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De
part
et d’autre du Mont Pilat, le nom de Roussillon résonne avec tant
d’éclat qu’il est venu à l’esprit de nos vieux historiens
locaux que l’illustre Girart de Roussillon y était pour quelque
chose.
Girart
de Roussillon, c’est celui de la chanson de geste ! Celui-là
même
– si l’on suit la tradition – qui livra bataille aux portes de la ville
de Vienne en l’an 870 ; celui-là même qui fonda l’abbaye
de
Vézelay en Bourgogne pour y placer les reliques de Sainte Marie
Madeleine, celui-là même enfin qui aurait
été
l’ancêtre de cette puissante famille du même nom et qui
pendant
près de trois cent ans exerça son autorité sur nos
contrées.
Sans
prétention
et afin de remettre à la lumière du jour le personnage
historique
du comte Girart, nous aborderons dans un premier chapitre les grandes
lignes
de sa vie telles que René Louis nous les a
présentées.
Ensuite, nous serons amené à nous interroger sur les
différentes
raisons qui laissent penser que Girart de Roussillon pouvait être
l’ancêtre des Roussillon du Pilat.
D’emblée,
plusieurs pistes peuvent être retenues : tout d’abord, il y a
celle
de la progéniture de Girart car à l’heure actuelle, la
critique
historique n’admet aucune descendance mâle concernant notre
personnage
ce qui n’est pas sans poser problème si on veut lui trouver en
notre
famille de Roussillon une descendance éventuelle. De même,
il demeure encore beaucoup d’incertitudes sur la retraite du comte
Girart
après la prise de Vienne : est-il resté dans notre
région
où certainement il devait avoir des possessions ? Cet examen
nous
permettra ensuite d’étudier de plus près les origines de
la famille de Roussillon dont les premières traces apparaissent
précisément au XIè et XIIè siècle
non
loin de la ville du Dauphiné qui porte le même nom.
Une autre
piste consistera à examiner si la similitude des prénoms
Girard et Gérard au sein de la famille de Roussillon permet
d’envisager
une filiation éventuelle. C’est du moins une probabilité
que certains auteurs régionaux évoquaient en leur temps.
D’autre
part, et c’est une caractéristique de la famille Roussillon du
Dauphiné,
celle-ci semblait vouer un culte prononcé à Sainte Marie
Madeleine, la pécheresse des Saints Evangiles dont Girart de
Roussillon
dota l’abbaye de Vézelay de ses reliques.
Enfin,
et ce sera sans doute l’élément primordial et
déclencheur
de cette tradition qui voit en Girart l’ancêtre des Roussillon :
il s’agit naturellement du patronyme ! Comment en effet ne pas
envisager
cette filiation lorsque l’on porte le même nom ? Là aussi
les auteurs anciens ont évoqué cette possibilité
en
se fondant sur ce postulat …
I. Où il est question du comte Girart dans l’histoire…
Sans entrer dans les détails développés par René Louis, nous sommes en mesure d’établir la généalogie du comte Girart de la manière suivante : Girart aurait eu pour parents le comte Leuthard et dame Grimeut (Grimild) qu’il citera lui-même dans son testament. Leuthard était fils de Girart 1er qui servait déjà sous Pépin le Bref en l’an 747. Concernant le comte Girart qui nous intéresse, celui-ci n’aurait pas eu de progéniture si ce n’est un fils nommé Thierry, mort en bas âge et une fille dont on ne connaît que le prénom Ava (Eve). Nous reviendrons sur ces deux personnages par la suite.
R.
Louis
situe la région d’origine de cette branche girardine proche de
la
ville de Worms en Rhénanie et non dans le Languedoc comme on
l’entend
parfois.
Girart
du naître vers les années 800 puisqu’il est
déjà
marié en 819. Il atteindra un bel âge pour l’époque
puisque sa mort ne surviendra qu’en 877.
Louis le Pieux
Le comte Leuthard aurait épousé une Grimeut et ensemble ils auraient eu au moins deux fils : Girart et Alart ; et une fille nommé Engeltru. Tous trois passèrent vraisemblablement leur petite enfance dans le comté de Fezensac en Aquitaine.
Mariage de Girart
et Berthe d’après une miniature
du Roman de
Girart de Roussillon
Vienne (Autriche)
– vers 1450
L’amitié et le dévouement de Girart envers l’empereur Louis le Pieux lui vaudra ensuite l’attribution d’un nouveau comté ; et pas des moindres puisqu’il s’agit de celui de Paris qu’avait jadis tenu son grand père Girart 1er (3).
Charles le Chauve
entouré de ses officiers
(peut-être y
trouverons nous Alart …)
Détail d’une
enluminure de la Bible de Charles le Chauve (843-851)
Le partage officiel de l’Empire eu lieu en août 843 lors du traité de Verdun. Lothaire recevait outre la Francia orientale et l’Italie, les comtés situés sur la rive gauche de la Saône et du Rhône, et sur la rive droite du Rhône, le Vivarais et l’Uzège. Toute la partie occidentale dont l’Aquitaine, qui avait vu grandir Girart, revint à Charles le Chauve.
A
partir
de 844, Lothaire nomma Girart à la tête des comtés
de Lyon et de Vienne dont l’ensemble prit le titre de duché de
Lyon.
C’est également pendant cette période 844-850 que l’on
apprend
le décès d’un fils de Girart : le petit Thierry,
âgé
d’à peine un an et qui fut inhumé à
Pothières
en Bourgogne.
En 855,
le roi Lothaire meurt. Il avait au préalable réglé
sa succession en partageant son royaume entre ses trois fils. Le
petit Charles reçut la Provence dont le duché de Lyon
formait
la limite Nord.
Charles était
jeune, débile et épileptique. Feu le roi son père
Lothaire Ier avait confié son éducation à
Girart
et c’est tout naturellement que celui-ci devint le véritable
régent
de tout le Royaume de Provence.
Les œuvres du comte Girart dans notre région furent grandes, à commencer par la restitution de nombreux domaines aux Eglises de Lyon et de Vienne, dont celui de Limony aux pieds du Pilat (4).
Sa qualité de duc et régent du Royaume lui permettait d’agir en véritable souverain.
En
août
856, il participa au traité d’Orbe et su sauvegarder les
intérêts
du jeune Charles que ses frères destinaient à la tonsure.
Mais les craintes de Girart portaient plus sur les ambitions de son
vieil
adversaire, Charles le Chauve, que sur celles des frères du roi
de Provence, Lothaire II et Louis II.
Il
s’inquiétait
notamment pour ses domaines situés en Bourgogne et territoire
adverse.
Ceux-ci risquaient à terme d’être annexés à
la couronne de Charles le Chauve.
C’est
dans ce contexte que R. LOUIS place la fondation des abbayes de
Pothières
et de Vézelay, vers 858-859, et qu’il n’hésite pas
à
qualifier « d’œuvre pie d’une singulière habileté
».
Par ces fondations, Girart donnait à ces abbayes tous ses
domaines
bourguignons mais en gardait néanmoins l’usufruit. Il
plaçait
en outre ses fondations sous la tutelle symbolique du Saint
Siège
à Rome. Mais le véritable coup de génie consistait
à désigner Charles le Chauve comme protecteur de ces
abbayes
nouvellement fondées.
De fait
et d’un même geste, Girart réussissait à s’accorder
les faveurs de l’Eglise, à protéger ses domaines des
humeurs
de Charles le Chauve et enfin à s’assurer malgré tout la
jouissance de ceux-ci sa vie durant.
Nous
reviendrons plus loin sur la charte de fondation de ces abbayes qui
demeure
l’un des documents les plus estimables sur la vie de Girart. Notons
simplement
pour mémoire que c’est par cet acte de fondation que nous
connaissons
l’existence
d’Ava, fille de Girart et de Berthe, second et dernier enfant connu de
ce couple.
En
860,
Girart su encore s’illustrer en chassant les Normands qui
étaient
remontés par la vallée du Rhône jusqu’à
Valence.
Nous
mentionnerons ici une lettre de félicitation adressée
à
Girart par Servat Loup, abbé de Ferrières, lequel salue
la
victoire militaire du régent. Plus précisément,
cette
lettre répond aussi à divers questions du comte Girart
à
propos du nouvel évêque de Vienne Adon, lequel avait
été
dans sa jeunesse, moine et disciple de Servat Loup. L’élection
d’Adon
à l’évêché de Vienne semblait ne pas faire
pleinement
l’unanimité et nous voyons là Girart saisir l’occasion de
cette correspondance pour s’occuper personnellement de cette affaire.
Il
en ressortit qu’Adon réunissait toutes les qualités
théologiques
pour assurer cette dignité. Nous verrons alors Girart et Adon
entretenir
des relations de bonne entente durant ces premières
années
d’épiscopat.
Girart et Berthe
d’après
un manuscrit
de la
bibliothèque
municipale d’Auxerre
En
janvier
863, le jeune roi de Provence Charles fut inhumé à St
Pierre
de Lyon ; il n’avait pas résisté à l’une de ses
fréquentes
crises d’épilepsie.
La
réaction
de son frère Louis II ne se fit pas attendre et avec le
consentement
du Pape, celui-ci annexa le Royaume déchu. Girart s’en tint
à
maintenir sous sa coupe le duché de Lyon et de Vienne.
Cette
situation ne dura pas, en mars 863 eu lieu un nouveau partage du
Royaume
: Louis II conservait la Provence alors que Lothaire II
récupérait
le Lyonnais, le Viennois, le Sermorens et sur la rive droite du
Rhône
le Vivarais et l’Uzège. Par ce partage, Girart devenait vassal
du
roi Lothaire II, souverain lointain et demeurant dans ses
régions
Rhénanes, il laissera à Girart les pleins pouvoirs pour
administrer
son duché. Il est d’ailleurs à remarquer que c’est
à
partir de cette époque que Vienne prendra le pas sur Lyon et
deviendra
métropole du duché. Girart sera alors qualifié de
duc de Viennois et non plus duc de Lyonnais.
Lothaire II
Le
paysage
politique allait une nouvelle fois être bouleversé
à
la mort subite du roi Lothaire II survenue le 8 août 869.
Rapidement
Charles le Chauve occupa la Lorraine où il su s’allier la
noblesse.
Un nouveau partage eut lieu entre lui et son frère Louis le
Germanique
en 870, à Meerssen. Charles s’octroya tout ce que Lothaire avait
possédé en Lyonnais et en Viennois.
Les
nobles
ainsi que l’autorité ecclésiastique ne tardèrent
pas
à reconnaître l’autorité de Charles que le
traité
de Meerssen rendait officielle. On verra notamment
l’évêque
de Vienne Adon, tout comme Rémi de Lyon embrasser de suite le
parti
de ce nouveau roi.
Girart,
lui, ne l’entendait pas ainsi. L’arrivée au pouvoir de son vieil
adversaire ne pouvait signifier pour lui que la fin imminente de son
autorité
sur le duché de Viennois. Sans doute su t-il encore s’entourer
de
proches partisans, mais dans l’ensemble il reçut peu de soutien.
Charles
ordonna le siège de la ville de Vienne, il fit dresser ses
tentes
sous les murs antiques et organisa le pillage général de
toute la région.
Il
fallait
se rendre à l’évidence, le comte Girart ne pouvait
opposer
une grande résistance devant l’armée royale, d’autant
qu’à
l’intérieur de la ville de Vienne le roi comptait de solides
appuis.
La comtesse Berthe fit prévenir son mari de sa détresse
et
celui-ci se résigna à une capitulation honorable. Il vint
lui-même ouvrir les portes de la ville à Charles le
Chauve.
Ce dernier y pénétra le 24 décembre 870, sans que
finalement, aucune bataille ne fut livrée.
Sur ce qu’il advint de Girart par la suite, nous ne pouvons qu’être prudent. La tradition veut que Girart rendit au roi toutes ses places fortes et que celui-ci lui accorda en contre partie l’autorisation d’embarquer ses biens sur trois bateaux. Girart aurait ainsi navigué sur le Rhône jusqu’en Avignon, mais à cela, il n’existe aucun document d’époque qui puisse le justifier. Il est d’ailleurs constant qu’à partir de la prise de Vienne, plus aucune charte ne fera mention d’événements liés au comte Girart.
Notes du chapitre I
(1) René LOUIS, Tome 1, « Girart, comte de Vienne (…819-877) et ses fondations monastiques », Auxerre, 1946.
(2) Vic-Fezensac dans le Gers.
(3) On sait qu’il occupe cette fonction en 837-838 lors de la prestation de serment de fidélité de Charles le Chauve.
II. Où il est question de la descendance et retraite de Girart en Viennois…
Il y a plus de trois siècles de cela, Nicolas Chorier (5) répandait l’idée que le comte Girart s’était retiré dans la ville de Roussillon en Isère et que sa postérité avait donné la grande famille de Roussillon du Dauphiné : « Trois bateaux lui furent fournis pour les porter par le Rhosne au lieu qu’il avait destiné… et Girart se fit conduire à Rossillon, qui estoit une dépendance du comté d’Albon. C’est, assurément, de cette terre qu’il prit le nom pour le joindre à son nom propre, quoy que ce ne fût pas alors un usage ordinaire. Il y a apparence que Girard s’y plaisoit plus qu’en nulle part, qu’il venoit s’y divertir de ses grandes occupations et qu’ayant une maison de plaisir, où il demeuroit une partie de l’année, il fut appelé de là Girart de Rossillon… Sa postérité fut puissante dans le Viennois, car c’est de Girard, selon l’opinion de quelques uns, que vint l’illustre maison de Rossillon, qui a duré cinq cens ans après luy. »
Cependant et à propos de la descendance de Girart et Berthe, nous venons de voir avec certitude que nous pouvions compter au moins deux personnages : le petit Thierry mort en bas âge et Ava. Longtemps, les historiens ont émis des avis partagés sur d’éventuels descendants de ce couple, mais depuis l’étude menée par René Louis, il semble que la critique historique ne favorise pas cette possibilité.
Le petit Thierry nous est connu par son décès malheureux alors qu’il n’avait pas atteint l’âge des un an. Cet épisode se situe dans les années 844-850. Quelques années plus tard, vers 858-859, alors que Girart et Berthe fondent les abbayes de Pothières et de Vézelay, apparaît le nom d’Ava, sans doute encore mineure et non mariée, au bas de la charte de fondation. Au plus tôt nous pouvons donc évaluer la naissance de Thierry en 843 et celle de Ava en 833, soit au moins quatorze ans après le mariage de Girart et Berthe en 819. Cet écart de quatorze années nous paraît beaucoup trop long pour ne pas envisager sérieusement que notre couple ait pu avoir d’autres enfants. Certes, ils auraient tous pu subir le même sort que le petit Thierry … Malgré tout, on a du mal à le croire.
Rappelons également qu’après la prise de Vienne en l’an 870, plus aucune charte de l’époque ne nous parlera du comte Girart, cela malgré son illustre carrière. Et même si la tradition situe la retraite de Girart en Avignon, rien ne permet de le justifier catégoriquement.
Une autre tradition, typiquement régionale cette fois, situe au contraire la retraite de Girart dans l’une de ses fameuses places fortes qu’il détenait avant la prise de Vienne, voir même celle dans laquelle il s’était retranché face à l’attaque imminente de Charles le Chauve. L’ennui est, que ne connaissant pas l’emplacement de cette place forte, chacun a laissé libre cour à son imagination. Nous sommes néanmoins convaincu qu’il s’agissait d’un lieu non loin de Vienne pour que Girart lui-même ait eu le temps de venir rendre la ville au roi.
Dernières
ruines
du château de Roussillon au sud de Vienne
(Manuscrit M-58 de
la bibliothèque municipale de Vienne)
Plus
sérieusement,
nous pourrions imaginer la retraite de Girart à quelques lieues
seulement de Vienne, en la ville de Roussillon en Isère, toute
désignée
par sa toponymie. C’était également l’opinion de N.
