2017 |
Pierre-Bernard Teyssier |
Le
jaspe et la calcédoine - Séquence numéro 1 ...
préhist'onirique
|
A moins que le loup
n’y soit, promenons-nous dans le bois… le
vaste et sombre bois Faro, en l’occurrence. En ce lieu, comme à
Brocéliande, le rêve du
« promeneur solitaire » se
trouve prestement investi par une myriade de nymphes. Nymphes d’une
espèce
archétypale que, sans doute, Carl Gustav Jung, le fondateur de
la psychologie
analytique, eût à juste titre, qualifiées de
« psychoïdes ». Mais, prudence,
gardons-nous d’aiguiller trop vite la poésie vers les sentiers
de l’inconscient !
S’il vous en
souvient, n’est-ce pas en ces mêmes lieux que
dernièrement nous marquions le pas, aux abords de la - ô
combien mystérieuse !
- Font-Ria *(1) ? Mais, voilà que, soudain – allez,
diantre, savoir
pourquoi ! - une idée saugrenue dégringole d’un
cumulo-nimbus. Elle
s’infiltre (s’écoulanche, dirait-on
en parler local) dans une trouée de la sapinière et vient
– patatra ! -
nous traverser le cerveau. Une fraction de
seconde plus tard, il plait à nos
synapses cervicaux de
s’interconnecter avec le limon même de la fontaine, au beau
milieu des silex
enfouis ici ou là. Aussitôt, étrange songe :
au cœur du nemus de Faro, l’abbé Granger,
poursuivi,
de loin en loin, par l’ami Alain Robin (son fidèle
« disciple »), a
eu la chance – cette fois, à titre
posthume, l’abbé, mais au prix d’un rétropédalage
de quarante années - de
découvrir non seulement un outillage lithique des plus
archaïques, mais tout
autre chose… Voilà que les images oniriques
s’accélèrent … stupéfaction : un
crâne ! Un crâne de type hominien ! Comme ça, au
détour de sa vie sur terre - il y a quelques
10 000 à … 40 000 ans - l’hominidé en question
aurait brutalement
subi une sorte d’AVC. A force
de rester accroupi, avec d’autres
membres de son clan, à tailler quelque outil - de jaspe… ou de
calcédoine - l’acharnement du
bonhomme lui aura été fatal.
Dans la foulée, sous l’effet d’une urgence ou d’une menace
quelconques, ses
congénères – chasseurs-cueilleurs, chamanes graveurs de
scènes rupestres ou
autres - auront été contraints de l’abandonner sur place
… sans excès de
cérémonial. Pour peu que l’on
avalise, au quantum (2) près
d’ « indétermination » quant au
« coulage » de
« l’onde » du Cotatay, le caractère
plausible de pareille fiction, ne
semblerait-il pas ridicule de vouloir zapper
en si bon chemin ? D’autant que la datation, au
Mésolithique, des silex du
Cotatay, datation accréditée par différents
experts * (3), dessine un magnifique
vase d’expansion. Du moins, un récipient propice à
recueillir un chouette
bouquet d’extrapolations. Exemple : au
prix d’un détour monumental, continental
même, faisons hardiment la voltige au fin fond de l’Asie, en
plein Pacifique ! Serait-ce trop de
témérité, sauf à être germain direct
de
Phileas Fogg ? Question empreinte d’un doute parfaitement
recevable, à
condition de ne jamais laisser argutie rimer avec apoplexie. Mais,
allez-donc, première
expédition, cela ne prendra pas
quatre-vingts jours ! Par expérience
de chercheur-fureteur : un détour ne fait
souvent qu’introduire dans le vestibule de bien d’autres. Ainsi, de
telle
randonnée livresque*(4), qui, en réalité, nous
permettra de rester
confortablement assis. Qui dans son fauteuil, qui sur un monceau de
certitudes.
Pour l’instant, écartons raisonnablement l’idée d’aller
essarter en amont d’homo erectus, dont
les ancêtres surfaient probablement sur
la crête des deux millions d’années. Tentons de ramener le
chrono plus près de
« l’anthropocène »,
ère avec laquelle nous avions déjà tenté de
nous familiariser. Ores donc, en
2003, un fossile nain d’un hominine de
type erectus a été découvert dans
l’ile de Flores, en Indonésie. Cet homme semblait avoir vu le
jour il y a
seulement 18 000 ans et a été
opportunément baptisé Homo floriensis. L’occasion
fut belle,
alors, d’évoquer des phénomènes bien connus dans
certaines conditions
d’isolement insulaire prolongé, comme dans le cas de l’île
de Flores. Une
population Homo erectus y aurait vécu
isolée durant des dizaines de milliers d’années, se
transformant peu à peu en
ces petits hommes d’environ 1 mètre à 1, 20 m. La
trouvaille, publiée dans la
revue « Nature » en 2004, fit sensation.
