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Présenté par Gérard Mathern

Décembre 2022





 
Les Châteaux de Saint-Chamond
                                                                                               

                                                                                                   


                                                                                                                                                                                                                                     

La naissance de Saint-Chamond, dont le nom est lié une déformation progressive de prononciation de Saint-Ennemond, est incertaine. Il semble tout de même que l’on puisse rattacher l’histoire de notre contrée au monde romain à partir de la naissance de l’aqueduc du Gier au début du IIe siècle de notre ère. Certes, le captage de nos rivières locales avait conduit les bâtisseurs à contrôler une région dont il fallait être sûrs, afin de garantir une qualité certaine à cette eau devant arroser la ville de Lugdunum créée en 43 av JC.

Cela signifie-t-il que rien n’existait auparavant sur les rives du Gier ? Certes non. L’oppidum d’Usiaco (Izieux), la ville d’en haut pour les Gaulois, dominait, selon un éperon barré, l’éminence constituant la confluence entre le Janon et le Gier. Cette importante concentration de 80 hectares semblait être une étape idéale sur le chemin du Rhône (Condrieu) à la Loire (Saint-Just-Saint-Rambert/Loire) pour les convois transportant les marchandises destinées à alimenter le bassin de ce fleuve. En effet, elle se situe à une journée de marche de chaque port (J. Laversanne). L’importance des voies gauloises venant du sud par les sommets du Pilat, et leur entrecroisement avec celles joignant le Rhône à la Loire montre bien l’importance du lieu.

 

Depuis la conquête de la Gaule par César, les enjeux ont changé. De nouvelles voies se sont créées et Usiaco a certainement perdu de son importance, mais les Romains l’occupent comme l’attestent les découvertes par l’abbé Grangier de traces archéologues importantes concernant cette époque. Cet oppidum jadis entouré de murailles conserva des toponymes intéressants, dont l’un d’eux va nous servir de piste dans notre quête sur les châteaux de Saint-Chamond, il s’agit du quartier du Chatelard situé à l’extrémité nord-est de l’ancienne fortification gauloise.

 

 

L’oppidum d’Usiaco (J. Laversanne)

 

Mais le génie hydraulique des Romains va passer par là et faire courir l’aqueduc sur plus de 85 km d’Izieux à Lyon. Il va traverser la vallée du Janon et passer à mi-pente sur la colline dominant le Gier là ou, plus tard, le château sera érigé.

Mais il avait fallu créer des infrastructures destinées à construire, puis surveiller cette magnifique réalisation. Les voies de communications vinrent remplacer celles qu’avaient créées les Gaulois dans un nouveau réseau centré sur Lugdunum. On ne sait rien de cette époque sinon qu’elle a laissé une infrastructure de communications très importante, Saint-Ennemond représentant alors un carrefour important. La tradition rapporte cependant qu’une tour fut édifiée, très probablement destinée à la surveillance du lieu. Ce nom avait été donné en relation avec le culte du saint évêque de Lyon, Saint-Ennemond, assassiné en 663. Les habitants du lieu lui avaient en effet consacré une chapelle sur la colline dominant le Gier. On parlait alors de « l’Oppidum Sancti Annemundi ».

 

Il est bien difficile de retrouver les traces des premières fortifications de la colline, mais il est fort à parier que le château mineur existait déjà, relief des anciennes constructions gallo-romaines d’Usiaco, désormais Izieux. Les premiers possesseurs connus furent les comtes de Lyon. Géraud Ier comte de Lyon et de Forez désigne son fils Umfred seigneur de Saint-Ennemond (977), comte de Jarez, branche de celle des comtes de Forez. En quoi consistait le premier château construit sur la colline ? Nul ne le sait.

Mais il faut ici se souvenir que les possessions des comtes et des archevêques de Lyon étaient intriquées dans ces territoires et chacun se disputait bien des places et les revenus qui y étaient attachés. Or, Lyon était sous la mouvance du Saint-Empire germanique et l’empereur Barberousse octroya à l’Eglise de Lyon des avantages qui pénalisait les comtes. Eclata ainsi un conflit, souvent armé, entre les deux parties.

Une première transaction intervint en 1167, sous la médiation du roi Louis VII, mais ne fut pas suivie d’effet.

Le souverain, sans doute afin d’éviter un conflit avec le Saint-Empire germanique dont Lyon dépendait, fit parvenir les belligérants à un accord en 1173, les comtes se retirant dans le Forez en vendant leurs possessions en Lyonnais et, inversement, les archevêques de Lyon renonçant à leurs biens en Forez. La « frontière » entre les deux territoires passait par Saint-Chamond et précisait qu’il ne pouvait être construit de nouvelles forteresses dans le secteur de cette limite. Le « château majeur » devait donc constituer, déjà, une place forte à cette époque et passer sous la mouvance des archevêques.

