Au Seigneur
Guillaume de Roussillon




JANVIER 2009




Photo Laurent Borde


Jean-Claude


Photo Laurent Borde



Une réflexion parmi tant d'autres ..... ou un certain mot de la fin

Par Jean-Claude Ducouder








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   Au concile de Lyon en 1274, il fut entre autre débattu de la reconquête de la Terre Sainte.

   « Après délibération du concile sur les aspects financiers de la croisade, il fut décidé que pendant six années, la dîme de tous les bénéfices de la chrétienté serait attribuée à la gestion de la croisade.

   Suite à cette décision, il fut vraisemblablement décidé de faire parvenir des subsides à la Terre Sainte.
 
   C'est à un seigneur local, Guillaume de Roussillon, seigneur d'Annonay, qui fut désigné par que le roi de France, Philippe III le Hardi, pour assurer cette mission.

   Guillaume de Roussillon embarqua donc à la tête d'une troupe de 100 cavaliers et 300 fantassins. »

Nous avons connaissance de cet événement grâce à l’ouvrage suivant :

LA NOBLESSE DE FRANCE AUX CROISADES de Pierre André ROGER,
Edition de 1845, page 158.




TEXTE ORIGINAL

C'est l'ordonnance que ly légat Symons, Messire Érard de Valéry et ly connestable de France ont faite de gens que ly rois et ly légats envoyent outre mer, dont  Messire Guillaume de Roussillon est chevaine. Premièrement, l’on baille audict  Guilllaume cent hommes à cheval, c'est à scavoir XL archers, XXX arbalestriers et XXX sergents à cheval. Item , l'on luy baille trois cents sergents à pied. Et pour tous sa gens mener et conduire, l’on baille audit certaine somme d'argent pour tout un an. Et est devisié icy quels gaiges chacun doit avoir. Et quand ly dit Guillaume viendra en la terre d’outre mer, il pourra les gaiger ausdits gens croistre et admenuser selon ce que mestier sera et qu'il verra qu'il sera à faire, Item, l'on lui baille deniers pour les despens de son hostel et pour son passage et de tous les autres dessus dits ; et de ce il en doit ordonner selon sa leauté, selon ce qu'il verra à faire. Item, de ces deniers que l'on ly baille, il doit aisder et soustenir les sergents que ly sire de Valéry, ly boutillier de France et ly connestable ly envoyèrent, et ly légats dessus dits, de ceux qu'il voira qui feront à retour. Et l'aide et la souslevance qu'il fera il le doit faire par le conseil de Monsieur Guillaume de Piquegny et Monsieur Miles de Cayphas. Item, s'ainsi cstoit que, par le soudan ou autre grand nécessite , il feust mestiers qu'il feist autres grandes mises et despens, ou en galies ou en soudoyers retenir ou autrement, il le doit faire par le conseil de ly maistres du Temple, de frère Arnoul Wiscmald, le maistre de l'Hospital et frère Guillaus de Corcelles, par le conseil du patriarche et par le conseil du roy de Cypre, si il estoit présent, et aux deux devantdits chevaliers. Item, ils ont ordonné que si ledit Guillaume de Roussillon mouroit, dont Dieu le deffende, et qu'il mourut sur la mer, Messire Aubert de Baigneux demourera en son lieu jusques à tant qu'il soit ordonné. Et quand il sera, ledit Aubert, Messire Guillaume de Piquegny et Messire Miles Cayphas tiendront lesdits gens et feront au lieu dudit Guillaume de Roussillon jusques à tant qu'ils ayent fait scavoir au roy et au légats et qu'ils en ayent remendé leur voulonté. Et s'ainsi estoit qu'il mourust outre mer, ledit Aubert et ly deux chevaliers tiendront lesdits gens comme dit est par-dessus.



J’ignore si vous êtes comme moi, mais devant un tel texte, même si l’on a l’impression de le maîtriser, il est difficile de se concentrer et d’en faire une synthèse. Aussi, en ai-je demandé à mon ami Gérard Panisset de bien vouloir m’en faire une transcription dans une forme actuelle, lisible et compréhensible par tous.

