Rubrique
Pilat et Liens

Mars 2019










Par
Michel Barbot

<RETOUR AU SOMMAIRE DE LA GRANDE AFFAIRE>


DU LÉON AU FOREZ

OU LA PROMESSE D’UN NOËL AU PIED DES ARBRES

 

Première partie

 

Le Pays de Léon est situé à l'extrême nord-ouest de la Bretagne, il forme le département du Finistère. Bien loin du Forez et du Pilat, et pourtant les deux régions sont liées d'étrange façon par des traditions légendaires. Suivons Michel Barbot dans sa quête, entre Léon et Forez.

 

Lorsque l’historien de formation interroge le passé, il le fait de façon linéaire. Il suivra l’ordre du temps ne s’autorisant nulle déviation susceptible de modifier cette ligne assurément immuable. Il est un autre historien souvent qualifié de local. La linéarité du temps apparaît soudain volumineuse. Il s’autorise des modifications, des prolongements qui lui permettront d’appréhender ce passé brumeux restitué en partie par des récits légendaires.

L’historien Forézien Noël Gardon appartient assurément à cette seconde catégorie. Cet érudit régional s’est évertué à décrypter de belle façon le passé opaque de cette région centrale dans son livre Mon Pilat Étymologie Rêves Légendes et… Réalités. L’étymologie présentée par l’auteur surprend assurément le puriste. Faite d’homonymie elle s’appuie sur la cabale phonétique des anciens chère à François Rabelais.

 

Le livre de Noël Gardon

 

Noël Gardon va utiliser ces clefs, pour décrypter la Légende du comte de Forez. Ce récit légendaire nous conte l’histoire d’un « noble homme nommé Henry de Léon, hardi dans les combats, prudent dans les conseils, féal chevalier et loyal vassal. » Le roi de Bretagne, « vieillard sans enfant », reconnaissant ses qualités de droiture, l’établit Sénéchal de sa Cour. Le prince du Léon remplissait tant et si bien ses fonctions, que le vieux roi « lui faisait des cadeaux et à l’occasion agrandissait son fief ». De telles faveurs ne pouvaient que susciter de la jalousie parmi les puissants du royaume…

Josselin, seigneur jaloux, convainquit son ami Alain, neveu du roi, et donc héritier du trône de Bretagne, que son oncle allait le déshériter au profit de son sénéchal. Ce dernier aimait la solitude de ses terres et venait se ressourcer dès que l’occasion se présentait dans son château de Léon. Un chevalier visière baissée s’en vint en Léon pour le tuer. Mal lui en prit, le Léonard était un fin bretteur et c’est ainsi qu’il occit l’inconnu. Malheur pour Henry de Léon, cet inconnu n’était autre que le prince Alain, héritier du royaume de Bretagne.

Contraint à la fuite : « Il rentre rapidement chez lui, prend un peu d’argent, détruit quelques vieux titres devenus inutiles puis s’en va en direction du sud. » Il « traverse la Bretagne, la Touraine, entre en Sologne où il songe s’arrêter ermite près des marécages, mais il ne serait pas assez loin de la Bretagne, alors il continue »… puis pénètre « dans une vaste clairière. Au centre, de grands hêtres abritent d’énormes rochers d’où jaillit une source où murmure un léger clapotement. »

 

De grands hêtres...

(Hêtraie du Crêt de Peillouté dans le Pilat)

 

Dans ce bosquet règne une paix… personnifiée par la belle, mystérieuse et accueillante fée Uriande : « Salut Henry de Léon, Sénéchal de Bretagne ! Il y a longtemps que je t’attends. » Elle fait partie « de cette noble confrérie » qui assiste, telles ses consœurs, les petits enfants à leur naissance. Troublé, Henry fait un signe de croix. La belle Uriande le rassure par ses paroles : « Point n’est besoin de te garder, car il n’y a ni maléfice, ni sortilège, je suis de la communion de la Sainte-Église. Mon père fut roi d’Albanie et ma mère Pressine. »

Cette mystérieuse fée Uriande est commune à deux légendes : celle du premier comte de Forez Henry de Léon et celle – merveilleusement contée par Jean Combe – de la perdrix qui fut sacrée reine du Pilat et donna son nom au plus haut sommet du massif, le Crêt de la Perdrix. Or pour Noël Gardon il faut comprendre ce nom comme Peyre de Rix, la Pierre du Roi, version pilatoise de la Lia Fail irlandaise, sur laquelle les premiers comtes de Forez auraient été sacrés en secret, devenant ainsi les Rois du Pilat. La fée Uriande, semble-t-il, n'apparaît que dans ces deux légendes.

