 septembre 1275, il peut verrouiller le couloir rhodanien tant et si bien que sans son aval plus rien ne transite sans son accord. Ecclésiastique il emprisonne le premier qui le dérange. La boucle est bouclée, le Pape est obligé de le modérer à maintes reprises !
RDP : Croyez-vous pensable que les Roussillon ai pu alors échafauder un plan familial pour s’enrichir rapidement ?
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RDP : Comment expliquer cette théorie ?
CR : Ce n’est pas une théorie, ce sont des faits réels qui méritent quelques éclaircissements d’ordre général. Je me borne à retenir l’automne 1275. Là ou Guillaume s’apprête à appareiller d’Aigues Mortes. Alors que bientôt dans l’autre sens vont arriver, des norias de nefs chargées de « biens » avec des équipages désabusés par les nouvelles de St Jean d’Acre. Le port d’Aigues Mortes en pleine ébullition, voit accoster directement aux pieds de ses nouveaux remparts, les nefs huissières sous pavillon du Temple. Ce même Ordre du Temple qui coordonne les déchargements et doit composer avec la batellerie du Rhône. Les transitaires sont nombreux, les «trésors de Terre Sainte» ou ce qui l’en reste gagneront au fur et à mesure des rapatriements, les différentes commanderies de France. Sous haute surveillance, les convois remontent le couloir Rhodanien. La première plaque tournante est bien entendu la Commanderies de Baucaire (Beaucaire) clé du Rhône avec 66 Templiers. Celle de Montélimar, Valence ne pointe pas très loin, avec Marlhes, ne l'oublions pas, modeste soutien en replis. Les Commanderies principales assurent un rôle d’agences bancaires et doivent honorer les traites d’autres maisons dans tous les sens des flux. Comme elles disposent de numéraires en assez grosse quantité, elles seront les premières visées et persécutées en 1307 ; cas d’Alès 150, Nîmes 150 aussi, tout comme Beaucaire.
RDP : Ces transports inhabituels dirons nous sont-ils connus ?
CR : Bien entendu, ils hantent encore les esprits où, en France, combien de lieux n’ont-ils pas conservés la légende de leur propre trésor des Templiers ? Les plus connus sont le Bézu avec Rennes-le-Château, le Beaujolais avec Argigny, la forêt d’Orient en pays Champenois. On peut fixer selon les auteurs nationaux un trafic de lourds convois et équipages pas très discrets sillonnant le Rhône à partir de 1276 pour le Temple. C’est précis, mais suffisant pour comprendre que la situation en Palestine est tristounette. Les croisés et leurs familles n’auront jamais plus aucune aide de La Chrétienté. Les Hospitaliers plus modestes optent pour une autre stratégie. Divisés entre eux, les gouvernants du royaume de Jérusalem ; la jalousie entre les Templiers et les Hospitaliers, les croisés sont condamnés à mourir égorgés ou rentrer. Là bas personne n’est dupe, sauf en France où le petit peuple inconscient sera bien tenu au secret aux fins fonds des campagnes du Royaume. A qui le clergé cache la cruelle vérité en Terre Sainte, et continue de percevoir une dîme inutile. La preuve vient d’être faite au Concile de Lyon. La noblesse française refuse au Pape désormais tout secours en Terre Sainte à partir de 1274. L’expédition de Guillaume de Roussillon en 1275 avait un autre fondement c’est évident.
RDP : On s’écarte un peu de Sainte-Croix ?
