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RUBRIQUE
Sociétés Secrètes

Septembre 2021












Par
Michel Barbot



De l’abbé Montfaucon de Villard au Zodiaque de Toulouse

 

Première partie : l’axe Capricorne ou le voyage à Montreuil-sur-Mer

En 1655, tout juste âgé de vingt ans (bien que l’année 1638 pour sa naissance soit également avancée), l’abbé Henri Montfaucon de Villars, jeune prédicateur venu d’Alet, prêchait en l’église Saint-Saturnin de Toulouse. Cadet de sa fratrie, natif du château de Villars à Bouriège dans le diocèse d’Alet, il n’eut d’autre fortune que de se tourner vers l’Église.

Le siège épiscopal d’Alet était occupé depuis l’année 1639 et ce, jusqu’à l’année 1677, année de son trépas, par le célèbre évêque Nicolas Pavillon. Le cadet des Villars paraît avoir bénéficié d’une certaine proximité avec Monseigneur Nicolas Pavillon. Cette proximité lui aurait valu d’être initié aux mystères des Juifs du Haut-Razès dont le souvenir marquera à tout jamais la cité d’Alet et ses environs.

 

Portrait de Monseigneur Nicolas Pavillon

 

L’hypothèse d’un enseignement théologique diffusé par l’évêque d’Alet au jeune Montfaucon de Villars, fut avancée par René-Louis Doyon en 1921 dans son texte Magie et dilettantisme – le roman de Montfaucon de Villars et l’histoire de ‘’la rôtisserie de la reine Pédauque’’ (Édition commune du Comte de Gabalis et de la rôtisserie de la reine Pédauque – Paris ‘’La Connaissance’’) :

« Montfaucon de Villars, petit-fils de Monfaucon de Roquetaillade Cornillac, parent de Dom Bernard de Monfaucon qui laissa dans les travaux d’histoire religieuse un nom plus révéré, était du diocèse d’Alet qu’administrait alors l’énergique et janséniste M. Pavillon ; peut-être reçut-il de lui l’enseignement théologique et le sacerdoce puisqu’il fut prêtre ; le renom de sainteté de l’évêque dut inspirer à sa mère, une Montgaillard, la pitié de placer ce fils destiné à l’autel, sous le patronyme de M. Pavillon : Nicolas […]. »

Fort de cette connaissance acquise auprès de l’évêque d’Alet, le jeune abbé qui aurait prêché notamment à Limoux, poursuivit dès 1655, sa formation à Toulouse, cité dont le siège épiscopal était occupé depuis une année, par l’archevêque Pierre de Marca, un homme dont les talents furent reconnus et utilisés par le roi Louis XIV.

Il devient intéressant de penser que le jeune abbé, prédicateur à Saint-Sernin, fut initié aux mystères du Zodiaque de Toulouse, dont les axes prolongés hors cité, auraient permis à un cénacle italien, également implanté dans l’ancienne Septimanie, de localiser sur les 12 secteurs zodiacaux, les cités où figuraient des trésors juifs cachés sous le règne du roi Philippe le Bel. Le contenu de cette initiation rosicrucienne, fut partiellement révélé en 1670 par le jeune abbé dans un curieux livre, Le Comte de Gabalis ou Entretiens sur les Sciences Secrètes. Des formes manuscrites de cet ouvrage, circulaient déjà en l’année 1668, soit une année avant que le Parlement de Toulouse ne condamne l’abbé Montfaucon de Villars à la roue pour implication dans une affaire de vendetta familiale remontant à l’année 1662.

 

Frontispice du « Comte de Gabalis »

(édition de 1671)

 

Son père, Jean-François de Montfaucon, avait épousé Jeanne Ferrouilh de Montgaillard. Cette union augurait une période de paix entre les deux familles mais Jean-François n’en sera pas moins assassiné par son propre beau-frère, Paul de Ferrouilh. Les années passèrent et l’heure de la vengeance sonna. L’abbé et ses frères tendirent une embuscade et le beau-frère fut assassiné sans pitié.

L’abbé Montfaucon de Villars échappa à la sentence en montant à Paris, évoluant dans le cercle des jansénistes et amis de Port-Royal, entraîné par son cousin Jean-François de Montfaucon de La Péjan. Rattrapé dans la capitale par cette affaire, il lui sera interdit de prêcher mais aussi de poursuivre son œuvre littéraire.

Il aurait été assassiné d’un coup de pistolet en 1673 sur la route de Lyon. Stanislas de Guaita, Rose-Croix du XIXe siècle, affirma que la sentence aurait été prononcée par un tribunal secret, une sorte de sainte-Vehme : « pour avoir profané et tourné en ridicule les arcanes de la Rose-croix à laquelle il était initié, Montfaucon de Villars fut condamné par un tribunal vehmique et exécuté en plein jour sur la route. »

Une vérité assurément plus rationnelle, serait que Pierre de Ferrouilh aurait vengé son père assassiné par les Montfaucon. Laissons provisoirement l’abbé Montfaucon de Villars afin d’évoquer le discuté Zodiaque toulousain.

 

Un zodiaque au déroulement fluctuant des signes

Bien que connu mais non reconnu, le Zodiaque de Toulouse apparaît comme un sujet sensible dans la cité chère à Claude Nougaro. En 1995, Dominique Baudis, maire de Toulouse, charge le peintre-sculpteur Raymond Moretti de décorer la place du Capitole. Une croix occitane arborant les 12 signes du zodiaque, « sculpture horizontale » de 16,50 mètres de diamètre, va décorer la place emblématique de Toulouse. Pour réaliser cette œuvre gigantesque visible du ciel, pas moins de 20 tonnes de bronze ont été nécessaires.

 

La place du Capitole vue du ciel,
avec la croix zodiacale parfaitement visible
(image satellite IGN)

 

Le comte Raymond IV, troisième marquis de Provence, brandissait cette croix sur son étendard lorsqu’il ramena la victoire d’Antioche en 1098. Suivant la légende, la croix d’or bouletée sur fond de gueules flotta sur les murailles de la cité toulousaine. C’est ainsi qu’on la retrouva sur les sceaux des comptes de Toulouse et sur certaines monnaies jusqu’en 1272.