 

Deux Castels, un Roi et une Église en Pays de Forêt

Lorsque Henry de Léon découvre ce sylvestre pays, il le trouve plaisant mais s’étonne de n’y apercevoir nulle demeure, nulle habitation... En épousant la fée Uriande le noble Breton va devenir le premier roi d’un étrange royaume qu’il appellera Pays de Forêt. Ce nom apparaît lourd de signification pour le prince du Léon qu’il fut encore récemment…

Épris l’un de l’autre, les deux amants pourraient vivre en parfait amour dans le domaine de la fée mais le futur époux pénétré de son passé, informe son aimée de son désir : « chercher ailleurs quelque refuge du temps qu’on bâtirait ? ». Un tel lieu où se réfugierait le temps, un lieu où, on bâtirait le tempsun temps… serait un lieu assurément prédestiné de toute éternité et, pour toute éternité... 

La fée Uriande entend pleinement les sibyllines paroles de son futur époux. Elle invite le beau seigneur à se retourner… un tel lieu existe… Henry, bien qu’étranger au pays, reconnaît ce lieu unique : « Sur une colline qui dominait le fleuve, se dressait, construit par art de magie, un château fièrement campé. Il était tout semblable à celui de Léon, et Henry y trouva son vieil écuyer et son fidèle chapelain. »

Quel était donc ce château ? Dans leur pays, les comtes du Léon possédaient plusieurs châteaux dont le l’énigmatique Roc’h Morvan, qui aurait pu être un bon prétendant…

Ruines du château de Roc'h Morvan

(carte postale ancienne)

 

Mais les comtes du Léon possédaient aussi le château de LA FOREST près de Landerneau, dressé, ainsi que le précédent, au-dessus de la rivière Elorn. Ce légendaire château fut aussi le château de Joyeuse-Garde, de par la présence en ses murs des chevaliers du roi Arthur… La forteresse de La Forest aurait reçu la visite de Walter Caldenius (mort en 1151), archidiacre d’Oxford, qui en aurait rapporté un récit où Arthur délivrait le château de la Douloureuse-Garde, qui prit le nom de Joyeuse-Garde.

 

Ruines du château de Joyeuse-Garde

(carte postale ancienne)

 

Geoffrey de Monmouth prétendait que sa principale source pour l'Historia Regum Britanniae émanait de l’archidiacre Caldenius, son ami, qui avait trouvé « un livre très ancien » écrit en breton. En Grande-Bretagne, le nom de Walter Caldenius reste associé aux récits de la tradition brittonique du Brut…

Ainsi Henry de Léon retrouve-t-il dans son nouveau Pays de Forêt ou Forez le château qu'il possédait à la Forest en Bretagne. Nous aurions ici un prodige de type effet miroir quantique dit aussi miroir inter-dimensionnel. Mais à la différence, qu’ici, l’effet miroir serait inter-lieu, l’in between des Britanniques. Henry retrouve dans le Pays de Forêt, son château de Léon pareillement édifié dans un pays également nommé Forêt… Ce miroir inter-lieu nouvellement créé par la fée Uriande, permettra, pouvons-nous le penser, à Henri de Léon, nouvellement intronisé Henri de Forêt, de passer allègrement de ce Pays de Forêt… à cet autre Pays de Forêt en Léon, puis de s’en revenir. Cet aspect miroir était déjà pressenti dans mon article « Deux Fontaines pour un Roy » (la Grande Affaire – mai 2017) lorsque je j’effectuais quelque incursion dans les prophéties des Bardes chrétiens et principalement celles de Merlin que les Maîtres du Brut étudiaient avec minutie dans les écoles monastiques Culdéennes.