CR : Pas du tout on s’en rapproche au contraire. Le parallèle existe de plus belle avec la Chartreuse dès 1278 avec son plan de préfinancement, le début de sa construction entre 1280/81, le choix prémonitoire du prieur Ponce Sableri par Amédée et Béatrix en 1281. Le décès de ce frère de Guillaume la même année avec un testament, qui correspond à l’élévation des murailles de Sainte-Croix, toujours sous l’œil lointain, mais malgré tout bienveillant de Marlhes. De l’autre, la montée en puissance des Musulmans qui veulent en finir de la Chrétienté. Bibars, puis Kelaoun surtout en 1278 a compris que plus personne ne viendra le gêner. Il consent pour d’autres raisons à prolonger la trêve, jusqu’en 1282. A cette date, il s’empare de l’importante forteresse de Margat. Je fixe cette date comme le signal de la curée. Les Templiers usent de toute leur diplomatie, le cœur n’y est plus. Ils ont perdu la foi de leur aîné Hugues de Payns. Ils poursuivent sur mer, la course effrénée pour évacuer leur argent « en lieu sur » dans le Royaume de France, grossière erreur que confirmera bientôt l’histoire. Guillaume de Beaujeu n’ignore point de ce qu’il adviendra de la Palestine et des richesses accumulées, après la trêve arrachée par le fils du Roi de France en 1270 et le Comte de tripoli en 1279. La chute des lieux saints est inéluctable. Les places fortes des Hospitaliers, des Templiers maintenant tombent, comme des dominos, aucun prisonnier ! Seul résiste alors St-Jean d’Acre et pour combien de temps en 1280 ?
RDP: Il y aurait alors un lien direct entre 1280 et Sainte-Croix ?
RDP : le lien historique qui a rapproché Guillaume de Roussillon et Guillaume de Beaujeu maître du Temple serait le début de cette hypothétique piste Templière. Pensez vous que cette rumeur puisse avoir quelques fondements ?
CR : Les liens
habituels des Roussillon penchent inévitablement pour les Templiers
d’abord, pour l’Archevêque de Lyon par nature. Les Hospitaliers ou
chevaliers de St-Jean de Jérusalem concurrents directs, sont les
protégés du Roi de France et du Pape. Ceci étant dit
les seigneurs de Beaujeu s’articulent entre l’appui du roi de France et
celui des Templiers. Difficile dans cet imbroglio à cerner
le jeu des alliances entre telles et telles personnes.
On ne peut
que s’appuyer, sur les ouvrages lyonnais et Viennois du 17me et 18me pour
émettre des conjectures et encore. Une chose est certaine, les Roussillon
et la Famille de Beaujeu ont des racines identiques dans le Forez.
RDP C’est logique mais le lien entre les deux Guillaume ?
CR : Oui réel et fondé. Tous les bibliophiles ou presque connaissent le rôle prédominant de Guillaume de Beaujeu dernier maître du Temple en Palestine avant la chute programmée de St-Jean d’Acre. Moins connaissent le lien véritable unissant Guillaume de Roussillon et Guillaume de Beaujeu. En Novembre 1273, le Pape arrive depuis l’Italie sous l’escorte des Hospitaliers de st Jean de Jérusalem. Se joignent à Lyon, les troupes Royales du prince Imbert de Beaujeu pour ouvrir le Concile de Lyon en mai 1274. Entre autres sujets devra être abordé la requête des maîtres du Temple et des Hospitaliers venus en personne. Proposer sous l’égide du Pape une 9me croisade pour essayer de sauver du désastre, les derniers carrés de croisés qui sont restés en Terre Sainte. La seconde inavouée, de Philippe le Hardi, se rapprocher des bourgeois Lyonnais en bute avec leur Chapitre afin de préparer l’annexion implicite du Lyonnais à la couronne de France.
RDP: L’appel à une nouvelle Croisade ce serait traité hors Concile ?
CR : Absolument, les écrits le prouvent mais les auteurs ecclésiastiques ne sont pas diserts. La raison ? le Pape Grégoire X fraîchement élu depuis 1271, sait qu’il ne pourra pas tenir face au Concile, les engagements qu’il a pris devant tous les croisés à St-Jean d’Acre où il résidait lorsqu’il reçut la nouvelle de sa nomination. Philippe le Hardi débarque alors incognito à Lyon en février 1274 suite à la convocation officielle dirons nous, du Pape Grégoire X datée de Lyon en novembre 1273. Ils eurent nous dit-on ensemble de longues conférences dont il résulta de grands avantages pour le Sainte Siège. L’archevêque de Lyon Pierre de Tarentaise, celui de Vienne Gui d’Auvergne ne peuvent assister à tous les sujets et pour cause. Le maître du Temple Guillaume de Beaujeu, et celui des Hospitaliers sont bien entendu en route depuis St-Jean d’Acre ou même déjà présent. Et les Roussillon ? Guillaume certainement, si une ou plusieurs de ces réunions se tiennent sur le découpage du diocèse de l’Eglise de Vienne, sous la protection du Seigneur d’annonay. Aymar le cadet est encore moine de Cluny, Amédée abbé de Savigny.
