JUIN

2016






Par notre Ami

Patrick BERLIER

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JEAN DU CHOUL

 
ET LA PREMIÈRE DESCRIPTION DU PILAT


En 1555 parut à Lyon chez l'imprimeur Guillaume Roville un petit livre intitulé De varia quercus historia. Rédigé entièrement en latin, alors langue universelle, il décrivait les caractéristiques des diverses variétés de chênes. Cet ouvrage savant de botanique était l'œuvre de Jean du Choul, un humaniste lyonnais qui s'intéressait à diverses disciplines scientifiques. Le livre contenait un accessit titré De Pylati Montis descriptio : Description du Mont Pilat. C'est le tout premier livre jamais publié sur le Pilat, et cette description constitue un document précieux sur les divers aspects de notre montagne, et les mœurs de ses habitants, au XVIe siècle.


Frontispice du livre de Jean du Choul

C'est dans le village de Longes, sur les premiers contreforts du Pilat au-dessus de Givors, qu'il convient de rechercher les origines de la famille de Jean du Choul. Depuis toujours au service des Roussillon, qui étaient les maîtres de la région, les membres d'une famille Chol, possessionnée à Longes, faisaient office de premier capitaine ou de magistrat. Si bien qu'au XIIIe siècle un Chol sieur de Torrepane fut anobli, ce qui eut pour effet d'ajouter dune particule à son patronyme. Son nom dériva très rapidement vers un Du Choul plus élégant. Nommé écuyer, il reçut pour armes de gueules à deux fasces d'argent (champ rouge avec deux bandes horizontales blanches) surmontées d'une tête de lion arrachée d'or, avec pour tenants deux femmes vêtues de blanc à l'antique, l'index posé sur la bouche – faisant donc le geste intimant au silence – et pour cimier un lion issant. Tenants et cimier symbolisaient la discrétion au service de la force. Quant à la devise de ces nouveaux Du Choul, elle était : Honor sine honore beatus, soit « l'honneur est heureux sans les honneurs ». D'une humilité proverbiale, les Choul continuèrent durant plusieurs générations à employer leur ancien nom Chol, sans particule, ou à la rigueur le nom Duchoul, en un seul mot. Aujourd’hui leurs armes et leur devise sont toujours celles des Chol, famille de vignerons réputés établie à Chavanay.

 

Le blason de la famille du Choul

Les Chol ou Duchoul essaimèrent dans la région, en particulier à Lyon. Au siècle suivant ils étaient mentionnés dans un cartulaire de l'Église de Lyon. Ils possédaient une grande maison à mi-côte de la montée du Gourguillon, l'une des plus vieilles rues de Lyon, qui monte vers la célèbre colline de Fourvière en partant de la place de la Trinité, dans le quartier Saint-Georges, la partie sud du Vieux Lyon. À la fin du XVe siècle un Pierre Duchoul était marié à Philiberte Scève, une cousine du futur poète Maurice Scève, qui recevra le titre de « Prince de la Renaissance lyonnaise ». Ils eurent plusieurs enfants, dont un fils né peu avant la fin du XVe siècle, qui devait s'illustrer sous le nom de Guillaume du Choul.


Maison Duchoul montée du Gourguillon
(Image Bibliothèque Municipale Lyon)

Guillaume étudia le droit à l’université de Valence, ville où il connut celle qui allait devenir son épouse, Claire Faure. Ils eurent un fils, Jean, né sans doute vers 1520. Docteur ès droit, Guillaume du Choul fut nommé bailli des montagnes du Dauphiné en 1522. Devenu veuf, il se remaria en 1532 avec Madeleine Allegrain, qui lui donna deux enfants, Claude et  Madeleine. Guillaume du Choul aimait séjourner dans la maison de ses parents à Lyon, qu'il reconstruisit et embellit. Elle forme l'actuel numéro 27 de la montée du Gourguillon. Lorsque l'on emprunte cette rue en forte pente, on ne ne découvre d'abord que partiellement son austère façade à l'enduit rouge brique. Il faut prendre un peu de recul et lever la tête pour apercevoir les élégantes fenêtres à meneaux. Mais depuis les rives de la Saône on admire la grande façade côté jardin, encadrée par deux tourelles carrées aux toits pointus, dont les balcons surplombent le quartier Saint-Georges.

