Rubrique

Les Templiers

Juillet 2018











Par
Michel Barbot

<RETOUR AU SOMMAIRE DE LA GRANDE AFFAIRE>


LA HUITIÈME HEURE
OU LA RÉSURGENCE DE L'ORDRE DES TEMPLIERS

 

PREMIÈRE PARTIE

 

LA FIN DE L'ORDRE DU TEMPLE

En l’année 1310 s’ouvre le concile de Vienne dans la cathédrale Saint-Maurice. Les trois objectifs sont : statuer sur le sort de l’ordre, discuter de la réforme de l'Église, et organiser une nouvelle croisade.

Sept Templiers (certains auteurs avancent le nombre de neuf) vont se présenter spontanément à Vienne afin de défendre l’Ordre. Ils sont les porte-parole de 1500 à 2000 Templiers repliés dans les Monts du Lyonnais. Mal leur en a pris, les Chevaliers sont mis au fer… 

 

La cathédrale Saint-Maurice de Vienne, vue du Mont Pipet

 

Le 6 mai 1312, le pape condamne définitivement l’Ordre du Temple pour hérésie. Bien qu’il ne s’agisse aucunement d’absoudre Clément V (Bertrand de Got) il semblerait, si l’on s’en tient au Parchemin de Chinon, que le pontife ait secrètement blanchi Jacques de Molay, le dernier Grand Maître de l’Ordre du Temple.

Les Sept Templiers qui se présentent spontanément au concile de Vienne, vont rentrer dans la légende. Ils apparaissent de façon toute symbolique dans l’église Sainte-Marie-Madeleine de Gavarnie (Hautes-Pyrénées). Henri Martin dans son Histoire de France populaire, publiée en 1855, rapporte une tradition qu’il dit tenir du célèbre historien Augustin Thierry ; tradition que Michelet reprendra ensuite dans son Tableau de la France :

« On montre respectueusement à Gavarnie six ou sept têtes qu’on prétend être celles des Templiers martyrisés, et l’on raconte que chaque année, la nuit de l’abolition de l’Ordre, une figure armée de toutes pièces  et portant le manteau blanc à la croix rouge apparaît dans le cimetière et crie trois fois : ‘’Qui défendra le Saint-Temple ? qui affranchira le sépulcre de Seigneur ?’’ Alors les sept têtes se réveillent et disent par trois fois : ‘’Personne, personne, le Temple est détruit !’’ »

 

Église de Gavarnie (carte postale ancienne)

 

Sept Templiers osent braver le roi de France et le pape Clément V. Les sept voix appelées à défendre le Temple ne peuvent se faire entendre. Mais les « Sept Voix Templières » n’auront de cesse, que de vouloir défendre le Saint-Temple, le reconstruire.

 

DES TEMPLIERS À LA LÉGENDE DE THYL ULENSPIEGEL

Daniel Réju (La Quête des Templiers et l’Orient – Éditions du Rocher), reconnaît les Sept Voix Templières d’outre-tombe, dans les hermétiques phrases présentes dans La Légende d’Ulenspiegel (Éditions. Rencontre – Charles de Coster). Il nous faut donc les examiner en détails.

Thyl et sa compagne Nele vont croiser le roi du Printemps nommé Lucifer (l’Étoile du matin). Le roi, la main appuyée sur une hache d’or et couronné de fer va instruire les deux héros des Flandres :

« Je te connais, bourgeon de sorcière, et toi aussi, rejeton de charbonnier ; mais en étant venus à force de sortilège à pénétrer en ce laboratoire de nature, pourquoi avez-vous maintenant le bec clos comme chapons empiffrés de mie ? »

Thyl Ulenspiegel exprime les doléances de la Terre de Flandre opprimée et martyrisée au nom du pape. L’histoire se passe à l’époque où les Espagnols occupent les Pays-Bas. Le roi Printemps et sa compagne enseignent à Thyl et à sa compagne :

« Par la guerre et par le feu,

Par le mort et par le glaive,

Cherche les Sept.

Le roi et la reine prophétise ensuite ces paroles d’espoir :

Quand le septentrion

Baisera le couchant,

Ce sera fin des ruines :

Trouve les Sept

Et la Ceinture »

Ici je dois ouvrir une parenthèse explicative, car certains lecteurs seront peut-être surpris. Ils se souviendront après avoir découvert récemment le livre Le Pilat Mystérieux de Thierry Rollat, Patrick Berlier et moi-même, d'avoir lu dans le livre « empereur », et verrons dans cet article « roi du Printemps ». Il y a tout simplement, que pour le livre, j’ai utilisé l’édition Casterman de 1992 qui s’avère être une adaptation abrégée mais surtout une version différente, ce que je ne savais pas sur le moment. Les formules hermétiques de l’épopée de Thyl Ulenspiegel apparaissent bien heureusement identiques. Revenons à notre histoire.

Le roi Printemps n’est pas étranger à l’univers des Fendeurs et Charbonniers, les Bons Cousins. Nele est comparée à un bourgeon, tandis que son compagnon, Thyl, est présenté comme le rejeton de charbonnier, tel était effectivement la fonction du père du héros flandrien. Lors de leur second voyage, Thyl et Nele vont rencontrer le géant et ses feux follets. Des paroles bien étranges seront une fois encore prononcées :

« Regardez bien, c’est leur grand maître

Pape des papes, roi des rois

C’est lui qui mène César paître

 Regardez bien, il est de bois. »

Le géant, par ces quatre vers hermétiques clamés au rejeton de charbonnier et à son double féminin, le bourgeon de sorcière, procède ainsi à leur initiation. Cette initiation apparaît très secrète. Elle révèle aux Apprentis l’existence d’une Église secrète dont le Pape des papes est aussi présenté comme le roi des rois (notons ces deux superlatifs absolus) et le grand maître… Le Géant ajoute : « Regardez bien, il est de bois… »

 

L'ÉGLISE DU BOIS OU DES KULDÉES

L’Église révélée par le géant, « est », indication capitale, « de bois ». Il existe bien historiquement une Église du Bois, il s’agit de l’Église Celtique et plus précisément de son noyau secret composé de moines assez mystérieux, les Kuldées (Serviteurs de Dieu ou Amis de Dieu), localisés à l’origine, plus spécifiquement dans la Terre des Kaldes (l’Écosse) dont les origines bien que chrétiennes, s’enracinent pour partie dans la religion des Druides.