Cette mise au goût du jour effectuée, tout (ou presque !) devient subitement clair.



MODERNISATION DU TEXTE.

Telle est l'organisation que le légat Simon, messire Erard de Valéry et le connétable de France ont faite des gens que les rois et les légats envoient Outre-Mer, expédition que messire Guillaume de Roussillon dirigera. Premièrement, l'on fournit audit Guillaume cent hommes à cheval, à savoir 40 archers, 30 arbalétriers et 30 sergents à cheval. De même, on lui donne trois cents sergents à pied. Et pour mener et conduite sa troupe, on lui fournit suffisamment d'argent pour un an. Alors seront répartis les gages qui devront être délivrés à chacun. Et lorsque ledit Guillaume atteindra le rivage outre-mer, il pourra payer ses gens, augmentant ou diminuant la paie de chacun selon ses mérites et ainsi qu'il verra à le faire. De même on lui donne de l'argent pour assurer les dépenses de son hôtel et les frais de son passage Outre-Mer, outre les frais de passage de ses hommes, se confiant pour cela en son honnêteté et aux dispositions qu'il verra à prendre. De même, sur cet argent, il devra encore soutenir les sergents que le sieur de (Saint) Valéry, le bouteiller de France et le connétable lui ont envoyés, ainsi que les légats susdits, et il devra encore assumer les frais de ceux qui rentreront. Et toute l'aide et soutien qu'il prodiguera, il le fera en prenant conseil de monsieur Guillaume de Picquigny et de monsieur Miles de Cayphas. De plus, s'il advenait que, du fait du sultan ou par quelque autre grande nécessité, il soit en devoir d'entreprendre de grands frais et de grosses dépenses, que ce soit en navires ou en soldats, il le fera en prenant conseil des maîtres du Temple, de frère Amoul Wiscmald, du maître de l'Hôpital et de frère Guillaume de Courcelles, et encore du patriarche (de Jérusalem ?) et du roi de Chypre, s'il est présent, outre des deux chevaliers ci-dessus évoqués. De même ils ont ordonné que si ledit Guillaume de Roussillon venait à mourir, ce qu'à Dieu ne plaise, et qu'il mourut en mer, messire Aubert de Baigneux relèvera son commandement jusqu'à ce qu'il en soit décidé autrement. Et au cas où ce malheur se produirait, ledit Aubert, messire Guillaume de Picquigny et messire Miles (de) Cayphas prendront la tête desdites troupes et agiront en lieu et place dudit Guillaume de Roussillon jusqu'à ce qu'ils aient informé le roi et les légats de cette situation et qu'ils en aient pris leurs ordres. Et s'il devait mourir Outre-Mer, ledit Aubert et les deux chevaliers prendront la tête de ladite troupe comme il est dit ci-dessus.


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Sans être par trop machiavélique, nous allons reprendre ce texte en soulignant certains passages :

- On lui fournit suffisamment d'argent pour un an.

- Il pourra payer ses gens, augmentant ou diminuant la paie de chacun selon ses mérites et ainsi qu'il verra à le faire.

- De même on lui donne de l'argent pour assurer les dépenses de son hôtel et les frais de son passage Outre-Mer.

- De même, sur cet argent, il devra encore soutenir les sergents

- Il soit en devoir d'entreprendre de grands frais et de grosses dépenses.




En résumé :

Voilà un noble seigneur qui a suffisamment d’argent pour assurer le bon fonctionnement de sa mission pour une durée de un an. Qu’il peut augmenter la paie de ses soldats, payer ses dépenses hôtelières et frais de passage, payer les émoluments des sergents que le sieur de Saint-Valéry, le bouteiller de France et le connétable lui ont envoyés, et il devra encore en outre assumer les frais de ceux qui rentreront !
Ajoutez à cela mes seigneurs, que notre Guillaume de Roussillon,  est aussi autorisé à entreprendre de grands frais et de faire des grosses dépenses. Il est vrai que tout cela est subordonné à la consultation préalable des maîtres du Temple, de frère Amoul Wiscmald, du maître de l'Hôpital et de frère Guillaume de Courcelles, et encore du patriarche (de Jérusalem ?) et du roi de Chypre, s'il est présent, outre des deux chevaliers ci-dessus évoqués.