 

La maison Duchoul vue de la passerelle Saint-Georges
(Carte postale ancienne)

Comme Claude Bellièvre en bas de la côte, comme Pierre Sala au-dessus de chez lui à l’Antiquaille, Guillaume du Choul entreprit d'y réunir une collection d’objets antiques, en particulier des pièces et médailles, et des recueils d’images. Cet humaniste passionné par l'antiquité fit le voyage vers l’Italie pour étudier les vestiges de Rome. Il en tira la matière de plusieurs ouvrages, dont le célèbre Discours sur la religion des anciens Romains.

 

Le livre de Guillaume du Choul
(Musée de l'Imprimerie, Lyon)

Guillaume du Choul fit partie des cercles littéraires lyonnais, il était membre en particulier du groupe nommé Sodalitum, dont étaient Maurice Scève, Symphorien Champier, le poète Voulté, Bonaventure des Périers, l'imprimeur Sébastien Gryphius, et bien d'autres. Héritiers de la fameuse « Académie de Fourvière », les membres de ce cénacle avaient pour chef de file Étienne Dolet, et pour ligne de conduite la liberté de pensée, ce qui les amena à une certaine bienveillance envers la religion réformée naissante. Sodalitum est tiré du latin sodalitas qui désigne un cercle, une confrérie, une association secrète. Ses membres se désignaient entre eux sous le nom de Sodales qui est l’équivalent de « confrères ».

Guillaume du Choul avait hérité de sa famille deux maisons fortes à Longes. Il y avait la maison ancestrale, ce château dit du Grand Torrepane, nommé ainsi à cause de la « tour à  pans » hexagonale qui la flanque, seul ornement remarquable de ce « château » qui n'est qu'une grosse maison. Et puis à peu de distance de là la maison de la Jurarie, autrement plus importante. C'est un nom de domaine composé à partir du latin juris ara, autel du droit, révélant la fonction héréditaire de magistrat ou juriste attachée aux Du Choul. Ces deux maisons existent encore aujourd'hui. Guillaume du Choul s'éteignit vers 1560.

 

La maison de la Jurarie
(Carte postale ancienne)

Son fils Jean du Choul reçut une solide éducation. Il entreprit sans doute des études de droit comme le voulait la tradition familiale, mais il étudia aussi semble-t-il la médecine à Montpellier. Jean se passionnait surtout pour les sciences naturelles, et principalement la botanique. Comme son père, il appartint à l'élite intellectuelle lyonnaise, en particulier il participa à la Société Angélique qui rassembla bon nombre d'érudits, en prenant la succession de l'Académie de Fourvière ou du groupe Sodalitum.

Sportif accompli et endurant, Jean du Choul ne craignait pas d'aller à pied de Lyon à Longes, pour rejoindre la maison de campagne familiale. Cela représente une randonnée d'une trentaine de kilomètres, qu'il devait faire en une journée, ou peut-être deux car il en profitait pour herboriser, dans les collines ou sur les berges du Rhône. Le Mont Pilat était déjà au centre des conversations des érudits qui montaient à Fourvière par la rue du Gourguillon, en passant devant la maison familiale des Choul où ils avaient table ouverte. Rabelais en son temps avait entraîné ses condisciples à la découverte des vestiges de l'aqueduc amenant à Lyon les eaux du Gier. Guillaume du Choul avait invité ses amis Sodales dans sa maison de la Jurarie, pour voir de plus près cette montagne. On peut imaginer que son fils Jean fit de même avec les membres de la Société Angélique. D'ailleurs son chef de file Nicolas de Lange avait lui-même des attaches à Longes, sa grand-mère maternelle Marie de la Bernardière étant issue de la maison forte du même nom.