Les plus beaux fleurons de cette Église Celtique seront saint Patrick, saint Colomban de Luxeuil, saint Colomba de Iona dit Colom Kill (la Colombe de l’Église…) dont les mystérieux Kuldées se présentaient comme les disciples, ou bien encore saint Brandan dont Thyl l’Espiègle, ainsi que nous l’apprenons dans l’une de ses aventures, découvrira précisément la tête dont il disait que c’était la plus sainte des choses. La possession de cette tête de mort, qu’il fera monter en argent, fera de lui un prêtre. Ses sermons clamés en qualité de prêtre de cette Église Celtique seront orientés sur l’arche de Noé, ainsi que sur le seau d’or dans lequel était le pain céleste. L’arche de Noé apparaît comme le symbole de l’Église et assurément de l’Église Celtique dont saint Brandan fut à l’instar de Noé, un Naute au sens propre comme au figuré, découvrant les routes maritimes de l’Océan, depuis le Grand Nord jusqu’aux îles Canaries. Le seau d’or contenant le pain céleste, aurait pu évoquer le vase de la manne placé dans l’Arche de l’Alliance mais il s’agit plus précisément du Saint-Graal apparaissant dans le légendaire arthurien, symboliquement identique au crâne. Concernant ce vase sacré et son importance chez les Kuldées, Patrice Genty dans son livre Études sur le celtisme écrivait :

« Les Kuldées avaient également des mystères et un enseignement secret. Ils avaient une extrême vénération pour le sacrement de l’Eucharistie. Pour eux, le calice était plus sacré que l’hostie. Les mystères du calice et du sang divin étaient tellement saints qu’il était impossible à l’homme de les réaliser totalement ici-bas. Il ne pouvait obtenir qu’une participation spirituelle à la présence divine. Avec les Kuldées le chaudron devint le calice, le graal et la figure, le symbole divin qui en monte est le messie. »

Le seau d’or peut et doit s’entendre pareillement, comme un : sceau d’or…

Dans le livre Essai sur les Chrétientés Celtiques (éditions Lulu.com), Charles Lebasse insiste sur la notion importante d’Église du Bois propre aux Kuldées :

« Les Kuldéens imprègnent de leur doctrine les collèges de métiers qui existent sur l’île de Bretagne depuis Carausius et ce jusqu’au départ des Romains en 410. Lors des invasions anglo-normandes, les collèges disparaissent et les Kuldées se réfugient en Irlande, au Pays de Galles ainsi que dans les Orcades. 

« Les groupements de charpentiers appartenant à leur confrérie sont dirigés par les maîtres celtiques de la tradition forestière.

« Les métiers et rites du bois sont forestiers et ruraux alors que les métiers et rites de la pierre sont urbains. Les premiers sont païens et en ligne directe des clans ancestraux. »

Toujours au sujet des Kuldées, l’auteur ajoute :

« À l’origine, les caractéristiques de leur construction en bois sont les suivantes :

- Plan en forme de T

- Présence de cinq chapelles au sein de l’édifice »

Les Kuldées ou « moines druides », obtinrent en 926 une charte de franchise du roi d’Écosse et constituèrent un ordre secret de moines bâtisseurs : les Kuldées ou Kuldéens. En 1099 et ce, jusqu’en 1133, Étienne Harding, originaire de Dorset en Angleterre, devient tout d’abord prieur, puis abbé de Cîteaux. Des moines et bâtisseurs Kuldées vont le suivre dans le Royaume de France et intégreront les ordres monastiques Bénédictins et Cisterciens. Bernard de Clairvaux dit saint Bernard aurait été initié par Étienne Harding, maître Kuldéen.

L’Église Kuldéenne va perdurer principalement en Irlande et en Écosse où certains Templiers, après la chute de l’ordre choisiront de s’exiler. Des Templiers seront présents à Bannockburn en 1314 auprès du roi d’Écosse Robert Bruce qui vainquit les Anglais. Une tradition maçonnique affirme que Kilwinning, la loge écossaise la plus ancienne, a été fondée par ce roi et qu’elle accueillait des Templiers qui s’étaient enfuis de France.

 

LES TEMPLIERS DES PYRÉNÉES ET LE CHEVALIER DU MÈGE

Revenons à présent dans les Pyrénées où nous avons pu découvrir la légende des Sept Templiers de Gavarnie. Cette tradition va se doubler d’une autre tradition racontée non plus à Gavarnie mais dans la paroisse de Valcabrère en Haute-Garonne, au pied de la cathédrale Saint-Bertrand-de-Comminges. Cette légende, suivant quelques auteurs, aurait été retrouvée dans l’énigmatique commanderie templière de Montsaunès, mais elle fut révélée dans l’Archéologie pyrénéenne par le célèbre Chevalier Du Mège qui la tenait de deux chanoines de Saint-Bertrand-de-Comminges.

 

L'église de Montsaunès (carte postale ancienne)

 

Alain Lameyre  mentionne cette rencontre entre l’archéologue et les deux ecclésiastes dans son Guide de la France Templière (Éditions Tchou), avant de conter cette tradition populaire qui, dit-il, « rappelle à plus d’un titre la légende des Templiers de Gavarnie » :

« La chapelle du Temple à Valcabrère faisait partie d’un vieux château nommé Castel-Bert (ou château vert), à cause du lierre qui en recouvre presque tous les murs. Une ancienne tradition, consignée dans plusieurs manuscrits, annonce que tous les sept ans, pendant la nuit qui correspond à celle qui précéda l’entrée de Saladin dans Jérusalem, l’Ancien du Temple, le vieux commandeur quitte son sépulcre, monte sur la terrasse du donjon et s’écrie : Solime ! Solime ! Solime ! Les échos répètent les accents du vieux commandeur. Il appelle les chevaliers, il les conjure de marcher  vers la Judée. Une voix fait entendre ces mots : l’Ordre est détruit ; les frères ont été massacrés ! La voix qui répond à l’Ancien du Temple est celle de l’un des chevaliers dont les têtes desséchées sont conservées dans l’église de Gavarnie. Le vieux commandeur pousse de longs gémissements, et après avoir fait pendant deux heures les prières les plus ferventes, il rentre dans son tombeau. »

Alain Lameyre estime, non sans raison, que devant la fascination provoquée par l’Ordre du Temple, « une province, surtout si elle est pauvre en souvenirs historiques, invente des légendes pour faire revivre les fameux moines-soldats. Elle choisit souvent comme lieu de leurs exploits un site où jamais ils ne mirent les pieds. Ainsi de Valcabrère. »

Il apparaît néanmoins que les Chevaliers du Temple furent bien présents à Vacabrère, ainsi que l’affirment les auteurs régionaux. Leur présence au pied de l’ancienne Colline du dieu Lug (la Lugdanum Convenarum des Pyrénées) où se dresse l’énigmatique cathédrale Saint-Bertrand de Comminges, ne peut-être le fruit du hasard !

 

Tour de Castel Vert

 

Le Castel Vert ou Château Vert sentinelle au pied de la Colline de Lug n’est pas sans nous rappeler, par son nom, cet Ordre Vert évoqué notamment par Serge Hutin. Cet ordre aurait, suivant le professeur Rameau de Saint-Sauveur, coiffé l’Ordre du Temple. Cet Ordre Vert qui aurait des origines druidiques, semble se confondre dans la symbolique templière avec la Vallée ou Ordre des Fils de la Vallée…  

 

LE CHEVALIER ALEXANDRE DU MÈGE :
UN CONNAISSANT ET UN PROTECTEUR DE L'IMAGO TEMPLI ?

Il nous faut à présent découvrir et comprendre qui était cet énigmatique Chevalier Du Mège à qui l’on doit la diffusion de la légende du Castel Vert.