Au jour des fiançailles, avec l’accord d’Henry, la fée nommera ce haut-lieu : la Madeleine, car dit-elle, « nous sommes le jour de la fête de cette pécheresse a qui il fut beaucoup pardonné parce qu’elle avait beaucoup aimé. » Il s'agit bien sûr des Monts de la Madeleine, qui forment la partie septentrionale des Monts du Forez. Mais la tradition magdalénienne se retrouve aussi dans la Pilat, avec la chapelle, la montagne et le chirat dédiés à la sainte pécheresse.

 

Panorama du Pilat depuis Chirat-Rochat

En médaillon : le même paysage visible sur le tableau de la chapelle Sainte-Madeleine, peint par Jean Bonnel

 

Je ne puis que renvoyer le lecteur à cet autre article « MADELEINE EN SON MIROIR : ECHEC ET MAT » (les Regards du Pilat décembre 2012) dans lequel je revenais sur le tableau de Jean Bonnel représentant Marie-Madeleine dans sa grotte pilatoise. Ainsi que je l’écrivais : « Lorsque Jean Bonnel peint sa Madeleine pénitente, il recompose quelque peu le paysage visible depuis la grotte du Mont Ministre. Le Pic des Trois Dents surgit soudain par magie. Ce paysage recomposé semble révéler tout en le cachant le Grand Mystère du Pilat. » Puis j’ajoutais : « Jean Bonnel utilise un gigantesque miroir, le Miroir Magdalénien. Ses pinceaux peignent l’intérieur du miroir que nos yeux observent sans en pénétrer la profondeur. »

Cette étude décryptant le paysage enfermé dans le Miroir Magdalénien, peut tout à fait s’appliquer à la légende de la fée Uriande et d’Henry de Léon. Un couple qui, proportions gardées, rappelle celui hautement sacré de Marie-Madeleine et de Jésus.

Au cœur de la Forêt, Henry de Léon retrouve assurément avec enchantement, son propre château, la forteresse Léonarde où, suivant la légende, épris de solitude « Il s’enfermait alors des semaines […] heureux du silence et de l’oubli. » En retrouvant son château, il retrouve, pouvons-nous le penser, certains de ses vieux titres bien que détruits car devenus inutiles dans sa Bretagne natale…

Ces titres ou titles médiévaux désignaient des marques, des actes juridiques, voire même des bornes. Ils affirmaient la position tant géographique qu’héréditaire. Le château de Léon (ou du Forêt), refuge de titres, apparaît lui-même en tant que monument commémoratif comme un titre.

Henry de Léon, assisté de son vieil écuyer, le héraut d’arme détenteur de la langue oiselée et de son fidèle chapelain quant à lui, détenteur sous le couvert de la chape, du Secret, étudie dans le silence de son château, les titres médiévaux encore pétris de tradition celtique, dans lesquels il y découvrira sa propre légitimité à occuper le trône des Rois du Pays de Forêt.

Le Comté de Léon, devenu Principauté par le bon plaisir des puissants Rohan successeurs des Léon, apparaît comme un nom mystérieux. Cette contrée a longtemps été associée à la présence d’une légion romaine mais son origine apparemment plus ancienne ne serait pas étrangère à celui du dieu celtique et pré-celtique Lug, la Lumière. Cette appellation de Léon intimement liée à celui du Finistère (en breton le Penn ar Bed ou Bout du Monde) se retrouve en Grande-Bretagne dans le nom de l’ancien royaume de Lyonesse où se déroula, selon Lord Tennyson, poète britannique de l’époque victorienne, la dernière bataille entre le Roi Arthur et son fils Mordred.

 

Drapeau du Pays de Léon

 

Au XVIe siècle un écrivain racontait que le Land’s End (ou Finistère britannique) s’étirait encore plus loin vers l’Ouest et que c’était le point qui servait de guide pour les marins. Le rocher, connu de nos jours sous le nom de Seven Stones (les sept pierres), serait la partie émergée du royaume, environ dix-huit miles à l'Ouest de Lands End et huit miles au Nord-Est des îles de Scilly. Les marins locaux l’appellent The Town (la ville) et racontent qu’ils entendent parfois les cloches des églises de Lyonesse sonner par delà les vagues. L’ancien royaume de Lyonesse englouti au large du cap Lizard, reconnu pour ses riches cités et ses verts pâturages, inspira le romancier Américain de science-fiction, Jack Vance pour sa Trilogie de Lyonesse, œuvre majeure de fantasy.