RDP : Ces réunions secrètes ont-elles eu un impact sur les Roussillon ?
CR : Jusqu’à preuve du contraire bien sur. Les faits d’histoires décortiqués le démontrent allègrement. Les réunions «secrètes» se terminent, tout se précipite. Le roi de France décline le Concile et rentre à Paris. Il laisse le soin à ses représentants d’agir. Philippe le Hardi et le Pape vont faire appel à Aymar qu’il désigne, « garde et conservateur de la paix pendant la durée du Concile » avec l’appui des Templiers. Six mois après ce jeune moine inconnu ou presque de Cluny va devenir pendant le Concile même, Archevêque de Lyon ! Guillaume de Roussillon lui, sera vraisemblablement missioné en personne par le roi de France avant l’ouverture du Concile ! Il va se préparer à partir, coordonner le reliquat des troupes présentent en Terre Sainte avec Guillaume de Beaujeu. Jouer un rôle de médiation impossible, sans renfort, contrairement à ce qui était prévu. Amédée de Roussillon enfin, abbé de Savigny a pour charge de protéger l’Archevêque de Lyon Guillaume de Tarentaise avec sa petite garde rapprochée de Savigny, oh combien efficace. Il doit seconder Aymar son frère en cas de troubles. Les seuls que l’on relève seront paradoxalement l’élection contestée d’Aymar ! A l’aube de son appareillage pour la Terre Sainte Guillaume de Roussillon à la confirmation de la nomination de son jeune frère Amédée. Amédée est sacré par le Pape évêque de Valence le 30 septembre 1275 en la cathédrale de Vienne. Le rattachement de l’église de Die à Valence viendra 4 mois plus tard, pour donner plus de consistance au verrouillage de la vallée du Rhône. J’ajouterais pour l’anecdote : afin de pouvoir aussi frapper sa propre monnaie en deniers d’argent ! Pas sot du tout Amédée... Ne me faites pas dire blanchissement par des alchimistes régionaux !
RDP : En définitive, on peut comprendre les passions que suscitent encore la Chartreuse de Sainte-Croix ?
CR : Chacun analysera comme il le souhaite tous ces faits d’Histoire nouveaux peut-être, relatés sans fart et parfois méconnus. Je reste pour l’heure sur cette 9me croisade avortée, où la décision ne fut même pas abordé pendant le Concile. Le plus grand en nombre, nous dit-on que l’Eglise n’est jamais réunie. Vous en connaissez un peu mieux la raison, la motivation éteinte et le manque de finance. La mission officieuse de Guillaume, la thésaurisation d'Amédée, l’existence d’un trésor Templier détourné en 1307 en pleine confection des Philippines ? Si oui, par qui, pourquoi, comment, à quels moments en si peu de temps ? Comment les Pères Chatreux ont ils vécu l'atmosphère sulfureuse de la période s'étalant des Philippines à la condamnation des Templiers. Plus précisément je dirai de janvier 1306 à mai 1312, avec l'archidiacre Lyonnais Thibaud de Vassalieu. Avec un Philippe le Bel, de mars à mai 1312 avec son nouvel ami Thibaud de Vassalieu, n'ont apparemment pas trouvé la solution ; le roi présent pendant deux mois dans le couvent des Cordeliers de Sainte Colombe à moins de 25km de cette magnifique Chartreuse de Sainte Croix. Pour l'heure tout ceci reste une énigme passionnante que je partage.
En Novembre
prochain le dossier sera réalisé par notre ami
Patrick Berlier et s'intitulera :
La Grotte des Fées
du Mont Ministre et la "Solitaire des rochers"
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