Chorier
comme nous l’avons vu ci-dessus. Mais encore une fois nous suivrons ici
l’opinion du chanoine P. Cavard lorsqu’il déclare « le
bourg
de Roussillon en Viennois est absolument étranger à la
légende
épique comme à l’histoire réelle » (9).
Toutefois,
le hasard faisant bien les choses, cet auteur relève avec ironie
que non loin de Roussillon, dans le village de Surieu – village qui fut
sous la suzeraineté des seigneurs de Roussillon - il
existe
un culte lié à Saint Lazare de Béthanie et que les
reliques de ce saint auraient été cachées
là
quelques temps au IXè siècle avant d’être
transférées
en Bourgogne. Ces reliques auraient été
accompagnées
de celles de Sainte Marie Madeleine, dont on connaît les liens
étroits
avec Girart de Roussillon…
Ancien cloître
des Pères Chartreux – Sainte-Croix-en-Jarez
A droite, l’arcade
du passage couvert serait antérieure
à la fondation
de la chartreuse en 1280
Notes du chapitre II
(5) Nicolas CHORIER, « Histoire Générale du Dauphiné », tome I, page 526.
(6) C’est Girart lui-même qui emploie le terme « testament » dans la charte de fondation et c’est pour cela que les historiens l’utilise également. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une donation prenant effet à la signature et non pas au décès de Girart et de Berthe. De fait, on ne peut considérer cette charte comme un véritable testament dans lequel Girart aurait réglé sa succession.
(7) Nicolas
CHORIER,
(Op. cit. p. 526) et aussi « Recherches sur les Antiquités
de la ville de Vienne », réédition de 1828, p. 354.
A noter que Chorier
fait remarquer immédiatement que les ruines de ce château
lui semblent trop récentes pour remonter à
l’époque
du comte Girart.
(8) Pierre CAVARD, « Girart de Viane – Vérité et Poésie », manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Vienne, cote M-406.
(9) Pierre CAVARD, (Op. cit.)
(10)
François
JEANTY, « Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez », in
bulletin
« Mémoire des Pays du Gier », n°2,
édité
par l’association ARRH, pages 41 à 47, Juin 1994.
et Patrick BERLIER,
« Avec les pèlerins de Compostelle », pages 43
à
48, éd. Actes Graphiques, Saint-Etienne, 2002.
La notion de
forteresse
est peut-être un peu abusive de notre part. Longtemps, l’opinion
était à croire que le site de Sainte-Croix était
vierge
de toutes constructions avant la fondation de la chartreuse.
Aujourd’hui
nous savons plus précisément qu’il existait un
bâti.
C’est en tous les cas ce qu’il ressort des récentes campagnes
archéologiques
effectuées sur le site.
(11) André DOUZET, « Eléments du Passé de Sainte-Croix-en-Jarez, chartreuse, pour servir à son histoire », Carcassonne, 1994, p. 21 à 25.
III. Où il est maintenant question des Roussillon et de la ville du même nom …
Armes des Roussillon
De gueules, à
l’aigle éployée d’argent
S’il s’avère exacte qu’à partir du XIIIè siècle les Roussillon possédèrent toutes ces propriétés par l’intermédiaire de ses diverses branches familiales, il nous faut tout de même nuancer ces propos car il n’en fut pas ainsi pour les époques antérieures. En effet, les domaines du Lyonnais n’ont été introduits dans les dépendances des Roussillon qu’au tout début du XIIIè siècle alors que ceux du Vivarais ont été portés en héritage à la famille de Roussillon en 1271 (14). Mais il n’en demeure pas moins que la famille de Roussillon était l’une des plus importantes du Dauphiné et qu’elle rivalisait d’influence avec les Dauphins eux-mêmes. C’est d’ailleurs dans la région d’Albon (26), patrie des dauphins, qu’il semble falloir trouver les origines des Roussillon (15).
Malgré tout, ces origines demeurent assez obscures et à ce sujet il existe un certain nombre de théories que nous développerons succinctement à titre informatif.
Tout d’abord, si l’on suit les premiers écrits d’Antoine Vachez (16), il semblerait qu’il faille trouver en la famille Roussillon du Dauphiné une ascendance royale mérovingienne. Cet auteur se base sur une tradition légendaire - dont pour l’heure, nous n’avons pas trouvé de fondement historique - pour assurer que nos Roussillon descendaient de Sigebert, roi d’Austrasie et troisième fils de Clotaire 1er. C’est aussi cette tradition légendaire qui prête à cette famille seigneuriale, Girart de Roussillon (…819-877) pour ancêtre.
Une autre hypothèse assez savoureuse et dont nous reparlerons ci-dessous propose une origine à cette famille datant de l’époque gallo-romaine avec dans un premier temps un patronyme Urseolus qui se serait muté ensuite en Russeolus pour finir enfin en Roussillon (17).
Enfin, une dernière piste récemment développée, associe en quelque sorte les deux précédentes. Patrick Berlier (18), tout en repartant du patronyme Urseolus, avance que la famille Roussillon du Dauphiné pourrait être issue de celle de la région pyrénéenne que nous aborderons aussi dans la suite de cet exposé. Cet auteur voit en la forme primitive du patronyme Urseolus une allusion directe à l’Ours, animal totem des grandes familles mérovingiennes. Mais P. Berlier va plus loin encore en plaçant notre famille Roussillon comme l’ancêtre des comtes de Forez de la première race, et grande suzeraine de la région du Pilat (Rois de l’Axe du Monde).
Sceau de Guigues de
Roussillon
(Branche d’Anjou)
Antoine Vachez définit ainsi les premiers membres connus de cette illustre famille :
Le
premier
à être recensé serait selon nos historiens un
Gérard
ou Girard de Roussillon, gouverneur de Vienne en 1045 et qui
décède
en 1050 (19). Il nous est connu pour avoir été «
vaincu
par l’empereur Henri III, à qui il fut contraint de se rendre
à
discrétion en l’année 1045. » Nous reviendrons par
la suite sur ce personnage qui demeure somme toute assez
énigmatique.
Ensuite,
nous connaissons Artaud 1er de Roussillon qui semble présent
dans
un acte de 1079 puis d’autres de 1095 à 1099.
Viennent
encore Guillaume (1057) et Gérard de Roussillon, père et
fils. Ce Gérard de Roussillon aurait conduit les Croisés
dauphinois en Terre Sainte en l’an 1096, où il commandait le
11è
bataillon de l’armée chrétienne, dans le corps
d’armée
de Raymond, comte de St-Gilles. Là encore, nous apporterons
quelques
compléments sur ce Gérard de Roussillon qui, à
notre
avis, n’appartient pas aux Roussillon du Dauphiné.
Enfin, A. Vachez cite encore Artaud II comme successeur d’Artaud 1er (ci-dessus) et père d’Artaud III ; mais ces liens de filiations ne sont suggérés que par les similitudes des prénoms et nous ne pourrons nous y fier de manière certaine ; d’autant que nous n’avons trouvé que peu d’actes du XIIè siècle susceptible de nous renseigner sur cet Artaud II (20). De même, l’écart séparant Artaud 1er (1079 et peut-être même 1066) d’Artaud III (1202) nous semble trop important pour imaginer Artaud II fils du premier et père du second et nous suspectons A. Vachez d’aller un peu vite en besogne sur ce point !
Pour ce qui est du XIè siècle, nous ajouterons à notre tour Ponce de Roussillon, mentionné vers l’an 1066 dans une charte de l’abbaye de Saint-Sauveur-en-Rue (21) ; charte dans laquelle il est également fait mention d’Artaud, frère de Ponce. Il pourrait s’agir là d’Artaud 1er dont nous avons parlé ci-dessus.
Les dernières études « récentes » (22) traitant de ce sujet n’apportent pas d’autres membres connus à cette famille de Roussillon, du moins jusqu’à Artaud III (1202-1228). A partir de celui-ci nous pourrons suivre la généalogie des Roussillon sans interruption. Nous renverrons alors le lecteur à l’ouvrage de A. VACHEZ pour la suite de cette généalogie qui nous paraît assez fiable.
Comme nous venons de le voir, les origines des Roussillon restent à définir. Le XIè siècle qui nous renseigne sur les premiers membres connus de cette famille est aussi un siècle où le patronyme commence à peine à se figer. Il n’y a donc rien surprenant à ne pas en trouver trace avant cette époque.
Roussillon
(Isère)
La vieille porte de
l’enceinte médiévale
Néanmoins
faut-il encore que la ville de Roussillon porta déjà ce
nom
à l’époque qui nous intéresse ! Et cela ne se
vérifie
pas facilement puisque certains auteurs retiennent l’an 923 comme
première
apparition du toponyme « Rosselione » (24) alors que les
recherches
en cours ne valident cette première mention que pour le
XIè
siècle (25). Au delà de cette période, nous ne
pouvons
qu’être prudent sur la manière dont on dénommait
cette
localité : l’abbé Granger voit en la ville de Roussillon
l’antique Figlinae (26) qui évoquerait un lieu où l’on
trouve
des potiers, mais il semble que les historiens modernes
préfèrent
associer à cette station romaine la ville de St Rambert d’Albon
(26) située 11 km au sud de Roussillon (27).
Une autre
mention également très ancienne est celle figurant cette
fois sur l’Itinéraire d’Antonin (IIIè siècle ap.
J.C.)
et qui cite le long du Rhône entre Vienne et Valence la
localité
d’Ursolis (28). Là encore la critique moderne attribue ce
toponyme
ancien à la ville de St Vallier (26) distante seulement de 24 km
de Roussillon. Néanmoins il nous paraît intéressant
ici de rappeler que l’une des hypothèses sur l’origine du nom
«
Roussillon » serait que celui-ci viendrait du mot «
Urseolus
», transformé progressivement en « Russeolus »
; avec cette éventualité proposée par André
Douzet (29), on ne peut que se satisfaire du rapprochement possible
entre
les mots Ursolis et Urseolus…
Rappelons
succinctement ce qu’en dit cet auteur. Il aurait existé à
l’époque gallo-romaine une famille portant le nom d’Urseolus et
suffisamment importante pour détenir des domaines dans le massif
du Pilat, dans la région de Vienne ainsi que dans la
vallée
du Gier. A partir du IVè siècle, le patronyme devient
Russeolus
et cette famille semble participer activement aux
évènements
guerriers de cette époque. André Douzet n’en dit
guère
plus mais il s’appuie sur les écrits d’un certain
Théodore
Lavallée (30) qui paraît avoir publié une
thèse
à ce propos. D’après cet auteur qui reste
énigmatique,
il ne ferait aucun doute que la famille Roussillon du Dauphiné
descendrait
de cette branche Russeolus…
Faute
d’avoir pu trouver et vérifier cette source, il nous
paraît
difficile d’émettre un avis quelconque sur cette théorie,
malgré cela, cette piste nous semblait intéressante
à
présenter ici et peut être quelque lecteur pourra nous
renseigner
plus abondamment.
D’un
autre coté, il apparaît que l’un des chefs du peuple
Allobroge
portait au temps de Jules César le nom de Roscille et c’est ce
qui
a fait dire à Madeleine COSTE (31) que « certains croient
que Roussillon a pris son nom »…
Notes du chapitre III
(13) Antoine VACHEZ, « Les Roussillon-Annonay - Recherches Historiques et Généalogiques », 1896. Réédition de l’association Visage de Notre Pilat, p. 3.
(14) C’est
Alix
de Glane, épouse de Artaud III de Roussillon (1202-1228) qui
apporta
en dot les terres de Riverie, Dargoire, Châteauneuf, … en
Lyonnais.
De même, la
Seigneurie d’Annonay fut léguée à Guillaume de
Roussillon
par Aymar seigneur d’Annonay, (testament du 6 juin 1271).
(15) A.
VACHEZ
(Op. Cit. p. 4).
Nous ajouterons que
c’est aussi dans les premières années du XIè
siècle
qu’il faut trouver les origines des comtes d’Albon.
(16) A.
VACHEZ,
« La fondation de la Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez »,
in « Revue du Lyonnais », Tome 30, Lyon, 1865.
Et aussi Emmanuel
NICOD, « Guillaume et Artaud de Roussillon, seigneurs d’Annonay
»,
in « Revue du Vivarais », Tome 9, Privas, 1901.
Lors de
l’édition
de son ouvrage sur la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez en 1904,
Antoine
Vachez mentionne à nouveau cette tradition d’une origine
mérovingienne
mais sans y accorder beaucoup de crédit cette fois.
(17)
André
DOUZET, « Eléments du Passé de
Sainte-Croix-en-Jarez,
chartreuse, pour servir à son histoire », Carcassonne,
1994,
p. 17.
Et le site
internet
http://www.societe-perillos.com/roussillon.html , du même auteur.
(18) Patrick BERLIER, « La société Angélique », Editions ARQUA, 2004, pp. 203 à 212.
(19) A. VACHEZ (Op. cit. p. 15).
(20) Une charte du cartulaire de Saint-Maurice de Vienne (F° 84 v°, n° 220, édition par U. Chevalier, Paris, 1912, p. 12-13. ) mentionne en effet « Artaldum et Poncium de Rossilione, fratres » et cela pour l’année 1192. Néanmoins nous ne pourrons affirmer qu’il s’agit là d’Artaud II car à cette époque cette charte pouvait tout aussi bien faire état d’Artaud III.
(21) Comte de CHARPIN-FEUGEROLLE, « Cartulaire de l’abbaye de Saint-Sauveur-en-Rue », extraits édités par l’association Visage de Notre Pilat, juin 1994, p. 270.
(22)
Abbé
Granger dans « Roussillon et son canton », 1949 -
Réédition
dans Monographies des villes et villages de France, Paris, Res
Universis,
1993.
Cet ouvrage est, en
fait, un collectif simplement préfacé par l’abbé
Granger.
Lorsque nous mentionnerons l’abbé Granger par la suite il faudra
comprendre l’ensemble des personnes ayant participé à la
rédaction de ce livre.
Et
Louis DUFIER, Pages
d’histoire en Dauphiné, « Canton de Roussillon »,
Editions
Bellier, Lyon, 1999.
(23) Voici ce qu’en écrit l’abbé Granger (Op. cit.p.15) : « Le Manoir des Roussillon s’élevait, au début du Xè siècle probablement, au Nord de l’église actuelle, sur une butte qui semble amassée par la main des hommes. Il était formé de bâtiments considérables. »
(24) Louis
DUFIER,
(Op. cit. p. 14.).
Pour sa part,
l’ouvrage
de l’abbé Granger (Op. cit. p. 14) mentionne les dates de 915 et
975 sans donner plus de détail.
(25) Cet avis que nous partageons est celui de M. Georges MAZOUYÈS, président de l’association « Roussillon Evocations », in « Patrimoine en Isère - Pays de Roussillon », 2003.
(26) Figlinis sur la Table de Peutinger.
(27)
André
PELLETIER, « Vienne Gallo-Romaine au Bas-Empire »,
numéro
spécial du bulletin de la Société des Amis de
Vienne,
1974, p.134
Et
Franck DORY, «
La voie romaine d’Agrippa de Vienne à St Vallier », dans
l’Indépendant
du Viennois, n°10 – 26, septembre 1992 – avril 1993.
On pourra consulter
également le site internet :
http://crehangec.free.fr/rhon.htm#26
où l’on peut voir notamment une partie de la Table de Peutinger
avec la station de Figlinis.
(28) Guy ALLARD, « Dictionnaire du Dauphiné », Tome 2, Grenoble, 1864, « Roussillon ». Cet auteur n’hésite pas quant à lui à identifier la localité d’Ursolis à celle de Roussillon.
(29) A. DOUZET, (Op. cit. p. 17)
(30)
Théodore
LAVALLEE.
D’après les
renseignements aimablement fournis par M. André Douzet,
Théodore
Lavallée serait l’auteur d’une thèse dont nous ignorons
le
thème, rédigée il y a déjà fort
longtemps
et qui lui fut confiée par un certain M. Lucien Rouge de la
région
viennoise il y a une vingtaine d’années.
