Le Père
Jean GRANGER,
tel que
je l’ai connu
par
Jean-Claude DUCOUDER
J’ai connu le Père Jean GRANGER au cours de l’année 1975 par l’intermédiaire d’un ami commun. Curieusement, notre premier contact n’avait pas l’archéologie comme sujet principal, mais la photographie. En effet, le Père GRANGER, lors de ses prospections sur le terrain, avait pour habitude d’effectuer de nombreuses prises de vue, lesquelles étaient très souvent signées de sa canne qu’il mettait en premier plan ‘pour donner l’échelle’ ! Les conditions de prise de vue, pas toujours favorables il est vrai, ajoutées à une certaine …distraction de l’opérateur faisaient que bien souvent seul un travail conséquent de laboratoire les rendait exploitables ! Ce travail n’étant pas du domaine courant des laboratoires ‘grand public’, m’échoua par l’intermédiaire de notre ami commun qui connaissait ma passion du monde de la photographie.
Très vite, une certaine connivence s’est instaurée entre nous et très vite je me suis brûlé au feu dévorant qu’avait le Père GRANGER pour l’archéologie. Un jour, il me fit cette confidence : « Dans ma vie, je n’ai eu que deux amours; Notre Mère et l’Archéologie ! » Je pense qu’il est inutile d’en dire davantage sur ses passions.
Qui était le Père Jean GRANGER ?Il était Père Mariste et ancien Professeur de Lettres.
A l’époque à laquelle je l’ai connu, il avait, me semble-t-il , 74 ans et résidait à l’institution Notre-Dame de l’Hermitage à Saint-Chamond (42). Sa carte de visite le signalait comme faisant partie de la distinguée DIANA ainsi que de bien d’autres cercles d’érudits où il était apprécié. De 1966 à 1969 il a été également correspondant des Antiquités Historiques pour la région Rhônes-Alpes. Sa modestie s’accommodait mal des titres que l’on voulait bien lui donner et, lorsque vous en faisiez état, il vous ramenait gentiment à plus de discrétion. Tel était l’homme officiel, mais derrière ce paravent évoluait l’homme chaleureux que j’ai vraiment connu et qui me laisse un souvenir teinté d’affection empreint de respect.
Homme de terrain, plus que de salon, il était d’une extrême gentillesse, d’une vitalité …éprouvante et d’une gaîté rafraîchissante. Pour lui, l’heure n’était qu’une vague notion qui n’avait aucune prise sur son travail. Je me rappelle qu’un jour, arrivant à la maison pour m’emmener vérifier sur le terrain une de ses nombreuses hypothèses, le temps de boire un café – il devait être environ 8h30 – il disait à mon épouse : « Marcelle nous n’en avons pas pour longtemps, je vous le ramène rapidement ». Mon épouse a revu les explorateurs le soir à la nuit tombante ! Il était comme cela.
Autre anecdote amusante qui me revient en mémoire est la conduite automobile du Père GRANGER, un grand moment ! Perdu dans ses pensées, anticipant l’arrivée à destination, sa pensée nous précédait sans se soucier du fait qu’il restait en première, accélérateur au plancher, et que sa pauvre ‘Dodoche bleu clair délavé’ était au bord de l’agonie ! Lorsque, inquiet de la désertion de sa pensée vous lui faisiez remarquer qu’il était temps d’enclencher le rapport supérieur, dans un premier temps son visage exprimait la contrariété du retour à la réalité suivi bientôt d’un malicieux sourire lorsqu’il réalisait la situation.
Son système de prospection s’appuyait souvent sur la toponymie du lieu et il est évident que son érudition linguistique ainsi que sa profonde connaissance du latin et du grec, lui étaient d’un grand secours.Un des meilleurs exemples de son approche des problèmes et de son type de réflexion, se trouve dans la lecture de son étude parue sous le titre : « DEUX SOURCES QUI PARLENT – L’ENIGME DE LA FONT-RIA ». Entre parenthèses, cette étude parue en 1971, a été éditée en 370 exemplaires et j’ai la chance de posséder le numéro 24.
Lire cette étude fait comprendre la difficulté que l’on a parfois à suivre le bouillonnement de son raisonnement. Le foisonnement des pensées de l’auteur fait que malgré la chronologie qu’impose l’écriture, la plume vole quelquefois prématurément vers la conclusion. Imaginez alors, l’homme sur le terrain !
Pour ce qui est de la période où j’ai eu la chance de pouvoir l’accompagner - les trop rares fins de semaine ou pendant les congés. - nous avons fait des découvertes exaltantes. Cela va d’un four de potier exhumé à partir de la toponymie du lieu, d’une pierre dans le Pilat sur laquelle sont gravées différents types de croix, en passant par une grotte du côté de Sainte Sigolène et dans laquelle nous avons trouvé des gravures représentant un genre de cadastre préhistorique.
Mais il était un site sur lequel nous retournions souvent en visite, un lieu qu’il appelait sa chapelle Sixtine, je veux parler du couloir des gravures de Saint Martin la Plaine. Mais ceci est une autre histoire dont j’ai déjà eu l’occasion de parler.
L’homme qui m’éduquait n’était pas l’homme d’une docte assemblée dont le raisonnement ne devait pas dépasser la limite d’une certaine bienséance, non, sur le terrain toutes les hypothèses pouvaient être exprimées, mêmes les miennes qu’il s’évertuait à provoquer. Il adorait faire appel, à défaut de toute érudition universitaire que je n’avais pas, à mon bon sens. Il m’appelait son Candide tout en me montrant les limites de jusqu’où je ne pouvais aller. Que de bons moments nous avons passés ensemble, le maître et l’élève. Bien souvent, seul le soleil déclinant derrière les collines mettait un terme – provisoire – à nos débats.
Et puis, le temps a passé et un jour il m’a demandé de venir le voir à l’Hermitage. Ce jour là, en rentrant dans son immense bureau où trouver un espace pour poser son postérieur relevait de l’exploit, j’ai su que nous vivions notre dernière rencontre. Il n’était plus le même, son expression était d’une douceur inhabituelle et il avait en me regardant le regard d’un père. Je savais que sa dernière recherche ne reposait plus sur une hypothèse mais sur une certitude. Je suis lâchement reparti les bras chargés d’ouvrages, donnés en cadeau d’adieu, et les larmes dans les yeux.
La dernière image que je garde de lui est celle d’une silhouette agitant affectueusement la main en haut du grand escalier qui le masquait déjà.
L’adieu était prononcé, je restais seul.
Il m’est difficile après ces nombreuses années de restreindre mon émotion quand je parle de lui.
Il m’a appris à garder un œil d’enfant tout en gardant un esprit critique. Il m’a transmis sa fougue dans la recherche, mais il m’a également appris l’humilité face aux événements et aux hommes qui nous ont précédés.
La résolution des mystères qui s’offrent à nous et que nous essayons de percer repose essentiellement sur l’acquis de ceux sans lesquels nous ne serions pas là et non sur des extrapolations fantaisistes. Dans ce dernier cas, cela s’appelle du roman et non de l’archéologie.
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