Il faut dire que le Mont Pilat gardait encore sa part de mystère. L'évêque de Vienne saint Adon, au IXe siècle, n'avait-il pas affirmé que le corps de Ponce Pilate avait été jeté dans un puits au sommet de la montagne ? Le massif avait depuis, dit-on, perdu sa tranquillité. Il avait surtout gagné un T final à son nom, et l'orthographe Pilat prévalait depuis la fin du XVe siècle. Une telle réputation d'étrangeté n'était pas faite pour rebuter un homme formé au raisonnement intellectuel et aux disciplines scientifiques. Alors profitant d'un séjour à Longes, Jean du Choul entreprit de visiter le massif du Pilat tout proche.

 

La maison de Torrepane

Il suivit tout naturellement le sentier qui, face à la maison de Torrepane, grimpe en direction de la Croix de Longes et du col de Grenouze, pour rejoindre sur la ligne de crêtes ce vieux chemin que l'on nomme parfois la Route des Aigles. Elle parcourt toute l'échine du massif du Pilat. Jean du Choul fit de même, allant apparemment jusqu'aux Rochettes, point culminant du Grand Bois, au sud du Bessat. Il entreprit sans doute plusieurs excursions, allant chaque fois un peu plus loin, et variant les itinéraires. Outre les singularités rencontrées sur les sommets, Jean du Choul évoqua Saint-Sabin, Virieux ou encore Doizieux, un village sur lequel il s'attarda assez longuement. Très curieusement, il ne dit pas un mot de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, pourtant proche de Longes.

Si aujourd'hui il est à la portée de n'importe qui d'aller randonner dans le Pilat, grâce aux nombreux guides pratiques et avec l'aide de cartes topographiques précises, au XVIe siècle c'était encore une véritable expédition, laquelle nécessitait d'ailleurs l'autorisation d'un magistrat. Aussi ne faut-il pas s'étonner si Jean du Choul fut littéralement fasciné par ce qu'il découvrit, et dont il fit une narration émerveillée et parfois naïve, pour ne pas dire exagérée. Partit-il seul et à l'aventure ? On peut penser que, plus raisonnablement, il s'attacha les services d'un autochtone en qualité de guide. Son texte a fait l'objet de plusieurs traductions en français. Une première fois au XIXe siècle par Étienne Mulsant, un naturaliste qui suivit ses traces et explora lui aussi le Pilat. Puis en 1979 un universitaire stéphanois, Claude Longeon, publia une nouvelle version dans le volume 10 de la série Études foréziennes. C'est cette traduction-là que nous allons utiliser.

 

Carte simplifiée du Pilat
Lieux visités par Jean du Choul

Jean du Choul rattache avec raison le massif du Pilat à la chaîne des Cévennes, qui, dit-il, traverse tout droit les plaines depuis les Pyrénées jusqu'aux environs de Lyon. En raison de la diversité des lieux, elle change souvent de nom.

« À suivre l'avis du plus grand nombre, c'est dans la région lyonnaise que culmine cette chaîne, en un sommet que tous les habitants du pays connaissent sous le nom de Pilat, qu'il reçut, nous dit la tradition, de celui du gouverneur de Judée qui fit subir au Christ le supplice de la Croix. »

Dès les premières lignes, Jean du Choul se fait l'écho de la tradition révélée par saint Adon. Puis il s'empresse d'ajouter :

« Mais pour remonter aux origines on rapporte que ce lieu jouissait auprès des Gaulois d'une célébrité égale à celle de l'Olympe auprès des anciens Grecs. »

Ainsi se trouve brossée, dès le premier paragraphe, toute la réputation mythique et légendaire du Pilat. L'auteur peut ensuite commencer sa description, en commençant par des généralités :

« À l'orient de cette très haute montagne, on trouve le village de Virieux, à l'occident celui du Bessat […] Les eaux de la Doyse baignent le pied de cette montagne boisée ; cette rivière, grossie de ses affluents, se jette dans le Rhône, après s'être mêlée aux eaux du Gier […] À l'orée de cette grande forêt, habitent les gens de Doyzieux, village qui tient son nom de la Doyse, la modeste rivière dont nous venons de parler. »