IV. De Girard en Gérard, où la similitude des prénoms pourrait être une piste …
Il est
un fait soit disant avéré que plusieurs membres de la
famille
de Roussillon portaient le prénom de Gérard ou Girard et
comme il était souvent d’usage au moyen âge de transmettre
les prénoms de générations en
générations,
nous ne trouverions rien d’anormal d’établir sur cette
constatation
un lien avec le comte Girart historique.
Revenons
donc sur les deux Gérard de Roussillon que mentionnent nos
historiens
locaux pour la période la plus ancienne qui nous
intéresse,
à savoir le XIè siècle. Il nous apparaît ici
nécessaire d’approfondir nos connaissances sur ces deux
individus
afin d’établir ce lien éventuel avec le comte Girart.
Hors après
réflexion, cette éventualité basée sur la
similitude
des prénoms nous apparaît peu fondée et cela pour
deux
raisons.
D’une
part nous partageons le sentiment de Vachez (32) lorsqu’il
déclare
que le prénom Gérard ou Girard était très
en
vogue à cette époque et qu’il n’y aurait donc rien
d’étonnant
à le retrouver dans une famille aussi prestigieuse que celle des
Roussillon.
D’autre
part, l’authenticité des deux Gérard
précités
nous semble plus que douteuse, du moins quant à leur
appartenance
à la branche des Roussillon du Dauphiné. Les lignes qui
vont
suivre s’attarderont à expliquer le fondement de notre opinion
sur
ce point et pour cela nous nommerons arbitrairement Gérard I
celui
qui nous est connu en 1045 et 1050 et le second, Gérard II qui
alla
guerroyer en Terre Sainte lors de la première croisade.
Gérard I de Roussillon (1045-1050)
A
notre
connaissance, Antoine Vachez est le premier historien à citer un
Gérard de Roussillon, membre de la famille de Roussillon du
Dauphiné
en l’an 1045 et 1050 (33). Après lui, il semble que les auteurs
et historiens se soient contentés de l’érudition de leur
prédécesseur pour affirmer que ce Gérard existait
bien à cette époque (34).
Deux
sources, en effet, datant respectivement des années 1045 et
environ
1050 nous parlent de Gérard I comme comte et gouverneur de
Vienne.
A. Vachez ne semble pas utiliser directement ces deux sources mais il
cite
en référence des auteurs et historiens qui ont pignon sur
rue en matière d’histoire régionale ! Alfred de
Terrebasse
(35), Chorier (36) et Charvet (37). Hors à aucun moment ces
auteurs
ne mentionnent Girard I comme appartenant à la famille de
Roussillon
qui nous intéresse.
Epitaphe de Girard
relevée par Chorier, on notera à la fin les lettres ML
qui ont fait dire
à Chorier qu’il s’agissait de la date de 1050.
En
réalité
le L ne figure pas sur l’épitaphe et la présence d’un D
et
M
en dernière
ligne existerait également sur d’autres épitaphes (A. de
Terrebasse)
D’autre
part, il est un autre fait à propos duquel Chorier pourrait
être
encore l’inventeur : il s’agit de présenter Gérard I
comme
comte et gouverneur de Vienne. Hors l’épitaphe qui nous est
conservée
ne le précise pas … Elle stipule simplement : « …TESAVRI
MAGNA
COLUMNA. NOMINE GIRARDVS, … ». Ce qui signifierait qu’il s’agit
d’un
« Trésorier » (40)…
Sur ce
sujet, les historiens ne sont en effet pas toujours d’accord. Comme
nous
venons de le dire, Chorier place Gérard I comte et gouverneur de
Vienne car il l’assimile à ce comte Gérard, prince
bourguignon
cité par A. du Chesne et qui aurait été «
vaincu
par l’empereur Henri III à qui il fut contraint de se rendre
à
discrétion en l’an 1045 » (41). Collombet suit l’opinion
de
Chorier en ajoutant qu’un simple trésorier n’aurait pas eu sa
place
dans l’enceinte de l’Eglise Saint-Pierre de Vienne et que par
conséquent
il ne pouvait s’agir que d’un laïc haut placé tel un comte.
Pour
sa part, A. de Terrebasse (42) ne suit pas du tout cette version car il
mentionne une épitaphe similaire existant à Lyon et se
rapportant
à un Chanoine de l’Eglise de Lyon. Pour lui, le contenu de
l’épitaphe
de Vienne ne permet à aucun moment d’identifier Gérard I
à un comte ou gouverneur de Vienne.
Ajoutons
que Terrebasse ne mentionne également à aucun moment que
ce Gérard I aurait appartenu à la branche des Roussillon
du Dauphiné … Ce qui est d’ailleurs des plus surprenant car
étant
lui même descendant de l’une de ces familles nobles qui jadis
étaient
seigneurs d’Anjou, il ne pouvait avoir manqué de
s’intéresser
à la célèbre famille de Roussillon !
Néanmoins, et nous l’avons vu avec A. du Chesne, il existe encore une autre source susceptible de nous renseigner sur Gérard I, il s’agit de celle datant de l’an 1045. Hors une fois de plus celle-ci ne nous apprend rien de mieux, si ce n’est l’existence d’un dénommé Gerolt qui fut vaincu par l’empereur Henri III : « Soleure, 1045 : Reginolt (Renaud) et Gerolt (Girard de Vienne) Burgundiones regi (Henri III) apud Solodorum ad deditionem venerunt » (43). Dans cet extrait, la mention entre parenthèses de Girard de Vienne est de la main d’U. Chevalier qui devait alors s’appuyer sur l’opinion généralement admise pour considérer ce Gerolt comme comte de Vienne !
Enfin, pour en terminer avec Gérard I, rappelons que Vachez cite en dernier lieu Charvet (44) et qu’il s’agit là, encore une fois, d’une erreur monumentale puisque l’épitaphe que mentionne Charvet dans son ouvrage n’est autre que celle de Girard de Roussillon décédé le 25 mai 1263 et qui n’a donc rien à voir avec celui qui nous intéresse ici !
Gérard II de Roussillon (1096)
De la
même manière, nous allons maintenant nous attarder
à
démontrer que le Gérard II mentionné par Antoine
Vachez
n’a pas plus de raison de figurer dans la généalogie des
Roussillon dauphinois que le Gérard I.
Rappelons
ce qu’en disait A. Vachez (45) : « les chroniqueurs et notamment
Le Laboureur citent le nom de Guillaume, …, père de
Gérard
de Roussillon, qui conduisit, en 1096, les croisés dauphinois en
Terre-Sainte, où il commandait le 11è bataillon de
l’armée
chrétienne, dans le corps d’armée de Raymond, comte de
Saint-Gilles
».
Vachez cite cette
fois en référence Le Laboureur (46) et Guy Allard (47).
Nous
ajouterons qu’à notre connaissance, aucune de nos chartes
régionales
ne nous apprend l’existence de ce Gérard II à cette
époque
et que seule la première croisade nous en parle.
Donc,
pour notre part, nous suivrons de préférence l’ouvrage de
P. Roger (48), qui présente une étude très
complète
sur ces fameuses croisades.
Hors,
dans son livre, nous ne trouvons mentionné pour la
première
croisade que deux membres de la famille Roussillon : «
Gérard,
comte de Roussillon. Roussillon (Dom Vaissette. Musée de
Versailles)
– Gausfred de Roussillon, fils du comte Gérard. Roussillon (Dom
Vaissette) ».
A en
croire P. Roger, Gérard de Roussillon serait membre de la
famille
Roussillon du Roussillon, en région pyrénéenne et
non de celle du Dauphiné. Il lui accorde en outre un fils, du
nom
de Gausfred, qui comme nous l’avons vu, n’apparaît pas dans la
généalogie
établie des Roussillon dauphinois.
Cette famille de Roussillon de la région pyrénéenne a également été abordée par R. Louis (49) dans son ouvrage sur Girart de Roussillon. Cet érudit nous apprend à son tour qu’il existait des comtes et ducs de Roussillon (50) dans la deuxième moitié du Xè siècle. Il cite le nom de Guifred de Roussillon pour l’an 981, puis Gauzfred et Guilabert. Il ajoute enfin : « Guilabert II, qui gouverna le comté de 1060 environ à 1102, donna le nom de Girart à son fils aîné. Ce Girart Ier, avec nombre de ses vassaux, prit part à la première croisade sous le commandement de Raymond de Saint-Gilles, se distingua par ses prouesses au siège de Nicée (1097), à la bataille devant Antioche (1098), et fut l’un des premiers à entrer dans Jérusalem (1099). Revenu en Roussillon en 1100, il succéda en 1102 à son père Guilabert. Il se disposait en 1107 à aller combattre les Sarrasins d’Espagne … En réalité, il fit peu après une nouvelle expédition en Terre-Sainte. Le 27 septembre 1109, Agnès, sa femme, comtesse de Roussillon, unit à l’abbaye de La Grasse celle de Sorède, avec promesse de faire ratifier cette union par le comte Girart, son époux, au cas où il reviendrait du Saint-Sépulcre. Il en revint vers la fin de 1112, mais mourut assassiné en 1113, laissant plusieurs enfants. Son fils, Gauzfred III, eut pour successeur Girart II, dernier comte de Roussillon, qui, à sa mort, en 1172, laissa le comté au roi d’Aragon. »
Nous ajouterons en dernier lieu que le prénom Girard, apparaît néanmoins chez nos seigneurs de Roussillon, mais seulement à partir du XIIIè siècle, époque à laquelle – malheureusement pour notre hypothèse de départ – on le retrouve tout aussi bien dans n’importe quelle famille chevaleresque.
Notes du chapitre IV
(32) A. VACHEZ (Op. cit. p. 4).
(33) Op. cit. P. 4 et 14.
(34)
L’abbé
GRANGER (Op. cit. p. 15) et Louis DUFIER (Op. cit. p. 14).
Pour sa part, G.
MAZOUYES
ne mentionne pas ce Gérard I dans les premiers membres connus de
la famille Roussillon.
(35) A. de
TERREBASSE,
« Inscriptions de Vienne », T1, p. 186.
Rectifions là
une demi erreur de Vachez qui cite cette source, car s’il s’agit bien
du
tome 1 auquel a participé A. de Terrebasse sur les inscriptions
de Vienne, ce volume s’inscrit néanmoins dans une composition
dirigée
par Allmer et qui comportait quatre volumes préalables. Pour le
chercheur désirant consulter cette source il faudra donc se
reporter
au tome 5 des Inscriptions de Vienne et non au tome 1.
(36) Nicolas CHORIER, « Recherches sur les Antiquités de la ville de Vienne », réédition de 1828, p. 266.
(37) C. CHARVET, « Histoire de la Sainte Eglise de Vienne », 1761, p. 779.
(38) Chorier parle ici du Girart historique (819-877).
(39) André du CHESNE, « Histoire des Roys, Ducs et Comtes de Bourgogne », Paris, 1619, p. 242.
(40) C’est également la traduction qu’en donne U. CHEVALIER, « Regeste Dauphinois », Tome I, p. 319, n°1887.
(41) F.-Z. COLLOMBET, « Histoire de la Sainte Eglise de Vienne », Lyon, 1847, Tome I, p. 408.
(42) Alfred de TERREBASSE (Op. cit.).
(43) Ulysse CHEVALIER, « Regeste Dauphinois », Tome I, p. 310, n°1829.
(44) C. CHARVET (Op. cit.).
(45) Antoine VACHEZ (Op. cit. p. 15-16).
(46) Le Laboureur, « Mazures de l’Isle-Barbe », p. 528.
(47) Guy ALLARD, « Dictionnaire du Dauphiné », Chapitre « Roussillon ».
(48) P. ROGER, « La noblesse de France aux croisades », Paris, 1845, p. 188.
(49)
René
LOUIS, Tome 3 « Girart, comte de Vienne, dans les chansons de
Geste
», 2è partie, Auxerre, 1947, p. 276 et suivantes.
et aussi la page web
: http://www.cg66.fr/culture/_Expositions/Ancetres/ANC-girard.htm
Fin de
la
1ère Partie
Nous
remercions vivement Eric pour ce superbe travail.
Personne jusque-là, n'a pu rester indifférent à André Douzet, dont les recherches demeurent hors du commun. Décrié, contesté, respecté ou adoré, il apporte chaque année de nouvelles pistes, bien souvent imprévisibles, ceci sur bien des sujets engagés, ayant pour cadre des mystères aussi tenaces que profonds. Avant tout originaire du Pilat, il a beaucoup parcouru ces lieux, qui lui tiennent tant à coeur, avant voici maintenant plus d'une dizaine d'années de se rapprocher géographiquement du Saint des Saints : Rennes-le-Château. Dans cette Affaire, il a notamment découvert une maquette, apparemment directement commandé par l'abbé Saunière, maquette qui a fait couler beaucoup d'encre dans ce milieu passionné et passionnant. C'est maintenant à Périllos, petit village des pyrénées, qu'André a plus particulièrement jeté l'ancre. Là-bas, il s'est retrouvé sur des pistes intrigantes. Chercheur, écrivain et conférencier, toutes ces cordes à son arc, lui permettent de débroussailler de nombreux sentiers non balisés. Le Pilat est toujours resté cher à son coeur et omniprésent dans ses recherches ; c'est lors de son passage à la Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez que nous l'avons rencontré, lors d'un entretien sans tabou, où nous avons pu passer en revue un panel exhaustif de questions. |
|
RDP : Vos découvertes sont elles le meilleur des encouragements ?
AD : Pas forcément… le meilleur encouragement est surtout ce sentiment intime d’être sur une piste oubliée de tous et qu’elle puisse aboutir en la suivant. Certes une découverte est une motivation… mais si elle n’est pas l’aboutissement, elle représente seulement une étape qui une fois faite perd tout son attrait.
RDP : L’ancienne Chartreuse de Ste Croix-en-Jarez demeure au coeur de certaines de vos investigations, pouvez vous revenir sur les raisons intimes qui selon vous ont conduit à la fondation de ce monastère ?
RDP : Le songe merveilleux masque-t-il selon vous des intentions plus secrètes ?
AD : Le songe est un leurre parfaitement orchestré… avec ou sans le consentement de Béatrix. D’ailleurs il me semble qu’elle en fit les frais en se trouvant sous séquestre sévère ayant toutes les formes d’une retraite paisible et religieuse… car de quoi aurait bien pu avoir à se faire pardonner Béatrix ? Non… ce ‘miracle’ bien huilé était la seule façon d’officialiser un autre événement bien plus grave et important que les visions de la Dame de Châteauneuf ! Vous trouverez, d’ailleurs, sur notre site Société Périllos, le démontage de ce récit fabuleux et d’autres détails surprenants sur les ‘conditions de détention’ de celle qui permit que tout se passe sans que personne ne vienne s’en inquiéter de trop près ! Il y eut quelque chose de déposer dans la forteresse primitive. Mais les temps ayant changé une garnison aurait attiré l’attention. En échange une ‘garnison’ de chartreux détournait tout soupçon ou doute. Béatrix en fit les frais et je pense de manière consentante. A la question (que vous auriez pu me poser) : « Mais qu’a t'on pu cacher sous Ste Croix , qui mérite une telle machination ? », je répondrai qu’elle concerne une information remontant à la fin de l’Antiquité et qui ne pouvait plus être déplacée vers le milieu du Moyen-Âge. J’ajoute que si révélation il y avait eu, bien des choses pouvaient basculer tant sur le plan religieux que pour les dynasties royales en place !
RDP : Bon nombre d’historiens font se terminer ‘l’épopée’ des Croisades en 1270, à la mort de St Louis. Certes, il subsistait des positions croisées, ceci jusqu’en 1291 et la Chute d’Acre. Comment dans ce contexte percevez-vous la mission impérieuse, presque suicidaire en apparence, qui fut confiée à Guillaume de Roussillon en 1274 par le roi de France Philippe III le Hardi ? Existe-t-il selon vous d’autres motivations que celles évoquées par les historiens, comme par exemple Vachez, ayant poussé ce valeureux seigneur à accepter ce ‘combat’ en partie perdu d’avance ?