 

 

Le Chevalier Alexandre du Mège (photo Wikipédia)

 

Le Chevalier Du Mège de la Haye, cité où il naquit en 1780, est mort à Toulouse en 1862. Il fut en 1831 le cofondateur, avec le marquis de Castellane, de la Société Archéologique du Midi de la France (S.A.M.F.). Alexandre Du Mège lui donna son « antique et sainte devise » latine Gloriæ majorum (de plus grande gloire et plus précisément pour la S.A.M.F. à la gloire des ancêtres). Elle figure sur la page de titre de sa première Description du Musée des Antiques de Toulouse (DU MÈGE 1835). Le marquis de Castellane en devint le premier Président.

 

Emblème et devise de la Société Archéologique du Midi de la France

Palladia Tolosa, Toulouse la palladienne

 

DU MÈGE ET LA FRANC-MAÇONNERIE

Il apparaît important de signaler que le Chevalier Du Mège, qui effectua des recherches archéologiques à Rennes-les-Bains, était fils de Franc-Maçon et fut lui-même un grand Maçon du Rite Écossais Philosophique. Ce rite est né à Marseille avec la Mère-Loge dite Loge de Saint Jean. Suivant la légende, le rite fut fondé à Marseille le 27 août 1751, par un gentilhomme Écossais de la suite de Jacques III, nommé George de Walmon ou Duvalmon, porteur d'une patente de la Grande Loge d’Édinburgh. Malgré l’absence de cette patente (autorisation administrative délivrée par une juridiction pour pratiquer un Rite maçonnique), des écrits semblent confirmer l’origine écossaise du rite, ainsi que nous le découvrons dans Histoire du Rite Écossais Philosophique – ACTA MACIONICA Volume 7 (5997) :

« Verrier cite les Règlements du 14 novembre 1779, une lettre de Jacques de Seimandy Vénérable de la loge qui écrit : La T.R.L. Ecossaise de Marseille tient ses pouvoirs de la T. R. ‘’Grande L. d'Edinburgh’’ ..... ainsi que le mémoire adressé en 1801 à la Loge Métropolitaine écossaise à l'Orient d' Edinburgh, mémoire rédigé par le F. Julien, Vénérable Maître en titre reprenant l'histoire précitée mais laissé sans réponse par la Grande Loge Ecossaise. Verrier cite encore une lettre datant de 1804, d'un F. Doisy, qui certifie l'existence de la patente, confiée pour lors à un Frère aux fins de restauration. »

http://logedermott.over-blog.com/article-histoire-du-rite-ecossais-philosophique-122266711.html

Ce fut prioritairement en Avignon que se développa le rite ainsi que le confirment des documents avignonnais des années 1780. La Mère-Loge Marseillaise donna sa patente et ses règlements le 31 août 1774 à la loge de Saint Jean « La Vertu Persécutée », en Avignon. Notons que le 27 août, date supposée de la fondation de la Loge-Mère de Marseille, est fêté saint Ruf, cher aux Compagnons et fondateur légendaire de l’Église d’Avignon. De cette cité, le rite passa à Paris et de là, dans les Pays-Bas. La tradition parisienne du rite, affirme que le célèbre Dom Pernetty aurait rejoint cette Maçonnerie parisienne vers les années 1786.

Cette étude maçonnique nous apprend que la Grande Loge d’Édimburg ou Édimbourg ne possède aucun document affirmant l’existence du gentilhomme Walmon ou Duvalmon, fondateur de la Loge-Mère de Marseille. Par Saint George qui fut l’un des saints protecteurs de l’Ordre du Temple, le nom assurément symbolique de ce « Maçon Écossais voyageur » pourrait désigner le Val ou la Vallée (l’Orient) des Fils de la Vallée et sa mystérieuse Montagne que nous évoquerons plus avant.

Nous découvrons également dans cette étude que :

« Thory, dernier grand Maître du rite, le fait descendre lui, de la Société des Rose-Croix d'après des archives, ‘’non compulsables actuellement’’, archives et manuscrits d'une société secrète existant à La Haye (cité de naissance de Du Mège) en 1622. Dans ces mêmes archives on trouverait parait-il quelques fragments d'une correspondance d'Élias Ashmole sur les sciences occultes et la théosophie, bases, nous dit Thory, d'une société dont le but était de bâtir d'une manière figurée le Temple de Salomon et dans laquelle les initiés étudiaient les secrets de la nature. Thory ajoute que tous les maçons ‘’savent que M. Boileau, médecin à Paris et Grand Maître de la Maçonnerie Hermétique était un des fondateurs de cet établissement et le plus zélé de ses soutiens’’. » 

Pour en terminer avec étude très enseignante, voici des informations d’importance quant à la suite de cet article :

« Les rites Écossais restèrent en bons termes un certain temps, mais la différence entre les rites et surtout l'absence du degré de Rose-Croix fit que le rite philosophique se rapprocha du rite de Hérédom de Kilwinning, inspiré et peut-être issu du Royal Order of Scotland avec quelque degrés supplémentaires (Stolper). »

Nous découvrons sur le site internet du Kolob Order, que le Chevalier Du Mège fut Grand Chancelier à Toulouse du « Camp des Grands Chevaliers de l’Aigle Blanc et Noir » du Rite Écossais Philosophique.

L’Hermétisme occupait une place importante dans le R.E.P. qui fut à ce titre, qualifié de Rite Alchimique. La recherche de la Vérité, telle était, au travers des « Connaissances les plus élevées », le parcours du Maçon du R.E.P. « depuis le Grade d’Apprenti jusqu’au dernier Degré ».  http://www.ledifice.net/3094-Q.html

Il est écrit au sujet de l’alchimie dans ce rite :

« Entendez ‘’alchimie’’ comme ici synonyme d’ésotérisme, soit la science de l’occulte et du secret, accessible à un petit nombre d’initiés seulement et dont la pratique devait rester inconnue des profanes. »

Nous découvrons toujours sur ce site que la Bible, le Volume de la Sainte Loi, associée à l’Équerre et au Compas, est posée sur l’Autel des Serments en tant que Lumière. Le Livre Saint est traditionnellement ouvert « au premier chapitre de l’Évangile de Jean – il n’est pas toutefois obligé que ce soit nécessairement à cette page-là ! »

Et le Maçon auteur de ce texte, ajoute :

« Notre rituel pose clairement que le Volume de la Sainte Loi doit être ouvert au prologue de Jean. En cela, son caractère johannite est pleinement confirmé. »

 

Le Volume de la Sainte Loi, l'équerre et le compas

 

 L’affirmation johannite du rituel du R.E.P. s’avère primordiale… comme peut l’être également l’importante présence de la Kabbale dans ce rite. (Jacques Litvine : Le Rite Écossais philosophique et la Kabbale). Importance confirmée par Les Cahiers de Villard De Honnecourt N°58 :

« le mystère des origines de ce rite peut être découvert dans la tradition kabbalistique des quatre mondes et de l'arbre séphirotique par le Zohar ou le Sepher Bahir. La tradition orale ancienne en Avignon et dans le Sud-est au XII et XIII s pourrait expliquer des similitudes avec ce rite, cet arbre supérieur mystique. »

Le Chevalier Alexandre Du Mège fut également membre de l’Académie Celtique de Paris pour qui il prospecta dans le Sud-ouest et il fut aussi :

« […] membre d’honneur de l’Académie des jeux floraux, de l’Académie des Sciences, inscriptions et belles lettres de Toulouse et créateur d’un rite égyptien dans le cadre de la loge-mère de la ‘’Souveraine Pyramide des Amis du Désert’’ qui inspira peut-être la loge des ‘’disciples de Memphis’’ de Gabriel Marconis de Nègre et Samuel Honis.

