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Rubrique
Rennes le Château

Mars 2021






Par
Thierry Rollat


Une Servante impliquée









      Il est des destins hors du commun ; ce peut même être le cas en restant une personne complètement anodine autant qu’anonyme. Marie Dénarnaud, sur laquelle nous allons nous attarder quelque peu, appartient à cette catégorie de gens ordinaires qui ont côtoyé l’extraordinaire. Elle fut l’indéniable complice du sulfureux Abbé Bérenger Saunière qui a sévi à Rennes le Château sur la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle.

     Bien sûr Bérenger Saunière demeure un grand mystère à lui tout seul mais l’aide que lui prêta forcément Marie Dénarnaud, ne serait-ce que par sa discrétion absolue, reste une partie prenante de l’énigme du Razès. Cette complicité qui a débouché sur la garde du grand secret dont elle était forcément au moins partiellement détentrice, se mesure dans une globalité temporelle. Effectivement lorsque décède Bérenger Saunière en 1917, Marie Dénarnaud n’en est qu’à la moitié de sa vie et jusqu’en 1953, date de sa propre mort, elle conservera un silence absolu sur les tenants et les aboutissants du comment Bérenger Saunière était devenu immensément riche.

     Marie Dénarnaud est née en 1868 à Espéraza, tout à côté de Rennes-le-Château. Un temps chapelière c’est très jeune, à peine âgée de 23 ans, qu’elle entre en 1891 au service de l’Abbé Saunière, nommé à Rennes-le-Château six ans plus tôt. La jeune fille n'est pas une inconnue pour le prêtre : en arrivant dans le village, il a été hébergé par la mère de Marie, le temps de rénover le presbytère délabré. Alors que son éducation religieuse aurait dû lui inciter la méfiance envers une si jeune servante, Bérenger Saunière noue avec Marie une relation de grande complicité. La jeune fille va servir le prêtre, avec abnégation, et en somme ce sera pour sa vie entière, y compris la longue période suivant la mort de Saunière qui durera, elle, 36 ans. Elle entretiendra le souvenir, isolée, se recueillant perpétuellement sur ce passé saunièrien complètement hors norme. Marie Dénarnaud était d’un dévouement incroyable envers Bérenger Saunière. C’était, vous l’aurez compris, une servante impliquée bien au-delà de sa fonction première.

      Bérenger Saunière a entrepris de nombreuses fouilles dès l’an 1891 et ce aussi bien dans le cimetière, en nocturne, que dans l’église même de Rennes-le-Château. Marie était de toutes les aventures, même si c’était très mal vu dans le petit village audois que de déterrer des squelettes dans des tombes ouvertes pour l’occasion par le curé du village. On sait aussi qu’elle accompagnait l’abbé lors de ses quotidiens déplacements à proximité du village lorsque, équipé d’une hotte, il allait patiemment rassembler les pierres nécessaires à la réalisation de sa petite grotte toujours observable de nos jours, qu’il voulut copie semblable à celle de Lourdes. Elle était de toutes les initiatives.


     Cette proximité entre la servante et le curé faisait à l’époque sourire, de nos jours des chercheurs émettent des hypothèses assez osées les concernant sans qu’aucune preuve ne puisse étayer ce qui ne reste bien que des supputations. Effectivement présentée par certains comme la maîtresse de Bérenger Saunière, d’autres supposent qu’elle pourrait avoir été la propre fille qu’il aurait alors eu très jeune, avant d’être prêtre. Dans les lettres que Bérenger Saunière adresse à Marie, lorsqu'il s'absente, il l'appelle « ma petite Marinette », et il signe volontiers « ton Bérenger ». Si la très grande complicité entre ces deux personnages ne fait aucun doute il faut peut-être plus simplement aller chercher l’origine de celle-ci dans la profonde admiration de Marie Dénarnaud envers Bérenger Saunière. De condition modeste, elle fut indéniablement, d’une manière ou d’une autre, stupéfaite devant la fortune mystérieuse et subite, pour notre regard impuissant quant à son origine, celle de Bérenger Saunière.

     Vous êtes nombreux à savoir que le curé de Rennes le Château a mené un train de vie exceptionnel impossible à justifier par sa modeste solde de prêtre au service de l’église catholique de Rome. Marie Dénarnaud a été témoin proche de dépenses spectaculaires avec la construction de la Villa Béthanie, la Tour Magdala, des aménagements somptueux et des réceptions dont elle était le fer de lance des plus coûteuses. Elle savait d’où provenait cet argent. En 2021 des milliers de chercheurs sont toujours à pied d’œuvre pour essayer de comprendre. Marie a connu l’opulence et encore plus dans un second temps la pauvreté ; ce point mérite d’être souligné car Bérenger Saunière a vu, à un moment précisément indéterminé, fondre et se tarir la source « providentielle ».