Je dis que Guillaume de
Roussillon était bien conscient que la mission qu’on lui
demandait
de conduire allait lui coûter la vie…Quelle pouvait-elle
être
pour qu’il l’accepte ? Quel enjeu pouvait être suffisant pour un
tel sacrifice ? De plus, observons que des milliers d’hommes ne peuvent
plus maintenir la puissance des croisés. Comment peut-on croire
que les derniers renforts de tout au plus deux cents hommes, même
très courageux, peuvent changer la face de la
débâcle
? Non… ce soit disant contingent de renforts pour les croisés
sent
en fait le baroud d’honneur ou l’opération commando qui
doit
être menée vite et durement. Oui… mais quelle
opération
en force doit conduire Guillaume avec cet escadron dérisoire ?
De
plus si cette manœuvre pourrait bien être conjointe avec
Guillaume
de Beaujeu (puisque l’ordre stipule que Guillaume peut s’en remettre
à
lui) qui est le grand maître du Temple en Palestine.
RDP : Vous partagez le point de vue de l’éventualité fondée, d’un lointain lien de parenté entre les Roussillon du Pilat et le célèbre Girard de Roussillon. Est-ce pour vous une certitude ou une probabilité ?
RDP : De près ou de loin, votre patiente réflexion vous permet-elle de penser que l’Ordre du Temple a joué un rôle dans le proche environnement de la Chartreuse de Ste Croix juste avant la fondation et dans les décennies ayant suivies cette même fondation ? Entre autres, vous évoquiez jadis la légende du chevalier blanc, cette dernière reste-t-elle simplement une légende, alors sans fondement ?
RDP : Depuis maintenant environ 10 ans, vous avez établi des liens novateurs entre l’Affaire de Rennes-le-Château et la région lyonnaise, notamment avec l’accumulation de tout un tas d’indices accréditant la venue de l’abbé Saunière dans le Pilat. Est-ce que pour vous ces déplacements plutôt ‘clandestins’ du curé Audois ont un rôle stratégique majeur dans la finalité de l’énigme de Rennes-le-Château ?
AD : J’ignore ce que la stratégie tient comme place dans ces liens. Le fait est qu’il n’est plus possible de nier les voyages de Saunière à Lyon (puisque nous savons précisément où, et quand, il y était reçu) et dans le Pilat (factures de location de voitures attelées et accident de l’une d’elles dans un secteur du Pilat !). Et puis, sur le principe, qu’y aurait-il eu d’inconcevable si ce curé était venu dans cette contrée ?Il faisait de nombreux déplacements… pourquoi pas celui-ci ? J’ajoute que je ne suis pas le seul à entretenir cette hypothèse. Depuis plusieurs mois d’autres documents retrouvés vont dans ce sens et il n’est guère possible, de bonne foi, de nier l’évidence. Selon ces derniers éléments il est certain qu’une partie de l’énigme de RLC – Périllos se trouve (ou se trouvait) dans certains lieux du Pilat ! (voir sur ces sujets nos interventions sur notre site : BS à Lyon et dans le Pilat).
RDP : Autrement dit le Pilat est-il une clef indispensable au juste déchiffrage du mystère ?
RDP : Une partie de vos arguments sur ces liens entre Rennes-le-Château et le Pilat s’appuie sur le désormais célèbre tableau volé de la Chapelle de la Madeleine, or, la Société Historique Visages de Notre Pilat par le biais d’une enquête à épisodes qu’ils ont fait paraître dans leur revue Dan l’Tan, a informé ses lecteurs de la probable réalisation de ce même tableau seulement vers 1920, donc postérieure à la mort de Saunière. C’est l’occasion de donner votre point de vue sur ce sujet : estimez-vous finalement possible que ce tableau puisse en rien avoir influencé Saunière dans le bas relief qu’il aurait lui-même peint dans son église, où un cryptage aurait été laissé ? Au contraire, votre point de vue est-il de plus en plus précis et de plus en plus certain ?
Ensuite vous avancez la
date de 1920 comme étant celle de la réalisation de ce
tableau.
Ceci pour argumenter sur le fait que Saunière ne pouvait avoir
vu
cette œuvre… Je reprends les termes indiquant que « la probable
réalisation
de ce même tableau seulement vers 1920, donc postérieure
à
la mort de Saunière ». ‘Probable’ ne signifie jamais
‘certitude’…
il me semble. Ensuite Saunière décède en 1917… Il
ne nous reste déjà plus que 3 ans de différence
pour
qu’il ait une chance d’avoir vu cette peinture. Cependant ces 3
ans
sont acceptables si la date de 1920 est CERTAINE et il n’y a rien de
moins
confirmable avec cette précision redoutable!
Ce qui m’étonne c’est
des personnes ‘enquêtant’ sur cette disparition qui ne disposent
pas des clichés de ce tableau (ce qui aurait pu permettre d’en
faire
une VRAIE copie et non pas ce que l’on voit maintenant dans la
chapelle)
et surtout de la ‘pièce’ au dos avec date et nom d’au moins une
des personne ayant souhaité ce tableau ici. Si l’on ajoute que
cette
‘bienfaitrice’ était la personne qui hébergeait
Saunière
on est en droit de se poser des questions sur les dates avancées
! Enfin sur cette ‘pièce’ se lit clairement une information en
relation
avec BS… Mais peut-être les ‘enquêteurs’ nous diront qu’il
ne s’agit que d’un hasard ?(Voir sur le sujet notre page BS dans le
Pilat
sur notre site).
RDP : Lorsque l’on approfondit les multiples pistes sur la fortune subite de Bérenger Saunière, il en est une qui nous mène et ceci maintenant depuis un certain temps, aux Mérovingiens, bien sûr à leur ancêtre présumé le plus célèbre, Jésus, mais aussi et là notamment par le fruit de vos recherches à certains de leurs descendants, plus ou moins connus. Effectivement, par le passé en ayant établi un lien généalogique entre les Roussillon du Pilat et Girard de Roussillon, vous supposiez également que ce même Girard de Roussillon puisse être un descendant de ces mêmes Mérovingiens. Croyez-vous toujours à la pertinence de cette piste ?
AD : Il faut à tout être humain pour naître… un père et une mère… à très peu d’exceptions près. Les Roussillon ont eu forcément des origines très lointaines et nobles… Et s’ils sont issus de la racine des Francs ils ont forcément eu un ancêtre aux époques mérovingiennes. C’est une évidence génétique pour toutes les personnes ayant vécu à ce moment, et donc pour leurs descendants ! Si l’on veut me faire dire que les Roussillon descendent directement de Mérovée, je réponds catégoriquement : « je ne sais pas et j’en serai étonné ». En échange je ne crains pas d’affirmer que oui les Roussillon existaient en tant que seigneurs à cette époque mérovingienne. De plus leur puissance étant un état de fait depuis fort longtemps je ne vois rien d’impossible dans le fait qu’il y eut des liens ‘féodaux’ entre ces familles royales et aristocratiques. Il me semble que d’autres familles ayant eu de la puissance dans le Pilat peuvent aussi entrer en liste à propos des Mérovingiens… et je ne suis pas le seul à le penser. Si je ne puis être catégorique, qui peut l’être pour me contredire.
RDP : De plus en plus, et notamment sur le Net, lorsque l’on évoque André Douzet, on l’assimile à Périllos, petit village pyrénéen distant de plusieurs dizaines de kilomètres de Rennes-le-Château et pourtant apparemment pas totalement étranger à l’Affaire de la célèbre cité Audoise. Pouvez-vous de manière simple nous résumer les liens et rapports entre Périllos et les secrets de l’abbé Saunière ? Là encore Périllos joue-t-il un rôle majeur selon vous dans le juste décryptage de l’énigme ?
AD : Les liens sont simples et vérifiables. Nous avons 4 prêtres impliqués dans l’affaire de RLC : Bigou, Gélis, Boudet et Saunière… plus au moins 2 évêques. On observe que 2 furent vicaires à Durban et que les deux autres passèrent de nombreuses fois dans ce village. De ce point le lien se poursuit ainsi :Lors du rattachement du Roussillon à la France les biens des Périllos échouèrent aux seigneurs de Durban. Les titres et propriétés à la ‘maison’ des barons de Durban et les archives religieuses à l’église de Durban. Nous disposons d’une grande partie de ces archives récupérées. On y trouve des informations claires sur les terres des Périllos recelant un lopin intouchable abritant « un tombeau royal et sacré » ! Ce n’est pas tout car nous avons la maquette commandée par BS. Elle représente en volume une partie du paysage des terres des Périllos. On y trouve plusieurs indications religieuses dont celles du…tombeau de Jésus et plus loin celui de Joseph d’Arimathie ! Admettons que de la part d’un curé ce genre de chose a tout lieu de nous surprendre. Mais si l’on superpose l’acte des propriétés (Notaire royal Courtade-1632)concernant le ‘lopin’ et les sites de la maquette nous arrivons aux mêmes lieux ! Lieux contenant des cavités dont une n’a toujours pas été violée… l’entrée correspond totalement à ce qu’on sait des fermetures des tombes juives de Jérusalem il y a… 2000 ans ! Il y a donc de fortes chances pour que le site et le passé de Périllos joue un rôle majeur dans le décryptage du secret de BS… Si les Périllos étaient de tout temps sur les terres que nous savons… ils devaient allégeance aux princes de Roussillon et aux rois de Catalogne ! Si les Roussillon des Pyrénées Orientales sont de la maison de celui qui sera ‘Girard’… plus rien n’empêche qu’une partie de la ‘transmission’ ne soit fait, il y a des siècles, sur des éléments déposés dans le Pilat. Par ailleurs on trouve un dernier lien entre le Roussillon et le Pilat à propos de Ponce Pilate et d’un ou deux autres personnages sur lesquels nous reviendrons sur nos colonnes.
RDP : Périllos, c’est bien sûr aussi le nom de la société de recherches dont vous êtes, évidemment avec une équipe dynamique, l’animateur principal. Vous menez de front bon nombre de recherches dont votre site sur le Net se fait l’écho. Dans ce cadre-là, vos travaux et vous-même êtes parfois l’objet de polémiques et de vifs échanges - passes d’armes avec vos détracteurs, comment expliquez-vous cet acharnement ?
AD : La
Société
Périllos (www.societe-perillos.com) est effectivement
composée d’une équipe
dynamique.
Mais je n’en suis pas l’animateur principal. Notre association se
montre
efficace par le fait que nous fournissons tous un travail qui doit
être
commun. Sans ses membres la SP n’est rien… Elle ne peut être
à
ce niveau qu’en raison du travail de tous et de chacun justement mis
à
la disposition … de tous et de chacun. Il n’y a personne de plus
important
que les autres. Nos recherches sont conduites maintenant par une
centaine
d’adhérents de toutes régions (y compris le lyonnais et
le
Pilat maintenant) et pays…Le site internet de la SP est lui aussi le
résultat
d’une impulsion commune dont le résultat est visible par tous
les
visiteurs. Nous sommes pratiquement les seuls à entrer CHAQUE
semaine
des éléments nouveaux que chacun peut vérifier…
peut-être
pour cette raison nous devenons de plus en plus gênants pour
certains
autres chercheurs… ou administrations !
L’acharnement de qui ???
Tout au plus des grincheux pas très heureux de ne pas avoir mis
la main sur des éléments certains… avant nous, et qui
manifestent
tant bien que mal leur désappointement. Nous répondons
à
tous les messages et toutes les attaques. De plus je dirai que
peut-être
« on ne prête qu’aux riches » ! Oui, sur de nombreux
points nous disposons d’éléments et de quelques longueurs
d’avances. En ce qui concerne le Pilat nous ne faisons que commencer
depuis
à peine quelques mois. Dans les mois qui suivent nous
apporterons
d’autres sujets et dossiers qui feront sans doute grincer plus d’un
chercheur
ou… d’une administration car nous donnerons avec nos affirmations des
photos
ou copies de documents prétendus… inexistants ou faux !Les
‘étoiles
de midi’ sont monnaie courante en la matière et surtout dans les
si belles contrées du Pilat ! C’est très curieux comme
réaction…
Mais puisque certains crient, en nous regardant, au faux et à
l’usage
de faux, nous ouvrirons notre album de belles photos anciennes pour y
voir
comment, avec le temps… et les restaurations, les choses disparaissent
ou se retrouvent modifiées… et surtout pas par nous ! Il restera
aux ‘enquêteurs à rebondissements’ à nous expliquer
s’il s’agit de défauts de pellicules, de manipulations, de
paranoïa
ou… de réalités encore plus difficiles à justifier
! Nous ne doutons pas un instant que les explications seront clairement
fournies.
D’autre part, nous savons
qu’un service administratif d’Etat du canton de Pélussin «
nous a à l’œil »… Comme nous ne nous cachons pas (pourquoi
le ferions-nous ?) il ne doit pas être difficile de nous suivre.
Curieusement on s’intéresse fiévreusement, et
inquiétude,
aux sites que nous visitons et aux photos que nous prenons. Pourtant
ces
sites sont ouverts à tous et nous demandons les clés et
souvent
un guide nous accompagne (à ce sujet les commentaires
donnés
laissent souvent à désirer tant ils sont peu
précis
et parfois hors sujet). Ne doutons pas qu’après notre passage
les
larbins de service s’empressent d’aller rendre compte de nos visites…
à
qui de droit…L’ennui est qu’aucun d’entre nous n’étant sous le
coup
d’une interdiction de séjour dans les accueillantes et riantes
contrées
du Pilat, nous y circulerons, chercherons (dans le strict cadre de la
législation),
et prendrons photos et films, sans doute de plus en plus. Bon jeu de
piste
à nos joyeux… ‘pourchassants’ !
RDP : Nous terminerons, nous pourrions écrire presque naturellement par le Pilat. Déraciné volontaire, on sent bien votre continuel attachement à votre cher Pilat, à son Histoire et à ses mystères. Est-ce envisageable qu’un jour on retrouve André Douzet installé dans son pays natal, auquel il est encore très lié ?
AD : Mais oui… il est tout à fait envisageable qu’un jour on retrouve André Douzet installé dans son pays natal, auquel il est encore très lié !!! On revient toujours à ses racines dit-on. Les miennes, si elles ne sont plus du tout familiales, sont celle plus fidèles de l’amitié qui me lie à celui à qui je dois pratiquement tous mes travaux sur cette région : Raymond Graü ! Et puis je pense que dans très peu de temps l’affaire ‘RLC-Périllos’ sera bouclée. Je n’aurai donc plus de raison de rester dans le sud. Comme il restera tant de choses à découvrir dans le Pilat je compte bien reprendre mes anciens travaux là où je les avais provisoirement laissés en attente il y a plus de dix ans. De plus je sais que mon retour fera plaisir à tant de personnes que je ne peux hésiter à retourner à mes sources...
"Girart de Roussillon et les Roussillon du Dauphiné ... légende ou réalité !"
Eric développera les chapitres suivant :
"Où il est question de Girart, Marie Madeleine et des Roussillon !"
|
Vézelay
Façade de la
Basilique de la Madeleine
Le comte Girart historique, fondateur des deux abbayes bourguignonnes,
est également connu pour avoir doté celle de
Vézelay
des Saintes reliques de Marie Madeleine. C’est en tous les cas la
tradition
rapportée par la légende de Saint Badilon dont nous
pouvons
rappeler brièvement le contenu tel que nous le narre René
Louis :
« Donc en
ce temps-là, les sarrasins d'Espagne, ayant fait irruption en
Provence
et pillé la cité d'Aix, se retirèrent. Or beaucoup
de gens savaient, dès ce moment, que Marie-Madeleine avait
été
inhumée dans le territoire de la cité d'Aix, par
l'évêque
saint Maximin (51). La curiosité du comte Girart et de
l'abbé
Eudes de Vézelay fut piquée par ce bruit : ils
envoyèrent
au pays d'Aix un frère nommé Badilon, avec la mission de
retrouver, si Dieu le permettait, les restes de Marie-Madeleine et de
les
amener à Vézelay.