Ainsi que nous l’apprend le journaliste Philippe Motta (Libération – 3 mars 1995) dans son article Hexagonales : à Toulouse le zodiaque sème la zizanie place du Capitole, l’œuvre de Raymond Moretti est loin d’avoir fait l’unanimité :

« Le trouble est venu avec le choix des douze maisons du zodiaque, thème retenu pour orner le vide imposé par les douze ‘’pommettes’’ (1 mètre de diamètre) qui ponctuent la croix à ses extrémités. Pataquès ! Dès le lendemain de la présentation du dessin, un billet furibond publié dans la Dépêche du Midi exhortait la raison à entrer en croisade contre ‘’le farcissage kitsch’’. Une véritable campagne où pro et antizodiaques s'affrontent au nom d'une vérité impossible à atteindre. »

https://www.liberation.fr/france-archive/1995/03/03/hexagonales-a-toulouse-le-zodiaque-seme-la-zizanie-place-du-capitole_128205

La croix de Toulouse arborée par Raymond IV lors de la Sainte Croisade, ainsi que l’agneau divin figurant l’un et l’autre, dans les armoiries de Toulouse, apparaissent, tant pour les Chrétiens de Toulouse que pour quelques non-croyants fiers du passé historique de leur cité, comme un symbole essentiellement chrétien. Représenter la croix emblématique de Toulouse dans une symbolique zodiacale, dénature pour ces Toulousains, l’aura chrétienne et sainte qu’elle véhicule, pour en faire un symbole essentiellement païen… Des historiens vont s’affronter par plume interposée, l’affaire était sérieuse !

Philippe Motta, qui n’entre pas précisément dans cette querelle, conclut son article en rappelant que Dominique Baudis est monté au créneau pour défendre l’œuvre et l’artiste :

« ‘’C'est avant tout une œuvre d'artiste et elle ne peut pas faire l'unanimité’’, concède Dominique Baudis en ajoutant : ‘’Moretti s'est entouré d'historiens pour élaborer son dessin mais il ne peut y avoir d'hérésie, puisqu'il n'y a pas de vérité.’’ Le maire voulait ‘’un bijou incrusté dans le sol de la place’’ qui vient d'être rénovée... A l'identique. Ou presque ? La question reste entière mais le débat est clos. » 

Sur Facebook apparaît une Page Raymond Moretti, artiste disparu en 2005. On y découvre, en date du 21 novembre 2018, le dessin du zodiaque de la place du Capitole :

 

Les douze signes de Moretti

 

Face à la polémique, la mairie avait répondu par voie de presse : « L'artiste s'est inspiré de ses nombreuses recherches de documents historiques racontant, illustrant à partir du XVIe siècle l'origine de La Croix de Toulouse... »

Raymond Moretti n’apporta pas la réponse tant attendue par les journalistes et surtout par les Toulousains sur la signification de ce zodiaque. L’un des commentaires relatifs au dessin du zodiaque de la place du Capitole apparaissant sur la Page Facebook, tient en deux mots :

« Voir Doumayrou ».

La réponse est intéressante, nous la développerons ci-après, car cette étude s’appuie sur le nom de cet homme – car il s’agit d’un homme – ou plus précisément sur la géographie sacrée qu’il mit en relief.

 

La place du Capitole de nuit et son zodiaque

(photo KLM Travel Guide)

 

Mais Raymond Moretti s’appuyait, pouvait-on lire ici et là, sur les propos de l’historien Toulousain Roger Camboulives membre de la Société archéologique du Midi, pour laquelle il rédigea dès l’année 1966 un texte dans lequel il évoquait les origines de la croix de Toulouse. Cet historien développa ce texte en 1980 pour L’Auta, revue mensuelle des Toulousains de Toulouse, association dont il fut le Secrétaire Général. Cette étude publiée en deux parties dans les n° 453 et 454 de la revue était titrée Aux origines de la croix de Toulouse et des armes de la ville. Cet historien n’hésitait pas à écrire dans le n°453 :

« La Croix de Toulouse n’ayant qu’une valeur de symbole, a bien pu exister, chez nous, des siècles avant qu’un comte la prenne pour emblème. » Il énumère tout d’abord, la liste des historiens toulousains des XVIe et XVIIe siècles (liste sur laquelle se posa Raymond Moretti) qui, « s’appuyant sur des ‘’textes anciens’’ (disparus ?), placent l’origine de la Croix de Toulouse sous Charlemagne (époque, disent-ils, naïvement, ‘’de la christianisation de notre pays’’. Catel reproduit une gravure, ancienne, dit-il, où l’Empereur d’Occident préside à la remise, par un ange, de la Croix aux 12 pommettes, au premier comte légendaire de Toulouse, Chorson ou Torsin. »

Dans la seconde partie de cette étude (n°454) l’historien s’attarde sur la toute-puissance des comtes de Toulouse :

« Il est, d’une part, difficile de concevoir que le tout puissant Comte de Toulouse, à la tête des plus vastes fiefs de France (quelques 15 départements actuels, le cinquième de la France), vrai roi du Midi, allié aux grandes maisons royales d’Europe, ait pris ses armes, celles qui allaient flotter sur la Jérusalem délivrée avec le glorieux Raimond IV, dans ses possessions de Provence (2 départements actuels : Vaucluse et Alpes de Haute-Provence), les dernières venues dans la formation du comté.

« Il y eut, d’ailleurs, aussi des érudits provençaux pour soutenir l’idée que c’est Toulouse qui a apporté sa croix en Provence, et non l’inverse, notamment Francis Guitton, dans une toute récente conférence donnée aux amis du Vieux Toulon (‘’Sous l’emblème de la Croix de Toulouse’’ – 1975). »

 

Les armoiries de Toulouse

 

Roger Camboulives s’attarde ensuite sur l’Universalité et grande ancienneté de la Croix, dite de Toulouse :

« La croix de Toulouse ne nous appartient pas en propre. Elle doit avoir été, à l’origine une roue solaire (comme celles de l’Inde), symbolisant la marche (apparente) du soleil dans le ciel, ses quatre branches étant, à la fois, les directions ‘’cardinales’’ (comme dans la croix dite ‘’celtique’’), mais aussi les quatre saisons de l’année, et les douze petites sphères (‘’pommetées’’, en langage héraldique, les douze ‘’maisons’’ du zodiaque du Zodiaque. »

Le final de cette dernière phrase, et le début de la phrase suivante…

« Nous la trouvons, cette croix, solaire et zodiacale, dite de Toulouse, jusqu’en Chine, gravure rupestre, à Tourfan (Turkestan chinois), souvenir de l’hérésie Nestorienne (Nestorius, Patriarche de Constantinople, condamné en 435. »

…vaudront à cet historien des attaques répétées de ses confrères Toulousains.

Gérard de Sède dans ses livres consacrés aux Cathares, avait présenté une lecture toute hermétique de la Croix de Toulouse. Bien que l’aspect zodiacal n’y fût pas nettement évoqué, le lecteur pouvait le concevoir, mais Roger Camboulives était celui qui avait osé jeter le discrédit sur ce symbole chrétien, emblématique de Toulouse.