On comprend que cette Doyse doit être le Dorlay, rivière qui naît sous les crêts et dévale vers le Gier en arrosant Doizieux. Mais Jean du Choul semble bien être le seul à se faire l'écho de ce nom ancien et disparu. Quant au nom Doizieux, on sait bien que son étymologie est tout autre. Son orthographe la plus ancienne Doaciaco révèle le latin Duati acum, domaine de Duatus. L'auteur s'attarde alors à décrire les habitants de Doizieux, des gens pauvres, durs au labeur, portant toute l'année le même habit et les mêmes souliers ferrés. Mais « les femmes ne sont pas sans beauté », et ces gens aiment s'amuser et festoyer.

 

Doizieux aujourd'hui

Puis Jean du Choul entre enfin dans le vif du sujet et décrit le chemin qu'il a emprunté :

« Le chemin qui conduit au sommet du Pilat est d'abord escarpé et tortueux, et bordé d'arbrisseaux. À dire vrai, le lieu est orné d'une succession de petites collines que l'on dirait jointes les unes aux autres à dessein, les unes recourbées à l'image d'une trompette et parfois arrondies en forme de croupe, d'autres disposées en cercle : chacune est plus élevée que la précédente et il faut sans cesse monter et descendre. »

C'est exactement la description des collines que Jean du Choul a dû franchir, au départ de Longes, en alternant sommets et cols : Croix de Longes (715 m), col de Grenouze (625 m), Mont Ministre (766 m), col de Pavezin (652 m), Croix de Montvieux (811 m), Collet de Doizieux (946 m). Puis toute la zone des crêts : Crêt de l'Œillon (1304 m), Crêt de Bote (1391 m), Creux de Bote (1342 m), les sources du Gier (1310 m). On devine que Jean du Choul a pris le chemin entre Bote et la Grange de Pilat, que l'on nomme aujourd'hui la Jasserie, en évitant le Crêt de la Perdrix, car il ne dit rien de ce sommet et enchaîne avec le long passage consacré au Puits de Pilate, et autres sources des hauteurs.

« Au centre d'un bassin de rochers se trouve ce fameux marécage d'eau dormante que les habitants du pays appellent le puits de Pilate et sur lequel ils tiennent des propos nombreux et divers ; ils pensent qu'il s'agit du tombeau de Pilate et ils rapportent que d'épouvantables orages y prennent naissance. Autant que j'ai pu observer, je soutiendrai que c'est une légende. »

 

Le puits de Pilate ou source du Gier
(Carte postale ancienne)

Légende en effet, mais qui a la vie dure... Légende aussi, cette histoire du berger englouti avec son troupeau dans le Puits de Pilate, et que l'on retrouva dans le Rhône. L'idée que ce puits puisse communiquer avec le fleuve par de mystérieux réseaux souterrains agace visiblement l'humaniste. Après avoir disserté sur les brouillards et les nuages qui semblent naître du sol et des forêts, et tenté d'en trouver une explication scientifique – en vain d'ailleurs car le savoir de l'époque fait encore sienne la théorie aristotélicienne des exhalaisons terrestres – Jean du Choul revient en homme de science sur le puits de Pilate pour en donner l'explication :

« Ce qu'est en vérité le puits de Pilate, les habitants du pays l'ont ignoré jusqu'à ce jour ; je peux dire que je suis le premier à avoir en peu de temps percé ce mystère si longtemps médité. Le puits qui porte ce nom est certainement la source de la petite rivière de Gier dont nous avons parlé. »

En effet, c'est bien Jean du Choul qui a percé le mystère du puits de Pilate, lequel n'est autre que le petit marécage en contrebas de la Jasserie, dans lequel s'amassent les eaux du Gier qui naît quelques dizaines de mètres plus haut. Pour reconnaître qu'il s'agissait de cette rivière, il lui a fallu sans doute en suivre le parcours à travers prairies et forêts, jusqu'à arriver à la célèbre cascade du Saut du Gier et dès lors identifier le cours d'eau avec certitude. Il en profite pour rappeler que le Gier charrie de l'or, et expose les méthodes pour récupérer le métal précieux.