Badilon,
avec son escorte, parvint sur le territoire de la cité d'Aix ;
elle
offrait partout l'image du désastre et de la mort. Comme le
moine
cherchait en vain quelqu'un qui puit le renseigner sur l'objet de sa
mission,
il arriva à un tombeau qu'il reconnut avec certitude pour celui
de la Madeleine. En effet les sculptures représentaient
l'onction
de parfum chez Simon le lépreux et les scènes du
mâtin
de Pâques …
Badilon,
parfaitement
informé du sens de ces bas-reliefs, profite de la nuit pour
perforer
le tombeau du coté des pieds, y trouve le corps intact, encore
recouvert
de la peau, les mains placées sur la poitrine ; une odeur suave
s'en dégage, celle des aromates dont Maximin avait
embaumé
jadis le cadavre de la sainte. Le moine en reste là pour
l'instant,
va se coucher, mais la sainte lui apparaît en songe et
l'encourage.
Le jour suivant est consacré aux préparatifs du voyage de
retour. Quand la nuit revient, Badilon retire le corps du tombeau,
l'enveloppe
de linges très propres et le charge sur un véhicule. Le
petit
cortège passe par Salon-de-Provence, Nîmes, où l'on
fait halte dans une église : là, Badilon, afin de faire
tenir
le corps dans un cercueil de dimensions moins voyantes, procède
à la dissection du corps saint et, après avoir
amputé
tous les membres, les range soigneusement le long du tronc.
On arrive enfin à un mille de Vézelay, au lieu qui est
appelé
maintenant encore le Coudray Badilon. En cet endroit, le corps saint
devient
si lourd que tous les compagnons ensemble n'arrivent plus à le
soulever.
L'un d'eux est dépêché à l'abbé
Eudes,
auquel il fait part à la fois de l'heureux succès de
l'expédition
et du petit incident de dernière heure. L'abbé et ses
moines
vont alors au devant de la Madeleine en procession avec croix, cierges
et encensoirs, vêtus d'ornements blancs. Quand la procession est
arrivée au Coudray Badilon, le cercueil de la sainte devient si
léger que les porteurs n'en sentent plus le poids. Bientôt
c'est l'entrée triomphale dans l'église abbatiale, au son
des cloches, parmi les lumières et les chants des moines. La
déposition
solennelle du corps a lieu le 19 mars »(52).
Nous ne nous attarderons pas sur ce récit qui, à n’en pas
douter, est le plus célèbre des textes relatant la
translation
des restes de Marie Madeleine en Bourgogne. Nous y reviendrons
d’ailleurs
dans la suite de cette étude. Néanmoins nous
relèverons
pour le plaisir l’escale importante à Nîmes puisque c’est
semble-t-il dans cette ville que Badilon procéda à la
dissection
du Saint corps. On peut en effet se demander pourquoi le moine Badilon
choisit de regagner la Bourgogne en se détournant de la
vallée
du Rhône et faire ce crochet par Nîmes. D’autant que, et
rappelons
le, à partir de 843, la ville de Nîmes dépendait de
la Francie Occidentale détenue par Charles le Chauve. Dans ce
contexte,
on voit mal un émissaire du comte Girart prendre du plaisir
à
franchir les frontières du vieil adversaire de son souverain …
Ce petit aparté nous pousse maintenant à nous interroger
sur les escales éventuelles de ce périple. Même si
la légende de Saint Badilon ne nous parle que de celles de Salon
de Provence et de Nîmes, il apparaît certain que d’autres
eurent
lieu. Compte tenu également de l’itinéraire
indiqué
dans cette légende, nous avons tout lieu de penser que le
cortège
remonta la vallée du Rhône. Il passa sans doute dans les
terres
qui deux siècles plus tard appartenaient aux Roussillon du
Dauphiné…
Cette réflexion
amène aussi à nous rappeler cette curieuse allusion du
chanoine
Pierre Cavard que nous avions évoquée
précédemment
(53) : à savoir qu’au IXè siècle, des reliques de
Saint Lazare auraient séjournées quelques temps à
Surieu, ancienne possession des Roussillon, et qu’avec elles se
trouvaient
celles de Sainte Marie Madeleine… A dire vrai, nous aimerions bien voir
en ce petit village de Surieu une de ces hypothétiques escales
du
moine Badilon !
Marie Madeleine et le Pilat
Imaginons un instant que cette tradition trouve là un fondement
historique : Badilon remonte la vallée du Rhône, il
séjourne
quelques temps dans les domaines du comte Girart et de sa famille,
ceux-ci
en profitent au passage pour retirer discrètement du reliquaire
quelques ossements de la Sainte – ajoutons donc ceux de son
frère
Lazare, pendant que nous y sommes – puis ils font expédier le
tout
en Bourgogne dont la légende nous retrace l’arrivée
à
Vézelay (54).
Voilà qui
explique
bien des choses ! Les quelques reliques conservées par Girart ou
les membres de sa descendance furent confiées aux églises
et chapelles dépendant des domaines des Roussillon. Aussi
trouvons
nous dans le Pilat par exemple, les reliques de Lazare à Echalas
(55) ou encore trouvons nous mention de nombreux toponymes de la
Madeleine
comme celui se trouvant juste à coté des ruines du
château
de la Chance, ancien fief des Roussillon (56). Plus probant encore,
nous
citerons l’ancienne chapelle de la Madeleine (57) à quelques pas
de Châteauneuf, résidence attitrée des Roussillon
aux
XIIIè et XIVè siècles.
Ruines de l’ancienne
chapelle de la Madeleine
Elles furent
définitivement
rasées lors de la construction de l’échangeur
autoroutier de la
Madeleine.
La Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez pourrait, elle aussi, être liée à la venue de la Madeleine en Gaule : les visions merveilleuses de Béatrice de la Tour, veuve de Guillaume de Roussillon et fondatrice de ce monastère à Sainte-Croix, ne seraient pas sans rappeler en effet les mêmes visions qui poussèrent Marie Madeleine à suivre une étoile sur le chemin de la Sainte-Baume … Serait-ce d’ailleurs cette même similitude qui aurait amenée le Révérend Père chartreux Dom Polycarpe de la Rivière (58) à écrire son « Duae Magdalenae – Du repos éternel et des sept dormants » (59) ? Mais Dom Polycarpe de la Rivière ne sera pas le seul personnage énigmatique à s’intéresser au culte de la Madeleine : ce sera sans doute pour les mêmes raisons, qu’au siècle dernier, le célèbre abbé Saunière, dont la notoriété n’est plus à faire avec l’affaire de Rennes-le-Château – poussa ses secrètes excursions jusqu’à la chapelle de la Madeleine au dessus de Pélussin (60) …
Plus récemment, il est même venu à l’esprit de certains auteurs, qu’à l’instar des légendes bourguignonnes et provençales, il pourrait y avoir aussi une légende viennoise qui situerait la retraite de Marie Madeleine non plus en Provence, mais précisément dans le Pilat (61). Cette présence de la Madeleine dans notre massif serait liée à celle de Ponce Pilate dont la tradition assure qu’il aurait finit ses jours en exil dans la région de Vienne (62)…
Mais ne poussons pas le bouchon trop loin et revenons à notre sujet ! Naturellement, le lecteur aura compris tout le crédit que nous portons dans l'immédiat à ce genre de discours ; certes, il existe aujourd’hui une multitude de pistes qui permettraient de lier Marie Madeleine au Pilat ainsi qu’aux Roussillon mais rappelons que pour l’essentiel, celles-ci ne reposent que sur la fameuse légende de Saint Badilon dont il conviendrait peut-être maintenant d’examiner de plus près l’authenticité.
La chapelle de la
Madeleine au dessus de Pélussin
Marie Madeleine à Vézelay
A vrai dire, nous ne connaissons pas l’origine exacte de cette tradition qui situe les ossements de Marie Madeleine à Vézelay. Nous pouvons néanmoins affirmer catégoriquement que le comte Girart n’y est pour rien et ce n’est pas la légende de Badilon qui nous permettra d’accréditer cette hypothèse.
De là, une toute première composition connue sous l’appellation « Claruit autem Viceliacum » fut établie dans laquelle apparaissait pour la première fois le nom de Badilon. Ce moine bourguignon emprunté à l’histoire de la fin du IXè siècle serait parti en Judée et aurait ramené en Gaule les reliques de Marie Madeleine.
Crypte de Marie
Madeleine
à Vézelay
A sa mort survenue en 1052, lui succédera le clunisien Boniface. C’est sous son abbatiat que nous voyons le grand abbé de Cluny, Saint Hugues, plaider en faveur de la présence des reliques de la Madeleine à Vézelay. Il obtiendra lui-même en 1058, une nouvelle bulle du Pape Etienne IX reconnaissant officiellement la présence des Saintes reliques en Bourgogne.
Cependant, avec cette première légende contenue dans le « Claruit autem Viceliacum » , il ne sera fait mot de l’implication du comte Girart dans cette translation du corps de la Sainte. De même, il ne semble pas que les moines de Bourgogne aient eu connaissance à cette époque de la légende provençale qui faisait de Saint Maximin le lieu dépositaire des reliques de la Madeleine (65).
C’est d’ailleurs la montée en puissance de la Madeleine «
Bourguignonne » qui fera réagir le clergé de
Provence.
Avant la fin du XIè siècle, les moines de St Maximin
rédigèrent
à leur tour un texte (66) dans lequel la légende
provençale
était remise au goût du jour : brièvement, il y
était
fait mention que de toute ancienneté, le corps de Sainte Marie
Madeleine
reposait à la Sainte-Baume, non loin de leur prieuré de
Saint
Maximin.
Qu’à cela ne tienne ! L’abbaye de Vézelay allait
répliquer
par une nouvelle notice (67) connue sous le nom de légende
Autunoise
: « Certes, nous nous sommes mépris … Badilon
n’était
qu’une simple légende sans fondement historique ! Mais nous
savons
maintenant – après de maintes recherches - que nous devons la
translation
des reliques de Sainte Marie Madeleine au chevalier Aleaume, qui jadis
était frère de Eudes, premier abbé de
Vézelay.
C’est en effet sous l’impulsion de l’évêque d’Autun
Augier,
officiant sous le règne du roi Carloman, que Aleaume retrouva
les
restes de Marie Madeleine à Saint Maximin alors que les Maures
venaient
de piller la Provence et que votre prieuré était
abandonné
… » (68).
Il est un fait qu’à la fin du IXè siècle, la Provence avait du subir les razzias Sarrasines et que le petit prieuré de Saint Maximin avait été laissé à l’abandon. De là, la nouvelle version de l’invention des reliques de la Madeleine pouvait être tout à fait crédible, d’autant que les moines de Vézelay avaient cette fois bien étudié la question ! Tout semblait coller : Eudes avait bien été abbé de l’abbaye bourguignonne de 877 à 911 au moins. Augier, évêque d’Autun, à qui l’on doit l’initiative de cette expédition provençale, était bien en fonction de 875 à 893 ce qui correspond à ce que nous connaissons du règne de Carloman (879-884). Seule peut-être, l’existence du chevalier Aleaume pouvait paraître suspecte mais après tout, il n’était que simple chevalier et il n’y avait là rien d’étonnant à ce que personne ne le connaisse.
Tout était donc bien orchestré pour faire avaler cette
nouvelle
version aux moines provençaux … A l’exception malheureuse d’un
différent
qui allait intervenir entre l’abbaye de Vézelay et
l’évêché
d’Autun.
En cette fin du
XIè
siècle, Vézelay avait atteint une telle renommée
grâce
au pèlerinage de la Madeleine que l’évêque d’Autun
en pris ombrage. Sous de vagues prétextes juridictionnels, un
conflit
éclata entre ces protagonistes : nous pensons plus simplement
que
l’évêque d’Autun espérait récupérer
un
peu de notoriété compte tenu du fait que l’on devait la
présence
de Marie Madeleine en Bourgogne aux bons soins de son
prédécesseur
l’évêque Augier.
Du coup, la légende Autunoise qui effectivement mettait en avant
les mérites de l’ancien évêque d’Autun, devenait
dérangeante
pour l’abbaye de Vézelay…
Qu’à cela ne tienne encore une fois … Les moines bourguignons
rédigèrent
une troisième version (69) comparable à la
précédente
mais dans laquelle cette fois, l’évêque Augier
était
remplacé par le comte Girart, fondateur de Vézelay et le
chevalier Aleaume par « une vieille connaissance, un moment
abandonnée
: le moine Badilon » (70). C’est la fameuse légende de
Saint
Badilon que nous évoquions au début de ce chapitre.
Cette troisième édition – revue et corrigée à la sauce bourguignonne – était de loin la plus complète, la plus développée et fut surtout la plus diffusée : il nous en est parvenu de nombreux manuscrits dont certains du tout début du XIIè siècle. Il n’en demeure pas moins comme le souligne René Louis, que ce nouveau récit était truffé de confusions et d’anachronismes qui aux yeux de la critique moderne anéantissent toute crédibilité à cette version.
Etrangement, ce nouveau changement de récit n’allait pas provoquer de réaction vive de la part des moines de Saint Maximin. Néanmoins, sans s’opposer catégoriquement à la légende de Saint Badilon, ils continuèrent à vénérer Marie Madeleine à la Sainte-Baume et à entretenir leur prieuré en Provence.
Ce
sont
donc deux traditions différentes mais pas formellement
contradictoires
qui coexistèrent durant ces premiers siècles du nouveau
millénaire
: Vézelay semblait avoir la faveur des foules, d’autant que le
Saint
Siège à Rome avait reconnu officiellement la
présence
de Marie Madeleine en Bourgogne ; pour sa part, Saint Maximin jouait le
jeu de l’ignorance et continuait à revendiquer ces
précieuses
reliques au nom de l’antériorité. De fait, le
pèlerinage
voué au culte de la Madeleine, s’entendait à cette
époque,
tout aussi bien en Bourgogne qu’en Provence.
Mais cette situation n’allait pas durer ad eternam … Peu à peu
la
classe régnante se mit à favoriser la légende
provençale,
au nom justement de cette fameuse antériorité. De
même,
le clergé plus soucieux de faire la part des choses dans cette
histoire
aura tendance à émettre des doutes sur la version
bourguignonne.
Le coup de théâtre n’aura lieu qu’au cours du XIIIè
siècle. Alors que le parti fut pris de faire toute la
lumière
sur cette affaire, il fut convenu d’engager une campagne de fouilles
afin
de vérifier si les restes de Marie Madeleine étaient
toujours
à Saint Maximin… Ce ne sera pas une grande surprise pour le
lecteur
d’apprendre que la campagne porta ses fruits : on retrouva en effet les
reliques de Marie Madeleine ! Cerise sur le gâteau, le sarcophage
découvert contenait en plus une petite lettre qui non seulement
authentifiait les ossements comme étant ceux de la sainte, mais
qui en plus expliquait que ceux-ci avaient été
déplacés
juste avant les raids Sarrasins et qu’on les avait
remplacé
par d’autres moins illustres…
Sacré coup de génie ! Dans un même temps on
était
capable de réfuter l’existence des Saintes reliques en Bourgogne
puisqu’on venait de les redécouvrir en Provence et cette fois
sans
conteste possible, mais en plus on était tout aussi capable de
réconforter
les moines de Vézelay dans leur infortune en leur expliquant
tout
simplement que Badilon n’avait pas ramené les bonnes reliques …
Le sarcophage
provençal
de Marie Madeleine
Ainsi se termina définitivement le chapitre Marie-Madeleine en Bourgogne. La page était tournée, la Provence récupérait à son compte une tradition qu’elle n’aurait jamais dû laisser s’échapper et la dignité des moines bourguignons était sauve, puisqu’ils ignoraient tout de cette imposture. (71)
Notes du chapitre V
(51) A propos du légendaire provençal, nous renverrons le lecteur à l’ouvrage de Christian DOUMERGUE : « Marie Madeleine, la Reine Oubliée - La Terre Elue - Tome 2 », Nîmes, Imprimerie Christian Lacour, 2004, pages 195 à 265.
