LES REGARDS DU PILAT PRÉSENTENT
LES EAUX DU PILAT
JANVIER 2006
LES EAUX MAUDITES ET L'ABOMINABLE BAVISER

par Patrick BERLIER
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    À coté des sources sacrées, bienfaitrices, il y eut des sources dont on se méfia toujours. La toponymie constitue souvent une aide précieuse pour les localiser : des noms comme Mallassagne, près de Pélussin, désignent une mauvaise « sagne », une mauvaise source. Le Bachat Rouge, dont on a perdu toute trace aujourd’hui sur les cartes, était désigné comme un lieu de bataille. L’homme a souvent oublié l’origine de ces mauvaises réputations, et même les chroniqueurs anciens se refusaient à trop en dire.

     On pourrait encore évoquer le « Puits des Fées » au bord du Rhône, près de Saint-Romain-en-Gal, simples cavités creusées par l’eau où des nymphes aimaient se baigner. Leurs chants ensorceleurs attiraient parfois les mariniers, qui fracassaient alors leurs embarcations sur les rochers. Ailleurs c’était un rocher, visible seulement lors des sécheresses lorsque le niveau du fleuve était particulièrement bas, qui laissait envisager les pires malheurs par cette inscription :

QUI M’A VU A PLEURÉ
QUI ME VERRA PLEURERA

    Les anciens le situaient au niveau du hameau de Poncins, près de Vérin. Certains prétendirent l’avoir vu lors de la sécheresse de 1976.

     Les sources du Gier, à côté de la Jasserie, ont pendant longtemps été considérées avec superstition et effroi. On disait qu’un berger y avait été englouti, avec son troupeau, et qu’on l’avait retrouvé fortuitement quelques jours plus tard dans le Rhône. Cette source fut alors présentée comme l’entrée d’un royaume souterrain communiquant avec le fleuve, légende confirmée par la cascade du Saut du Gier qui est l’objet d’une croyance semblable. On oubliait que le Gier se jette naturellement dans le Rhône ! On disait aussi qu’il suffisait de jeter des pierres dans la source pour qu’aussitôt naisse un orage épouvantable, croyance très courante dans les régions montagneuses, mais chez nous elle bénéficia de la renommée de François Rabelais, qui la citait souvent dit-on… Enfin la source principale du Gier, qui alimente une petite pièce d’eau circulaire, est dite « Puits de Pilate » en raison de la légende tenace voyant Ponce-Pilate venir se suicider dans le Pilat et lui donnant son nom…

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    L’abominable Baviser

    En 1555 le lyonnais Jean du Choul, un riche homme de loi dont la famille possédait deux maisons fortes à Longes, visita le Pilat et en laissa un récit constituant la toute première description de notre montagne. L’un des passages les plus curieux est celui se rapportant au lieu nommé Baviser :
Au marécage dont nous venons de parler [le Puits de Pilate], nous pouvons ajouter celui de « Baviser », plus abominable qu’accueillant : c’est pourquoi, il ne me plaît pas d’en dire davantage. Une étrange accusation, un acte abominable, un forfait stupéfiant, la découverte d’une nouvelle espèce de tourments, qu’importe d’en faire aux hommes la révélation.

    Que se passa-t-il à cet endroit ? Sans doute un crime abominable y fut-il commis, en un temps reculé. Toute trace et tout souvenir en ont été perdus de nos jours.

     Le nom Baviser paraît être composé à partir de la racine du mot français « bave », associée au prélatin is et au suffixe ara. À noter cependant que « marécage » s’exprimait par le gallo-romain vabris, nom très proche de Baviser si l’on admet la permutation (fréquente, dans les langues anciennes) du B et du V (il en constitue aussi une anagramme presque parfaite !).

    Baviser ne figure sur aucune carte, ni dans le Dictionnaire topographique du Forez. Le texte ne donne aucune indication pour le localiser, mais on suppose qu’il se situait dans le secteur des sources du Gier, dont l’ouvrage de Du Choul parlait également, dans un passage précédent celui-là. On l’a vu parfois près du Crêt de Bote, ce qui ne pouvait qu’ajouter à l’atmosphère dramatique générée par le texte. Cette montagne possède en effet une mauvaise réputation. La ferme de Bote située en contrebas, côté nord, connut tous les malheurs. Ne dit-on pas que le corps d’un bébé gela dans son berceau ? Puis elle tomba en ruines, il n’en reste que quelques pierres, et une source qui déverse toujours son eau dans un vieux bachat.

    Étienne Mulsant dans ses Souvenirs du Mont Pilat situe Baviser entre la Jasserie et la ferme de Bote. Il existe un chemin un peu oublié bien qu’agréable, allant de l’une à l’autre. À peu près à mi-chemin, à la cote 1277 de la carte topographique de l’I.G.N., on traverse effectivement un ruisseau, tout près de sa source, qui s’étale sur le replat emprunté par le sentier, avant de descendre vers le Dorlay en traversant le lieu-dit Sara, que les cartes plus anciennes écrivaient Sahara !

    L’endroit est aujourd’hui charmant et frais


EN MAI PROCHAIN :

QUAND LES SOURCES PARLENT, OU L’ÉNIGME DE LA FONT-RIA

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