JUIN
2016 |
Par
notre Ami
Patrick BERLIER |
Frontispice
du livre de Jean du Choul C'est dans le village de Longes, sur
les premiers
contreforts du Pilat au-dessus de Givors, qu'il convient de rechercher
les
origines de la famille de Jean du Choul. Depuis toujours au service des
Roussillon, qui étaient les maîtres de la région,
les membres d'une famille
Chol, possessionnée à Longes, faisaient office de premier
capitaine ou de
magistrat. Si bien qu'au XIIIe siècle un Chol sieur
de Torrepane fut
anobli, ce qui eut pour effet d'ajouter dune particule à son
patronyme. Son nom
dériva très rapidement vers un Du Choul plus
élégant. Nommé écuyer, il reçut
pour armes de gueules à deux fasces d'argent (champ
rouge avec deux
bandes horizontales blanches) surmontées d'une tête de
lion arrachée d'or,
avec pour tenants deux femmes vêtues de blanc à l'antique,
l'index posé sur la
bouche – faisant donc le geste intimant au silence – et pour cimier un
lion
issant. Tenants et cimier symbolisaient la discrétion au service
de la force.
Quant à la devise de ces nouveaux Du Choul, elle
était : Honor sine
honore beatus, soit « l'honneur est heureux sans les
honneurs ».
D'une humilité proverbiale, les Choul continuèrent durant
plusieurs générations
à employer leur ancien nom Chol, sans particule, ou à la
rigueur le nom
Duchoul, en un seul mot. Aujourd’hui leurs armes et leur devise sont
toujours
celles des Chol, famille de vignerons réputés
établie à Chavanay. Le
blason de la famille du Choul Les Chol ou Duchoul
essaimèrent dans la région,
en particulier à Lyon. Au siècle suivant ils
étaient mentionnés dans un
cartulaire de l'Église de Lyon. Ils possédaient une
grande maison à mi-côte de
la montée du Gourguillon, l'une des plus vieilles rues de Lyon,
qui monte vers
la célèbre colline de Fourvière en partant de la
place de la Trinité, dans le
quartier Saint-Georges, la partie sud du Vieux Lyon. À la fin du
XVe
siècle un Pierre Duchoul était marié à
Philiberte Scève, une cousine du futur
poète Maurice Scève, qui recevra le titre de
« Prince de la Renaissance
lyonnaise ». Ils eurent plusieurs enfants, dont un fils
né peu avant la fin
du XVe siècle, qui devait s'illustrer sous le nom de
Guillaume du
Choul.
Maison
Duchoul montée du Gourguillon Guillaume étudia le
droit à l’université de
Valence, ville où il connut celle qui allait devenir son
épouse, Claire Faure.
Ils eurent un fils, Jean, né sans doute vers 1520. Docteur
ès droit, Guillaume
du Choul fut nommé bailli des montagnes du Dauphiné en
1522. Devenu veuf, il se
remaria en 1532 avec Madeleine Allegrain, qui lui donna deux enfants,
Claude et Madeleine. Guillaume du Choul
aimait
séjourner dans la maison de ses parents à Lyon, qu'il
reconstruisit et
embellit. Elle forme l'actuel numéro 27 de la montée du
Gourguillon. Lorsque
l'on emprunte cette rue en forte pente, on ne ne découvre
d'abord que
partiellement son austère façade à l'enduit rouge
brique. Il faut prendre un
peu de recul et lever la tête pour apercevoir les
élégantes fenêtres à meneaux.
Mais depuis les rives de la Saône on admire la grande
façade côté jardin,
encadrée par deux tourelles carrées aux toits pointus,
dont les balcons
surplombent le quartier Saint-Georges. La
maison Duchoul vue de la passerelle Saint-Georges Comme Claude Bellièvre
en bas de la côte, comme
Pierre Sala au-dessus de chez lui à l’Antiquaille, Guillaume du
Choul entreprit
d'y réunir une collection d’objets antiques, en particulier des
pièces et
médailles, et des recueils d’images. Cet humaniste
passionné par l'antiquité
fit le voyage vers l’Italie pour étudier les vestiges de Rome.