(52) René LOUIS, Tome 1, « Girart, comte de Vienne (…819-877) et ses fondations monastiques », Auxerre, 1946, pages 174 et 175)
(53) Le
lecteur
pourra se reporter à la première partie de cette
étude
, chapitre II paru au mois de mars 2006.
Pierre CAVARD, «
La Fontaine de Saint Lazare à Surieu », manuscrit
conservé
à la bibliothèque municipale de Vienne, cote M-398.
(54) Sans
entrer
dans des détails qui ne concernent pas directement notre
étude,
rappelons néanmoins au lecteur qu’au début du XIIè
siècle , l’abbaye de Vézelay ne se contentait plus de
revendiquer
les reliques de Marie Madeleine mais elle assurait détenir
également
celles de Sainte Marthe et de Saint Lazare.
Aussi, par un tour
de passe-passe qui nous échappe encore, nous admettrons
prudemment
à ce stade, que le moine Badilon aurait très bien pu
ramener
de Provence toute la famille de Béthanie !
(55) A
priori,
les reliques de Saint Lazare à Echalas ne devraient rien
à
la famille Roussillon, d’autant que celle-ci n’apparaît à
aucun moment dans l’histoire de ce petit village. Au contraire, la
chapelle
de Saint Lazare à Echalas devrait ses saintes reliques à
l’occasion de la translation de son corps de Marseille à Autun,
lors d’une escale à Vienne en l’an 1147.
(« Echalas –
Histoire d’un village du Parc du Pilat », éditions Maury,
2005, pages 30-31 / 38 / 92-94)
(56) Patrick
BERLIER, « Le Guide du Pilat – Le Pilat au fil du Rhône, de
Givors à Sainte Colombe », Saint-Etienne, 2000, tome 16,
page
32.
Patrick Berlier
relève
avec justesse que la colline de la Grande Madeleine dont il est
question
ici se situe précisément à proximité du col
du Pilon et celui-ci d’ajouter que « selon la légende
provençale,
Sainte Madeleine se retira dans une grotte du massif de la Sainte-Baume
près du Saint-Pilon »…
A propos du château de la Chance, possession de la famille Roussillon à partir de 1266, on pourra lire le petit opuscule de Marcel BOYER, « Le Château de la Chance », édition de l’association Visage de Notre Pilat, supplément à le revue Dan l’Tan.
(57) A propos
de la chapelle de la Madeleine en dessous de Châteauneuf, on
pourra
lire :
Eugène CHIPIER,
« Béatrix, Dame de Châteauneuf », Rive de
Gier,
1912, pages 24-25
et
Robert LACOMBE,
«
Châteauneuf (dans la Loire) en vues et cartes postales anciennes
», Argentan, 1982.
(58) Dom Polycarpe de la Rivière était prieur de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez de 1618 à 1627. Fin lettré, il est l’auteur de nombreux ouvrages spirituels qui lui valurent les honneurs de sa hiérarchie. Etrangement, il se mettra à écrire sur la fin de sa vie des ouvrages plus controversés qui cette fois lui vaudront les foudres de l’autorité religieuse. Sa mystérieuse disparition en 1638 fera couler beaucoup d’encre à son sujet …
(59) Ouvrage manuscrit naturellement introuvable et ne figurant pas dans la bibliographie officielle de Dom Polycarpe de la Rivière. Nous devons la mention de cet ouvrage à André DOUZET, in « Eléments du Passé de Sainte-Croix-en-Jarez, chartreuse, pour servir à son histoire », Carcassonne, 1994, p. 65.
(60) Nous devons cette nouvelle évolution du mythe « Rennes-le-Château » à André DOUZET, dont les arguments sont exposés sur son site internet http://www.societe-perillos.com/roussillon.html.
A propos de la chapelle de la Madeleine, au dessus de Pélussin, le lecteur pourra consulter :
- Louis CHALLET et
Bernard PLESSY, « Le Pilat insolite », Saint-Etienne, 1981,
pages 15 à 21.
- Marcel BOYER,
«
Du Crêt de la Perdrix au Crêt de l’Oeillon en cartes
postales
et vues anciennes », Saint-Julien-Molin-Molette, 1989, pages 108
à 114.
- Patrick BERLIER,
« Le Guide du Pilat – Sur les sommets du Pilat »,
Saint-Etienne,
1985, tome 2, pages 21 à 23.
- Abbé J.
BATIA,
«Recherches historiques sur le Forez Viennois »,
Saint-Etienne,
1924, page 240 bis et 249 à 252.
(61) Patrick BERLIER, « La société Angélique », Editions ARQUA, 2004, tome 1, pp. 173 à 182.
(62) Le Mont-Pilat devrait d’ailleurs son nom à cette légende qui fait finir l’ancien gouverneur de Judée, plongé dans un puits sans fonds du Pilat.
A propos de la légende de Ponce Pilate en région Viennoise, on pourra consulter :
- Jacques BERLIOZ,
« Crochet de fer et puits à tempêtes – La
légende
de Ponce Pilate à Vienne et au Mont Pilat au XIIIè
siècle
» in « Le Monde Alpin et Rhodanien », Gap, 1990, 1er
et 2ème trimestre, pages 85 à 104.
- Pierre CAVARD,
«
Vienne la Sainte », édition revue et corrigée,
Vienne,
1975, pages 32 à 58.
- Christian DOUMERGUE
(Op. cit., tome 2, pages 570 à 578.). Pour sa part, cet auteur
suggère
que c’est précisément dans l’exil de Ponce Pilate en
Gaule
qu’il faille trouver également les raisons de la présence
de Marie Madeleine sur notre sol.
(63) Le lecteur pourra se reporter à la première partie de cette étude, chapitre I paru au mois de mars 2006.
(64) René LOUIS, (Op. cit. pages 164 à 175).
(65) D’après Christian DOUMERGUE (Op. cit. p. 199), il semble pourtant qu’il faille remonter au IVè siècle pour trouver les premières traces de la légende de Marie Madeleine en Provence.
(66) Ce texte est connu sous le nom de notice « Post Dominicae resurrectionis » et est daté de la fin du XIè siècle.
(67) Ce texte est également connu sous le nom de notice « Quomodo autem Virzilliacensium » et est daté de la fin du XIè siècle.
(68) Le lecteur aura compris que ces quelques lignes entre guillemets ne sont qu’un abrégé rapide et ironique de la légende Autunoise. Naturellement le texte du « Quomodo autem Virzilliacensium » présente les faits de manière plus sérieuse.
(69) Connu sous le nom de « Légende de Saint Badilon » et daté de l’extrême fin du XIè siècle, début XIIè siècle.
(70) René LOUIS (Op. cit. p. 172)
(71) Le
lecteur
souhaitant approfondir sa réflexion sur Marie Madeleine pourra
consulter
le site internet : http://www.marie-madeleine.com.
Une attention
particulière
pourra être portée également aux ouvrages de M.
Christian
DOUMERGUE : « L'Evangile Interdit (Ste Marie Madeleine et le
secret
des Cathares) » », Nîmes, Imprimerie Christian
Lacour,
2001 ; « Marie Madeleine, la Reine Oubliée -
L'épouse
du Christ - Tome 1 » et « Marie Madeleine, la Reine
Oubliée
- La Terre Elue - Tome 2 », Nîmes, Imprimerie Christian
Lacour,
2004.
VI. Les aventures littéraires de Girart de Roussillon …
Girart et Berthe
d’après
un manuscrit
de la
bibliothèque
municipale d’Auxerre
Le lecteur aura sans doute remarqué que depuis le début
de
cet exposé nous nous sommes efforcés de ne pas mentionner
le patronyme Roussillon lorsque nous parlions du comte Girart, que nous
qualifiions alors d’ « historique ». Cette volonté
trouve
sa raison d’être dans le fait qu’au IXè siècle
l’usage
du patronyme n’était pas totalement en vigueur et comme toutes
les
chartes de l’époque ne mentionnent notre héros que par
son
prénom Girart et jamais sous le nom de Roussillon, nous ne
pouvons
que conclure que ce patronyme lui fut attribué plus tardivement.
La question, maintenant, est de savoir à quelle époque
eut
lieu cet ajout, pour quelles raisons et dans la mesure du possible
d’examiner
si celles-ci ont un lien avec la famille Roussillon du Dauphiné.
D’un point de vue historique, Girart de Roussillon n’aurait donc jamais
existé et c’est dans la tradition épique du XIIè
siècle
qu’il faut trouver ce personnage emprunté à l’histoire et
remodelé à la manière de la Geste
médiévale.
Pour bien comprendre comment le comte Girart historique s’est
muté
en ce héros légendaire qu’est devenu Girart de
Roussillon,
nous suivrons l’opinion et les explications de René Louis (72)
à
travers l’aventure littéraire de Girart.
De Vienne aux Pyrénées.
Le comte Girart historique a donné naissance à trois
héros
de chansons de Geste : Girart de Vienne, Girart de Fraite et enfin
Girart
de Roussillon.
De ces trois
épopées
qui sont toutes très différentes les unes des autres, la
critique littéraire actuelle (73) s’accorde à voir en la
chanson de Girart de Roussillon la plus ancienne des trois. Il n’en
demeure
pas moins que toutes trois ne sont que des légendes et
René
Louis (74) d’ajouter « L’histoire ne mentionne nul séjour
du comte Girart dans un château nommé Fraite ou
Roussillon.
Le combat de Vaubeton est une fiction. Seul parmi les noms de places
fortes
… celui de Vienne répond à un épisode vécu
» de la vie de Girart.
Sur ce constat, R . Louis suggère qu’immédiatement
après
les évènements des années 870, il s’est
forgée
une chanson populaire, orale, une sorte de balade, ancêtre de nos
chansons de Geste, qui aurait maintenue pendant une bonne centaine
d’années
la mémoire des luttes entre Girart et Charles le Chauve.
Cette théorie
qui date déjà de quelques décennies ne fait pas
encore
l’unanimité. Il est vrai qu’elle découle d’une succession
de raisonnements logiques qui sont propres à la vision de leur
auteur.
Naturellement il ne peut y avoir de traces écrites d’une chanson
orale ! Malgré cela, R. Louis oppose une évidence : qu’il
s’agisse de Vienne ou d’ailleurs il n’existe pas non plus un seul
document
du Xè siècle qui aurait permis de conserver le souvenir
de
Girart jusqu’à sa réapparition vers les
années
1050. Il ne peut alors que proposer l’hypothèse d’une chanson
orale,
transmise et véhiculée par les trouvères de
l’époque.
C’est aussi
grâce
à ce raisonnement que R. Louis peut expliquer la transposition
géographique
de l’épopée viennoise orale, vers les régions de
la
Provence et des Pyrénées où seraient nées
les
chansons écrites où figurent respectivement Girart de
Fraite
et Girart de Roussillon ; alors que Vienne attendait encore la sienne !
Troubadour sur une
miniature
du moyen âge
Cet auteur situe l’élaboration de la chanson de Girart de Roussillon aux alentours de l’an 981, précisément dans l’environnement de la cour du duc Guifred de Roussillon dont nous avons déjà parlé dans un précédent chapitre et qui étendait alors son pouvoir sur une bonne partie des Pyrénées orientales.
De là, cet embryon de chanson épique calqué sur la version orale aurait pris plus de consistance et l’identité initiale de Girart se serait vue quelque peu remodelée aux goûts des seigneurs de Roussillon pour aboutir au personnage légendaire que nous connaissons. Comme le souligne R. Louis, il devait être plaisant pour le duc Guifred de pouvoir s’enorgueillir d’une origine aussi illustre que celle du nouveau Girart de Roussillon et cet auteur d’ajouter que ces Roussillon n’hésiteront pas à rendre le prénom Girart héréditaire au sein de cette famille dès le début du XIè siècle.
Ainsi, le souvenir des évènements de Vienne en l’an 870 aurait été transporté oralement dans la région Pyrénéenne et il aura fallu toute l’ingéniosité d’un troubadour de ces époques lointaines pour intégrer Girart à la généalogie d’une puissante famille du Roussillon dont le prestige ne pouvait alors que s’accroître. Girart de Roussillon venait de naître et avec lui tout le récit épique qui allait suivre.
Des Pyrénées en Bourgogne : la Chanson de Girart de Roussillon
Notre héros se trouvait là une nouvelle patrie d’origine
en la région du Roussillon et comme il ne faisait aucun doute
que
ce Girart de Roussillon était le même que celui qui avait
tenu tête à Charles le Chauve et qui avait
été
vaincu à Vienne, il devenait, de fait, le même qui avait
fondé
les abbayes de Pothières et de Vézelay. René Louis
pense que c’est aux alentours des années 1050 que le nom de
Girart
de Roussillon fut introduit dans les chartriers de ces abbayes.
Pour cela, il propose la même transposition géographique
de
l’épopée qui avait mené le comte Girart historique
dans la région du Roussillon, à savoir la chanson orale
véhiculée
par les troubadours. Mais cette fois, Girart partait du Roussillon
où
il avait acquit un nom pour rejoindre la Bourgogne. Il ne faudra pas
longtemps
pour que les moines bourguignons assimilent le Girart historique au
Girart
de Roussillon chanté par les trouvères. Dès lors
et
sans imaginer une seconde qu’il s’agissait là d’une imposture,
les
clercs qui rédigeaient les chartes et documents de
l’époque
feront état de Girart de Roussillon en voulant parler du
fondateur
de leur monastère.
C’est également de Bourgogne que partiront les premières
interprétations écrites de la chanson de Girart de
Roussillon.
La chanson de Vaubeton écrite semble-t-il vers les années
1050 situe l’épopée de Girart dans les régions de
Châtillon-sur-Seine, de Vézelay et d’Orléans. C’est
aussi dans cette chanson légendaire qu’il faudra trouver
l’apparition
première du château de Roussillon sur le mont Lassois ;
l’imagination
du poète avait franchi là un pas décisif entre la
réalité historique et son récit.
A la fin du XIè
siècle, l’histoire racontée dans la chanson de Vaubeton
sera
enrichie de quelques faits nouveaux et variantes que l’on retrouve
notamment
dans la version en prose du XVè siècle
insérée
dans l’Histoire de Charles Martel. C’est dans cette version
qu’apparaît
l’épisode où Girart devient charbonnier dans la
forêt
d’Ardenne.
Enfin, c’est au XIIè siècle, vers les années 1150 que l’on situera la dernière métamorphose de la chanson de Girart de Roussillon. René Louis déclare qu’elle reçut là « sa forme la plus pleine de sens et la plus belle », et que c’est « celle qui devait faire oublier toutes les rédactions antérieures … Le Xè siècle avait vu naître la première chanson de geste issue de ces ballades primitives, sur les exploits de Girart de Vienne ; les dernières années de ce même siècle avaient vu le transfert géographique de la légende loin de la Bourgogne viennoise, dans la région pyrénéenne, où le héros, empruntant un nouveau surnom, était devenu Girart de Roussillon. Le milieu du XIè siècle avait vu le transfert en Bourgogne franque, dans la région entre Dijon, Autun et Sens, du Girart de Roussillon pyrénéen et l’éclosion de la « chanson de Vaubeton ». Le XIè siècle finissant avait connu la version amplifiée de la chanson de Vaubeton, œuvre d’un continuateur anonyme, conservée seulement dans une mise en prose du XVè siècle. Les années 1146-1149 devaient voir l’épanouissement de ce travail d’élaboration séculaire…».
A la recherche de la vérité … le Roman de Girart de Roussillon
Philippe le Bon
Grand
mécène
et commanditaire du
Roman de Girart de
Roussillon
Vers 1450
Avec la chanson de Girart de Roussillon s’achevait ainsi le cycle
épique
relatant les faits d’armes légendaires de notre héros.
La chanson de geste,
tant prisée aux époques féodales perdait de plus
en
plus de son intérêt en cette fin du moyen âge et le
besoin de revenir à des vérités historiques se
faisait
plus que jamais ressentir.