Pourtant, un tel scénario ne
fit pas long feu ! De nouvelles
fouilles, entre 2007 et 2014, montrèrent que la
stratigraphie complexe du sol avait pu induire des erreurs
d’interprétation. Une
équipe pluridisciplinaire de chercheurs fit régresser les
traces de l’homme de
Florès de pas moins de 50 000 ans ! En 2017, d’autres
chercheurs
rattachèrent Florès à homo habilis
plutôt qu’à homo erectus, l’arrachant
ainsi (provisoirement ?) à toute lignée d’homo
sapiens * (5). Notre
bien téméraire expédition vers l’Asie
parait ainsi faire chou blanc, mais n’était pas
dénuée d’une leçon que nous ne
manquerons pas de tirer, le moment venu. Notre vase
n’étant pas un uniflore, continuons patiemment de
garnir le bouquet de nos considérations de manière
cependant à ne pas trop
perdre les pédales. C’est un extrait de l’ouvrage (p.45)
coproduit par Axel
Khan et Fabrice Papillon, Le secret de la
salamandre – La médecine en quête d’immortalité,
Nil Ed.2005, qui nous
offre de paléo-citer de biais :
« C’est sans doute à partir de groupes d’erectus
installés en Europe et/ou au Moyen-Orient
qu’émergea l’homme
de Neandertal, qui vivait encore dans le sud de l’Europe il y a
35 000
ans. Homo erectus possédait un volume
crânien supérieur à 1 000 cm3, recourant
à une industrie lithique déjà
élaborée (les bifaces à pierre taillée), et
s’avérait capable de maîtriser
l’usage du feu il y a peut-être 500 000 à
800 000 ans déjà. L’homme de
Neandertal,
plus massif que nous, arbore un gros cerveau (1 300 cm3) qui
dépasse même
le volume du nôtre, mais ne semble pas avoir laissé de
marques d’une pensée
symbolique élaborée dont témoignerait un parti
pris esthétique. En revanche, Homo sapiens, qui
apparut en Afrique il
y aurait 315 000 ans *(7) et initia à son tour la conquête
de la planète il y a
70 000 ans, s’avère doté d’un potentiel de
progression technique,
artistique, et donc culturel qui excède de beaucoup celui des
autres espèces
d’hommes, erectus, et même
Neandertal ». Voilà comment,
peu à peu, en ayant, sur le mode purement
virtuel, exhumé un crâne humain vieux d’environ 9 000
à 18 000 ans,
au Bois Faro, il s’avère possible d’envisager quelques-uns des
congénères
hominidés qui constituaient l’environnement, de par la vaste
planète, des
chasseurs-cueilleurs venus tailler le silex à la source du
Cotatay. « Cotatay »,
toponyme que le terrier du Fay * (6),
recense curieusement, en 1454, sous l’appellation de Territorium
Coste asterii, autrement
dit « la Côte de l’étoile », bien
qu’un latin plus strict exigerait
plutôt asteris ou, au pluriel, asterum ;
à moins que Cotatay soit, plus
vraisemblablement, un
part de territoire des Atesui,
ethnonyme qui s’est pudiquement voilé derrière plusieurs
toponymes tels que Atheux, Atticieux, etc ; une
séquence particulière pourra, d’ailleurs, être
réservée, dans un des prochains Regards du
Pilat, à ces vigilants « Gardiens
des crêts ». Leur fil d’Ariane s’étirait,
jadis, des Atheux, hameau de
Saint-Héand (situé près du Pilon et de la Grande
Borne), aux Atheux (près de
Mirande) de Saint-Romain…les-Atheux.
Avec faufilage d’une surprenante boutonnière
ardéchoise, à Saint-Jacques-d’Atticieux.
Et, la liste des
toponymes afférents n’est pas close... A ce stade de
l’affaire et par commodité narrative, il serait
temps - c’est un tantinet « culotté »,
mais, ce sera bien plus
pratique ! - de conférer un
nom à
ce crâne virtuel subrepticement exhumé à la
Font-Ria. Ce sera « Farou » !
