Octobre
2017
















Par notre Ami
Pierre-Bernard
Teyssier

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Le jaspe et la calcédoine - Séquence numéro 1 ... préhist'onirique



A moins que le loup n’y soit, promenons-nous dans le bois… le vaste et sombre bois Faro, en l’occurrence. En ce lieu, comme à Brocéliande,  le rêve du « promeneur solitaire » se trouve prestement investi par une myriade de nymphes. Nymphes d’une espèce archétypale que, sans doute, Carl Gustav Jung, le fondateur de la psychologie analytique, eût à juste titre, qualifiées de « psychoïdes ». Mais, prudence, gardons-nous d’aiguiller trop vite la poésie vers les sentiers de l’inconscient !  

S’il vous en souvient, n’est-ce pas en ces mêmes lieux que dernièrement nous marquions le pas, aux abords de la - ô combien mystérieuse ! - Font-Ria *(1) ? Mais, voilà que, soudain – allez, diantre, savoir pourquoi ! - une idée saugrenue dégringole d’un cumulo-nimbus. Elle s’infiltre (s’écoulanche, dirait-on en parler local) dans une trouée de la sapinière et vient – patatra ! - nous traverser le cerveau.

Une fraction de seconde plus tard, il  plait à nos synapses cervicaux de s’interconnecter avec le limon même de la fontaine, au beau milieu des silex enfouis ici ou là. Aussitôt, étrange songe : au cœur du nemus de Faro, l’abbé Granger, poursuivi, de loin en loin, par l’ami Alain Robin (son fidèle « disciple »), a eu la chance –  cette fois, à titre posthume, l’abbé, mais au prix d’un rétropédalage de quarante années - de découvrir non seulement un outillage lithique des plus archaïques, mais tout autre chose… Voilà que les images oniriques s’accélèrent … stupéfaction : un crâne ! Un crâne de type hominien !  

Comme ça, au détour de sa vie sur terre - il y a quelques 10 000 à … 40 000 ans - l’hominidé en question aurait brutalement subi une sorte d’AVC. A force de rester accroupi, avec d’autres membres de son clan, à tailler quelque outil - de jaspe… ou de calcédoine -  l’acharnement du bonhomme lui aura été fatal. Dans la foulée, sous l’effet d’une urgence ou d’une menace quelconques, ses congénères – chasseurs-cueilleurs, chamanes graveurs de scènes rupestres ou autres - auront été contraints de l’abandonner sur place … sans excès de cérémonial.

Pour peu que l’on avalise, au quantum (2) près d’ « indétermination » quant au « coulage » de « l’onde » du Cotatay, le caractère plausible de pareille fiction, ne semblerait-il pas ridicule de vouloir zapper en si bon chemin ? D’autant que la datation, au Mésolithique, des silex du Cotatay, datation accréditée par différents experts * (3), dessine un magnifique vase d’expansion. Du moins, un récipient propice à recueillir un chouette bouquet d’extrapolations.

Exemple : au prix d’un détour monumental, continental même, faisons hardiment la voltige au fin fond de l’Asie, en plein Pacifique !

Serait-ce trop de témérité, sauf à être germain direct de Phileas Fogg ? Question empreinte d’un doute parfaitement recevable, à condition de ne jamais laisser argutie rimer avec apoplexie. Mais, allez-donc,  première expédition, cela ne prendra pas quatre-vingts jours !

Par expérience de chercheur-fureteur : un détour ne fait souvent qu’introduire dans le vestibule de bien d’autres. Ainsi, de telle randonnée livresque*(4), qui, en réalité, nous permettra de rester confortablement assis. Qui dans son fauteuil, qui sur un monceau de certitudes. Pour l’instant, écartons raisonnablement l’idée d’aller essarter en amont d’homo erectus,  dont les ancêtres surfaient probablement sur la crête des deux millions d’années.

Tentons de ramener le chrono plus près de « l’anthropocène », ère avec laquelle nous avions déjà tenté de nous familiariser. Ores donc, en 2003, un fossile nain d’un hominine de type erectus a été découvert dans l’ile de Flores, en Indonésie. Cet homme semblait avoir vu le jour il y a seulement 18 000 ans et a été opportunément baptisé Homo floriensis. L’occasion fut belle, alors, d’évoquer des phénomènes bien connus dans certaines conditions d’isolement insulaire prolongé, comme dans le cas de l’île de Flores. Une population Homo erectus y aurait vécu isolée durant des dizaines de milliers d’années, se transformant peu à peu en ces petits hommes d’environ 1 mètre à 1, 20 m. La trouvaille, publiée dans la revue « Nature » en 2004, fit sensation. Pourtant, un tel scénario ne fit pas long feu !