Dans ce contexte, de premiers écrits se détachèrent littéralement du style jadis chanté par les trouvères. Une « Vita nobilissimi comitis Girardi de Rossellon », également très ancienne puisque du XIIè siècle, présentait une variante de la légende en prose latine. L’élément novateur de cette version vient de son style narratif, éliminant les effets oraux que pouvait provoquer le récit du troubadour lorsque celui-ci récitait son texte. Mais plus que tout, l’auteur semble utiliser des sources historiques exactes qui font de ce nouveau genre un premier essai sur la recherche d’authenticité.
Girart n’allait donc pas s’éteindre avec la chanson de geste ! Dans le même esprit que la « Vita », un roman bourguignon allait naître au XIVè siècle. Destiné dans un premier temps à louer la grandeur des ducs de Bourgogne, on ne peut qu’admirer ensuite l’érudition de son auteur et sa volonté de retracer scrupuleusement l’historicité de notre héros. Mais ne nous leurrons pas ! Tout comme René Louis pensait que le Girart de Roussillon était né d’une volonté de mettre en avant le prestige de la famille Roussillon des Pyrénées, ce nouveau roman devait également illustrer celui des ducs de Bourgogne en les présentant comme successeurs du célèbre Girart de Roussillon. En outre, ce roman s’inspire largement des faits contés par la chanson de geste, qui comme nous l’avons vu ne s’attardait guère sur la véracité de son récit. Il ajoute néanmoins l’épisode du transfert des reliques de Marie Madeleine emprunté à la légende hagiographique de Saint Badilon.
Enfin, l’aboutissement du roman de Girart de Roussillon n’interviendra qu’au siècle suivant avec l’œuvre du célèbre Jean Wauquelin. C’est en 1447 que cet écrivain - historien remet au duc Philippe le Bon l’ouvrage sur Girart de Roussillon que ce dernier lui avait commandé. Cinq manuscrits de ce roman nous sont parvenus et parmi eux celui de Vienne (Autriche) est le plus accompli en matière de richesse artistique : il s’agit là d’un véritable chef d’œuvre d’enluminures digne de la bibliothèque des grands ducs de Bourgogne (75).
Arrivée des
reliques de Marie Madeleine à Vézelay
D’après un
manuscrit de Vienne
De surcroît, Jean Wauquelin est l’auteur qui aura puisé au
plus grand nombre de sources connues à l’époque pouvant
lui
permettre de rédiger le roman de Girart. Certaines d’entre-elles
lui ont d’ailleurs été prêtées par son
commanditaire,
ce qui prouve l’intérêt que portaient déjà
les
ducs de Bourgogne à l’épopée de Girart de
Roussillon.
Nous ajouterons simplement que sur le fond, ce roman s’inscrit dans le
même idéal que nous venons d’évoquer pour le roman
bourguignon du XIVè siècle, à savoir rattacher
l’histoire
de Girart de Roussillon à celle des ducs de Bourgogne. Mais
cette
fois, la somme de travail effectuée par Wauquelin ainsi que la
richesse
de ses manuscrits feront de cette nouvelle édition la base de
tous
les récits que nous rencontrerons à la Renaissance. Les
éditeurs
des XVIIè et XVIIIè siècle n’hésiteront
plus
alors à affubler du qualificatif « authentique »
l’histoire
du comte Girart de Roussillon qu’ils tirent du roman de Wauquelin.
Le comte Girart pouvait-il être l’ancêtre des Roussillon du Dauphiné ?
Pour résumer et clore ce chapitre, nous admettrons volontiers
les
arguments mis en avant par René Louis : Girart de Roussillon n’a
pas de crédit historique. Toute son épopée, y
compris
le roman du XVè siècle, reposent sur des chansons de
geste
qui ont sans cesse été remaniées depuis le
Xè
siècle. Mais plus que tout, il ressort de cet examen que le
comte
Girart n’a jamais porté le patronyme Roussillon !
Dès lors, il
n’apparaît plus aucune raison tangible permettant d’assurer
une
filiation entre notre héros et les Roussillon ; qu’ils soient
d’ailleurs
des Pyrénées ou du Dauphiné !
Comme nous
l’évoquions
au début de cet exposé, l’homonymie fut sans doute le
facteur
déclenchant de toutes les théories proposant ce lien de
parenté
entre le Girart historique et les Roussillon. Sans elle, nous ne
croyons
pas pouvoir suivre ces hypothèses et nous doutons même
fortement
que quiconque ait pu y songer à un moment donné.
Armes des
Roussillon-Annonay
d’après les
peintures murales de la fin du XIIIè siècle
conservées
dans la salle des Etats du château de Ravel (63)
Certes, les plus audacieux feront fi de cette argumentation ! Bien sur,
ce n’est pas parce que le comte Girart historique ne portait pas de
patronyme
que l’on peut le supprimer comme ça de la
généalogie
des Roussillon et cela, même si maintenant les
présomptions
s’amincissent … Il est vrai que notre grande famille du Dauphiné
aurait pu adopter elle-même le patronyme du Girart épique
sachant qu’elle descendait de cet illustre guerrier. Nous avons convenu
plus haut que les origines du nom Roussillon en Isère restaient
assez obscures et ce seraient là une hypothèse
supplémentaire.
Néanmoins elle implique que ce choix du patronyme se soit
déroulé
au cours du XIè siècle puisque nous avons vu avec
René
Louis que Girart de Roussillon avait pris naissance vers les
années
981 en région pyrénéenne et que c’est seulement
dans
les années 1050 qu’on le retrouve en Bourgogne.
Mais là encore nous nous heurtons à problème de
date
car si René Louis voit juste, pour notre part nous avons vu que
le nom de Roussillon en Dauphiné avait été
relevé
dès les années 923 voir même 915 ou 975 (77),
devançant
ainsi de quelques années l’invention du Girart de Roussillon. Du
coup, cette nouvelle hypothèse ne peut plus tenir.
Pour continuer dans les théories, nous pourrions encore
évaluer
celle qui consisterait à trouver en la famille Roussillon du
Dauphiné
– et non plus des Pyrénées - celle qui aurait
fournie
son nom au comte Girart historique. Pourquoi en effet aller chercher
dans
les Pyrénées l’origine d’un nom, que nous serions en
mesure
de fournir dans la région viennoise ? Et qui plus est, à
une époque qui correspond de peu, et dans des domaines ayant
jadis
été sous la suzeraineté de Girart !
Là encore, René Louis souligne le manque
d’héritage
que nous a laissé le Girart historique dans notre région.
Pas un monument, pas un document ne permettrait d’accréditer
cette
thèse. Lors de la prise de Vienne en 870, Girart dû
s’exiler,
probablement dans le sud, ses domaines de la région viennoise
passèrent
alors sous l’autorité de Charles le Chauve puis sous celle de
Boson,
futur roi de Provence. Il paraît difficilement concevable qu’une
éventuelle descendance de Girart ait pu rester dans nos
contrées.
Enfin, cela
était
sans compter non plus sur la chanson de geste pyrénéenne,
qui elle témoigne sans contrepartie d’un souvenir vivace du
Girart
historique dans le Languedoc, favorisant de surcroît,
l’hypothèse
de René Louis quant au rôle de la famille Roussillon des
Pyrénées
dans l’invention du patronyme de Girart.
Toutefois, et même si le lien de parenté semble définitivement écarté, nous pourrions encore admettre que ce sont les Roussillon eux-mêmes qui aient souhaité adopter Girart pour ancêtre. Un peu à la manière des Roussillon des Pyrénées qui, de leur coté, avaient titularisé le comte Girart au sein de leur famille en lui octroyant leur propre nom. Dans ce cas de figure, nous pourrions en effet imaginer que nos Roussillon du Dauphiné aient eu vent de la chanson pyrénéenne dont Girart de Roussillon était l’acteur principal. De là, ils auraient pu croire ou voulu faire croire à une illustre ascendance en la personne de Girart en se basant sur l’homonymie du nom Roussillon. Mais nous abordons là des conjectures qui restent difficilement vérifiables et qui en plus ne valident pas ce lien de parenté que nous aimerions bien trouver.
Notes du chapitre VI
(72) René LOUIS (Op. cit. Tomes 1,2 et 3)
(73) Michel ZINK, in « Girart de Roussillon ou l’épopée de Bourgogne », Michel Zink, Marcel Thomas et Roger-Henri Guerrand, éditions Philippe Lebaud, 1990, p. 24.
(74) Op. cit. Tome 3, p. 282.
(75) Une bonne partie de ces enluminures sont reproduites en fac-similé dans « Girart de Roussillon ou l’épopée de Bourgogne », op. cit.
(76) Le lecteur pourra se rendre sur le site internet du château de Ravel à l’adresse suivante : http://www.chateauderavel.com/Index.htm
(77) Louis DUFIER, Pages d’histoire en Dauphiné, « Canton de Roussillon », Editions Bellier, Lyon, 1999, p. 14.). et l’abbé GRANGER dans « Roussillon et son canton », 1949 - Réédition dans Monographies des villes et villages de France, Paris, Res Universis, 1993, p. 14).
Rappelons néanmoins que ces dates ne sont pas toujours suivies par la critique moderne et qu’il faut attendre vraiment le XIè siècle pour trouver les premières mentions du nom de Roussillon en Isère (Georges MAZOUYES, in « Patrimoine en Isère - Pays de Roussillon », 2003)
FIN DU REMARQUABLE DOSSIER RÉALISE PAR ÉRIC : UN GRAND MERCI A LUI !
Maintenant nous
vous
proposons de retrouver notre nouvel invité, notre ami
Jean-Claude
Ducouder
Retraité dynamique, ce personnage chaleureux possède un sérieux bon sens qui lui permet de faciliter son approche des choses, ceci dans ses multiples investigations. Il faut noter qu'il cultive un appréciable sens de l'amitié. Grand passionné de la Chartreuse de Ste Croix, il aime se retrouver en ce lieu. Résidant à présent en dehors du territoire Pilat, il apprécie de revenir sur ces terres qu'il a côtoyées durant des décennies. C'est à lui seul une parfaite définition du vrai chercheur. Préférant de loin le conditionnel quand il n'est pas sûr, il réfute en bloc les théories gratuites. Patient dans la recherche, on ne lui fait pas prendre des vessies pour des lanternes. Néanmoins il prend la peine de s'intéresser aux explications d'autrui, sans pour autant y adhérer forcément ; il débattra alors volontiers de tel ou tel point particulier en creusant au plus près de la vérité la piste qu'il suivra. En quelque sorte, disciple du regretté Père Granger, il rend volontiers hommage à ce chercheur de renom disparu, se souvenant en permanence des précieux conseils de ce dernier. Les gravures de St Martin la Plaine sont chères à son coeur, en ce sens il demeure un guide exceptionnel pour ce site unique et vraiment curieux. Nous vous livrons à présent l'interview réalisée auprès de cet homme franc et entier. |
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JCD : Il m'est difficile d'énoncer une liste de distractions, car dans la vie tout m'intéresse et je suis curieux de tout. Si je devais tout de même retenir une activité favorite, je dirais la photographie. Depuis que je suis gamin, cette dernière m'a toujours apporté beaucoup de joie. Faut-il y voir le désir désespéré d'arrêter le temps ou celui de partager avec l’autre un instant privilégié ? Certainement un peu des deux.
RDP: Il y a maintenant quelques années, vous avez entrepris un travail bien précis, en faisant traduire par un paléographe le testament de Guillaume de Roussillon. Pourquoi avoir pris cette initiative ?
JCD :
Comme
beaucoup, un jour j’ai découvert l’ancienne Chartreuse de
Sainte Croix en Jarez et je suis tombé sous le charme de ce
village.
Je me suis donc intéressé à l’histoire du lieu
à
travers la lecture de l’ouvrage de référence en la
matière
: La Chartreuse de Sainte Croix en Jarez d’Antoine Vachez. Tout de
suite,
j’ai été convaincu de la qualité du travail de cet
auteur à l’exception d’un petit détail concernant le
testament
d’un acteur majeur de cette histoire, je veux parler, et vous l’aurez
compris,
de Guillaume de Roussillon. En effet, je trouvais curieux, voire
léger,
qu’un auteur de la qualité d’Antoine Vachez se contente comme
appui
historique, d’une copie du dit testament que lui aurait fournie
un
certain Emmanuel Nicot. En effet, une copie à cette
époque,
ne pouvait être qu’une retranscription manuelle de la traduction
du document (écrit en latin du 13ème) avec les erreurs
toujours
possibles. Sans mettre en doute systématiquement la
qualité
du traducteur de l’époque, ni sa qualité de copiste
(faut-il
le rappeler, nous sommes fin 19ème) il y avait fort à
parier
que si une seule erreur s’était glissée, à
l’origine,
dans ce travail, il devenait évident que cette erreur entachait
les études suivantes.
J’ai
donc retrouvé ce fameux testament aux Archives Nationales de
Paris,
lesquelles archives ont accepté de m’en faire une épreuve
photographique, par leur laboratoire spécialisé. Ensuite
est venu le temps de la recherche d’un traducteur compétent (pas
facile !) pour en faire la traduction. Vous connaissez la suite…
RDP: Le résultat de cette traduction vous a t’il apporté des éléments nouveaux ou intéressants ?
JCD : Comme je vous l’ai dit précédemment, le premier avantage de ce document est d’être le point de départ authentique et non contestable de notre quête historique. Quant à savoir si ce document apporte des éléments nouveaux, c’est à chacun d’en juger. L’élément le plus … perturbateur, réside dans la date supposée du décès de Guillaume de Roussillon avec celle de l’ouverture du testament. D’après A. Vachez, la date du décès de notre preux chevalier se situerait à la fin de l’année 1277 alors que l’ouverture du testament est datée du lundi avant l’Epiphanie 1277 ! Sauf à prétendre à l’instauration d’un sombre complot, l’ouverture du testament n’a quand même pas eu lieu avant le décès du testateur ! Alors … ? Il y a peut-être une explication à cet anachronisme si l’on se rappelle qu’au Moyen Âge, l’année ne commence pas au 1er janvier, mais suivant les régions, soit à Noël, soit à l’incarnation du Christ le vendredi saint, le 25 mars. Or donc, si à Annonay (lieu d’ouverture du testament), l’année a bien commencé le 25 mars 1277, l’Epiphanie de cette même année se situerait 82 jours avant la fin de l’année 1277, ce qui, compte tenu des délais d’acheminement des nouvelles à cette époque, établit le décès de Guillaume de Roussillon, au mieux dans les premiers mois de l’année 1276. Dans le cas contraire où l’année aurait débuté à Noël, l’Epiphanie 1277 se situerait bien en début d’année, ce qui, compte tenu des mêmes critères, établit le décès de Guillaume de Roussillon dans le milieu de l’année 1276. Qui va trancher ? Pas moi, soyez-en certain.
RDP: On retient, en raison de livres sérieux, que Guillaume serait mort en Terre Sainte dans des conditions pourtant non définies. Pensez-vous, comme l’affirmait voici un siècle, l’abbé Filhol, que ce même Guillaume puisse être décédé finalement sur ses propres terres, dans ses seigneuries, à Annonay en l’occurrence ?
JCD :
Je
pense qu’il est utile d’accorder un minimum de crédit aux
ouvrages
que vous qualifiez de sérieux à partir de l’instant
où
ces derniers citent leurs sources, sinon c’est la porte ouverte
à
tous les fantasmes. Il n’est cependant pas exclu d’émettre des
hypothèses
à partir du moment où elles sont qualifiées comme
telles.
Pour en
revenir à l’abbé C. Filhol, contrairement à ses
détracteurs,
j’ai une tendance certaine à lui accorder crédit. Sa
magistrale
« Histoire religieuse et civile d'Annonay et du Haut-Vivarais
depuis
l'origine de cette ville jusqu'à nos jours. »
étude
véritablement exhaustive demanda 25 ans de recherche à
l'auteur
qui nous offre ici un historique complet d'Annonay notamment des
protestants
dans cette province, des moeurs et des coutumes, des guerres
religieuses,
de l'époque révolutionnaire, des personnages
célèbres
et des grandes familles du Vivarais.