« Du Mège était aussi membre de la loge ‘’Napoléomagne’’ créée en 1805 qui deviendra en 1814… la Concorde ! Mais aussi en 1809 Grand chancelier d'un Rite Écossais Philosophique et pratiquera aussi le rite très spécifique de la ‘’Vieille Bru’’… »

Ces infos recueillies sur le site http://reinedumidi.com/Toulouse/Dumege.htm, émanent des travaux de Pierre Molier Un éclairage régional, deux maçons passionnés : Alexandre Du Mège et Georges Chalot dans Splendeurs maçonniques - Éditions des deux encres-Toulouse 2003

Claude Antoine Thory dans son livre Acta latomorum, ou, Chronologie de l'histoire de la franche-maçonnerie française et étrangère (Paris 1815) indique au sujet de ce très spécifique Rite de la Vieille-Bru dit aussi Rite des Écossais fidèles auquel appartint le Chevalier Du Mège :

« Suivant une note fournie par M. Borel, de Toulouse, le Rite de la Vieille-Bru a été établi dans cette ville, en l’année 1747, par C. Ed. Stuart, en reconnaissance du bon accueil que sir Samuel Lockard, son aide-de-camp, avait reçu des Maçons de Toulouse, etc. »     

Le rite se composait de neuf grades divisés en trois Chapitres correspondant au Consistoire. Le Consistoire était administré par le Conseil des Ménatchims ou Ménatzchim. Le nom de ces chefs suprêmes qui apparaît aussi chez les Compagnons Enfants de Salomon, correspond à l’hébreu Ménatzchim. Les Ménatzchim au nombre de 36000 !!! suivant le Second Livre des Chroniques, étaient les Surveillants ou Directeurs dirigeant les Tailleurs de Pierre du Temple de Salomon. Pour les Enfants de Salomon, Adon Hiram, le grand architecte du Temple de Salomon était le Grand Menatzchim (le Grand des Ménatzchim). Les Ménatzchim du Temple portent aussi le nom de Harodim dans le Premier Livre des Rois. Le nom Harodim est reconnu comme étant la première étymologie du nom de la mystérieuse montagne écossaise de Heredom, montagne qui donna son nom au Rite d’Heredom de Kilwinning sur lequel nous reviendrons. 

Le premier Chapitre du Rite de la Vieille-Bru ou des Écossais fidèles, composé de quatre grades, correspond à la Maçonnerie dite symbolique. Le second Chapitre composé des quatre grades suivants, correspond à la Maçonnerie des Croisades. JM Ragon dans « Rites et Rituels » indique au sujet de ce second Chapitre : « Le deuxième comprend quatre degrés, désignés sous le titre d'Elus. Son système est templier. »

Le troisième Chapitre est formé de ceux qui ont été admis au neuvième et dernier degré,  ou dans les secrets de la Maçonnerie scientifique…

Il est connu qu’Alexandre Du Mège devait sa carrière à ses relations maçonniques. Elles feront de lui un féru d’égyptologie. Il fut un grand ami de Champollion et de Jean-François-Aimé Perrot, antiquaire et archéologue Nîmois qui participa à l’aventure naissance de l’égyptologie.

L’intérêt porté par Alexandre Du Mège à la touchante légende du Commandeur de Valcabrère se justifie assurément par ses fonctions d’archéologue mais peut-être aussi par son appartenance au Rite Écossais Philosophique ainsi qu’au Rite des Écossais fidèles, rites affirmant le maintien de l’Ordre des Templiers en Écosse.

L’archéologue Toulousain n’en reconnaît pas pour autant l’Ordre du Temple et l’Église Johannite fondés en 1804 par Bernard-Raymond Fabré-Palaprat et Guillaume Sydney-Smith. Dans son opuscule Notes sur quelques documents de l'Ordre de la Milice du Temple et sur l'église de Montsaunès (Toulouse Imprimerie de Bonnal et Guibrac – 1845), le Chevalier Du Mège écrit :

« On savait bien que, dans l’un des degrés de la franc-maçonnerie écossaise, au trentième, je crois, se trouvait le grade de Chevalier Kadosch, et que ceux qui en étaient revêtus assuraient qu’ils étaient Templiers. M. l’abbé Barruel, dans son Histoire du Jacobinisme, M. Cadet de Gassicourt, dans son ouvrage intitulé le Tombeau de Jacques de Molai, ont indiqué aussi cette origine, mais en faisant des réflexions, en formulant des insinuations qui ne peuvent ni ne doivent m’occuper. »

Le Chevalier Alexandre Du Mège semble bien difficile à suivre, il pourrait même irriter le lecteur. Il fut Grand Chancelier à Toulouse du « Camp des Grands Chevaliers de l’Aigle Blanc et Noir » du Rite Écossais Philosophique. Ce grade maçonnique n’est pas sans rappeler le grade de Chevalier Kadosh, 30e degré du Rite Écossais Ancien et Accepté (R.E.A.A.) dont le nom complet est : « Illustre grand commandeur de l’aigle blanc et noir, Grand élu Kadosh ». Le 30e degré du Rite Écossais avançait une filiation templière,  rappelant que certains chevaliers se réfugièrent en Allemagne et d’autres à  Édimbourg en Écosse. Nous pouvons lire au sujet du 30e degré, dans le livre Les trente-trois degrés écossais et la Tradition signé G.L. (Guy Trédaniel éditeur) :

« Plus généralement, il faut dire que si la référence est explicitement faite à Ramsay et à l’ordre du Temple, c’est que l’on a eu souvent l’habitude de voir dans le Kadosch un bras séculier en continuité templière pour venger les meurtriers de Jacques de Molay : le roi Philippe le Bel et le pape Clément V. Ce caractère vengeur du trentième lui a valu des condamnations extra-maçonniques aussi intra-, même si elles ne furent pas toujours aussi avouées… »

Bien que le Chevalier Alexandre Du Mège fut membre du Rite Écossais Philosophique et du Rite des Écossais fidèles et non du Rite Écossais Ancien et Accepté, il connaissait les légendes templières en qualité notamment de Grand Chancelier du Camp des Grands Chevaliers de l’Aigle Blanc et Noir du Rite Écossais Philosophique. Il cite d’ailleurs des auteurs ayant abordé cette énigme de la survivance templière. Il se positionne assurément sur le sujet, en qualité d’archéologue membre de la S.A.M.F., mais aussi, plus secrètement, en qualité de Maçon. Si l’archéologue de Toulouse ne peut cautionner ouvertement ces légendes, le Maçon ne peut, lui non plus, s’exprimer ouvertement sur le sujet. Mais il semble raisonnable de penser que sa connaissance du Rituel Templier maçonnique le confirme assurément dans l’idée que l’Ordre et l’Église templière de Fabré-Palaprat n’ont que peu de rapport avec le véritable Ordre des Chevaliers du Temple. Rejette-t-il totalement du reste, l’aspect Johannite de l’Ordre du Temple ? Ses propos virulents visant à condamner la filiation Fabré-Palaprat donneraient à le penser mais l’affirmer pourrait apparaître comme une erreur bien qu’il mette en avant principalement les liens primordiaux qui unissaient l’ordre à l’Église de Pierre.