Il en tira la
matière de plusieurs ouvrages, dont le célèbre Discours
sur la religion des
anciens Romains. Le
livre de Guillaume du Choul Guillaume du Choul fit partie
des cercles
littéraires lyonnais, il était membre en particulier du
groupe nommé Sodalitum,
dont étaient Maurice Scève, Symphorien Champier, le
poète Voulté, Bonaventure
des Périers, l'imprimeur Sébastien Gryphius, et bien
d'autres. Héritiers de la
fameuse « Académie de Fourvière »,
les membres de ce cénacle avaient
pour chef de file Étienne Dolet, et pour ligne de conduite la
liberté de
pensée, ce qui les amena à une certaine bienveillance
envers la religion
réformée naissante. Sodalitum est tiré du
latin sodalitas qui
désigne un cercle, une confrérie, une association
secrète. Ses membres se
désignaient entre eux sous le nom de Sodales qui est
l’équivalent de
« confrères ». Guillaume du Choul avait
hérité de sa famille
deux maisons fortes à Longes. Il y avait la maison ancestrale,
ce château dit
du Grand Torrepane, nommé ainsi à cause de la
« tour à pans »
hexagonale qui la flanque, seul
ornement remarquable de ce « château » qui
n'est qu'une grosse
maison. Et puis à peu de distance de là la maison de la
Jurarie, autrement plus
importante. C'est un nom de domaine composé à partir du
latin juris ara, autel du droit,
révélant la fonction
héréditaire de magistrat ou juriste
attachée aux Du Choul. Ces deux maisons existent encore
aujourd'hui. Guillaume
du Choul s'éteignit vers 1560. La
maison de la Jurarie Son fils Jean du Choul
reçut une solide
éducation. Il entreprit sans doute des études de droit
comme le voulait la
tradition familiale, mais il étudia aussi semble-t-il la
médecine à
Montpellier. Jean se passionnait surtout pour les sciences naturelles,
et
principalement la botanique. Comme son père, il appartint
à l'élite
intellectuelle lyonnaise, en particulier il participa à la
Société Angélique
qui rassembla bon nombre d'érudits, en prenant la succession de
l'Académie de
Fourvière ou du groupe Sodalitum. Sportif accompli et endurant,
Jean du Choul ne
craignait pas d'aller à pied de Lyon à Longes, pour
rejoindre la maison de
campagne familiale. Cela représente une randonnée d'une
trentaine de
kilomètres, qu'il devait faire en une journée, ou
peut-être deux car il en
profitait pour herboriser, dans les collines ou sur les berges du
Rhône. Le
Mont Pilat était déjà au centre des conversations
des érudits qui montaient à
Fourvière par la rue du Gourguillon, en passant devant la maison
familiale des
Choul où ils avaient table ouverte. Rabelais en son temps avait
entraîné ses
condisciples à la découverte des vestiges de l'aqueduc
amenant à Lyon les eaux
du Gier. Guillaume du Choul avait invité ses amis Sodales
dans sa maison
de la Jurarie, pour voir de plus près cette montagne. On peut
imaginer que son
fils Jean fit de même avec les membres de la
Société Angélique. D'ailleurs son
chef de file Nicolas de Lange avait lui-même des attaches
à Longes, sa
grand-mère maternelle Marie de la Bernardière
étant issue de la maison forte du
même nom. Il faut dire que le Mont Pilat
gardait encore sa
part de mystère. L'évêque de Vienne saint Adon, au
IXe siècle,
n'avait-il pas affirmé que le corps de Ponce Pilate avait
été jeté dans un
puits au sommet de la montagne ? Le massif avait depuis, dit-on,
perdu sa
tranquillité. Il avait surtout gagné un T final à
son nom, et l'orthographe
Pilat prévalait depuis la fin du XVe siècle.