 

De nouveaux propriétaires s’imposèrent donc, et ce fut la Maison des Lavieu qui prit le nom de Saint-Chamond. Lors de la transaction de 1173, fixant de manière la plus précise la frontière entre les possessions des Comtes de Forez et ceux de l’Eglise de Lyon, on découvre que le Comte abandonne à Lyon les deux châteaux de Saint-Chamond, en se gardant ceux de Saint-Priest, Rochetaillée, Roche, Fogerolles, Grandjant, La Tour, Saint-Héan, Chevrières, Chatelus et Fontanez (orthographe de l’époque). C’est ainsi que Briand de Lavieu prend possession de la seigneurie de Saint-Chamond. Rappelons que c’est à lui que l’on doit la fondation de l’Abbaye de Valbenoite.

 

La famille de Jarez, en la personne de Gaudemar Ier, achète la seigneurie de Saint-Chamond en 1185. Elle tenait déjà la seigneurie de Saint-Priest qui échoit plus tard à son frère aîné, Pons de Jarez.

Il faut faire remonter à cet épisode le premier blason : parti d’argent et d’azur. Mais on apprend que Gaudemar n’a acheté que l’un des deux châteaux, celui dénommé « Majoris castri », l’autre « Minoris castri » restant probablement la propriété des Lavieu, avec, dans le mandement qui lui était attaché, le village de Saint-Martin-en Coallieu (Acoallieu à l’époque).

 

Blason

 

Qu’était donc Saint-Chamond à cette époque ?  La colline Saint-Ennemond uniquement, composée du château primitif et des quelques maisons sur les pentes. Mais la bourgade s’étendant sur la rive droite du Gier portait alors le nom de Doulx, limitée à la confluence des deux cours d’eau (Condamin). C’est ainsi que l’on découvre qu’elle était dominée par un château portant son nom, à la confluence du Gier et du Janon, c'est-à-dire à l’extrémité nord de l’antique oppidum d’Usiaco, correspondant sans doute au lieu dit « le Chatelard ». Il paraît légitime de l’assimiler au Château mineur déjà évoqué. Hélas, on ne possède aucun document permettant d’en cerner l’allure et même l’implantation immédiate. L’hypothèse d’E. Richard l’assimilant à une grande maison située à la confluence des deux rivières, emportée par une gigantesque crue paraît également à retenir.

Toujours est-il qu’Artaud de Lavieu, fils de Briand, fit hommage de ce château au seigneur de Saint-Chamond, Guy Ier, fils de Gaudemar, en 1240.

En 1280, le Château mineur fut acquis par Gaudemar II, seigneur de St Chamond, à Gaudemar Ier de Lavieu, seigneur de Roche-la Molière et de Poncins, fils de Artaud de Lavieu. Il devint ainsi le seigneur de toute la ville (dominus totius ville Sancti Annemundi). La famille de Lavieu possèdera cette seigneurie pendant un siècle et demi.

En 1344, c’est, par le jeu des mariages, que la seigneurie passe à la famille Durgel Saint-Priest, en la personne de Briand I.

 

Nous sommes pendant la guerre de 100 ans. Lutter contre les routiers, les tard-venus, les grandes compagnies, et enfin les Anglais nécessitait de se défendre. On établit donc un fort, en-dessous du château, le long du Gier.

 

 

Plan du fort primitif

 

Le fort était, avec le château, la partie « vraiment fortifiée » de la ville. Il s’étendait, au-dessous du château le long du Gier, depuis la place St Jean à l’est jusque dans le voisinage du pont du marché (pont St Pierre) : le quai du fort. On l’appelait le Grand fort, en opposition au petit-fort dont les maisons s’étageaient sur la colline, depuis la place St Jean à l’ouest jusqu’à l’église paroissiale St Ennemond. 

Ce château possédait une porte bien identifiée : celle de Bourgneuf à l’est (encore visible aujourd’hui).

 

 

La porte du château hier et aujourd’hui

 

Jean II Durgel (1487-1534) fit reconstruire le château et ériger une tour à l’ouest ; que l’on dénommera longtemps la « Tour des Romains », sans doute en souvenir d’une construction antique alors ruinée.