La nef qui a fait le voyage aller, devait valoir, à mon avis, son pesant d’or et cette affaire semblait bien verrouillée.
Ce document peut avoir une autre lecture que nous pourrions appeler « Histoire d’une mort annoncée !» :
- Dès le départ on fixe son séjour à un an.
- Que l’on envisage les conséquences de sa mort en toutes circonstances et en tous lieux. N’a-t-il pas lui-même fait son testament avant de partir ? Etait-ce monnaie courante à cette époque de procéder ainsi ou cela faisait-il partie d’un scénario écrit à l’avance ?
De la relation de sa mort, je n’ai trouvé que peu de chose, seulement que dans son ouvrage « Histoire de l’île de Chypre sous le règne des princes de la maison de Lusignan », Louis MAS LATRIE dans son édition de 1861 page 463 et 464 nous dit : « Miles de Caïphas avait été nommé capitaine des chevaliers et des hommes d’armes du roi de France, à la place de Guillaume de Roussillon mort quelques mois auparavant. ((Nous sommes en 1277) »
Tiens, j’ai déjà entendu parler de ce Miles de Caïphas !




Notre noble ami est-il mort réellement un Terre Sainte ou cette mort dont les circonstances restent floues n’était-elle qu’une sortie de théâtre ? L’abbé Filhol semblait pencher pour la seconde solution puisqu’il le dit enterré à Annonay. (Il a travaillé le sujet pendant 25 ans !)

Il y en a un autre qui, me semble-t-il, penche également pour une mort hors Terre Sainte, c’est notre ami Thierry Rollat et son hypothèse est le plus beau point final à notre histoire.


Jean-Claude Ducouder


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Lorsqu'il y a quelques semaines, j'ai reçu l'étude de Jean-Claude, un pionnier des recherches 'contemporaines' engagées autour du Seigneur Guillaume de Roussillon, ce fut une belle surprise. Ce texte qui est de sa pleine et entière initiative, c'est imposé pour moi et comme il le dit lui même, comme un point final, une certaine conclusion. Les bonnes choses ont toujours une fin, alors apprécions là et respectons là !

Jean-Claude je vous invite à le retrouver sur son site < Les échos du passé >. Sacré Jean-Claude, toujours les mots justes et des interventions opportunes ! C'est délà loin l'époque de tes premières investigations archivistes. Souviens-toi de la traduction que tu as souhaité vérifier avec le Testament, en le remettant à un paléographe et latiniste très compétent ; tu as mené en main de maître toutes tes entreprises précises.

Avant de saluer Guillaume, une petite question encore. Qui était son fameux cousin d'Annonay décédé en 1271 ? Un Roussillon (ce serait étonnant) ? Un Lavieu (vraiment un Lavieu) ? Un "Annonay" (impossible) ? Un "du côté" du Dauphin (ce serait nouveau) ? Bonne question peut-être ? Non ? ... Quand même ? ... La réponse est une autre affaire, mais pas simple de suivre ici la roue du bon sillon ...




    "Guillaume de Roussillon on a depuis 8 ans ardemment recherché vos pas, des empreintes à présent effacées. On aura retrouvé votre ombre et plus que celle-ci ; l'air du Pilat est tellement imprégné de votre bravoure. C'est peut-être pour cela qu'il est bon. Si votre souhait fut de disparaître, qu'il soit alors exaucé.

     On se devait quelque part de vous rendre hommage et honneur ; on l'a fait en notre âme et conscience, avec nos maladresses et notre incompétence. Nous vous laissons maintenant, sachant que vous êtes toujours comme pas loin, chaque jour qui passe. On jette aussi un dernier regard vers votre cousin, le cher Guillaume."



   Thierry Rollat