Une telle réputation
d'étrangeté n'était pas faite pour rebuter un
homme formé au raisonnement
intellectuel et aux disciplines scientifiques. Alors profitant d'un
séjour à
Longes, Jean du Choul entreprit de visiter le massif du Pilat tout
proche. La
maison de Torrepane Il suivit tout naturellement
le sentier qui, face
à la maison de Torrepane, grimpe en direction de la Croix de
Longes et du col
de Grenouze, pour rejoindre sur la ligne de crêtes ce vieux
chemin que l'on
nomme parfois la Route des Aigles. Elle parcourt toute l'échine
du massif du
Pilat. Jean du Choul fit de même, allant apparemment jusqu'aux
Rochettes, point
culminant du Grand Bois, au sud du Bessat. Il entreprit sans doute
plusieurs
excursions, allant chaque fois un peu plus loin, et variant les
itinéraires.
Outre les singularités rencontrées sur les sommets, Jean
du Choul évoqua
Saint-Sabin, Virieux ou encore Doizieux, un village sur lequel il
s'attarda
assez longuement. Très curieusement, il ne dit pas un mot de la
chartreuse de
Sainte-Croix-en-Jarez, pourtant proche de Longes. Si aujourd'hui il est à
la portée de n'importe qui
d'aller randonner dans le Pilat, grâce aux nombreux guides
pratiques et avec
l'aide de cartes topographiques précises, au XVIe
siècle c'était
encore une véritable expédition, laquelle
nécessitait d'ailleurs l'autorisation
d'un magistrat. Aussi ne faut-il pas s'étonner si Jean du Choul
fut
littéralement fasciné par ce qu'il découvrit, et
dont il fit une narration
émerveillée et parfois naïve, pour ne pas dire
exagérée. Partit-il seul et à
l'aventure ? On peut penser que, plus raisonnablement, il
s'attacha les
services d'un autochtone en qualité de guide. Son texte a fait
l'objet de
plusieurs traductions en français. Une première fois au
XIXe siècle
par Étienne Mulsant, un naturaliste qui suivit ses traces et
explora lui aussi
le Pilat. Puis en 1979 un universitaire stéphanois, Claude
Longeon, publia une
nouvelle version dans le volume 10 de la série Études
foréziennes. C'est
cette traduction-là que nous allons utiliser. Carte
simplifiée du Pilat Jean du Choul rattache avec
raison le massif du
Pilat à la chaîne des Cévennes, qui, dit-il,
traverse tout droit les plaines
depuis les Pyrénées jusqu'aux environs de Lyon. En raison
de la diversité des
lieux, elle change souvent de nom. « À
suivre l'avis du plus grand nombre,
c'est dans la région lyonnaise que culmine cette chaîne,
en un sommet que tous
les habitants du pays connaissent sous le nom de Pilat, qu'il
reçut, nous dit
la tradition, de celui du gouverneur de Judée qui fit subir au
Christ le
supplice de la Croix. » Dès les
premières lignes, Jean du Choul se fait
l'écho de la tradition révélée par saint
Adon. Puis il s'empresse
d'ajouter : « Mais pour
remonter aux origines on
rapporte que ce lieu jouissait auprès des Gaulois d'une
célébrité égale à celle
de l'Olympe auprès des anciens Grecs. » Ainsi se trouve
brossée, dès le premier
paragraphe, toute la réputation mythique et légendaire du
Pilat. L'auteur peut
ensuite commencer sa description, en commençant par des
généralités : « À l'orient
de cette très haute montagne,
on trouve le village de Virieux, à l'occident celui du Bessat
[…] Les eaux de
la Doyse baignent le pied de cette montagne boisée ; cette
rivière,
grossie de ses affluents, se jette dans le Rhône, après
s'être mêlée aux eaux
du Gier […] À l'orée de cette grande forêt,
habitent les gens de Doyzieux,
village qui tient son nom de la Doyse, la modeste rivière dont
nous venons de
parler. » On comprend que cette Doyse
doit être le Dorlay,
rivière qui naît sous les crêts et dévale
vers le Gier en arrosant Doizieux.