 

Arrive ensuite Christophe de St Chamond (1534-1580). En 1547, il renforce les murs du Fort avec la participation autoritaire des habitants du lieu. Ces travaux sont étendus, en 1563, au château lui-même. Mais l’église paroissiale, Saint-Pierre où sont enterrés tous les anciens seigneurs de Saint-Chamond, est située sur les lieux de ces travaux, « à l’angle nord-est dudit château ». Elle est donc démolie et le serment de la reconstruire apaise la population. Les fidèles suivront donc la messe dans la chapelle Sainte-Barbe, sur la rive droite du Gier, lieu de la future implantation de la nouvelle église Saint-Pierre-Sainte-Barbe que nous connaissons actuellement. Elle sera implantée, selon le vœu de Christophe, dans « un endroit plus ouvert », mais c’est son petit-fils, Melchior, qui y pourvoira. L’endroit, progressivement occupé par des habitations, grossissant ainsi la ville de Doulx, s’étendit dès le XVIe siècle avec la progression de l’industrie de la soie.

Christophe n’était pas un tendre, contre des protestants certes, mais en famille non plus. Sa première épouse mourut de ses sévices semble-t-il, et ses enfants se retirèrent tous dans la religion. Il se trouva ainsi sans succession. Toujours réactif, il fit casser le serment de sa fille cadette, Gabrielle, alors abbesse de Saint-Just, avec l’accord du Pape. Celle-ci épousa alors Jacques Mitte de Chevrières, seigneur de Miolans et lui fit sept enfants. La seigneurie quitta ainsi la famille des Durgel pour celle des Mitte.

 

 

Christophe de Saint-Chamond

 

Le nouveau seigneur était un puissant personnage et il poursuivit l’œuvre de son bouillant beau-père. A propos du renforcement des défenses, Jacques Mitte de Chevrières décrit, dans une demande introduite auprès du Parlement de Paris afin d’être aidé dans les travaux de défense de la ville, les fortifications comme se réduisant, autour du fort, à des murs et un bastion représenté par le château. La ville était alors « un grand bourg ouvert de tous côtés en un coin duquel était un grand clos ou enceintes de murailles ». Le seigneur entretenait également, en permanence et à ses frais, de trente à quarante hommes d’armes. Lors d’un besoin accru de défense, la population venait grossir la troupe, sans uniforme ni armement sophistiqué.

 

En 1562, Jacques fit établir les bastions nord-ouest et une nouvelle chapelle pour les Seigneurs. Il obtint également, des années plus tard, du roi Henri IV et malgré les ordonnances interdisant la fermeture des villes et la présence de batteries, une dérogation lui permettant de clore sa ville et « y mettre dedans un canon de batterie et plusieurs pièces de campagne afin que les envieux n’eussent aucun prétexte de lui donner et aux siens, à l’avenir, aucun déplaisir » (Condamin).

 

Survint le siège de Saint-Chamond le 8 mars 1590. La mort d’Henri III laissait la place à Henri de Navarre, le Huguenot. Une ligue d’opposants se forma aussitôt à laquelle adhéra Jacques de Chevrières. Mais le jour du sacre d’Henri IV, ayant enfourché la doctrine catholique (« Paris vaut bien une messe »), Jacques, légitimiste, se rallia à son souverain. Les ligueurs ne l’entendirent pas de cette oreille et vinrent sous les murs de Saint-Chamond lui faire payer cette volte-face. Ce fut le seul fait de guerre de la ville jusqu’en 1940 ! Les troupes de la ligue, menées par le capitaine L’Hospital vinrent buter sur les murs du fort et du château heureusement renforcés par Christophe. Dans l’assaut, L’Hospital trouva la mort et l’escouade de la Ligue se retira. Un seul élément tangible de cet épisode nous est parvenu : un boulet de « fauconneau », un petit canon de l’époque, a été retrouvé flanqué dans un mur de la ville et conservé désormais au musée des Amis du Vieux Saint-Chamond.

 

 

Boulet de fauconneau (musée des Amis du Vieux Saint-Chamond)

 

Saint-Chamond était alors, selon son seigneurs Jacques Mitte, « le château le plus beau et le plus fort de la province, un des bourgs les plus riches du royaume ».

Puis vint son fils, Melchior, le « Grand Homme » de Saint-Chamond, puissant seigneur né en 1586 et mort en 1649. Sa carrière est impressionnante : Lieutenant général des armées du roi, ambassadeur à Bruxelles, puis en Angleterre, à Rome. Homme de guerre, il entre le premier à Saint-Jean-D’angély prise aux protestants et récidive à La Rochelle. Ministre d’Etat, il n’oublia jamais sa ville de Saint-Chamond qu’il transforma totalement et y implanta des églises et des chapelles. Nous sommes à la Renaissance et le château, qui n’a plus vraiment de fonction de défense, est transformé, rénové, embelli.