Pendant qu'il en est au chapitre des sources ou marécages des hauteurs, Jean du Choul poursuit son tour d'horizon.

« Au marécage dont nous venons de parler, nous pouvons ajouter celui de Baviser, plus abominable qu'accueillant : c'est pourquoi il ne me plaît pas d'en dire davantage. Une étrange accusation, un acte abominable, un forfait stupéfiant, la découverte d'une nouvelle espèce de tourments, qu'importe d'en faire aux hommes la révélation. »

Aucun autre auteur ne parle de lieu nommé Baviser, qu'il est d'ailleurs bien difficile de localiser. Pour Étienne Mulsant il se situait sur le chemin entre la Grange de Pilat et la Grange de Bote. À cet endroit en effet, un ruisseau traverse le chemin et s'y étale en formant une grande flaque, parfois une petite mare par temps de pluie. Or Jean du Choul avait certainement emprunté ce sentier. Quant au crime horrible qui aurait été commis en ce lieu à une époque indéterminée, l'auteur se refuse à en dire davantage. Puis il poursuit :

« Dans le voisinage de ces solitudes, on rencontre une fontaine d'une eau si froide qu'elle tuméfie la bouche de ceux qui en boivent, et qu'il est impossible d'y tenir la main […] On raconte encore que si on jette dans cette fontaine une grêle de pierres, à certaines époques de l'année, on fait éclater le tonnerre. »

La croyance attachée à cette source est fort commune dans les régions de montagne, en Auvergne en particulier. Deux siècles plus tard, Alléon-Dulac retrouvera cette fontaine, proche des sources du Gier, ironisera sur les propos un peu excessifs de Jean du Choul, mais confirmera sa fraîcheur. Un autre siècle passera et ce sera au tour de Jean-Jacques Rousseau de chercher cette fontaine pour prouver que sa réputation n'est que superstition. Puis Étienne Mulsant à son tour racontera dans ses Souvenirs du Mont Pilat ses promenades de naturaliste qui l'avaient amené dans les pas de l'humaniste lyonnais.

 

Gravure extraite du livre d'Étienne Mulsant

Jean du Choul essaie ensuite, longuement, de trouver une explication scientifique à cette croyance concernant les orages qui naissent du choc des pierres jetées dans la fontaine, faisant une nouvelle fois état des théories aristotéliciennes. Là va s'arrêter son évocation des sommets ; il poursuit par la Maison des Fées, que la tradition populaire situe sur la rive du Dorlay entre Doizieux et la Terrasse-sur-Dorlay, au hameau du Breuil.

« Aujourd'hui encore existe la maison des Fées, qui a conservé l'ancien nom de maison des Fages ; c'est à mon avis un palais fort ancien, distant de cinq mille pas de la forêt. Ses ruines habillées de tristesse attestent assez quelles furent la magnificence et la somptuosité d'un si vaste édifice. Les spectres de la nuit ont longtemps hanté cette basilique (comme on l'appelle). Quant à moi, je l'ai bien visitée mais je n'ai pas aperçu ces phénomènes capricieux. »

Pour parler de cette maison, Jean du Choul emploie le mot basilique, que les Romains donnaient à une construction à colonnes terminée par une abside semi-circulaire. On peut penser qu'il devait s'agir des ruines d'une villa gallo-romaine. La Maison des Fées est introuvable aujourd'hui, mais peut-être se situait-elle sur l'un des terrains qui ont été engloutis sous les eaux suite à la construction du barrage du Dorlay.