Mais Jean du Choul semble bien être le seul à se faire
l'écho de ce nom ancien
et disparu. Quant au nom Doizieux, on sait bien que son
étymologie est tout
autre. Son orthographe la plus ancienne Doaciaco révèle
le latin Duati acum,
domaine de Duatus. L'auteur s'attarde alors à décrire les
habitants de
Doizieux, des gens pauvres, durs au labeur, portant toute
l'année le même habit
et les mêmes souliers ferrés. Mais « les femmes
ne sont pas sans
beauté », et ces gens aiment s'amuser et festoyer. Doizieux
aujourd'hui Puis Jean du Choul entre enfin
dans le vif du
sujet et décrit le chemin qu'il a emprunté : « Le chemin qui
conduit au sommet du Pilat
est d'abord escarpé et tortueux, et bordé d'arbrisseaux.
À dire vrai, le lieu
est orné d'une succession de petites collines que l'on dirait
jointes les unes
aux autres à dessein, les unes recourbées à
l'image d'une trompette et parfois
arrondies en forme de croupe, d'autres disposées en
cercle : chacune est
plus élevée que la précédente et il faut
sans cesse monter et descendre. » C'est exactement la
description des collines que
Jean du Choul a dû franchir, au départ de Longes, en
alternant sommets et
cols : Croix de Longes (715 m), col de Grenouze (625 m), Mont
Ministre
(766 m), col de Pavezin (652 m), Croix de Montvieux (811 m), Collet de
Doizieux
(946 m). Puis toute la zone des crêts : Crêt de
l'Œillon (1304 m), Crêt de
Bote (1391 m), Creux de Bote (1342 m), les sources du Gier (1310 m). On
devine
que Jean du Choul a pris le chemin entre Bote et la Grange de Pilat,
que l'on
nomme aujourd'hui la Jasserie, en évitant le Crêt de la
Perdrix, car il ne dit
rien de ce sommet et enchaîne avec le long passage
consacré au Puits de Pilate,
et autres sources des hauteurs. « Au centre d'un
bassin de rochers se trouve
ce fameux marécage d'eau dormante que les habitants du pays
appellent le puits
de Pilate et sur lequel ils tiennent des propos nombreux et
divers ; ils
pensent qu'il s'agit du tombeau de Pilate et ils rapportent que
d'épouvantables
orages y prennent naissance. Autant que j'ai pu observer, je
soutiendrai que
c'est une légende. » Le
puits de Pilate ou source du Gier Légende en effet, mais
qui a la vie dure...
Légende aussi, cette histoire du berger englouti avec son
troupeau dans le
Puits de Pilate, et que l'on retrouva dans le Rhône.
L'idée que ce puits puisse
communiquer avec le fleuve par de mystérieux réseaux
souterrains agace
visiblement l'humaniste. Après avoir disserté sur les
brouillards et les nuages
qui semblent naître du sol et des forêts, et tenté
d'en trouver une explication
scientifique – en vain d'ailleurs car le savoir de l'époque fait
encore sienne
la théorie aristotélicienne des exhalaisons terrestres –
Jean du Choul revient
en homme de science sur le puits de Pilate pour en donner
l'explication : « Ce qu'est en
vérité le puits de Pilate,
les habitants du pays l'ont ignoré jusqu'à ce jour ;
je peux dire que je
suis le premier à avoir en peu de temps percé ce
mystère si longtemps médité.