 

Portraits de Melchior Mittes de Chevrières à deux époques de sa vie.


Il fit élargir les avenues menant au château qu’il fit rebâtir, peindre, meubler et orner « de belle façon ». Tapisseries de Flandres, velours et étoffes de soie, riche mobilier, vaisselle d’or et d’argent, toiles de maîtres venant de Hollande, d’Allemagne et d’Italie. Le seul salon doré était une merveille.  1640 : les terrassements de la cour angulaire permirent de créer des grandes écuries à l’angle est.

Il avait fait ses études en Italie et en gardé le gout de l’architecture. Le nouveau style du château s’en inspire, de même que l’église Saint-Pierre-Sainte-Barbe qu’il fait construire sur les restes de l’ancienne chapelle.

 

 

Il y fit construire également la collégiale Saint-Jean-Baptiste en 1635. Terminée en 1642. L’ensemble est remarquable. Le château domine la vallée du Gier de belle manière et la collégiale est placée juste en-dessous et agencée de manière à ne pas gêner la vue du seigneur sur sa ville. De manière astucieuse, il fait placer le clocher à l’étage inférieur de l’édifice de manière à conserver le panorama intact, de la cour sud du château. Ce clocher persiste inchangé et surprend par son allure. Aujourd’hui, il fait office de maison d’habitation mais conserve son allure primitive.

 

 

 




Le clocher (état actuel)

 

Cette disposition n’est pas nouvelle. Elle ressemble à ce qui a été fait à Grignan, dont la famille était liée à celle des Mittes, et il est fort à parier que notre Melchior s’en soit inspiré.

 

 

 

Château de Grignan, l’église est également située en-dessous de celui-ci.

 

 

Plan du château (musée des Amis du Vieux Saint-Chamond).

 

 

Après la mort de Melchior, son fils Jean-Armand assura la succession et les dettes de son père. Sa fille Anne-Marie avait épousé, en 1684, Charles-Emmanuel de la Vieuville qui devint ainsi le nouveau seigneur de Saint-Chamond. Son petit-fils, Charles-Louis Auguste revendra cette terre, peu fréquentée par les seigneurs depuis longtemps, au Marquis de Montdragon en 1768. Celui-ci semblait plus intéressé par les richesses minières potentielles du lieu que son marquisat.

 

 

 

 

Emprise du château sur un cadastre actuel (E. Perrin)

 

Puis survint la Révolution. Le 29 Brumaire an II (19 novembre 1793), un arrêté du Conseil Général du département décidait que le château serait démoli. Et ce fut fait avec l’aide d’une compagnie de volontaires de Haute-Loire. Les pièces et documents furent détruits, brûlés, dispersés et on en retrouve de loin en loin quelques reliefs comme la belle cheminée actuellement installée au château de Cornillon. Par quel mécanisme ? Mystère.

 

 

 

On relève également d’autres mystères, en particulier celui de la crypte qui existait très probablement sous la collégiale et qui n’a jamais été recherchée. Or, on sait que Melchior avait acquis, comme c’était la mode autrefois, des sarcophages de marbre arrachés aux Aliscamps à Arles. Or, nul n’a retrouvé ces pièces remarquables. Peut-être sont-elles encore enfouies sous le site, mais pour répondre  à cette question, il faudrait pratiquer des fouilles, et l’on connaît la suite.

Un autre mystère est celui des souterrains du château. L’un d’eux est aisé à éclaircir. Christophe de Saint-Chamond décrivait un souterrain menant en direction de Valfleury. En fait, il avait à sa disposition les restes de l’antique aqueduc romain qui traversait la colline et menait, en effet, vers le nord. Il n’allait pas laisser passer une belle occasion de l’utiliser en temps utile. Mais des témoignages divers nous apprennent qu’il existe d’autres souterrains non dévoilés, passant par certaines caves d’habitations de la colline Saint-Ennemond. Tous ces ouvrages ont été murés et il est bien difficile, aujourd’hui d’en faire l’inventaire et, partant, l’exploration.

 

Aujourd’hui, il reste peu de choses de ce château, quelques murs, un pan de l’abside de la collégiale, une porte d’accès, et c’est tout. Mais la visite de la colline reste possible et des passionnés du lieu peuvent toujours solliciter l’association des Amis du Vieux Saint-Chamond pour passer un moment rempli d’émotion.

 

 

Les ruines du château et de l’abbatiale

 

 

 

 

On lira avec avantage la brochure d’Eric Perrin : Le Château de Saint-Chamond.





















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