Roger Camboulives (1906-1987) n’était plus de ce monde en 1994 lorsque les plans de la Croix de Toulouse appelée à orner la place du Capitole l’année suivante, furent présentés à la presse par le sculpteur Raymond Moretti et par la mairie mais les propos de l’historien Toulousain répétés pouvons-nous le penser depuis l’année 1966, année où il les présenta lors d’une conférence, étaient encore bien présents.  L’histoire ne s’arrêtera d’ailleurs pas là…

Le Zodiaque de Toulouse (indépendamment de la croix du sculpteur Moretti), pressenti, avancé même par les hermétistes Toulousains, prend soudain réalité dans le livre de Guy-René DOUMAYROU, auteur, surréaliste, essayiste, écrivain et architecte, né à Narbonne en 1925 et décédé en 2011 à Béziers. Spécialiste de l’architecture sacrée et de la géométrie sacrée, il livre ses travaux sur le Zodiaque de Toulouse en 1975 dans son livre Géographie sidérale, paru chez 10/18.

Son analyse héraldique du pays toulousain lui permettra de mettre en relief un zodiaque centré sur Toulouse et matérialisé dans l’espace géographique par différentes cités :

« la grille d’un zodiaque traditionnel nous émerveillera d’un jeu parfait de correspondances emblématiques. Plutôt que de suivre à pas égaux l’astre diurne dans sa progression de signe en signe, il sera plus instructif d’adopter la classification des douze en une triade de quaternaires qualitativement différenciés. »

Les maisons zodiacales toulousaines ainsi affirmées par ce spécialiste de la géométrie sacrée, confirmées semble-t-il par les douze secteurs angulaires attribués dès son origine à la cité toulousaine, rayonnaient depuis la place de la Bourse, centre historique de la cité situé dans le quartier Capitole.

 

Place de la Bourse

(carte postale ancienne)

 

Le nom de cette place (en occitan plaça de la Borsa) fait référence à la Bourse des marchands établie dans une chapelle désaffectée, la chapelle Hugolèse (ou Ingolèse), au XVIe siècle.

Les propos de l’abbé Montfaucon de Villars relatifs à Toulouse et au vu de ce centre zodiacal, prennent soudain un certain relief lorsqu’il évoque l’intention de Nicolas Flamel d’effectuer, tout d’abord un voyage qui le mènerait à Toulouse et ensuite dans quelques villes de Province. Flamel n’effectua pas ce voyage pour deux raisons. Dans un premier temps, sa femme tomba malade et aucun médecin ne put la guérir. Dieu « permit qu’un de nos sages, intime amy de Rabinazar fut attiré à Paris pour les affaires de nôtre société : Il honora Flamel d’une de ses visites, & touché de compassion du grand déplaisir que luy causoit la maladie de sa femme ; il luy donna une petite phiole du veritable elixir des Philisophes, duquel il ne faut qu’une petite goutte pour tirer un malade de l’agonie. »

La seconde raison qui détourna Flamel de son voyage à Toulouse, puis dans quelques villes de province, fut qu’il apprit par les nouvelles publiques que le feu avait consumé « plusieurs des maisons qui étoient marquées dans son livre. Et c’est ainsi qu’il « étoit arrivé que les propriétaires les faisant rétablir y avoient trouvé les tresors, & entre autre dans une qui étoit située proche de la Bource, c’est à dire de la place du change & qui avoit pour indication la figure d’un petit Gnome appuyé sur une espece de bouclier ; dans les fondements de laquelle ont avoit trouvé un coffre ferré qui contenoit la valeur de plus de cent mille écus tant en argent monoyé qu’en précieux bijou. »

 

Le Gnome et son espèce de bouclier proche de la Bourse de Toulouse

 

La maison juive se situait dans ce que l’on peut présenter comme le centre même du Zodiaque (proche de la Bource… place du change), soit possiblement au carrefour formé par la rue des Changes et la rue Saint-Rome. Ce croisement routier, jadis désigné comme les « Quatre Coins des Changes », apparaît symboliquement veillé par la tour de Sarda. La maison juive marquant le centre du Zodiaque de Toulouse « avoit pour indication la figure d’un petit Gnome ».

 

Carrefour des Quatre Coins des Changes – au fond la tour de Sarda

(carte postale ancienne)

 

Dans l’édition londonienne des Frères Vaillant (1742), du Comte de Gabalis (T.1), nous découvrons une définition des gnomes qui sera reprise par la suite dans plusieurs dictionnaires :

« La Terre est remplie presque jusqu’au centre, de Gnomes, gens de petite stature, gardiens des trésors, des minières, & des pierreries. »

Bien que les gnomes se voient confondus avec les kobolds et autres lutins des traditions anglo-saxonnes, leur origine ainsi que nous le découvrons dans le Dictionnaire des Symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (Éditions Robert Laffont) remonte à l’Orient :

« Génies de petite taille qui, selon la Kabbale, habiteraient sous terre et détiendraient les trésors des pierres et des métaux précieux. Leur légende est passée de l’Orient en Scandinavie et en Amérique centrale. »

Longtemps considéré comme inventé par les Kabbalistes Juifs car présent dans la Kabbale en qualité de gardien des trésors souterrains, le Gnome présent dans le légendaire juif, se tient dans les fissures métalliques du globe, les grottes cristallines.

L’espece de bouclier sur lequel est appuyé le petit Gnome de la tradition juive, se nomme Shelet (pluriel Shiltei), mot apparenté à l’akkadien Shaltu : « bouclier de cuir ». Le Cantique des Cantiques (4-4) le présente comme le « carquois des Héros ». Ce verset a été associé par les rabbins au verset 11, du chapitre 27 du Livre d’Ézéchiel où figure l’unique occurrence biblique du mot GAMADIM, pluriel du mot GAMAD, quant à lui, absent de la Bible. Ce mot est généralement traduit dans les dictionnaires hébreu / français, par le mot « Gnome ». Ce verset est ainsi traduit par l’Abbé Fillon :

« Les fils d’Arad avec les troupes étaient sur tes murs tout autour, et les Pygmées (GAMADIM), qui étaient sur tes tours, ont suspendu leurs carquois (SHILTEI) à tous les murs ; ils ont rendu ta beauté parfaite. »