Le puits qui porte ce nom est certainement la source de la petite
rivière de
Gier dont nous avons parlé. » En effet, c'est bien Jean du
Choul qui a percé le
mystère du puits de Pilate, lequel n'est autre que le petit
marécage en
contrebas de la Jasserie, dans lequel s'amassent les eaux du Gier qui
naît
quelques dizaines de mètres plus haut. Pour reconnaître
qu'il s'agissait de
cette rivière, il lui a fallu sans doute en suivre le parcours
à travers
prairies et forêts, jusqu'à arriver à la
célèbre cascade du Saut du Gier et dès
lors identifier le cours d'eau avec certitude. Il en profite pour
rappeler que
le Gier charrie de l'or, et expose les méthodes pour
récupérer le métal
précieux. Pendant qu'il en est au
chapitre des sources ou
marécages des hauteurs, Jean du Choul poursuit son tour
d'horizon. « Au
marécage dont nous venons de parler,
nous pouvons ajouter celui de Baviser, plus abominable
qu'accueillant :
c'est pourquoi il ne me plaît pas d'en dire davantage. Une
étrange accusation,
un acte abominable, un forfait stupéfiant, la découverte
d'une nouvelle espèce
de tourments, qu'importe d'en faire aux hommes la
révélation. » Aucun autre auteur ne parle de
lieu nommé
Baviser, qu'il est d'ailleurs bien difficile de localiser. Pour
Étienne Mulsant
il se situait sur le chemin entre la Grange de Pilat et la Grange de
Bote. À
cet endroit en effet, un ruisseau traverse le chemin et s'y
étale en formant
une grande flaque, parfois une petite mare par temps de pluie. Or Jean
du Choul
avait certainement emprunté ce sentier. Quant au crime horrible
qui aurait été
commis en ce lieu à une époque
indéterminée, l'auteur se refuse à en dire
davantage. Puis il poursuit : « Dans le voisinage
de ces solitudes, on
rencontre une fontaine d'une eau si froide qu'elle tuméfie la
bouche de ceux
qui en boivent, et qu'il est impossible d'y tenir la main […] On
raconte encore que si on jette dans cette fontaine une grêle de
pierres, à
certaines époques de l'année, on fait éclater le
tonnerre. » La croyance attachée à
cette source est fort
commune dans les régions de montagne, en Auvergne en
particulier. Deux siècles
plus tard, Alléon-Dulac retrouvera cette fontaine, proche des
sources du Gier,
ironisera sur les propos un peu excessifs de Jean du Choul, mais
confirmera sa
fraîcheur. Un autre siècle passera et ce sera au tour de
Jean-Jacques Rousseau
de chercher cette fontaine pour prouver que sa réputation n'est
que
superstition. Puis Étienne Mulsant à son tour racontera
dans ses Souvenirs
du Mont Pilat ses promenades de naturaliste qui l'avaient
amené dans les
pas de l'humaniste lyonnais. Gravure
extraite du livre d'Étienne Mulsant Jean du Choul essaie ensuite,
longuement, de
trouver une explication scientifique à cette croyance concernant
les orages qui
naissent du choc des pierres jetées dans la fontaine, faisant
une nouvelle fois
état des théories aristotéliciennes. Là va
s'arrêter son évocation des
sommets ; il poursuit par la Maison des Fées, que la
tradition populaire
situe sur la rive du Dorlay entre Doizieux et la Terrasse-sur-Dorlay,
au hameau
du Breuil. « Aujourd'hui
encore existe la maison des
Fées, qui a conservé l'ancien nom de maison des
Fages ; c'est à mon avis
un palais fort ancien, distant de cinq mille pas de la forêt. Ses
ruines
habillées de tristesse attestent assez quelles furent la
magnificence et la
somptuosité d'un si vaste édifice. Les spectres de la
nuit ont longtemps hanté
cette basilique (comme on l'appelle). Quant à moi, je l'ai bien
visitée mais je
n'ai pas aperçu ces phénomènes
capricieux. » Pour parler de cette maison, Jean du
Choul
emploie le mot basilique, que les Romains donnaient à une
construction à
colonnes terminée par une abside semi-circulaire. On peut penser
qu'il devait
s'agir des ruines d'une villa gallo-romaine. La Maison des Fées
est introuvable
aujourd'hui, mais peut-être se situait-elle sur l'un des terrains
qui ont été
engloutis sous les eaux suite à la construction du barrage du
Dorlay. Le
hameau du Breuil, au bord du Dorlay, vu de Fonterines Jean du Choul est donc
désormais sur le chemin
qui le ramène chez lui, par Doizieux, la Terrasse-sur-Dorlay, la
Croix du
Mazet. Continue-t-il ensuite, comme le voudrait la logique, par
Sainte-Croix-en-Jarez, la Croix du Trève et Longes ? Ou
reste-t-il à flanc
de coteau pour rejoindre Longes par le col de Pavezin, Bonne Bouche et
le col
de Grenouze ? Est-ce la raison pour laquelle il ne parle pas de la
chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez ? Quoi qu'il en soit, la
boucle
parcourue depuis son départ représente une quarantaine de
kilomètres. Donc il a
dû dormir en chemin. La Grange de Pilat, future Jasserie, que
l'on dit remonter
au XVe siècle, se présente comme un refuge
tout désigné. Rentré à
Longes, Jean du Choul évoque ensuite ses
propriétés situées dans ce village. « Non loin de notre
maison de campagne et
sur nos terres elles-mêmes, il est un lieu nommé
Torropanes, admirablement bien
cultivé par nos paysans qui habitent le village de Longes ;
un bois, qui
nous appartient, le favorise de son ombre accueillante. J'avais
pensé que le
nom de ce fonds pouvait venir de Terreur Panique, comme s'il
était vraisemblable
que Pan et les Satyres eussent habité ce lieu
agreste ! » Jean du Choul plaisante,
naturellement, avec
cette étymologie fantaisiste de Torrepane, le petit
château de ses ancêtres.