Pour l’heure, avec
sa discrète consonance occitane, un tel nom fera joliment
l’affaire. Du moins,
à nos oreilles autant qu’à nos yeux enclins à un
« regard » curieux …
sur le Pilat ! Mais, si le mot
« mésolithique » a utilement servi
de clé - d’appât ! -
pour amorcer,
sous l’angle géopolitique, pourrait-on dire,
les antériorités et certains cousinages du
présumé Farou, il n’en demeure pas moins
que, pour l’heure, nous sommes
restés quasiment muets sur son habitat, ses outils, le gibier
qu’il chasse et
la végétation – plus ou moins
« durable » dans laquelle il évolue
(à
plus ou moins grandes enjambées, mesurées à la
mode de Darwin, si ce n’est de
Wallace). Patience, ne doit-on pas accorder « du temps au
temps » ! Chemin faisant, au
moment où il s’avise enfin d’emmancher
concrètement les outils de Farou,
voilà qu’une question préliminaire vient encore tarauder
le chercheur :
qui a réellement inventé
« l’outil » ? Ceci, nonobstant les
observations scientifiques de plus en plus fréquentes concernant
certains
mammifères (singes, en particulier), était-ce Homo
habilis (l’homme habile), qui oscille entre – 2,5 et 1,5
millions d’années ? Mais, voilà
qu’un
« caillou », en photo (p.6) des Cahiers
de Science et Vie n° 155 (août 2015), traitant du sujet
de « La
naissance des villes » tombe à pic ! Pic des
plus « synchronistiques » :
le caillou, retrouvé sur le site de Lomekwi, au Kenya,
apporterait la preuve,
« fabriquée il y a 3,3 millions
d’années », que le berceau de
l’artisanat humain précède d’au moins 500 000 ans le
plus vieux fossile
jamais découvert – jusqu’à présent - du genre Homo ! L’œuvre d’un
« kényanthrope », il y a plus de 3
millions d’années (7) ? Et
dire que nous nous promettions, il y a un instant à peine, de ne
pas chercher
midi sur le coup des deux heures du matin ! Chacun, en prenant
soin, trois
secondes, d’interrompre tout texto sur son smartphone, trouvera
là de quoi
ruminer ou méditer (au choix, selon croyance du mammifère
pensant…). Ores, donc, ces silex
de la Font-Ria, comment sont-ils à la
fin ? A vrai dire, le mieux, par élémentaire
curiosité, serait de pouvoir les
scruter de ses propres yeux. Et, ceci, au Musée
Déchelette de Roanne, où, de
source (!) certaine, ils avaient atterri après leur
découverte, en décembre
1970. Tel était bien le projet de visite qui avait germé,
au cours de l’année
2014, dans l’esprit de quelqu’un d’assez normal au point de
détester avoir deux
pieds dans le même sabot. Ladite personne (gnotis
eauton…– connais-toi toi-même, etc.) se voyait déjà entrainer –
crânement,
bien sûr - dans son sillage quelques amis, historiens amateurs
comme lui. Mais,
il appert, hélas, que les fameux silex qui avaient
résisté, quelques
tranquilles milliers d’années, à sombrer dans un absolu
néant, soient parvenus,
en un court demi-siècle, à se volatiliser comme par
enchantement (voire, par
désenchantement ?) au contact de la civilisation
actuelle ! Etrange
signe que, délaissant leur paisible fontaine, paraissent ainsi
nous adresser de
tels outils - cadeau immémorial de mariage de l’humain et du
minéral - incidemment
propulsés dans l’ère dite « du
Vers(e)-eau » ! Dès 1972, le
rapport de Denise PEILLON *(8) [professeur de
dessin tout autant que chercheuse émérite], rapport dont
de très rares
exemplaires subsistent à l’heure actuelle, faisait, en à
peine neuf pages, un
point précis et concis sur la question des silex de la Font-Ria.
Par ailleurs, un manuscrit anonyme
(mais
vraisemblablement de la plume du Père Jean Granger), en date du 1er
juillet 1973, a été
recueilli par la
Société d’histoire du Pays de
Saint-Genest-Malifaux ; il comporte des
confirmations et certains développements peu connus en la
matière. L’exploration et
l’analyse de ces précieux documents
devraient fournir amplement matière à la prochaine
séquence de notre feuilleton
engagé dans la mise en scène des premiers peuplements
humains autour de la
Font-Ria. (à suivre) Le 4 septembre 2017 ·
(1)
cf. Introduction de la présente série d’articles dans le
précédent n° de
Regards du Pilat. ·
(2)
Le « principe d’indétermination » est
l’une des bases de la physique
quantique et il est aussi nommé « principe
d’Heisenberg », du nom du
physicien qui l’a établi. Il rejoint l’idée qu’il est
impossible, dans la même
expérience, de distinguer simultanément le
caractère « ondulatoire »
et le caractère « corpusculaire » d’un
corpuscule (photon, électron,
etc.). Cf. Etienne Klein, Discours sur
l’origine de l’univers, Flammarion, 2016 – pp 20, 47, 54 et ss. ·
(3)
Rapport de Denise Peillon / extrait du Bulletin des groupes
archéologiques de
la Loire 1972 & div. documents privés déposés
à la Société d’Histoire du
Pays de Saint-Genest-Malifaux. ·
(4)
Comprendre les sciences – numéro
spécial « Sapiens – Comprendre les origines de
l’homme et de
l’humanité » – mars 2017 ; édité
par Euro services internet, 100 rue
Petit, 75019 Paris. ·
(5)
Le Monde.fr – paléontologie – 30 mars
2016, article de Hervé Morin & Hominidés.com
– les
évolutions de l’homme – 27 avril 2017. ·
(6)
Cité par J.-E. DUFOUR – DTFL, p.247 et introduction p. XLIII. ·
(7)
V. aussi, sur le m. sujet : « Nature », vol.
521 – 2015 – pp.
312 à 315 , ainsi que « Pour la science »,
n° 478 – août 2017 – L’article
de Kate WONG, qui y relate les travaux de Sonia HARMAND et de son
équipe, est
assorti de graphismes instructifs et de photos assez évocatrices
du chantier in situ. ·
(8)
op.cit. note (3). |