Cette traduction reprenait le mot Pygmæi, apparaissant dans la Bible latine. Si certains traducteurs se contentent de franciser Gamadim en Gamadiens, d’autres proposent « hommes vaillants » ou « nains ». La référence à la petitesse de ces guerriers, déjà présente dans les commentaires de Rabbins des premiers siècles de l’Ère Chrétienne, ou dans ceux de premiers Pères de l’Église, s’affirme pour ces exégètes, par la racine Gomed, désignant une « coudée » ou un « empan », mot masculin dont l’unique occurrence biblique apparaît dans le Livre des Juges 3-16 pour évoquer la longueur d’une épée. De là, naquirent des légendes affirmant que les Gamadim, être mystérieux, hommes d’une coudée ou hommes de la coudée… étaient peut-être les fondeurs de ces épées d’un gomed… L’épée est dite à deux tranchants, hébreu peyoth, mot signifiant également en hébreu moderne « fées », d’où les traductions hébreu / français, de ce fait erronées, proposées par les traductions du Net. L’épée du Gamad devient ainsi une épée magique, à l’instar d’Excalibur l’épée du roi Arthur…

Dans le commentaire de la Bible Fillion relatif au verset du Livre d’Ézéchiel ou figurent les Gamadim, nous pouvons lire :

« Les monuments assyriens nous ont conservé la reproduction de plusieurs vaisseaux qui portent, en guise d’ornement, des boucliers suspendus à leurs flancs. […] Les Israélites ornaient leurs édifices de la même manière. Cf. I Rois X. 16 et 17 ; Cant. IV, 4 ; I Mach. IV, 57. »

Cet usage de suspendre les boucliers resplendissant au loin aux parois des navires, ainsi qu’aux murailles et aux tours, date en Israël, du temps du roi Salomon, qui l'avait semble-t-il emprunté à Hiram, roi de Tyr, ville précisément évoquée dans le chapitre du Livre d’Ézéchiel où nous découvrons les guerriers Gamadim ou Gnomes.

Dans le Shelet, bouclier ou carquois (suivant les traductions) des Gamadim, se trouvaient les flèches. Le bouclier présenté par Montfaucon de Villars apparaît vide de ses flèches… Le Gnome prend appui, de sa main gauche sur lespece de bouclier qui n’est pas sans évoquer un hippocampe sans tête !

Montfaucon de Villars indique dans Le Comte de Gabalis :

« sous le regne d’un de vos Roys ; Les Juifs ayant été contraints de sortir de France & principalement de Paris, ne desesperant pourtant pas d’y retourner eux où leurs Enfants quand la persecution auroit cessé, ils cacherent de grand tresors en terre & les constituerent sous la garde des Gnomes suivant les ceremonies de la Turgie Hebraïque. »

Le Gnome de l’illustration toulousaine de Montfaucon de Villars, marqueur tellurique, matérialise le centre du Zodiaque de Toulouse. Pour G.-R. Doumayrou, le signe du Bélier, qui détermine ensuite le déroulement des signes du zodiaque, s’étend sur le secteur occidental, soit : le Béarn, la Navarre, Saint-Jacques-de-Compostelle. Les autres secteurs peuvent ensuite se positionner…

Le Zodiaque de Toulouse après reconstitution de Patrick Berlier, se présente ainsi :

 

 

Carte du Zodiaque de Toulouse

faite par Patrick Berlier que nous remercions.

 

Bien que le zodiaque de Doumayrou soit retenu pour cette étude, il faut néanmoins reconnaître que le déroulement des 12 secteurs zodiacaux, affirmé par ce spécialiste de la géographie sacrée, est affirmé inversement par Michel Mirabail dans le livre Toulouse zodiacale (Éditions Privat – juillet 1997). Pour cet agrégé de philosophie et docteur en histoire des religions, le secteur du Bélier se positionne à l’Est, avec tout ce que cela implique, bien que cet auteur n’évoque pas un zodiaque toulousain se prolongeant hors cité…

Il apparaît que Michel Mirabail soit, involontairement, à l’origine d’une nouvelle flambée de commentaires virulents orientés à l’encontre des propos de Roger Camboulives.

Il y eut tout d’abord le célèbre historien Toulousain natif de Tulle, l’abbé Jean Rocacher (1928-2008). Cet érudit, professeur émérite d'archéologie et d'art sacré, a enseigné de longues années à l'Institut catholique, jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite à l'âge de 75 ans. Membre de plusieurs sociétés savantes toulousaines, toujours actif dans les milieux religieux et culturels, il restera jusqu’à sa mort tragique lors d’une baignade à Sète, le conservateur des archives historiques de l’archidiocèse de Toulouse. De 1983 à sa mort il sera membre actif de la Société d’Archéologique du Midi de la France. Henri Pradalier, Président de la Société de 1990 à 1998 dans l’éloge qu’il rédigera suite au décès de son ami, indiquait :

« Sa double carrière d’ecclésiastique et de lettré lui valut d’être nominé Prélat d’Honneur de sa Sainteté avec le titre de Monseigneur dont il ne tira jamais quelque gloire que ce soit, ne changeant en rien son comportement vis-à-vis de ceux qui le côtoyaient. »

https://societearcheologiquedumidi.fr/spip.php?article45

C’est dire si l’abbé Pradier (futur Monseigneur Pradier) jouissait d’un grand prestige. Et c’est ainsi, qu’en qualité de Vice-Président des Toulousain de Toulouse et auteur apprécié de nombreux articles dans les colonnes de L’Auta, il fut amené à donner son avis sur les propos de Roger Camboulives, clarifiant par la même occasion l’origine de la Croix de Toulouse. Il rédigea un article dont la première partie parue dans le n° 612 de L’Auta (1996/01), sous le titre LA CROIX DES COMTES DE TOULOUSE. Cette mise au point sur la Croix du Capitole et sur la Croix de Toulouse apparaît, il faut le reconnaître, comme une étude extrêmement érudite. Le prêtre historien écrit :

« Depuis le printemps 1995 la place du Capitole est ornée d’une croix de bronze d’une envergure de 18 mètres et d’un poids de 20 tonnes. Elle a été réalisée par Raymond Moretti et constitue un indiscutable embellissement pour le pavement de la place (1).

« Ce qui est infiniment plus discutable, c’est la symbolique qui lui a été attribuée, ainsi que la substitution des signes du zodiaque aux boules, ou pommeaux, qui terminent ses bras. Dès le mois de septembre 1994, une polémique s’était élevée autour de la signification ésotérique d’une telle modification. Les arguments de la Municipalité ne reposant que sur un texte de Roger Camboulives publié en 1980 (2) (représentant une communication donnée le 11 janvier 1966 à la Société archéologique du Midi de la France), la question a été étudiée de façon magistrale par M. Pierre Salies dans un numéro entier d’Archistra (édit. Tolosane, n° 130, décembre 1994).