Fin linguiste, il ne peut ignorer l'origine véritable de ce
nom : tour à
pans. Puis restant dans cette même région, il
s'écarte un instant du Pilat pour
évoquer le village de Tartaras, situé sur l'autre versant
du Gier. « Aux confins de la
montagne, se dresse un
village au nom effrayant : ses habitants l'appellent aujourd'hui
Tartaras,
et ce n'est pas sans raison. En effet, ils font le commerce du charbon
qu'ils
extraient d'excavations souterraines et voûtées
pratiquées dans le sein de la
montagne. Cette méthode d'exploitation ne met jamais à nu
les collines, comme
on peut s'en rendre compte par l'observation. » Près du village de
Tartaras, nom qui évoque le
Tartare, l'Enfer des Grecs, des galeries de mines exploitaient le
charbon dès
le XVe siècle. Ainsi s'achève le récit
de la première excursion de
Jean du Choul dans le Pilat. Il en entreprend bien vite une seconde,
qu'il
commence à décrire ainsi : « Montons par
degrés au sommet du Mont
Pilat. Là, s'étend un large plateau qui se divise
immédiatement après en deux
promontoires : le plus grand regarde vers le Rhône et semble
soutenir le
ciel, l'autre enveloppe dans sa courbe le reste de
l'espace. » Voici Jean du Choul à
nouveau dans la zone des
crêts. Le massif se subdivise en effet en deux parties, l'une
rectiligne entre
le Crêt de la Perdrix et le Crêt de l'Œillon est
orientée du sud-ouest au
nord-est, et pointe vers le Rhône, l'autre part d'abord vers le
nord à partir
du Crêt de l'Œillon, puis se courbe et oblique vers le nord-est
pour se
terminer au Mont Monnet. Ce promontoire qui « semble
soutenir le
ciel » traduit bien l'impression donnée par le Mont
Pilat les jours où le
plafond nuageux est bas. Et rappelons que l'une des étymologies
de Pilat fait
dériver ce nom du latin pila, colonne, avec valeur
métaphorique (soutien
du ciel). Les
sommets du Pilat, vus du Rocher de Dentillon « Il est un lieu
appelé Agenolière, amas de
roches que l'on tient pour une colline. » Bien difficile aujourd'hui de
situer ce lieu.
Claude Longeon propose l'Angelière, hameau de la commune de
Bourg-Argental,
mais Jean du Choul ne semble pas être allé jusque
là. Il cite toujours les
lieux dans l'ordre où il les a visités, donc cette
colline fait partie de la
zone des crêts, puisque l'auteur parle ensuite de Saint-Sabin et
du Pic des
Trois Dents. De nombreux toponymes de cette région, connus par
coutume orale,
n'ont pas été retenus par les cartographes. « À propos
de la chapelle de Saint-Sabin,
les traditions les plus diverses circulent et il n'appartient pas
à un homme
formé aux disciplines intellectuelles de se faire l'écho
de bruits
incertains. » Autrement
dit, Jean du Choul botte en touche et,
une nouvelle fois, se contente de dire qu'il ne dira rien. Pourtant il
en dit
trop ou pas assez. Claude Longeon a traduit par
« chapelle » le mot
latin originel qui est oraculo. L'oracle, oui, Jean du Choul ne
parle
pas de chapelle mais d'oracle de Saint-Sabin. Que faut-il
comprendre ?