La péninsule ibérique participe pareillement à cette géographie finistérienne. On y découvre un Finisteria qui inspira de belle façon Louis Charpentier ainsi que Henri Vincenot pour la rédaction de son beau roman Les étoiles de Compostelle – éditions Denoël. Le romancier mettait dans la bouche du Prophète, des paroles significatives quant aux liens unissant les deux Finisterra continentaux : « Nous entrons en Léon !... Léon ! s’écriait-il, tu entends bien : Léon ! Et les monts d’Arro avant le promontoire où finit la terre, ‘’Finisterra’’ comme disent les moines. Exactement comme dans mon Armorique natale : le pays de Léon et les monts d’Arrée, avant notre Finisterra, le bout du monde occidental ! La même estacade, où sont venus atterrir les Géants venus de la mer, les Maîtres après le grand effondrement ! »    

 

Le Cap Finisterre espagnol

 

Pour Louis Charpentier, les Finisterra voisinant les Léon et les Monts d’Arrée ou Arro, furent après la submersion de l’Atlantide, des havres où débarquèrent les rescapés… Ces lieux furent de haute Antiquité, des centres de pèlerinages très importants. Henry de Léon vécut suivant le conte, dans ce pays de Léon armoricain ouvert à l’Ouest par le fameux cap Finistère qui donna son nom au département et fermé à l’Est par les Monts d’Arrée. De Haute Antiquité, des pèlerins arpentaient du Nord au Sud le Grand Chemin qui reliait entre eux les Finisterra. Ce Grand Chemin géographique cache un second Grand Chemin temporel suivit par d’autres pèlerins œuvrant sur la Voie Royale menant au Grand Œuvre…

 

Fin de Terre ~ Genèse d’un Royaume

Christophe de Cène dans son livre Finis Gloriae Mundi de Fulcanelli. La Révélation (éditions BOD) évoque cette énigmatique « cloche du roi Marc » présente dans la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon : « Saint-Pol-de-Léon fut un évêché : on découvre dans la cathédrale une cloche du VIe siècle que la légende  dit être celle du roi Marc, faisant ainsi référence aux récits de la Table Ronde et à l’épopée de Tristan. Cette cloche figure en 4e page de couverture des Demeures Philosophales de Fulcanelli, première (1930) et seconde (1960) éditions. Le texte original des Demeures ne fait aucune référence à l’objet. Canseliet ajouta seulement, en 1960, la note suivante : « Cul-de-lampe de la couverture – Saint-Pol-de-Léon (Finistère) – cloche miraculeuse du VIe siècle, qui fut, dit-on, apportée d’Angleterre à l’île de Batz par un poisson. Le Finistère (Finis Terrae) sonne le glas de la gloire du monde. »

Il apparaît intéressant de lire ce 8e chapitre du livre de Christophe de Cène titré « L’espace du Finis Gloriae Mundi », chapitre révélant une certaine géographie sacrée de la France.

 

Carte postale ancienne célébrant la cloche miraculeuse

 