« (1) Capitole Infos n° 100 avril 1998. P. 4-5

« (2) Aux origines de la croix de Toulouse et des armes de la Ville, dans L’Auta, 1980, p. 24-27 et 34-42 »

L’abbé Jean Rocacher évoque de façon érudite les liens unissant (pour lui il s’agit de son origine) la Croix Glorieuse et la Croix de Toulouse. L’historien évoque les évangélisateurs Chaldéens du Ve siècle portant au nom du Christ, cette croix jusqu’en Extrême-Orient.

Dans le n° 616 (1996/05), l’érudit conclut sa mise au point :

« Inutile d’épiloguer sur les variations de la croix des comtes de Toulouse, que ne tarderont pas à adopter les armes de notre ville. Il s’agit toujours du schéma initial de la Croix Glorieuse orientale devenu bijou précieux, donc enrichi de cabochons, de gemmes et d’autres motifs décoratifs dont la raison fondamentale résidait dans le culte du bois de la Vrai Croix.

« Inutile d’épiloguer non plus sur les fameuses stèles discoïdales qui ont fait fantasmer tant d’historiens amateurs. »

L’érudit règle ainsi le compte des historiens amateurs ayant fantasmés sur les stèles discoïdales… Avant de terminer ainsi sa mise au point :

« Bien sûr ‘’la croix de Toulouse ne nous appartient pas en propre’’… De là à en conclure qu’elle a été à l’origine une roue solaire ou qu’elle symbolise les douze ‘’maisons’’ du Zodiaque, il y a un pas que rien ne permet de franchir.

« Alors voilà ma conclusion : l’histoire n’a jamais pu faire bon ménage avec l’ésotérisme. »

L’affaire ne fut apparemment pas close après l’érudite mise au point de l’abbé Jean Rocacher, une MISE AU POINT AU SUJET DE ‘’TOULOUSE ZODIACALE’’, fut signée par LES TOULOUSAINS DE TOULOUSE, dans le n° 631 (1997/12) de la revue L’Auta. Cette mise au point commençait fort :

« La Société des Toulousains de Toulouse et Amis du Vieux Toulouse a été fondée en 1904 pour la défense du patrimoine historique toulousain. Ses objectifs n’étant pas d’ordre ésotérique ou astrologique, elle n’a pas à prendre position au sujet des idées que développent MM. Mirabail et Hugon dans le livre ‘’Toulouse zodiacale’’ récemment publié par les éditions Privat. » Dans ce livre, Michel Mirabail, poussé par son enthousiasme, écrivait : « Il faut reconnaître à Roger Camboulives et à la Société des Toulousains de Toulouse et Amis du Vieux Toulouse, le mérite d’avoir établi la correspondance entre les douze boules de la croix de Toulouse et les douze signes du Zodiaque […].’’ (p. 59-60). »

La MISE AU POINT expose les deux contre-vérités de M. Mirabail qui avait lu, semble-t-il trop rapidement les propos de M. Pierre Salies (Archistra, n° 128, oct.-nov. 1994, p. 131). Propos dans lesquels, cet auteur qui, résumant tout en le condamnant, l’article de R. Camboulives, écrivait :

« S’occuper d’Histoire ne constitue pas une condition suffisante pour se dire historien, mais cela suffit généralement pour être pris pour tel ».

Et LES TOULOUSAINS DE TOULOUSE concluaient :

« En conséquence, nous tenons à affirmer clairement notre position face aux assertions de M. Mirabail :

« - L’article de R. Camboulives publié en 1980 dans L’Auta n’engageait que lui-même. Les Toulousains de Toulouse, en tant qu’association, ne s’engagent pas en acceptant de publier un texte émanant de l’un de ses associés. »

Les choses étaient dites… Si le texte de R. Camboulives, affirmait une symbolique de la Croix de Toulouse, il n’apparaissait pas à proprement parler comme un texte ésotérique, bien que symbolisme et ésotérisme soient effectivement très proches... Cette croix est religieuse oui, indéniablement, et elle est pareillement zodiacale. Le Moyen-Âge vivait au rythme du zodiaque, témoins les nombreux zodiaques apparaissant sur les façades de cathédrales, abbayes et autres édifices religieux. Les paysans travaillaient la terre au rythme des saisons marquées par les signes du zodiaque.

Il est vrai, par contre que Roger Camboulives disait sans dire, là apparaît peut-être l’ésotérisme de ses articles. Dans l’intertitre, La Croix de Toulouse et l’errance des Wisigoths, il nous semble deviner ce qu’un auteur comme Gérard de Sède pouvait écrire sur les Wisigoths et leur errance avec leur mystérieux Trésor.

L’ultime partie de l’étude de R. Camboulives, commencait ainsi :

« Cette croix, dite de Toulouse, semble ainsi matérialiser l’itinéraire des Wisigoths, des rives de la mer Noire à Toulouse, par les Balkans, l’Italie et l’Espagne. Ces Wisigoths, les seuls, des peuples, dits ‘’barbares’’, ayant envahi la Gaule, à être venus à nous par les pays méditerranéens, les plus aptes aussi à s’ouvrir aux hautes civilisations rencontrées sur le chemin, en assimilant, au passage, l’essentiel. Ils ont très bien pu amener avec eux, parmi tant d’autres choses, cette Croix de Toulouse, venue de si loin, et chargée de tant de précieux symboles.

« Il faudrait alors, faire remonter son apparition en nos régions jusqu’au début du Ve siècle.

« Il y a eu des historiens toulousains qui ont pensé que les Comtes de Toulouse raimondins ont très bien pu être d’une lointaine souche wisigothique. *Francis Guitton parle d’une sorte de réduit, dans le Massif Central, région de pénétration difficile, surtout à la haute époque, résistante à toutes les invasions (Rouergues, Auvergne, qui  coûtèrent tant à César), où les Wisigoths auraient subsisté lors de l’occupation franque de la Gaule (début du VIe siècle). Il nous dit que les comtes wisigoths ‘’y ont été maintenu, par Clovis, comme par Charlemagne’’, que, notamment, ‘’les comtes de Rouergue étaient de souche wisigothique’’, qui ont donné ceux de Toulouse, et tous nos comtes raimondins’’.

*Francis Guitton : Sous l’emblème de la Croix de Toulouse – 1975. »

Notons par ailleurs, que si, les TOULOUSAINS DE TOULOUSE affirment que les objectifs de leur association ne sont « pas d’ordre ésotérique ou astrologique », ils ne prennent pas « position au sujet des idées que développent Messieurs Mirabail et Hugon dans le livre ‘’Toulouse zodiacale’’ ». Autrement-dit, ce n’est pas tant l’hypothèse d’un zodiaque toulousain qui est remise en cause, mais bien l’hypothèse d’une Croix de Toulouse dont les 12 pommes ou perles d’or correspondraient aux 12 signes du zodiaque.