De nouvelles fouilles, entre 2007 et 2014, montrèrent que la stratigraphie complexe du sol avait pu induire des erreurs d’interprétation. Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs fit régresser les traces de l’homme de Florès de pas moins de 50 000 ans ! En 2017, d’autres chercheurs rattachèrent Florès à homo habilis plutôt qu’à homo erectus, l’arrachant ainsi (provisoirement ?) à toute lignée d’homo sapiens * (5).  Notre bien téméraire expédition vers l’Asie parait ainsi faire chou blanc, mais n’était pas dénuée d’une leçon que nous ne manquerons pas de tirer, le moment venu.

Notre vase n’étant pas un uniflore, continuons patiemment de garnir le bouquet de nos considérations de manière cependant à ne pas trop perdre les pédales. C’est un extrait de l’ouvrage (p.45) coproduit par Axel Khan et Fabrice Papillon, Le secret de la salamandre – La médecine en quête d’immortalité, Nil Ed.2005, qui nous offre de paléo-citer de biais : « C’est sans doute à partir de groupes d’erectus installés en Europe et/ou au Moyen-Orient qu’émergea l’homme de Neandertal, qui vivait encore dans le sud de l’Europe il y a 35 000 ans. Homo erectus possédait un volume crânien supérieur à 1 000 cm3, recourant à une industrie lithique déjà élaborée (les bifaces à pierre taillée), et s’avérait capable de maîtriser l’usage du feu il y a peut-être 500 000 à 800 000 ans déjà.

L’homme de Neandertal, plus massif que nous, arbore un gros cerveau (1 300 cm3) qui dépasse même le volume du nôtre, mais ne semble pas avoir laissé de marques d’une pensée symbolique élaborée dont témoignerait un parti pris esthétique. En revanche, Homo sapiens, qui apparut en Afrique il y aurait 315 000 ans *(7) et initia à son tour la conquête de la planète il y a 70 000 ans, s’avère doté d’un potentiel de progression technique, artistique, et donc culturel qui excède de beaucoup celui des autres espèces d’hommes, erectus, et même Neandertal ».

Voilà comment, peu à peu, en ayant, sur le mode purement virtuel, exhumé un crâne humain vieux d’environ 9 000 à 18 000 ans, au Bois Faro, il s’avère possible d’envisager quelques-uns des congénères hominidés qui constituaient l’environnement, de par la vaste planète, des chasseurs-cueilleurs venus tailler le silex à la source du Cotatay. 

« Cotatay », toponyme que le terrier du Fay * (6), recense curieusement, en 1454, sous l’appellation de Territorium Coste asterii, autrement dit « la Côte de l’étoile », bien qu’un latin plus strict exigerait plutôt asteris ou, au pluriel, asterum ; à moins que Cotatay soit, plus vraisemblablement, un part de territoire des Atesui, ethnonyme qui s’est pudiquement voilé derrière plusieurs toponymes tels que Atheux, Atticieux, etc ; une séquence particulière pourra, d’ailleurs, être réservée, dans un des prochains Regards du Pilat, à ces vigilants « Gardiens des crêts ». Leur fil d’Ariane s’étirait, jadis, des Atheux, hameau de Saint-Héand (situé près du Pilon et de la Grande Borne), aux Atheux (près de Mirande) de Saint-Romain…les-Atheux.  Avec faufilage d’une surprenante boutonnière ardéchoise, à  Saint-Jacques-d’Atticieux. Et, la liste des toponymes afférents n’est pas close...

A ce stade de l’affaire et par commodité narrative, il serait temps - c’est un tantinet « culotté », mais, ce sera bien plus pratique ! -  de conférer un nom à ce crâne virtuel subrepticement exhumé à la Font-Ria. Ce sera « Farou » ! Pour l’heure, avec sa discrète consonance occitane, un tel nom fera joliment l’affaire. Du moins, à nos oreilles autant qu’à nos yeux enclins à un « regard » curieux … sur le Pilat !

Mais, si le mot « mésolithique » a utilement servi de clé -  d’appât ! - pour amorcer, sous l’angle géopolitique, pourrait-on dire,  les antériorités et certains cousinages du présumé Farou, il n’en demeure pas moins que, pour l’heure, nous sommes restés quasiment muets sur son habitat, ses outils, le gibier qu’il chasse et la végétation – plus ou moins « durable » dans laquelle il évolue (à plus ou moins grandes enjambées, mesurées à la mode de Darwin, si ce n’est de Wallace). Patience, ne doit-on pas accorder « du temps au temps » !

Chemin faisant, au moment où il s’avise enfin d’emmancher concrètement les outils de Farou, voilà qu’une question préliminaire vient encore tarauder le chercheur : qui a réellement inventé « l’outil » ? Ceci, nonobstant les observations scientifiques de plus en plus fréquentes concernant certains mammifères (singes, en particulier), était-ce Homo habilis (l’homme habile), qui oscille entre – 2,5 et 1,5 millions d’années ?