L’histoire de cette cloche bien réelle et demeurée au fil des siècles dans le trésor de l’ancienne cathédrale du Léon, initie en ce Haut Moyen Âge, une filiation de cloches saint-politaines qui marqueront de leur sainte empreinte la cité. Cette cloche miraculeuse appartenait à saint Paul ou Pol Aurélien, premier évêque de Saint-Pol-de-Léon. Le Breton Wrmonoc (prononcer Ourmonoc), moine de Landévennec, premier historien de l’apôtre du Léon, est l’auteur d’une très énigmatique Vita sancti Paul Aurelian. Cette Vie demeure pour les historiens le texte majeur. Pol naquit vers 490 dans la région de Penohen dans le Clamorgan en Galles du Sud. Très jeune, il rentre dans la grande école monastique d’Ynis Bŷr dirigée par l’illustre saint Iltude où il côtoiera notamment Gildas le Sage et Samson futur évêque de Dôle en Petite Bretagne. Il deviendra le chapelain du roi Marc’h, monarque du double royaume de Domnonée, géographiquement réparti d’une part au Nord de la péninsule armoricaine et d’autre part sur la Cornwall-Devon en Grande-Bretagne. Le roi offrait à Pol l’évêché mais le chapelain refusa car il souhaitait se rendre en Petite Bretagne. Avant son départ, Pol sollicita du roi un seul présent, une des sept cloches utilisées pour appeler les invités à la table royale. Le roi n’appréciait guère le choix de Pol, aussi refusa-il. Accompagné de 12 moines et de proches, l’abbé Gallois quitta sa patrie pour le la péninsule armoricaine. Il accosta sans encombre dans l’île d’Ouessant, avant de s’installer dans ce qui deviendra le Kastell Léon, actuel Saint-Pol-de-Léon.

Withur, tiern (prince souverain) du Léon, séjournait en l’île de Bath (Batz) dans l’Endroit Secret, une demeure écartée et paisible. En cette année 525, l’abbé Pol rendit visite au prince Withur de Léon qui, heureuse surprise, n’était autre que son cousin venu en Petite Bretagne vers l’an 510. Premier souverain du Léon, Withur gouverna le pays jusqu’en 530, année supposée de sa mort.

Dans cet Endroit Secret, Withur s’adonnait à la création d’ouvrages manuscrits. Lorsque Pol lui rendit visite, le tiern travaillait sur son Évangéliaire. Nous pouvons imaginer Withur ouvrant à son cousin les portes de son scripturaire, assurément la pièce la plus secrète de son palais de Bath. Le tiern, à l’instar de son cousin, avait étudié dans une grande école monastique de la Grande Bretagne, peut-être l’école de saint Iltude.

Ils parlaient du pays qu’ils avaient quitté, lorsque soudain, le gardien du vivier royal, apporta un ésox, nom latin et grec d’un poisson de grande taille, un saumon, voire un brochet, dans lequel ils trouvèrent une cloche ! L’abbé surpris, se mit à rire ! Il venait en effet, de reconnaître la cloche du roi Marc’h ! Le tiern transmit la cloche à son cousin mais un tel don (assurément le DON A, ainsi que nous le découvrirons plus avant), don divin par excellence, possédait une contrepartie ! En l’acceptant, Pol Aurélien ne pouvait que devenir le premier évêque du Léon. La cloche avait choisi son Maître ! Et pourtant, Pol une fois encore, refusa ce nouveau siège épiscopal. Mais nul n’échappe à son destin ! L’abbé fut missionné par Withur à Paris auprès du fils de Clovis, le roi des Francs Childebert que Wrmonoc nomme étrangement, assurément non sans raison, Philibert... L’abbé avait-il connaissance du message rédigé par Withur, contenu dans le pli scellé ? Dans ce message, le tiern du Léon demandait au roi Franc de convaincre Pol d’accepter le siège épiscopal du Léon. Devenons-nous accepter comme monnaie comptant l’énoncé du message formulé par le moine Wrmonoc ? Pol Aurélien, homme intelligent, ne souhaitant aucunement occuper le siège épiscopal aurait-il toléré de se faire abuser de la sorte par son cousin, fut-ce le tiern du Léon ? En vérité, Pol avait dû déjà, bon gré, mal gré, accepter le poids lourdement tombé sur ses épaules. Les signes étaient là, Withur et Pol avaient ensuite sanctifié ce jour en mangeant le saumon sacré, symbole de la Connaissance. Wrmonoc, le moine de Landévennec, nous apprend que sitôt après avoir rencontré le roi, Pol reçut l’onction épiscopale dans la cité de Paris. Le roi remit à saint Pol Aurélien une crosse d’ivoire. La missive scellée devait en partie concerner cette onction mais son prolongement contenait assurément un message d’une importance assurément supérieure. Certains commentateurs ont douté des propos du moine Wrmonoc ; comment un Breton venu de la Grande Île pouvait-il, à la demande du premier prince de Léon son parent, approcher le roi des Francs qui n’étaient pas précisément les amis des Bretons… ?