La publication en 1975 du livre de Guy-René Doumayrou, Géogaphie sidérale, ne semble pas avoir mobilisé autant les historiens Toulousains. Le Zodiaque de Toulouse est une chose, et la Croix du Capitole en serait une autre... Quant à l’article de Roger Camboulives, il ne semble pas avoir fait l’objet de véritables montées aux créneaux en 1966, pas plus qu’en 1980, date où il fut présenté revu et augmenté. Mais c’est bien suite à la réalisation de la Croix du Capitole que l’abbé Jean Rocacher et les TOULOUSAINS DE TOULOUSE, se sont démarqués de leur confrère.

Il paraît intéressant de signaler que si, R. Comboulives présente son hypothèse croix zodiacale toulousaine le 11 janvier 1966 à la Société archéologique du Midi de la France, c’est en cette même année que Gérard de Sède publie aux Éditions Julliard, son livre LE TRÉSOR CATHARE, dans lequel apparaît son étude MYTHOLOGIE D’OC, que l’on retrouvera dans ses livres à venir. Dans cette étude le célèbre auteur, évoquait de façon hermétique, LE BLASON ASTROLOGIQUE DE TOULOUSE

 

Du livre kabbalistique de Flamel à la lumineuse flèche de la panthère

Parmi les auteurs du XIXe siècle qui évoquèrent le récit de l’abbé Montfaucon de Villars relatifs à Nicolas Flamel et donc aux maisons des Juifs, il y eut Albert Poisson en 1891. Dans son livre Nicolas Flamel, sa vie, ses fondations, ses œuvres (Éditons Charconac), il s’attarda sur ce qu’il nomma Le roman de l’abbé de Villars, « seulement à cause de sa singularité ». Singularité qui pour lui « ne peut être prise au sérieux […]. L’abbé de Villars bâtit un véritable roman sur Flamel ». Albert Poisson ajoute même : « il est impossible d’y trouver un seul détail authentique, tout est inventé. »

C’est vrai que ce texte de Montfaucon de Villars relève du roman. La vérité historique n’y est certes pas de mise. Il convient comme le feront d’autres auteurs, de lire ce roman, avec un regard autre. Ce texte fut, après la mort de Montfaucon de Villars, souvent retiré des rééditions du Comte de Gabalis. On le retrouve encore dans l’édition d’Amsterdam en 1700 chez Jacques le Jeune.

Claude Bréghot Du Lut littérateur, avocat au Barreau de Lyon, puis magistrat, présenta en 1829 dans ces Nouveaux Mélanges biographiques et littéraires pour servir à l'histoire de la ville de Lyon, de longs extraits du roman de l’abbé de Villars dans lequel la cité de Lyon tient une place importante.

En 1993, Nigel Wilkins dans son livre Nicolas Flamel - Des livres et de l’or (Éditions IMAGO), n’hésite pas à présenter cette partie du Comte de Gabalis comme « un vrai ‘’Roman de Flamel’’ », un roman sur lequel l’abbé « dut s’amuser follement » ! 

Roger Facon quant à lui, dans ses livres L’Or de Jérusalem Nicolas Flamel et les Clefs de l’énigme de Rennes-le-Château (Éditions Montorgueil - 1990) et Les dossiers secrets de MAURICE LEBLANC Père d’Arsène Lupin (Éditions Savoir pour Être - 1995), s’appuyant sur Montfaucon de Villars, et sur Bréghot Du Lut, n’hésita pas à transposer le thème des *Douze têtes de lions lyonnaises dans le Zodiaque de Toulouse.

*Roger Facon commet néanmoins une erreur en évoquant, non pas Onze mais Douze têtes de lions car l’abbé Montfaucon de Villars (le texte et Bréghot Du Lut reste fidèle) écrit « onze têtes de Lion :

 

Extrait du Comte de Gabalis

Amsterdam, chez Jacques le Jeune M. DCC.

 

Pourtant quelque part, l’erreur de Roger Facon, anticipe une vérité, les onze têtes de lions en cachent douze… nous y reviendrons dans un futur article.

Si l’on en croit Montfaucon de Villars, Nicolas Flamel aurait découvert à Naples « un livre où étaient indiqués par des figures hiéroglyphiques, les divers endroits où les Juifs, lorsqu’ils furent bannis de France par Philippe-le-Bel, avaient caché leurs trésors avant de partir. » Cet expulsion eut lieu le 21 juin 1306. Le monarque avait besoin de renflouer le trésor royal…

Le vendredi 22 juillet jour de la sainte Marie-Madeleine, « au lendemain du jeûne qu’observent les juifs au jour anniversaire de la destruction du Temple de Jérusalem, les sergents du roi incarcèrent leurs familles et saisissent leurs biens, registres, effets jusqu’aux Ketoubot ou « chartes nuptiales » de leurs épouses. On leur signifie ensuite leur bannissement sous peine de mort. […] Jean de Saint-Victor résume : ‘’En cette même année, en août et en septembre, tous les juifs, sinon quelques-uns qui voulurent se faire baptiser, furent expulsés du royaume ; le roi s’appropria leurs biens et les fit collecter par ses officiers, à l’exception d’une somme d’argent laissée à chaque juif pour payer son départ du royaume ; nombre d’entre eux moururent en chemin d’épuisement et de détresse.’’ »

Lire sur ce bannissement, l’article de Gérard Nahon, directeur d’études émérite, École pratique des hautes études, section des sciences religieuses (L’expulsion des juifs par Philippe le Bel 22 juillet 1306)

https://francearchives.fr/commemo/recueil-2006/39231

L’illustration des Onze têtes de Lions est ainsi présentée par l’abbé Montfaucon de Villars :

 

Les onze têtes de lions

 

La disposition des 11 têtes de lions est très importante. Son symbolisme comporte une orientation toute géographique assurément sacrée. Nous l’évoquerons dans ce futur article.

Les onze têtes de lions sont présentées sur trois lignes, en un dispositif 4-3-4. Dans ce dispositif se devine le dispositif 4-4-4. Étudié sous cet angle, le nombre 11 n’apparaît que pour mieux annoncer le nombre 12.