Mais, voilà qu’un « caillou », en photo (p.6) des Cahiers de Science et Vie n° 155 (août 2015), traitant du sujet de « La naissance des villes » tombe à pic ! Pic des plus « synchronistiques » : le caillou, retrouvé sur le site de Lomekwi, au Kenya, apporterait la preuve, « fabriquée il y a 3,3 millions d’années », que le berceau de l’artisanat humain précède d’au moins 500 000 ans le plus vieux fossile jamais découvert – jusqu’à présent - du genre Homo ! L’œuvre d’un « kényanthrope », il y a plus de 3 millions d’années (7) ? Et dire que nous nous promettions, il y a un instant à peine, de ne pas chercher midi sur le coup des deux heures du matin ! Chacun, en prenant soin, trois secondes, d’interrompre tout texto sur son smartphone, trouvera là de quoi ruminer ou méditer (au choix, selon croyance du mammifère pensant…).

Ores, donc, ces silex de la Font-Ria, comment sont-ils à la fin ? A vrai dire, le mieux, par élémentaire curiosité, serait de pouvoir les scruter de ses propres yeux. Et, ceci, au Musée Déchelette de Roanne, où, de source (!) certaine, ils avaient atterri après leur découverte, en décembre 1970. Tel était bien le projet de visite qui avait germé, au cours de l’année 2014, dans l’esprit de quelqu’un d’assez normal au point de détester avoir deux pieds dans le même sabot. Ladite personne (gnotis eauton…– connais-toi toi-même, etc.) se voyait déjà entrainer – crânement, bien sûr - dans son sillage quelques amis, historiens amateurs comme lui. Mais, il appert, hélas, que les fameux silex qui avaient résisté, quelques tranquilles milliers d’années, à sombrer dans un absolu néant, soient parvenus, en un court demi-siècle, à se volatiliser comme par enchantement (voire, par désenchantement ?) au contact de la civilisation actuelle ! Etrange signe que, délaissant leur paisible fontaine, paraissent ainsi nous adresser de tels outils - cadeau immémorial de mariage de l’humain et du minéral -  incidemment propulsés dans l’ère dite « du Vers(e)-eau » !

Dès 1972, le rapport de Denise PEILLON *(8) [professeur de dessin tout autant que chercheuse émérite], rapport dont de très rares exemplaires subsistent à l’heure actuelle, faisait, en à peine neuf pages, un point précis et concis sur la question des silex de la Font-Ria.  Par ailleurs, un manuscrit anonyme (mais vraisemblablement de la plume du Père Jean Granger), en date du 1er juillet 1973,  a été recueilli par la Société d’histoire du Pays de Saint-Genest-Malifaux ; il comporte des confirmations et certains développements peu connus en la matière.

L’exploration et l’analyse de ces précieux documents devraient fournir amplement matière à la prochaine séquence de notre feuilleton engagé dans la mise en scène des premiers peuplements humains autour de la Font-Ria.

(à suivre)

Le 4 septembre 2017

·         (1) cf. Introduction de la présente série d’articles dans le précédent n° de Regards du Pilat.

·         (2) Le « principe d’indétermination » est l’une des bases de la physique quantique et il est aussi nommé « principe d’Heisenberg », du nom du physicien qui l’a établi. Il rejoint l’idée qu’il est impossible, dans la même expérience, de distinguer simultanément le caractère « ondulatoire » et le caractère « corpusculaire » d’un corpuscule (photon, électron, etc.). Cf. Etienne Klein, Discours sur l’origine de l’univers, Flammarion, 2016 – pp 20, 47, 54 et ss.

·         (3) Rapport de Denise Peillon / extrait du Bulletin des groupes archéologiques de la Loire 1972 & div. documents privés déposés à la Société d’Histoire du Pays de Saint-Genest-Malifaux.

·         (4) Comprendre les sciences – numéro spécial « Sapiens – Comprendre les origines de l’homme et de l’humanité » – mars 2017 ; édité par Euro services internet, 100 rue Petit, 75019  Paris.

·         (5) Le Monde.fr – paléontologie – 30 mars 2016, article de Hervé Morin

& Hominidés.com – les évolutions de l’homme – 27 avril 2017.

·         (6) Cité par J.-E. DUFOUR – DTFL, p.247 et introduction p. XLIII.

·         (7) V. aussi, sur le m. sujet : « Nature », vol. 521 – 2015 – pp. 312 à 315 , ainsi que « Pour la science », n° 478 – août 2017 – L’article de Kate WONG, qui y relate les travaux de Sonia HARMAND et de son équipe, est assorti de graphismes instructifs et de photos assez évocatrices du chantier in situ.

·         (8) op.cit. note (3).


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