Dans l'antiquité le mot oracle désignait à la fois
la réponse d'une divinité à
une question posée par un fidèle, et le lieu où il
était possible d'obtenir
cette réponse. Une chapelle existe déjà, pourtant,
sur le site de Saint-Sabin
lorsque Jean du Choul visite le Pilat. C'est la chapelle primitive,
dont nous
ne savons pas grand-chose, sauf qu'elle était plus petite que la
chapelle
actuelle, et tournée vers l'ouest selon les
radiesthésistes. Son emplacement se
devine encore, quelques mètres au sud-ouest de la chapelle
actuelle. Si
l'auteur n'avait pas décidé de rester muet ou presque,
nous en aurions
peut-être une description. La
chapelle Saint-Sabin dans son environnement Cette chapelle Saint-Sabin
permet-elle d'obtenir
un oracle ? Cette démarche nécessite-t-elle de se
livrer à des pratiques
magiques ? C'est ce que l'on peut déduire de la suite de ce
passage : « Je n'ignore pas
qe si l'on tourne sur
soi-même, on croit voir les montagnes peu à peu se
pencher, ridées en leur
cime, puis taillées en pointe ou imbriquées les unes dans
les autres comme des
tuiles creuses. » Que veut donc nous dire Jean
du Choul ?
Cette question restera sans réponse. Tout au plus peut-on penser
qu'il fait
référence à un rituel bien particulier, à
une méthode divinatoire oubliée.
Après Saint-Sabin, il parle en termes à la fois
émerveillés et sibyllins du Pic
des Trois Dents. « À
l'orient, il est une autre montagne qui
s'élève d'un bond, d'abord repliée pour ainsi dire
sur elle-même puis jetée en
avant, d'autant plus étroite qu'elle s'élève plus
haut. Trois Dents est le nom
de cet énorme et effrayant rocher, totalement dépourvu de
végétation, qui se
repaît de frimas et de nuages. Nul ne s'en est
approché ; on le dirait
créé pour garder les sapins. Quelques uns des secrets de
toutes choses sont
cachés dans ces hauteurs. » Les
Trois Dents Jean
du Choul évoque ensuite plusieurs lieux, plus délicats
à situer au premier
abord. « Sur
le même chemin, on rencontre une cabane vouée au silence
et à la méditation.
Ceux qui scient les sapins et ceux qui les équarrissent en
poutres ont coutume
d'y prendre leurs repas. » Où
se situe cette cabane ? Claude Longeon pense qu'il s'agit du
hameau de
Chaumienne ; Louis Challet et Bernard Plessy dans leur Pilat
insolite
affirment que c'est la ferme de Bote. « Sur le même
chemin », dit
Jean du Choul, mais l'expression reste assez vague, puisqu'il a suivi
tout le
chemin ancestral qui parcourt la ligne de crêtes du Pilat d'un
bout à l'autre.
Comme il cite les lieux dans l'ordre où il les a visités,
qu'il évoque de suite
après la « montagne de la Chaux », et
puisque « ce lieu est
voisin des Fosses », on peut en déduire que tout ce
passage concerne la
région du Grand Bois, près du Bessat. La tradition parle
justement d'une
cabane, située dans la clairière du Creux du Loup. Elle
aurait servi d'affût à
un chasseur de loups. « Une
cabane vouée au silence et à la
méditation » : on dirait que Jean du
Choul parle d'un cabinet de réflexion, semblable à ceux
de la franc-maçonnerie,
sauf que celle-ci n'est pas encore apparue à son époque.