Du Mège n’est-il pas lui aussi Chevalier Kadosch ?! Aussi pouvons-nous lire différemment ce qu’il semble affirmer, lorsqu’il écrit :

« On savait bien que, dans l’un des degrés de la franc-maçonnerie écossaise, au trentième, je crois, se trouvait le grade de Chevalier Kadosch, et que ceux qui en étaient revêtus assuraient qu’ils étaient Templiers. M. l’abbé Barruel, dans son Histoire du Jacobinisme, M. Cadet de Gassicourt, dans son ouvrage intitulé le Tombeau de Jacques de Molai, ont indiqué aussi cette origine, mais en faisant des réflexions, en formulant des insinuations qui ne peuvent ni ne doivent m’occuper. »

Ce n’est pas tant, l’association Chevaliers Kadosch / Templiers affichée par les Maçons du 30e degré (« je crois », dit-il… en fait, il le sait très bien !) qu’il récuse, mais il ne peut s’occuper des insinuations formulées par l’abbé Barruel et M. Cadet de Gassicourt, surtout lorsqu’elles viendraient cautionner une filiation Fabré-Palaprat qu’il rejette avec conviction.

Il ne convient pas non plus de penser que l’entente entre les Chapitres Philosophiques et les Suprêmes Conseils des 33 degrés du REAA étaient au beau fixe. Bien au contraire ! Harassés par l’hostilité de ces Suprêmes Conseils, les Chapitres Philosophiques cessèrent de se réunir après 1814. Dès 1826, le rite philosophique, à la mort de Claude-Antoine Thory célèbre Franc-Maçon, avait cessé d'être pratiqué en France, ainsi qu’indiqué dans ACTA MACIONICA (Collectif Grande Loge régulière de Belgique) Volume 7 de Paul Cosyns (5997 Année de la Vrai Lumière - 1997). http://logedermott.over-blog.com/article-histoire-du-rite-ecossais-philosophique-122266711.html

Dans ce 7e volume de l’ACTA MACIONICA nous découvrons également que le 28 février 1802 se constitue à Bruxelles la loge « La Paix », au rite moderne et la loge « La Candeur », le 8 septembre 1804 avec un Chapitre de Rose-Croix au même rite. La Loge « La Paix » en février 1810, adoptera le Rite Écossais Philosophique et sera érigée la même année en Souverain Chapitre Métropolitain Ecc:., puis en 1811 en Souverain Conseil des Grands:. Aigles:. Blanc et Noir. et enfin en Gr:. Sup:. et Souv:. Tribunal des GG:. Inqu:. Insp:. Commandeurs, chef d'Ordre et prend en son sein le Chapitre de R:. C:. de Heredom de Kilwinning. 

L’opuscule Notes sur quelques documents de l'Ordre de la Milice du Temple et sur l'église de Montsaunès du Chevalier Du Mège, paraît en 1845. Le Rite Écossais Philosophique est officiellement dissous en France mais le Chevalier natif de la Haye n’en poursuit pas moins son parcours maçonnique.

 

L'ÉGLISE DE JACQUES ET L'IMAGO TEMPLI

Dans son livre Temple et contemplation, Henry Corbin présente l’étude L'Imago Templi face aux profanes. Le célèbre philosophe et orientaliste Français ouvre son étude en s’appuyant dans un premier temps sur une citation du Talmud qu’il a découverte dans le roman poignant d’Élie Wiesel, Le serment de Kolvilàg. Voici cette citation :

« Si les peuples et les nations avaient su le mal qu’ils se faisaient à eux-mêmes en détruisant le Temple de Jérusalem, ils auraient pleuré plus que les enfants d’Israël. »

H. Corbin ouvre son étude en s’appuyant dans un second temps sur la légende des Templiers de Gavarnie qu’il découvrit dans le livre de Pierre Mariel Guide… des Templiers (Éditions la Table Ronde).

Vient ensuite pour H. Corbin cette réflexion : 

« La déploration des sages talmudistes et la clameur funèbre vibrant dans un cirque des Pyrénées se font échos l’un à l’autre, en situant au cœur de l’histoire du monde la même catastrophe : la destruction du Temple, du même Temple. Cependant, il y a aussi, au cours des siècles opposant à ce désespoir la ténacité d’un défi permanent, la récurrence d’une Image triomphale, celle de la reconstruction du Temple, l’avènement du Nouveau Temple s’amplifiant aux dimensions d’une restauration cosmique. Les deux images, destruction et reconstruction du Temple, sont inséparables l’une de l’autre. Elles s’alimentent à la même source pour configurer une vision du monde qui dans les deux dimensions, horizontale et verticale, est dominée par l’Image du Temple, Imago Templi, et qui rend solidaire le destin de la cité-temple et le destin de la communauté –temple en la personne des chevaliers templiers. »

L’auteur situe ce Temple dans ce que l’on nomme en Orient le barzakh, « le monde de l’entre-deux », au « confluent des deux mers », cette localisation, nous le verrons devient très importante pour certains chercheurs désireux de situer géographiquement l’Imago Templi.

L’homme a possédé les clefs du Temple. Le Temple perdu, l’homme n’a plus aucune raison de posséder ces clefs, ainsi que nous le démontre H. Corbin :

« Saisissante entre toutes est cette tradition. Lorsque le Temple de Salomon fut livré aux flammes par Nabuchodonosor (Nebukadnezar), les prêtres, tenant dans mains les clefs du Temple, montèrent sur le toit du sanctuaire. Et là ils clamèrent à la face du ciel : ‘’Seigneur du monde, puisque désormais nous ne pouvons plus remplir notre office dans ce Temple, reprends les clefs dans ta main’’. Et  ils lancèrent les clefs vers le ciel. Une main apparut dans le ciel et cette main saisit les clefs. Il me semble en percevoir ailleurs une correspondance significative : dans notre cycle du Graal, l’épopée qui est consacrée en propre à la geste de Galahad, se termine par une scène mystique dans le palais spirituel de Sarraz : une main apparaît dans le Ciel et saisit le saint Graal qui sera désormais invisible à ce monde, dans le temps de ce monde. »

L’idée de la résurgence du Temple et de ses Templiers apparaît dans le Temple du Graal, le Temple édifié à Montsalvat (le Mont Salvateur) par Titurel. Le Temple n’a plus d’existence physique, non plus géographique. Il apparaît ainsi véritablement comme l’Imago Templi dont l’existence se fonde sur la théologie ézékiélienne du Temple et sur la théologie du nouveau Temple des Esséniens. La première, présentée par le prophète Ézéchiel, est subtilement avancée par Noël Gardon dans son livre Mon Pilat. Nous évoquerons cette particularité de l’ouvrage de l’écrivain Pilatois dans un prochain article.