 

Quand les nombres 11 et 12 se répondent l’un l’autre

L’abbé Montfaucon de Villars dans Le Comte de Gabalis affirme que les différents lieux où étaient cachés ces trésors juifs, furent révélés à Nicolas Flamel dans la cité de Naples en 1358 par « son protecteur », … « le fameux cabaliste Rabi Nazard » dont le nom cacherait un cénacle kabbalistique.

Ce nom rabbinique de Nazard s’apparente à celui porté par saint Nazaire. Il désigne un Nazir ou Consacré de Yahvé, voué sa vie durant à la stricte observance du Naziréat biblique que suivaient également les Volontaires de Yahvé, guerrier sacrés…

Le Rabbi Nazard aurait remis à Nicolas Flamel, le Livre d’Abraham le Juif où figurait entre autres images, celle des « onze têtes de lions rangées sur trois lignes ». Ces images apparaissent, semble-t-il, comme des ajouts au livre, mais le livre permettrait d’en décrypter à un certain niveau, le message.

Le nom véritable du livre remis à Flamel était le Asch Mezareph ainsi que le rapportait l’abbé Alphonse Louis Constant dit Éliphas Lévi (La Philosophie Kabalistique et Occulte - T.1 : Lettres aux Étudiants). L’ouvrage originellement rédigé en hébreu, ne nous est aujourd’hui connu que par sa traduction latine, peut-être incomplète, conservée dans la Kabbala Denudata de Christian Knorr von Rosenroth.

 

Knorr von Rosenroth (1636 - 1689) hébraïste et mystique allemand

 

Georges Lahy (Virya) traduisit et annota en 2006 cet ouvrage aux Éditions Lahy. Prononcé en hébreu Ésh métšaréf, soit Le Feu de l’alchimiste, ce titre apparaît, ainsi que nous l’apprend cet auteur, dans le Livre de Malachie 3, 1-3.

Dans le chapitre III du Ésh métšaréf (Kabbalah Denudata : 1 : 359) se présente de façon voilée, le reflet hermétique des nombres 11 et 12, phase assurément importante du Grand Œuvre :

« Tout cela étant réalisé, il faudra s’attaquer à la troisième bête, pareille à un léopard, c’est dire l’eau qui ne mouille pas, le jardin des sages, car namér, le léopard et le jardin donnent le même nombre, soit 12, par réduction. Et telle est la vivacité de cette eau, qu’elle peut être comparée au léopard pour cette raison. »

Cette opération alchimique – ou première phase de cette opération – apparaît comme la première partie du commentaire alchimique et kabbalistique du Livre de Daniel (7-6) : « Ensuite, je regardai et voici : une autre bête pareille à un léopard, portant sur les flancs quatre ailes d’oiseau, elle avait quatre têtes, et la domination lui fut donnée. »

Le texte latin du Ésh métšaréf ne permet que peu, de pénétrer véritablement la symbolique spécifique des nombres 11 et 12. Georges Lahy y parvient de la façon suivante :

« La valeur de Namér [*…], le léopard, est égale à 290, soit 11 en réduction. L’auteur doit sans doute écrire namér avec un aléf [**…]. Ce qui alors fait 291, soit 12. Le jardin est pris ici dans le sens de Jourdain, [***…], de valeur 264, soit 2+6+4 = 12. Ce qui est logique, puisque le texte parle d’eau. »

*Namér est écrit en hébreu : Noun (50), Mem (40) et un Resh (200).

**Namér écrit en hébreu : avec ajout d’un Aleph (1) après le Noun.

***Jourdain (Yarden) est écrit en hébreu : Yod (10), Resh (200), Daleth (4) et Noun (50).

Si Namér désigne en hébreu biblique le léopard, il désigne pareillement la panthère. L’Antiquité connut ses hommes-léopards ou hommes-panthères.

Le Livre de la Genèse évoque les faits et méfaits de Nemrod, ennemi juré d’Abraham et vaillant chasseur devant l’Éternel (Genèse 10-9). Bien que son nom fasse de lui, par jeu de mots, un « rebelle », il le présente comme un Nimr-rod, soit un « Dompteur de léopard ». La tradition le présente précisément revêtu de la peau du léopard.

L’artefact connu sous le nom de Palette de Narmer, présente les exploits du roi d’Égypte Narmer, unificateur des Deux-Terres. Son nom présente une signification proche de celui porté par le roi biblique Nemrod. Les Kongos d’Afrique voient en ce souverain un ancêtre mythique.

 

Nicolas Flamel, le Livre d’Abraham le Juif et la cité de Montreuil-sur-Mer

Mon approche de l’alchimiste Nicolas Flamel par le biais du Ésh métšaréf ou Livre d’Abraham le Juif, me conduisit étrangement vers la cité de Montreuil-sur-Mer. Grand admirateur des ouvrages de Philippe Valcq, historien et romancier de la VILLE SECRÈTE DES TEMPLIERS, cité qu’il me fut donné il y a quelques années de découvrir, bien que rapidement.

Nicolas Flamel dans son ouvrage Le Livre des Figures Hiéroglyphiques, écrit :

« […] ainsi qu’après le décès de mes parents je gagnais ma vie en notre Art d’Ecriture […], il me tomba entre les mains pour la somme de deux florins, un livre doré fort vieux, & beaucoup large, il n’était point en papier ou parchemin, comme les autres, mais seulement il était de déliées écorces, (comme il me semblait) de tendres arbrisseaux. Sa couverture était de cuivre bien délié, toute gravée de lettres ou figures étranges […]. Au premier, il y avait écrit en grosse lettres capitales dorées. ABRAHAM LE JUIF, PRINCE PRETRE LEVITE, ASTROLOGUE, ET PHILOSOPHE.

« […] Enfin ayant perdu espérance de jamais comprendre ces figures, pour le dernier je fis un vœu à Dieu, et à Monsieur S. Jacques de Galice, pour demander l’interprétation d’icelles, à quelque Sacerdot Juif, en quelque Synagogue d’Espagne. 

Son vœu accompli, alors qu’il s’en retournait, Flamel fit une rencontre qui changea sa vie : « Cela fait dans Leon, au retour je rencontrais un Marchand de Boulogne qui me fit connaître à un Médecin Juif de nation, & lors Chrétien, demeurant audit Leon, lequel était fort savant en sciences sublimes, appelé Maître Canches ».