Mais là il s'agit
d'une cabane au milieu des bois. En fait Jean du Choul ferait
peut-être
discrètement référence à une espèce
de maçonnerie plus ancienne, celle des
Forestiers Fendeurs et Charbonniers, à laquelle il pourrait bien
avoir
appartenu. Il signale que cette cabane est habitée par un
être étrange
« qui n'a rien d'humain », une espèce
d'Hercule qui vit là en
solitaire. Les mots sont sans doute à double sens. Le
Creux du Loup Vient
ensuite l'évocation de la montagne de la Chaux. Pour Claude
Longeon, ce lieu
voisin des Fosses est sûrement le petit sommet des Rochettes, le
point
culminant du Grand Bois. C'est un amoncellement de gros blocs de
rochers, qui
semblent avoir émerveillé Jean du Choul. « La nature s'y joue de plusieurs
façons. Brisée naturellement en mille rochers, cette
montagne offre tantôt des
coins ombragés, tantôt des places
ensoleillées ; dans ses replis, des
sentiers en pente se partagent au hasard des degrés moussus […] Le
charme de cette colline invite seulement le voyageur à la
contemplation :
on ne peut, en effet, la gravir, même en utilisant des
échelles […] des
rochers, gonflés en bosses comme bijoux de pierres
précieuses, empêchent les
passants d'aller plus avant. Rien ne fut créé par la
nature sans quelque raison
plus cachée. Ce lieu est voisin des Fosses... » Les
Rochettes Les
Fosses : ce lieu doit correspondre à la croix des Fosses. « Une
armée y fut défaite et taillée en pièces,
et les morts furent ensevelis aux
Fosses. En quels temps cette guerre eut-elle lieu, et quels peuples
mit-elle en
présence, on ne le sait pas clairement. » Il
est intéressant de noter que Jean du Choul rapporte cela sept
ans avant le
début des guerres de religion. Ainsi la légende de la
bataille du Bessat, qui
voit les protestants enterrer leurs morts aux Fosses, n'a-t-elle fait
que
reprendre à son compte une tradition beaucoup plus ancienne. La
Croix des Fosses en hiver Ainsi
se termine la description du Mont Pilat proprement dite. Jean du Choul
semble
avoir exploré la montagne au cours de trois excursions :
une première où
il a parcouru la zone des crêts jusqu'à la Jasserie, en
revenant par Doizieux,
une deuxième où il a visité ses sommets plus
excentrés comme Saint-Sabin et les
Trois Dents, une troisième où il est allé un peu
au-delà du Bessat. S'il cite
Virieux il n'en dit rien, ni de la région de Pélussin, ni
du pays bourguisan,
ni des plateaux de Saint-Genest-Malifaux. Son exploration est donc
très
incomplète, mais on comprend qu'il ait été
fasciné surtout par les sommets. Les
dernières pages de son texte sont consacrées aux plantes
du Pilat, c'est un
second volet tout aussi intéressant que le premier, et que des
botanistes
sauront sans doute interpréter avec profit. |
Ce remarquable sujet de Patrick Berlier vous a
intéressé, eh bien vous avez la possibilité d'en
connaître davantage à propos de cette illustre Famille
pilatoise.
Le chercheur pointu Marcel Boyer, Président depuis de nombreuses années de la renommée Association Visages de notre Pilat reste un pionnier dans la redécouverte contemporaine des Du Choul. Dans les années 1980 il a publié aux éditions Visages de notre Pilat un ouvrage référence toujours disponible à la vente auprès de la dite Association. Les Du Choul et les origines de Longes. Si ce livre vous intéresse il vous suffit de téléphoner au 04 74 87 71 38. Toujours sous la responsabilité de Visages de notre Pilat, il y a dix ans, dans le numéro 27 de la revue annuelle Dan l'Tan, Jacques Laversanne a rédigé un brillant article à nouveau à propos de cette même Famille Du Choul. Cette parution de 60 pages composée d'articles variés reste à la vente à 6 euros. 04 74 87 71 38. Enfin et ce n'est pas rien. Visages de notre Pilat propose à nouveau à la vente, le livre intégral de Jean Du Choul, le tout premier livre jamais publié dans le Pilat et ce en 1555. Description du Mont Pilat (traduction Mulsant), une réédition que nous devons là encore au besogneux travail de Marcel Boyer. 04 74 87 71 38. |