Quant à la symbolique essénienne, elle apparaît comme l’un des vecteurs ayant donné naissance à l’Ordre du Temple. H. Corbin l’affirme :

« Ce que la tradition templière revendique, c’est précisément l’héritage des Esséniens, et à travers ceux-ci l’héritage de la gnose judéo-chrétienne de l’Église de Jacques. Par là même cette revendication implique que quelque chose est encore à venir, que ‘’tout n’est pas consommé’’. »

H. Corbin évoque ici « l’horizon messianique » qui domine à la fois « la primitive communauté judéo-chrétienne que l’ensemble de la gnose juive. ». L’Église de Jacques, la communauté primitive judéo-chrétienne, eut des contacts avérés avec le mouvement Essénien. À la croisée de ces deux courants, apparaissent les « transmetteurs », « ceux que l’on désigne tantôt comme les Frères de la Thébaïde, tantôt comme les fils de la Vallée, etc. » « Ils interviennent, écrit H. Corbin, « tantôt directement, tantôt comme celle des hiérarchies interposées, parce que leur résidence  propre […] n’est point un pays situable sur nos cartes. »

La tradition évoque les Sept Ermites, Chanoines du Temple. Ce sont ces ermites qui, les premiers, avaient été rencontrés par Hugues de Payens et ses compagnons. Or, ces ermites conservaient la tradition d’une prophétie annonçant que la Sagesse éternelle, Sophia aeterna, se manifesterait de nouveau « dans l’antique sanctuaire de Jérusalem, lorsque des chevaliers vêtus de blanc viendraient d’au-delà des mers pour défendre la Ville sainte ». H. Corbin note au sujet des Sept Ermites, héritiers des hautes sciences des Esséniens :

« Ces données hiérologiques, ressortissant à l’’’histoire subtile’’, nous réfèrent, telles qu’elles sont, au problème de la survivance de la communauté judéo-chrétienne primitive de Jérusalem, l’Église de Jacques. »

Après la mort de Jacques le Juste (en 62 ou 66 ap. J.C.), frère de Jésus, premier évêque de Jérusalem et premier « évêque des évêques », la communauté judéo-chrétienne, sur l’avertissement d’un Ange, émigra à Pella, sur l’autre rive du Jourdain et échappa ainsi aux affres du siège des Romains qui aboutit en 70, à la destruction du Temple.

Syméon (oncle de Jésus) fut élu à la tête de la communauté composée dit-on d’Esséniens. Deux courants majeurs vont alors se présenter depuis Pella, comme formant l’Église de Jacques, il s’agit des Ébionites, mot provenant de l’ancien hébreu Ébionim : les « Pauvres » et celui des Nazoréens, mot apparenté au mot Nazir, le Consacré à Dieu. Jacques le Juste dit aussi le Rempart, apparaît dès sa naissance, tel Samson et Samuel comme un Nazir, ce qui n’implique aucunement que les membres de l’Église de Jacques étaient des Nazir, bien qu’il dût y en avoir. Épiphane de Salamine, un auteur de la seconde moitié du IVe siècle, probablement un chrétien d’origine judéenne, rapporte dans son Panarion, un certain nombre de témoignages relatifs à Jacques le Juste. Le premier chef de l’Église, coiffé de la mitre des grands prêtres, était revêtu de vêtements en lin. Il priait agenouillé, la peau de ses genoux était devenue semblable à celle d’un chameau, ainsi que le rapportent certains auteurs.

Trois Jacques émergent dès l’origine dans l’entourage de Jésus : Jacques le Majeur, Jacques le Mineur et Jacques le Juste. La confusion apparaît tout au long des siècles sur l’identité précise du Jacques, premier chef de l’Église. Cette confusion semble d’ailleurs avoir été consciemment entretenue.

Il y eut dès l’origine, Trois Églises : l’Église de Pierre, l’Église de Jean et l’Église de Jacques. Les évangiles synoptiques de Matthieu, Marc et Luc, rapportent l’épisode important de la Transfiguration. Jésus prend avec lui, Pierre, Jacques et Jean, son frère et les emmène sur une haute montagne. Voici qu’apparurent Moïse et Élie. Jésus s’entretint avec eux. Pierre dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Tandis qu’ils parlaient, voici qu’une nuée lumineuse les prit sous son ombre…

 

La Transfiguration (gravure du père Jérôme Natali, Anvers 1593)

 

Jacques d’Arès dans le tome 3 de son Encyclopédie de l’Ésotérisme (Édition Jean-Pierre Delarge), commente ainsi la présence de ses trois disciples :

« Leur présence, en cette circonstance capitale est significative car chacun d’entre eux correspond à un courant de l’Église. Saint Pierre est officiellement le fondateur de l’Église, que certains appellent justement ‘’Église de Pierre’’. C’est l’église exotérique, à caractère matériel, et la réflexion de Pierre à Jésus dans le récit est caractéristique à ce sujet, tandis que les deux autres apôtres restent dans une admiration muette. Mais à côté de cette église officielle existent deux autres courants cachés dont la limite commune est floue, l’église ésotérique de Jean bien connue et l’église alchimique de Jacques, beaucoup plus mystérieuse à travers notamment la signification profonde des pèlerinages à Saint-Jacques-de-Compostelle. »

 

HEREDOM DE KILWINNING OU L'ANNONCE DU 3e TEMPLE

Nous retrouvons à présent l’Ordre du Temple. Cet ordre, ne fut aucunement, suivant le Chevalier Du Mège, inféodé à l’Église de Jean, tout au moins à l’église à laquelle affirmait appartenir Fabré-Palaprat. Il est certain que l’Ordre du Temple dépendait directement du pape, chef temporel de l’Église de Pierre mais il est également connu, qu’avant d’arriver à Jérusalem, Hugues de Payns et les huit autres Templiers, sollicitèrent la bénédiction de Théoclétès, évêque d’Éphèse et soixante-septième successeur de l’apôtre Jean. Le patriarche leur remit leur première règle, la règle augustinienne.

Jacques d’Arès dans le tome 4 de son Encyclopédie de l’Ésotérisme commente :

« Les lois de la providence sont quelques fois curieuses. Le nom que porte ce patriarche, Théoclétès est un mot grec qui signifie : la clé de Dieu, ce qui est tout de même significatif. Ces moines, les chevaliers du Temple, bons catholiques, reçoivent officiellement leur règle d’un homme qui s’appelle la clé de Dieu et qui de surcroît est orthodoxe ! Comment ne pas y voir un symbole. »

Étrange en effet, et plus encore, si ces Neuf Premiers Templiers, ont véritablement été reçus à Jérusalem par les Sept Ermites de l’Ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem dont le fondateur mythique ne serait autre que Jacques le Juste… Bien entendu, Godefroy de Bouillon, avoué du Saint-Sépulcre, aurait officiellement fondé cet ordre en 1114 mais son antériorité apparaît formulée par d’anciens auteurs.