 

Le hameau du Breuil, au bord du Dorlay, vu de Fonterines

Jean du Choul est donc désormais sur le chemin qui le ramène chez lui, par Doizieux, la Terrasse-sur-Dorlay, la Croix du Mazet. Continue-t-il ensuite, comme le voudrait la logique, par Sainte-Croix-en-Jarez, la Croix du Trève et Longes ? Ou reste-t-il à flanc de coteau pour rejoindre Longes par le col de Pavezin, Bonne Bouche et le col de Grenouze ? Est-ce la raison pour laquelle il ne parle pas de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez ? Quoi qu'il en soit, la boucle parcourue depuis son départ représente une quarantaine de kilomètres. Donc il a dû dormir en chemin. La Grange de Pilat, future Jasserie, que l'on dit remonter au XVe siècle, se présente comme un refuge tout désigné. Rentré à Longes, Jean du Choul évoque ensuite ses propriétés situées dans ce village.

« Non loin de notre maison de campagne et sur nos terres elles-mêmes, il est un lieu nommé Torropanes, admirablement bien cultivé par nos paysans qui habitent le village de Longes ; un bois, qui nous appartient, le favorise de son ombre accueillante. J'avais pensé que le nom de ce fonds pouvait venir de Terreur Panique, comme s'il était vraisemblable que Pan et les Satyres eussent habité ce lieu agreste ! »

Jean du Choul plaisante, naturellement, avec cette étymologie fantaisiste de Torrepane, le petit château de ses ancêtres. Fin linguiste, il ne peut ignorer l'origine véritable de ce nom : tour à pans. Puis restant dans cette même région, il s'écarte un instant du Pilat pour évoquer le village de Tartaras, situé sur l'autre versant du Gier.

« Aux confins de la montagne, se dresse un village au nom effrayant : ses habitants l'appellent aujourd'hui Tartaras, et ce n'est pas sans raison. En effet, ils font le commerce du charbon qu'ils extraient d'excavations souterraines et voûtées pratiquées dans le sein de la montagne. Cette méthode d'exploitation ne met jamais à nu les collines, comme on peut s'en rendre compte par l'observation. »

Près du village de Tartaras, nom qui évoque le Tartare, l'Enfer des Grecs, des galeries de mines exploitaient le charbon dès le XVe siècle. Ainsi s'achève le récit de la première excursion de Jean du Choul dans le Pilat. Il en entreprend bien vite une seconde, qu'il commence à décrire ainsi :

« Montons par degrés au sommet du Mont Pilat. Là, s'étend un large plateau qui se divise immédiatement après en deux promontoires : le plus grand regarde vers le Rhône et semble soutenir le ciel, l'autre enveloppe dans sa courbe le reste de l'espace. »

Voici Jean du Choul à nouveau dans la zone des crêts. Le massif se subdivise en effet en deux parties, l'une rectiligne entre le Crêt de la Perdrix et le Crêt de l'Œillon est orientée du sud-ouest au nord-est, et pointe vers le Rhône, l'autre part d'abord vers le nord à partir du Crêt de l'Œillon, puis se courbe et oblique vers le nord-est pour se terminer au Mont Monnet. Ce promontoire qui « semble soutenir le ciel » traduit bien l'impression donnée par le Mont Pilat les jours où le plafond nuageux est bas. Et rappelons que l'une des étymologies de Pilat fait dériver ce nom du latin pila, colonne, avec valeur métaphorique (soutien du ciel).

 

Les sommets du Pilat, vus du Rocher de Dentillon

« Il est un lieu appelé Agenolière, amas de roches que l'on tient pour une colline. »

Bien difficile aujourd'hui de situer ce lieu. Claude Longeon propose l'Angelière, hameau de la commune de Bourg-Argental, mais Jean du Choul ne semble pas être allé jusque là. Il cite toujours les lieux dans l'ordre où il les a visités, donc cette colline fait partie de la zone des crêts, puisque l'auteur parle ensuite de Saint-Sabin et du Pic des Trois Dents. De nombreux toponymes de cette région, connus par coutume orale, n'ont pas été retenus par les cartographes.