Ainsi donc, Nicolas Flamel rencontre le Médecin Juif par l’entremise d’un Marchand. Bien que l’on ne connaisse pas le nom de ce Marchand, on sait qu’il est domicilié à Boulogne… et qu’il est donc proche d’un certain Maître Canches… Ces quelques indications formulées par Flamel, résonnèrent en moi comme un écho surgi des livres de Philippe Valcq. Il me sembla discerner quelques indications géographiques :

 

Marchand de Boulogne et Maître Canches

 

Le marchand est présenté comme étant domicilié à Boulogne. Le lecteur pense d’emblée à Boulogne-Billancourt, cité proche de Paris, mais l’hypothèse Boulogne-sur-Mer cité de la Côte d’Opale dans l’actuel Pas-de-Calais devient intéressante lorsque associée au nom de Maître Canches. La cité parisienne doit d’ailleurs son nom à la cité maritime car on y construisit une église dédiée à Notre Dame de Boulogne.  

Au Sud de Boulogne-sur-Mer le promeneur découvre la Canche, fleuve côtier long de près de 100 km, dont les eaux baignent la cité de Montreuil-sur-Mer, l’antique Quentovic ou Quintomagus.

 

La Canche à Montreuil-sur-Mer

(carte postale ancienne)

 

En 1957, A. Leduque, dans sa thèse de Doctorat, Étude sur l’Ancien Réseau Routier du Boulonnais apparaissait comme le premier auteur du XXe siècle à affirmer que le nom de Quintomagus, d’origine gauloise, signifiait « Marché sur la Canche ». L’historien de Montreuil-sur-Mer, Jean Leroy validera cette étymologie en 1979 dans son très intéressant ouvrage Quand Montreuil était sur mer – Quentovic (Imprimerie du Détroit à Marquise). Philippe Valcq à son tour confirmera cette étymologie en 1997 dans son livre L’ÉNIGME DE LA VILLE SECRÈTE DES TEMPLIERS (Éditions Ramuel). Il ajoutera : « La signification du suffixe ‘’Magus’’ est double. S’il signifie bien ‘’Marché’’, il se traduit également par ‘’Magie’’ : ‘’lieu magique sur la Quantia’’, le lieu de la Magie, le lieu des Prêtresses. » Philippe Valcq faisait bien entendu, référence à l’époque gauloise de la cité.

Retrouvons à présent Maître Canches, Juif d’Espagne, « lors Chrétien ». Il porte un nom bien énigmatique… jouant tout à la fois sur la juiveté et sur la chrétienté. Ce nom s’appuie sur l’un des noms les plus courants en Espagne : Sanchez (Sanchis, Sancho, etc…), formé sur le nom de baptême Sancho (latin sanctius, sanctus = saint) avec le suffixe de filiation Ez. Le nom de Maître Canches révèle tout en la cachant, une lecture chrétienne : le « Fils du Saint ». Mais cette lecture déjà cachée chez Nicolas Flamel semble en cacher une autre, homonymique à bien des égards. Dans le Guide des Patronymes Juifs (Éditions Solin Actes Sud – Musée Beth Hatefutsoth ou Diaspora, Tel-Aviv 1996), nous découvrons le nom Cohen avec ses nombreuses variantes, Cohn, Conn, Cahn ou Kan : 

« Cohen signifie ‘’prêtre’’ en hébreu. C’est le nom de famille juif le plus ancien ; il signifie les descendants des cohanin, les prêtres issus d’Aaron, frère de Moïse et premier grand prêtre des Hébreux. Les cohanin étaient chargés du culte autour du Tabernacle et du Temple de Jérusalem jusqu’à la destruction du Second Temple par les Romains en 70. Ils ont encore des devoirs et des privilèges religieux particuliers. »

Le Fils du Saint (non il ne s’agit pas du fils de Simon Templar…) apparaît comme le miroir (et réciproquement) du Fils du Cohen (CanEs). Nous retrouvons bien que formulé différemment, le cénacle Rabi Nazard (Juif) Saint Nazaire (Chrétien)… qui permit à Flamel de lire le mystérieux ouvrage.

Si l’on associe la symbolique formulée – mais non expliquée par Flamel – nous pouvons envisager un Marchand de la Canche(s), autrement-dit, un habitant du Marché de la Canche, un Montreuillois ?  Peut-être faut-il ne retenir que la cité, ce qui serait déjà pas mal. Nous aurions ensuite, dans la même symbolique, un Maître de Boulogne. Ces deux maillons vont mener Flamel à l’Ésh métšaréf. 

Forts de ces réflexions je contactais Philippe Valcq qui se montra très intéressé par mes propos ; qui confirmaient quelque peu, d’anciennes réflexions qu’il avait pu avoir avec un ami :

« Il serait plaisant que Boulogne et Canche soient les bonnes explications, mais… J’avais eu partie de ce texte par un ami, nous ne nous étions pas arrêtés à Boulogne, mais à Bononia.

« Toutefois, en y réfléchissant, l’idée est intrigante. En effet, il est certain que Flamel avait des possessions à Boulogne-sur-Mer, peut-être même à Montreuil puisqu’il y est passé.

« Jusqu’à 1537, Montreuil a hébergé nombre d’alchimistes dans la Rue du Pot d’Etain où ils côtoyaient des astrologues. La ville de l’époque me fait penser un peu à ce que devait être Prague.

« De plus, depuis le XIe siècle, les Juifs étaient installés dans un quartier de la cité où ils faisaient commerce d’argent en concurrence avec les lombards. Ils y resteront jusqu’au XIVe siècle.

« Après la guerre de 100 ans, on n’en parle plus.

« En résumé, Flamel, ayant des possessions, dont un hôpital, à Boulogne ; venant à Montreuil rencontrer ses confrères alchimistes et des rabbins, cela irait dans vos déductions.

« Reste à placer la ‘’Canche’’. Le fait de nommer cette rivière (bien plus importante à l’époque puisqu’elle formait un estuaire à partir de Montreuil) est-ce un repère géographique ou religieux (druidesses) ?

« Boulogne/Canche, quel peut être le rapport ? Répondre à cette question peut ouvrir par mal de fenêtres sur l’inconnu. »

Les arguments proposés par Philippe Valcq, suite à mes propres réflexions, permettent d’envisager quelque lien entre Le Livre des Figures Hiéroglyphiques de Nicolas Flamel et le Pays de Montreuil.

Il se pourrait que Flamel en associant possiblement le Livre d’Abraham le Juif aux cités de Boulogne et de Montreuil, révèle à mots couverts, l’existence en Ponthieu d’une version originelle en langue hébraïque de l’Ésh métšaréf. Dans son roman ésotérique La troublante et très étrange aventure de Maître Pasquier-Allard (Éditions Ramuel) l’auteur Montreuillois n’hésite pas à avancer l’hypothèse suivant laquelle certains livres anciens auraient pu être cachés à Montreuil. C'est cette piste-là que nous suivrons avec la deuxième partie de ce dossier.

 

À suivre...



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