D’antiques traditions affirment également que l’Église Kuldéenne fut dès l’origine affiliée à l’Église de Jacques. Différents auteurs affirment pareillement que l’Ordre du Temple fut un ordre Kuldéen et fut ainsi affilié à l’Église de Jacques. Il semble en fait que les Templiers pratiquèrent l’œcuménisme avant l’heure. Ils participaient tout à la fois de l’Église  de Pierre, de l’Église  de Jean et de l’Église  de Jacques.

S’il est une tradition qui affirme la rencontre des Neuf Premiers Templiers avec les Sept Ermites ou Chanoines du Temple rattachés à l’Église de Jacques, il apparaît, nous l’avons vu que la fin de l’ordre ? et peut-être pareillement sa résurgence, se fonde sur une même présence de sept chevaliers. Il y eut, nous l’avons vu les Sept Templiers qui se présentèrent spontanément au concile de Vienne mais il y eut également Sept Templiers qui, suivant une tradition, auraient, sur ordre des Fils de la Vallée, prolongé secrètement l’ordre détruit.

L’idée des sept Templiers prolongeant secrètement l’Ordre du Temple fut reprise par Giacometti et Ravenne dans leur thriller Le Septième Templier (Fleuve Noir) :

« 1307. Le roi Philippe le Bel et le pape Clément V ordonnent l’anéantissement total de l’Ordre du Temple. Mais dans l’ombre des commanderies sept templiers vont organiser sa survivance par-delà les siècles. »

Ces deux auteurs, Franc-Maçon de haut rang pour l’un et journaliste très bien informé pour l’autre, en partant de l’énigme suivante : « Sept templiers – Trois portes – Une seul vérité », évoquent en ces termes la survivance :

« Il est dit dans un document que l’ordre des Templiers n’a pas disparu en 1314, avec la mort de son Grand Maître Jacques de Molay, mais a continué d’exister clandestinement. Cet ordre, appelé Secreti Templum, est une sorte de loge secrète composée de sept frères. Ces sept templiers ont pour mission de coopter, à travers les siècles, avec pour seul objectif de préserver le secret de l’ordre dissous. »

Il est certain que la survivance dans l’ombre de l’Ordre du Temple, ainsi que sa résurgence tourne autour de ces Sept Templiers à la fois symboliques et réels. La loge des Sept Écossais réunis évoqués par les deux auteurs, et dont l’existence est confirmée, affirme pareillement ce SECRET.

C’est bien sûr à Zacharias Werner, Franc-Maçon et prêtre catholique, né à Königsberg en 1768 et mort à Vienne en 1823, qu’il appartint de rendre public tout un pan secret de l’Ordre du Temple. Derrière son œuvre poétique se cache – différents chercheurs le pensent – le SECRET de la survivance et de la résurgence de l’Ordre du Temple.

 

 

Portrait de Zacharias Werner
tiré de The Secret Tradition in Freemasonry

d'Arthur Edward Waite (Londres, 1911) – Wikipédia

 

En 1803, il écrit le poème dramatique Die Söhne des Thals (Les Fils de la vallée), ainsi que la première partie de Die Templer auf Cypern (Les Templiers à Chypre). En 1804, il écrit la deuxième partie : Die Kreuzesbrüder (Les Frères de la Croix). En 1962 Louis Guinet publie aux Éditions Mouton & CO, une œuvre majeure : Zacharias Werner et l’ésotérisme maçonnique. Cette œuvre inspirera Henry Corbin pour son livre Temple et Contemplation.

Les Fils de la Vallée apparaissent comme les Supérieurs Inconnus ayant coiffé l’Ordre des Templiers. Saint Bernard, dit Bernard de Clairvaux, l’un des fondateurs de l’Ordre du Temple, aurait été un initié de la Vallée. Il fonde en 1115 l’abbaye de Clairvaux avec quelques compagnons, envoyés par le Britannique Étienne Harding, reconnu aujourd’hui comme l’un des derniers moines Kuldées.

Clairvaux, la Claire Vallée ou Vallée de la Lumière, témoignerait de cette mystérieuse Vallée dont l’on retrouverait la symbolique dans le nom de Parzival, Perlesvaux ou Perceval (Perce le Val)… La Vallée apparaît symboliquement liée à la Vallée de Josaphat.

 

 

Thomas Seddon, Jerusalem and the Valley of Jehoshaphat
from the Hill of Evil Counsel 1854

http://www.victorianweb.org/painting/seddon/paintings/1.jpg

 

C’est dans la vallée de Josaphat (de l’hébreu yehôsâphât, « Dieu juge ») que, pour le prophète Joël, aura lieu le Jugement dernier : « En ces jours-là, je rassemblerai toutes les nations, je les ferai descendre dans la vallée de Josaphat ; là j'entrerai en jugement avec elles au sujet d'Israël, mon peuple et mon héritage » (Joël 3-2).

Dans la Franc-Maçonnerie Écossaise, l’Orient et la Vallée sont synonymes. La Vallée, Henri Corbin le rappelait, non localisable sur les cartes, s’étend dans le barzakh, « le monde de l’entre-deux », au « confluent des deux mers »…

L’idée des Fils de la Vallée telle que rapportée par Zacharias Werner ne peut assurément pas satisfaire les partisans d’un Ordre du Temple injustement accusé. Les Fils de la Vallée auraient pris la décision de dissoudre l’Ordre du Temple… Le roi Philippe le Bel « maudit sans doute », devient « le simple agent exécutif de décisions prises par une autorité supérieure à la sienne, celle des ‘’fils  de la Vallée’’. » Plus que de dissolution du Temple, peut-être devrions-nous parler de mise en sommeil ?

À Chypre, en 1306, dans la cité de Limassol (Limasso) au cours d’un chapitre solennel, l’Ordre du Temple du Grand Maître Jacques de Molay, prend la décision fatale de rentrer en France. Philippe le Bel ne peut que s’en réjouir. Dans l’île chypriote, deux mystérieux messagers, Eudo et Astralis, des Fils de la Vallée, sont-là pour préparer de Molay à son destin !!!

« et le jeune chevalier Robert de Heredom à sa mission. C’est ce jeune homme en effet qui a été choisi pour conduire à bien la palingenèse de l’Ordre, ou plutôt sa perpétuation  après la destruction sur la scène visible de l’Histoire. ».

Les mots employés ici par Henri Corbin sont importants. S’il y a bien une destruction de l’ordre, il y a néanmoins une perpétuation de cet ordre mais hors de la scène visible de l’Histoire.

Jacques de Molay, triste consolation, aurait été « reçu membre de la Vallée dans la grotte du Carmel […]. Quant à Robert de Heredom, après avoir été initié, lui aussi, il se réfugie en Écosse avec quelques chevaliers. Conformément à la tradition templière, l’Imago Templi fait donc ici encore de l’Écosse royale de Robert Bruce le sanctuaire de la perpétuation du Temple ».