On
comprend
qu’avec une telle richesse de détails, il en ait
gêné
plus d’un. De là à affirmer que Guillaume de Roussillon
soit
mort dans ses terres, il y a un doute, mais qu’il soit inhumé
là
où il voulait l’être, cela devient possible… Voyons
d’ailleurs
par curiosité ce qu’il dit dans son testament :
« De même s'il arrive que je meure outre-mer, je veux et ordonne que mes os soient ramenés et ensevelis au cimetière de l'église sainte Marie d'Annonay. De même, je donne et lègue aux desservants de la dite église d'Annonay cent livres viennoises pour y célébrer cinq anniversaires au jour du décès du feu sieur Aymar, seigneur d 'Annonay, chaque année et à jamais ainsi qu'il est de coutume en ce lieu, etc… »
Personnellement, si l’on se rapporte aux us et coutumes du temps, lorsqu’un noble seigneur disait « je veux et ordonne » tout devait être fait dans son entourage pour qu’il en fût ainsi. Mais voilà, jusqu’à présent, à ma connaissance, aucun document traitant des circonstances de la fin de Guillaume de Roussillon n’a été mis sous les feux des projecteurs.
RDP: Riche d’une solide expérience en photographie, vous maîtrisez donc plutôt bien cet environnement. Pensez-vous possible de détecter une cavité au moyen de la photographie infrarouge ?
JCD :
Question
piège que vous me posez-là, mon cher Thierry.
Avec
votre
permission, je vais tout de suite tordre le cou à une vieille
idée
que l’on voit ressurgir régulièrement. Si la question est
posée pour une exploration en sous-sol, dans un milieu
relativement
stable thermiquement, la réponse est non ! Pour une prospection
en surface, la réponse peut être oui et voila pourquoi :
Infrarouge
signifie « en deçà du rouge » du latin infra:
« en deçà de », le rouge étant la
couleur
de longueur d'onde la plus longue de la lumière visible. Cette
caractéristique
indique donc tout de suite que le phénomène n’est pas
visible
à l’œil nu. Pour vous en rendre compte, lorsque vous actionnez
la
télécommande de votre téléviseur,
l’information
codée est transmise par infrarouge et pourtant vous ne voyez
rien
! CQFD !
Par
contre,
dans l’application de la photographie en infrarouge, les objets, en
fonction
de leur température, émettent spontanément des
radiations
dans le domaine des infrarouges,et ces radiations sont
enregistrées
sous la forme d’un spectre coloré sur une pellicule
traitée
spécialement. RE-CQFD !
Revenons
à une application sur le terrain, et pour ce faire, imaginons
d’anciennes
substructures (murs d’enceinte ou autres) enfouies sous la surface du
sol,
lequel sol pour la démo, est fait d’un substrat très
favorable!
(Tourbe, humus …) Quelques heures après le coucher du soleil,
alors
que la journée a été très chaude, nous
serons
en présence de deux éléments qui, de part leur
inertie
thermique complètement différente vont, dans un
même
laps de temps, restituer différemment la chaleur
accumulée
au cours de la journée. Les murs eux, de structure plus
dense,
vont rayonner plus longtemps la chaleur accumulée au soleil de
la
journée, alors que le sol lui, va, de par sa structure
moins
dense et de sa faible inertie thermique, se mettre très
rapidement
à la température ambiante du lieu. Consécutivement
à ce que je vous ai dit précédemment, si nous
prenons
une photographie infrarouge à cet instant, la pellicule va
enregistrer
ces différences de température sous la forme d’un spectre
qui aura la forme de notre mur d’enceinte pour reprendre notre exemple.
Dans ce cas, la réponse à votre question est « oui
».
Mais
attention,
la manipulation d’une telle pellicule nécessite des soins tout
particuliers,
non exposition à la chaleur, étanchéité des
boîtiers photographique, se méfier des
fenêtres
de présence film qu’il faudra occulter par un ‘scotch’ opaque,
faire
exécuter le développement dès les prises de vue
effectuées,
même si la totalité de la pellicule n’a pas
été
utilisée, etc.
Actuellement
à l’ère du numérique, il semblerait que les
capteurs
équipant les boîtiers, ne soient pas adaptés
à
l’infrarouge, ce qui d’ailleurs se conçoit aisément pour
avoir une qualité d’image optimum, mais là se limite mon
commentaire, n’ayant aucune expérience en la matière.
RDP: Vous aimez par-dessus tout le concret. Vous avez comme modèle en matière de recherche votre regretté Père Granger. Pensez-vous qu’une hypothèse, évidemment très bien construite, puisse prévaloir à être retenue comme une preuve par un chercheur, plus précisément encore doit-on toujours patienter jusqu’à l’ultime vérification pour se risquer à avancer une théorie affirmative ?
JCD :
Quitte
à vous sembler lapidaire, une hypothèse, aussi bien
élaborée
soit-elle, n’est qu’un outil servant à assurer la progression
vers
un but final. La meilleure image que l’on puisse en donner est celle
d’une
échelle où la présence de chaque barreau est
nécessaire
pour atteindre le suivant. Le dernier barreau atteint nous permet
d’accéder
au but final que l’on pare généralement du nom pompeux de
« vérité ».
Mais
attention,
les chemins de la connaissance sont jalonnés de
vérités
infirmées.
RDP: Croyez-vous à un avant Chartreuse, autrement dit sur des constructions antérieures à 1280 ?
JCD : Votre question implique que vous n'adhérez pas forcément à la merveilleuse légende de Béatrix et j’ai tendance à vous donner raison, nous allons voir pourquoi.
Deux
sources
sont exploitées pour déterminer cet éventuel
«
avant 1280 » :
-
L’étude
des différents écrits qui nous sont parvenus.
-
L’étude
des lieux tels que le temps nous les a conservés et le
résultat
des fouilles effectuées.
Etude des
différents écrits :
En
premier
lieu, cette merveilleuse légende est décrite dans la
fameuse
lettre que Beatrix aurait écrite à son parent Jean de
Louvoyes,
prieur de la Chartreuse de Vauvert près de Paris.
Cette
lettre,
dont l’original est conservé aux archives de la Grande
Chartreuse,
nous est parvenue par des chemins que nous tairons, n’en ayant pas
vérifié
l’authenticité.
Nous
prendrons
seulement comme support la relation qu’en fait, une fois de plus, A.
Vachez
dans son ouvrage « La Chartreuse de Sainte Crois en Jarez »
et ensuite celle qu’en fait également Ogier en 1847 dans «
La France par cantons ».
Mais, la première question que l’on peut se poser est : pourquoi une telle légende ?
Comme toujours, c’est A.Vachez qui nous répond à travers un court extrait de son ouvrage sur Sainte-Croix :
«
... au 13ème siècle, peu de fondations pieuses se
dégagent
de cette auréole surnaturelle, dont les hommes d'alors
entouraient
tout ce qui était attaché à l'idée
religieuse.
Dans un temps où le peuple aimait à voir la vie de chaque
saint se revêtir des couleurs du merveilleux, dans les
récits
des pieux chroniqueurs, l'œuvre de la bienfaisance ou du repentir se
transformait
d'une manière étrange, dans les traditions populaires, et
chaque abbaye avait dans son histoire une de ces miraculeuses
légendes,
qui servaient d'aliment à cette foi ardente de nos pères,
qui fut le plus puissant mobile de toutes les grandes choses, dont ces
âges reculés nous ont transmis le souvenir. "
J’ajouterais,
bien qu’ici ce ne soit pas apparemment le cas, ( ?) que l’Eglise
utilisait
également le merveilleux pour combattre le paganisme qui
sévissait
encore fortement dans nos campagnes au Moyen-Âge.
Cette
digression
faite, revenons à la légende de Sainte-Croix, et à
la narration qu’en fait Beatrix dans la lettre adressée à
Jean de Louvoyes.
Il
y est dit : « Et cependant, chose étonnante,
à
peine s'est-elle arrêtée avec sa suite que survient le
maître
du lieu qui lui dit : - Noble dame, qu'êtes-vous venue faire
ici'?
J'ai rêvé que vous désiriez acheter ce domaine.
»
Il ne faut pas être grand clerc pour relever que si le ‘maître du lieu’ lui propose d’acheter son ‘domaine’, c'est que bel et bien il y a maître et son domaine.
En
plus
de ce passage commun à la narration qu’en font Vachez et Ogier,
ce dernier complète par ce passage : « … nous fîmes
acheter ce terrain par deux hommes prudents et sages. Ces fonds
étaient
‘exempts de tout usage et servi’, mais le susdit possesseur nous
‘devait
anciennement hommage.’ »
Au total,
de ces extraits, nous retiendrons les expressions : Maître des
lieux
– Domaine – Possesseur - Nous devait anciennement hommage.
Tous termes qui évoquent une antériorité des lieux.
Une autre description vaut la peine d’être narrée, c’est celle du testament de Thibaud de Vassalieu. Dans ce testament ce dernier exprime son désir de voir sa dépouille mortelle confiée à une sépulture située dans « ante hostium capelle antique ». Dans la chapelle antique ! Le testament a été écrit le 23 mai 1327, 47 ans après la fondation de la Chartreuse ! Thibaud de Vassalieu ne pouvait donc pas qualifier d’antique une chapelle de 47 ans d’âge, et l’on peut sans grand risque d’erreur affirmer que la chapelle qu’il désigne est antérieure à la fondation de la Chartreuse en 1280, mais la chapelle de quelle entité ? Là est la vraie question. L. Favarqc en 1896 relève cette même curiosité dans le bulletin de la Diana..
Voilà pour ce qui est de l’analyse des écrits qui nous sont parvenus (sous réserve d’authenticité de la fameuse lettre de Beatrix). Cette liste n’est pas exhaustive et nous comptons sur nos nombreux lecteurs pour la compléter.
RDP: Sur quoi repose votre conviction personnelle ?
JCD :
Votre
question va me permettre d’évoquer la deuxième tête
de chapitre à laquelle je faisais allusion plus haut.
Etude des
lieux.
Visuellement, lorsque nous nous trouvons dans la cour du grand cloître, regardant le couloir d’arrivée, c’est à dire l’école immédiatement à notre droite, nous voyons très nettement à la hauteur du premier étage un appareillage de pierres qui évoque une arrête de mur. Est également à considérer la fenêtre qui se trouve au-dessus du passage et qui était beaucoup plus haute à l’origine. Le linteau en cintre est encore visible et de facture beaucoup plus ancienne. Si l’on considère la façade regardée dans son ensemble, on s’aperçoit que la partie délimitée par l’appareillage évoqué plus haut, ressemble étrangement à ce qui est l’ancien clocher actuel. Avec un peu d’imagination – mais juste un petit peu – on se prend à rêver de l’ancienne façade d’un manoir antérieur par la force des choses à l’ancien clocher. Un autre argument peut aussi être effleuré, c’est le puits de 31 mètres qui se trouve à droite du passage. Si l’on considère que la Chartreuse a bien été érigée dans un lieu vierge de toute communauté et dont l’alimentation en eau a été réalisée suivant la technique des tuyaux en argile et d’un réservoir en charge sur la colline ouest,- ensemble qui nous est connu - on voit mal l’utilité de ce puits taillé en pleine roche sur 31 mètres de profondeur, d’autant que la rivière coule au pieds des murs. A bien y considérer, ce puits suggère davantage la réserve d’eau d’une place forte… Autre convergence à mettre au crédit d’une antériorité du lieu ?
Lors des fouilles de cette année 2005, ainsi que celles des années précédentes, des restes d’appareillage de maçonnerie ont été mis au jour sous le niveau du sol actuel, et d’après les archéologues, mais le diront-ils officiellement, ces restes sont de facture 12ème siècle.
Je vous fais grâce de l’argument qui fleurit en d’autre page et qui argue que le moulin qui existe à Sainte Croix est la démonstration flagrante de l’existence d’une communauté antérieure. C’est tout à fait vrai et je ferais volontiers mienne cette démonstration, dans la mesure où l’antériorité du moulin, - antérieur à 1280 – nous est prouvée. Ce qui, à ma connaissance, n’est pas le cas.
Pour conclure sur ce chapitre de l’antériorité éventuelle du lieu où a été fondée la chartreuse, il faut se rappeler notre description précédente de l’hypothèse, ce que nous venons d’écrire n’étant dans ce cas, que les tout premiers barreaux de notre échelle. L’accession à la réponse finale passant, à mon avis, par l’exploration de documents anciens (terriers, généalogie, etc.) faisant état du lieu, mais ces barreaux manquants vont être difficile à trouver !
Comme quoi le sujet est vaste et passionnant, et que beaucoup de travail de recherche reste à faire ou si vous le voulez, du grain à moudre !
RDP: Que vous inspire l’énigmatique prieur Dom Polycarpe de La Rivière ?
JCD :Rien de bien particulier, j'ai essayé en vain d'aller au bout de sa littérature, possédant un exemplaire d'une de ses œuvres, mais j'avoue ne pas y être arrivé. Par contre, le parcours de sa vie, et surtout sa fin ignorée, laisse planer un joli mystère, mais faut-il y voir autre chose qu'un destin personnel ? Cependant, ma réponse ne peut qu’être partielle puisqu’elle est amputée de la connaissance de l’ouvrage de notre ami Patrick Berlier. Cette lacune comblée, je vous promets de revenir sur le sujet.
RDP: En bon curieux, l’époque mégalithique, avec ses cupules et bassins, ne vous laisse pas indifférent. On peut à ce propos retrouver en rubrique « archives reportages » sur ce site une pertinente réflexion menée par vos soins sur le sujet. Retenez-vous le site des Roches de Marlin comme étant un site mégalithique majeur, détaillez votre point de vue ?
JCD : Avec votre permission, puisque vous me demandez de détailler mon propos, je vous répondrai lors d’un autre entretien. En effet, quitte à paraître léger dans mon approche des Roches de Marlin, je dois vous avouer que je ne suis allé sur ce site que deux fois et qu’à aucun moment, je n’ai eu l’impression d’être sur un site mégalithique et encore moins majeur. Tout au plus, en ai-je gardé le souvenir d’une curiosité digne d’alimenter une éventuelle légende, mais pas de trace mégalithique. Je vous promets d’y retourner dès que possible et de vous faire part à nouveau de mon sentiment.
RDP: Le menhir du Flat serait pour certains le seul menhir du Pilat. Pensez-vous que cette roche imposante puisse être à son emplacement naturel ou au contraire que ce soit l’œuvre de l’homme que d’avoir dressé droit ce mégalithe ici même ?
JCD : Là, par contre, aucun doute possible sur l’origine mégalithique. Est-ce cependant un menhir au sens monolithique et breton du terme ? Je ne le crois pas et il serait relativement facile de conclure par des fouilles succinctes au pied de l’ouvrage. Je suis persuadé que très vite nous mettrions en évidence le fait que ce qu’il est convenu d’appeler « menhir du Flat » n’est qu’une émergence du massif rocher éventuellement retaillée. J’ai d’ailleurs toujours été étonné par le fait que cette appellation de menhir (qui n’en est vraisemblablement pas un) masque et occulte le fait que nous sommes en plein site cultuel ! Je n’en veux pour preuve que ce qui est vraisemblablement un magnifique viseur astronomique dont justement notre pseudo menhir serait la pointe du viseur et bien d’autres choses encore, si là également, ces restes d’un lointain passé ne sont pas détruits par la bêtise humaine. N’ai-je pas vu une bande d’individus se mettre en transes devant un ‘menhir’ enguirlandé de pendeloques douteuses avec dans chaque anfractuosité de rocher une bougie fumeuse. On frémit à la pensée de ce que peut devenir un tel site entre les mains de tels illuminés.
RDP: Nous vous remercions Jean-Claude pour l'ensemble de vos réponses.
En Novembre prochain Patrick nous proposera un nouveau dossier qui s'intitulera :
"Le Pilat aux temps des Romains !"
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