« À propos de la chapelle de Saint-Sabin, les traditions les plus diverses circulent et il n'appartient pas à un homme formé aux disciplines intellectuelles de se faire l'écho de bruits incertains. »

Autrement dit, Jean du Choul botte en touche et, une nouvelle fois, se contente de dire qu'il ne dira rien. Pourtant il en dit trop ou pas assez. Claude Longeon a traduit par « chapelle » le mot latin originel qui est oraculo. L'oracle, oui, Jean du Choul ne parle pas de chapelle mais d'oracle de Saint-Sabin. Que faut-il comprendre ? Dans l'antiquité le mot oracle désignait à la fois la réponse d'une divinité à une question posée par un fidèle, et le lieu où il était possible d'obtenir cette réponse. Une chapelle existe déjà, pourtant, sur le site de Saint-Sabin lorsque Jean du Choul visite le Pilat. C'est la chapelle primitive, dont nous ne savons pas grand-chose, sauf qu'elle était plus petite que la chapelle actuelle, et tournée vers l'ouest selon les radiesthésistes. Son emplacement se devine encore, quelques mètres au sud-ouest de la chapelle actuelle. Si l'auteur n'avait pas décidé de rester muet ou presque, nous en aurions peut-être une description.

 

La chapelle Saint-Sabin dans son environnement

Cette chapelle Saint-Sabin permet-elle d'obtenir un oracle ? Cette démarche nécessite-t-elle de se livrer à des pratiques magiques ? C'est ce que l'on peut déduire de la suite de ce passage :

« Je n'ignore pas qe si l'on tourne sur soi-même, on croit voir les montagnes peu à peu se pencher, ridées en leur cime, puis taillées en pointe ou imbriquées les unes dans les autres comme des tuiles creuses. »

Que veut donc nous dire Jean du Choul ? Cette question restera sans réponse. Tout au plus peut-on penser qu'il fait référence à un rituel bien particulier, à une méthode divinatoire oubliée. Après Saint-Sabin, il parle en termes à la fois émerveillés et sibyllins du Pic des Trois Dents.

« À l'orient, il est une autre montagne qui s'élève d'un bond, d'abord repliée pour ainsi dire sur elle-même puis jetée en avant, d'autant plus étroite qu'elle s'élève plus haut. Trois Dents est le nom de cet énorme et effrayant rocher, totalement dépourvu de végétation, qui se repaît de frimas et de nuages. Nul ne s'en est approché ; on le dirait créé pour garder les sapins. Quelques uns des secrets de toutes choses sont cachés dans ces hauteurs. »

 

Les Trois Dents

Jean du Choul évoque ensuite plusieurs lieux, plus délicats à situer au premier abord.

« Sur le même chemin, on rencontre une cabane vouée au silence et à la méditation. Ceux qui scient les sapins et ceux qui les équarrissent en poutres ont coutume d'y prendre leurs repas. »

Où se situe cette cabane ? Claude Longeon pense qu'il s'agit du hameau de Chaumienne ; Louis Challet et Bernard Plessy dans leur Pilat insolite affirment que c'est la ferme de Bote. « Sur le même chemin », dit Jean du Choul, mais l'expression reste assez vague, puisqu'il a suivi tout le chemin ancestral qui parcourt la ligne de crêtes du Pilat d'un bout à l'autre. Comme il cite les lieux dans l'ordre où il les a visités, qu'il évoque de suite après la « montagne de la Chaux », et puisque « ce lieu est voisin des Fosses », on peut en déduire que tout ce passage concerne la région du Grand Bois, près du Bessat. La tradition parle justement d'une cabane, située dans la clairière du Creux du Loup. Elle aurait servi d'affût à un chasseur de loups.

« Une cabane vouée au silence et à la méditation » : on dirait que Jean du Choul parle d'un cabinet de réflexion, semblable à ceux de la franc-maçonnerie, sauf que celle-ci n'est pas encore apparue à son époque. Mais là il s'agit d'une cabane au milieu des bois. En fait Jean du Choul ferait peut-être discrètement référence à une espèce de maçonnerie plus ancienne, celle des Forestiers Fendeurs et Charbonniers, à laquelle il pourrait bien avoir appartenu. Il signale que cette cabane est habitée par un être étrange « qui n'a rien d'humain », une espèce d'Hercule qui vit là en solitaire. Les mots sont sans doute à double sens.