H. Corbin présente les Fils de la Vallée comme : « Une haute compagnie de Frères adeptes, constituant ab origine l’Église secrète du Christ. » L’Ordre est de ce fait, présenté comme étant rattachés « aux lointains Esséniens, à la communauté judéo-chrétienne des origines ». Nous retrouvons bien entendu l’Église de Jacques.

Robert de Heredom, initié par les Fils de la Vallée, devient le premier Grand Maître « du nouveau Temple qui renaîtra de ses cendres. Il est le gardien du Palladium secret, jusqu’à ce que vienne le temps où les hommes auront assez de maturité pour le reconnaître, et seront dignes de recevoir cette lumière que la Vallée a révélée à Jacques de Molay, la veille de son martyre. »

Le nom de ce chevalier Robert de Heredom a intrigué bien des chercheurs. Ainsi que le rappelle H. Corbin :

« Le nom de chevalerie de Robert nous réfère à la montagne mystique de Heredom, dans le nord de l’Écosse […]. Après le sacrifice de Jacques de Molay, Robert de Heredom reçoit des mains de l’un des Fils de la Vallée le coffret contenant l’authentique doctrine ainsi que la cloche de l’Église primitive, qu’il transmettra aux générations futures. Six autres chevaliers, devenus ‘’Frères de la Croix’’ lui sont adjoints par la Vallée, et la petite troupe des sept hommes ‘’s’élance au lever du jour, symbole de renaissance, de jeunesse et de force’’, vers le château de Heredom en Écosse. »

Nous retrouvons avec Robert de Heredom et ses six chevaliers, le nombre Sept des Templiers. Le Temple tel le Phénix renaît de ses cendres. La cloche de l’Église primitive – l’Église de Jacques – est remise aux Sept Templiers. Ce symbole confirme la vérité de cette Église et par-là même, affirme la venue de l’Église du Saint-Esprit d’inspiration johannite.

Il fut assurément tentant de localiser Heredom, en Écosse certes, mais aussi en France. C’est ainsi que Jean-Paul Bourre dans son livre L’Or des Druides (Éditions Henri Veyrier) n’hésite pas à écrire : 

« Une tradition templière nous apprend que la Vallée est aussi le nom de la terre cachée, dans laquelle vivent les gardiens du Graal, les derniers Templiers. »

Il rappelle que :

« Dans le texte ancien d’Eschenbach, la terre du Graal porte le nom de Veleis. En patois local, le Velay, c’est aussi la Vallée. »

J.P. Bourre ajoute :

« Henri Corbin – spécialiste de l’Islam ésotérique – révèle que le nom, ‘’Fils de la Vallée’’, représente une confrérie de ‘’Supérieurs Inconnus’’, à l’œuvre derrière la chevalerie templière : après la destruction de l’ordre du Temple, par Philippe le Bel, le Grand-Maître provincial d’Auvergne, Pierre d’Aumont, réussit à prendre la fuite avec quelques chevaliers, dont Robert de Heredonn. Ils rejoignent les Fils de la Vallée. »

Ainsi que nous le remarquons, J.P. Bourre utilise pour Robert de Heredom la variante également reconnue de Heredonn, d’où le commentaire suivant : « Robert de Heredonn porte le nom de la cité disparue des Chapteuil : Eredona. » Il est vrai que ce territoire du Velay apparaît depuis l’époque celtique – voir même préceltique – comme un lieu mystérieux. C’est au Mont Mézenc que les Druides ramenèrent de Delphes la mystérieuse Table d’Or… Cet objet sacré détenu par les Druides sera gardé au Moyen Âge par les Templiers et par les Chevaliers de l’Arx que l’on dit également Templiers et dont la forteresse-mère était Chapteuil.

Le Mont Mézenc (la Montagne du Milieu…) apparaît comme le Pot-au-noir, une zone connue pour ses nombreux crashs d’avions. Cette zone que l’on a comparé au Triangle des Bermudes, fut nommée Triangle de la Burle (en référence au vent local) par l’érudit local Jean Peyrard auteur d’un livre très documenté sur le sujet et titré Le Triangle de la Burle. Les méfaits de ce triangle se prolongent, suivant certains chercheurs, jusqu’au Mont Pilat où l’on se souvient encore des trois mirages de l’armée de l’air qui s’écrasèrent le 20 mai 1987. Ce crash fera l’objet d’un envoûtant roman Les brumes du Pilat signé Daniel Rouet (Herdé Créations). Patrick Berlier évoque ce crash dans son article Un Coin Sympa entre Dorlay et Valencize (Les Regards du Pilat – avril 2015). Le Druide du Pilat, s’arrête également sur un autre accident : le crash du 1er novembre 1944 (Les Regards du Pilat – avril 2007).

J.P. Bourre rappelle qu’Hugues de Payens, premier Grand-Maître de l’Ordre du Temple, suivant les chroniques de Chambon, de Saint-Agrève, et Berger d’Auvergne (1782) « appartenait aux Pagan qui firent, en leurs temps, si grande figure en Velay. » S’appuyant sur la localisation mythique de la Vallée, au « Confluent des deux mers », l’auteur rappelle, non sans raison (tout au moins géographiquement) :

« Le confluent des deux mers est ici, sur la terre géographique du Velay. À quelques kilomètres du village des Estables, sur la route de Lachamp-Raphaël – on trouve un panneau qui indique que nous sommes sur la ‘’ligne de partage des eaux’’ : Atlantique / Méditerranée. »

Et l’auteur conclut : « L’espace du Mézenc est au confluent des deux mers. »

 

Ligne du Partage des Eaux dans le Massif du Mézenc
(Photo Christian Lelièvre)

 

Il va sans dire que les propos avancés par J.P. Bourre et les chercheurs du Velay pourraient également être formulés par les chercheurs du Pilat. En effet, l’on découvre pareillement dans le Pilat cette « ligne du partage des eaux », ligne évoquée par Patrick Berlier dans différents articles. Nous en découvrons une intéressante analyse dans son article Initiation à la toponymie – Qu’est-ce que la toponymie ? (Les Regards du Pilat -  novembre 2012) :

« Janus, dieu aux deux visages, a donné son nom à la rivière Janon, qui longe un temps la ligne de partage des eaux, et semble donc regarder les deux bassins versants de l’Atlantique et de la Méditerranée. »

Le parallèle qu’effectue Patrick entre la rivière Janon, rivière du dieu aux deux visages, avec la ligne de partage des eaux, ne manque pas d’intérêt. Rappelons, au passage – ou partage des eaux – que certains auteurs ont mis en en avant le parallèle Janus / Baphomet…

 

Carte du partage des eaux dans le Pilat

 

De cet Entre-deux-Mers, par effet miroir, renaît l’Ordre du Temple et ainsi le 3e Temple, l’Église des derniers jours. Nous pouvons, semble-t-il, découvrir cette renaissance ecclésiale dans les Prophéties du futur Pape Jean XXIII. Ces prophéties ne provoquent pas l’intérêt suscité par les quatrains de Nostradamus ou la Prophétie des Papes (saint Malachie le Kuldée ami de saint Bernard), elles n’en possèdent pas moins des vérités. Nous y reviendrons plus en détails dans la 2e partie de ce dossier.

À suivre...




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