     Financièrement, la vie de Bérenger Saunière fut pour le moins chaotique. N’empêche que ce dernier fut extrêmement prévoyant puisqu’il a pris très tôt la précaution de mettre tous ses biens au nom de Marie Dénarnaud, ceci étant vérifiable depuis l’achat même des terrains où allait se construire ultérieurement le domaine. On peut parler clairement d’une stratégie qui consistait à ce que l’abbé ne possède absolument rien en son nom propre. Marie a aiguisé la jalousie des villageois et particulièrement celle des villageoises car elle possédait par exemple une garde-robe à faire pâlir même la bourgeoise des environs et c’est peu dire car il y en avait très peu des bourgeoises en ce secteur du Razès oublié de tous les Dieux.

     Même si un temps jalousée, la fidélité qu’elle porta à Saunière une fois mort, forgea un spontané et fort respect pour sa personne au sein du petit village de Rennes le Château, peuplé de moins de deux cents habitants et ou tout le monde connaissait tout le monde. Cet après Bérenger Saunière reste très intéressant. Au temps du prêtre ce dernier a fait l’actualité bien au-delà du village puisqu’il a eu des ennuis avec la Grande Église, sa proche hiérarchie de Carcassonne. L’Affaire Saunière est née à ce moment-là et elle a fait parler, les langues se sont déliées. A la mort du prêtre bien des choses sont rentrées dans l’ordre si l’on peut dire, chacun a repris sa place, on a commencé à oublier sauf à Rennes le Château. Marie Dénarnaud a choisi l’isolement.

     Elle devint progressivement une sorte de curiosité très locale, elle dont le surnom était la madone du curé. Aux plus curieux, elle n’hésitait pas à dire qu’avec ce que Monsieur le curé avait laissé les habitants de Rennes le Château pourraient tous vivre pendant 100 ans, ou encore que ces mêmes habitants marchaient sur de l’or et qu’ils l’ignoraient. Personne aujourd’hui ne peut dire avec certitude s’il faut prendre aux pieds de la lettre ces vieilles déclarations de Marie Dénarnaud ou si encore elles méritent des interprétations alors dont la clef échappe encore. La servante fidèle, a elle-même fini dans la pauvreté alors pourquoi n’a t-elle pas utilisé ce qu’elle semblait savoir et qui lui aurait permis de vivre un peu plus confortablement ?


     C’est durant la seconde guerre mondiale que l’histoire du curé aux milliards, qui ne porte pas encore ce nom, va arriver aux oreilles d’un certain Noël Corbu, qui dirige une fabrique de pâtes alimentaires à Perpignan. La guerre entraînant le marché noir, Noël Corbu qui craint les représailles à la libération cherche « à se mettre au vert ». Il s'installe d'abord à Bugarach ; l'instituteur du village va lui parler de Rennes-le-Château, de son curé et de son trésor. Il faut dire que l'histoire commence à être connue, au moins localement, depuis qu'un certain Jean Girou a publié en 1936 un petit livre intitulé L'itinéraire en terre d'Aude, petit guide des curiosités touristiques du département. On y trouve ce passage à propos de Rennes-le-Château :

« Sur l'arête du plateau se découpe un décor singulier : des maisons en ruine, un château féodal délabré surplombent et se confondent avec la falaise calcaire, puis des villas, des tours à véranda, neuves et modernes contrastent étrangement avec ces ruines : c'est la maison d'un curé, qui aurait bâti cette demeure somptueuse avec l'argent d'un trésor trouvé, disent les paysans ! »

Fasciné par cette histoire, à partir de 1945 Noël Corbu va se rendre de plus en plus fréquemment à Rennes-le-Château. Progressivement il va se lier d’amitié avec Marie Dénarnaud, tant et si bien qu’en 1946 la vieille servante va consentir à signer un testament en viager qui va faire de Noël Corbu son légataire universel. Effectivement, il faut bien comprendre que même pauvre, et même en ayant dû donner ça et là quelques pièces monnayables, Marie a toujours tout fait pour conserver le Domaine de son abbé et surtout réussi à y vivre. Noël Corbu passionné de l’affaire va longuement tanner Marie pour qu’elle lui révèle le secret. Joueuse ou sincère, elle lui avait promis de lui révéler un jour mais la mort va emporter Marie Dénarnaud sans qu’elle ne puisse jamais s’acquitter de ce qui a valeur, pour nos yeux éloignés d’aujourd’hui, de promesse.

     Marie Dénarnaud est entrée dans la légende de Rennes le Château, elle qui a toujours cultivé la discrétion mais ainsi a contribué à son échelle à faire enfler le grand Mystère de l’Abbé Saunière de nos jours toujours sans solution indiscutable.














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