 

Le Creux du Loup

Vient ensuite l'évocation de la montagne de la Chaux. Pour Claude Longeon, ce lieu voisin des Fosses est sûrement le petit sommet des Rochettes, le point culminant du Grand Bois. C'est un amoncellement de gros blocs de rochers, qui semblent avoir émerveillé Jean du Choul.

« La nature s'y joue de plusieurs façons. Brisée naturellement en mille rochers, cette montagne offre tantôt des coins ombragés, tantôt des places ensoleillées ; dans ses replis, des sentiers en pente se partagent au hasard des degrés moussus […] Le charme de cette colline invite seulement le voyageur à la contemplation : on ne peut, en effet, la gravir, même en utilisant des échelles […] des rochers, gonflés en bosses comme bijoux de pierres précieuses, empêchent les passants d'aller plus avant. Rien ne fut créé par la nature sans quelque raison plus cachée. Ce lieu est voisin des Fosses... »

 

Les Rochettes

Les Fosses : ce lieu doit correspondre à la croix des Fosses.

« Une armée y fut défaite et taillée en pièces, et les morts furent ensevelis aux Fosses. En quels temps cette guerre eut-elle lieu, et quels peuples mit-elle en présence, on ne le sait pas clairement. »

Il est intéressant de noter que Jean du Choul rapporte cela sept ans avant le début des guerres de religion. Ainsi la légende de la bataille du Bessat, qui voit les protestants enterrer leurs morts aux Fosses, n'a-t-elle fait que reprendre à son compte une tradition beaucoup plus ancienne.

 

La Croix des Fosses en hiver

Ainsi se termine la description du Mont Pilat proprement dite. Jean du Choul semble avoir exploré la montagne au cours de trois excursions : une première où il a parcouru la zone des crêts jusqu'à la Jasserie, en revenant par Doizieux, une deuxième où il a visité ses sommets plus excentrés comme Saint-Sabin et les Trois Dents, une troisième où il est allé un peu au-delà du Bessat. S'il cite Virieux il n'en dit rien, ni de la région de Pélussin, ni du pays bourguisan, ni des plateaux de Saint-Genest-Malifaux. Son exploration est donc très incomplète, mais on comprend qu'il ait été fasciné surtout par les sommets. Les dernières pages de son texte sont consacrées aux plantes du Pilat, c'est un second volet tout aussi intéressant que le premier, et que des botanistes sauront sans doute interpréter avec profit.




Ce remarquable sujet de Patrick Berlier vous a intéressé, eh bien vous avez la possibilité d'en connaître davantage à propos de cette illustre Famille pilatoise.

Le chercheur pointu Marcel Boyer, Président depuis de nombreuses années de la renommée Association Visages de notre Pilat reste un pionnier dans la redécouverte contemporaine des Du Choul. Dans les années 1980 il a publié aux éditions Visages de notre Pilat un ouvrage référence toujours disponible à la vente auprès de la dite Association. Les Du Choul et les origines de Longes. Si ce livre vous intéresse il vous suffit de téléphoner au 04 74 87 71 38.

Toujours sous la responsabilité de Visages de notre Pilat, il y a dix ans, dans le numéro 27 de la revue annuelle Dan l'Tan, Jacques Laversanne a rédigé un brillant article à nouveau à propos de cette même Famille Du Choul. Cette parution de 60 pages composée d'articles variés reste à la vente à 6 euros. 04 74 87 71 38.

Enfin et ce n'est pas rien. Visages de notre Pilat propose à nouveau à la vente, le livre intégral de Jean Du Choul, le tout premier livre jamais publié dans le Pilat et ce en 1555. Description du Mont Pilat (traduction Mulsant), une réédition que nous devons là encore au besogneux travail de Marcel Boyer. 04 74 87 71 38.


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