 

Saint Pol Aurélien (icône)

 

Il est vrai que Wrmonoc sème le doute en nommant le roi non pas Childebert mais Philibert. Les commentateurs reconnaissent dans ce lapsus – volontaire ou involontaire – la volonté de mettre en relief le saint Philibert ou Filibert né à Eauze vers l’an 617 ou 618, fils unique de Filibaud, premier magistrat et évêque de Vicus Julii, aujourd'hui Aire-sur-l'Adour. Filibaud qui était en grande recommandation auprès du roi Dagobert Ier, ménagea pour son fils, une place à la cour où il fit la connaissance de saint Ouen dont il devint le disciple et l’ami.

Avec le nom de Philibert ou Filibert (Très Célèbre en germanique), et le nom de son père Filibaud (Très Audacieux en germanique) nous pouvons noter la présence commune de l’élément FILI. Filibert clôt-il ou poursuit-il une dynastie des Filid ? Le Fili (pluriel Filid en irlandais ancien) désignait les poètes dans la classe druidique irlandaise. Lorsque le christianisme pénétra l’Irlande, la classe druidique dans sa majorité, se fondit dans la classe des Filid (classe supérieure à celle des Bardes) et devient le noyau des premiers évêques ou abbés de l’île. Saint Philibert, après son père l’évêque Filibaud, adoptera la règle de saint Colomban l’Irlandais… Saint Philibert (latin Filibertus) est fêté le 20 août, nous rentrons avec cette date, dans ce que je nommais le « calendrier hagiographique de Champailler » (« Le pentagramme de Champailler » - Les Regards du Pilat – Année 2007). Philibert apparaît indissociable de saint Ouen, fêté 4 jours plus tard, soit le 24 août. Pour rappel, saint Ouen (Even ou Owen forme adaptée sur celle des rois Owen du Pays-de-Galles…) de son vrai nom Dadon, frère d’Adon et de Radon, apparaît avec ses frères au 34e jour (24 août, soit 4 jours après Philibert). J’osais pareillement dans cet article un rapprochement entre la MELENCOLIA§I d’Albrecht Dürer et le nom même d’ADON que l’on peut retrouver dans l’anagramme DONA :

« Au-dessus du Chérubin se trouve la Balance, emblème de l’archange solaire Michel. Et puis il y a le fameux carré de quatre surmonté d’une cloche et accosté à gauche, d’un sablier : 

Détail de la gravure de Dürer

« Les lignes, colonnes et diagonales du carré donnent pour résultat 34. A. Dürer a fait ressortir en clair la date de son œuvre : 1514, dans les deux cases médianes de la dernière ligne. En plaçant cette date entre le 4 et le 1, il associe l’œuvre à son nom : 4 – 1, chiffres qui transposés en lettres font apparaître le D et le A, 4e et 1e de notre alphabet et initiales de Dürer Albrecht. L’ensemble, ainsi que le note Run Futthark (André Lécossois) dans son livre Comment interpréter la Kabbale, transposé en lettres, révèle les lettres DONA : 

4  15  14  1
D  O  N  A

 

Cloche de la gravure de Dürer et représentation de la cloche de Saint-Pol-de-Léon (couverture de l’édition originale des Demeures Philosophales (1930) Fulcanelli)

 

La cloche Hir-Glas de saint Pol Aurélien (ou du roi Marc’h), fut associée par Fulcanelli à une autre illustration ne comportant également aucun commentaire et qui intrigua bien des chercheurs. Voici ce qu’écrit  sur le sujet Christophe de Cène dans son article « Fulcanelli : quelle Rose-Croix ? » http://www.rose-croix.net/fulcanelli-rose-croix.html :

« Hommage discret du Rose-Croix Fulcanelli à l'un des pères de la fraternité: en couverture et au dos des Demeures Philosophales de Fulcanelli (1ère et 2ème éditons) figurent la Cloche du roi Marc à Saint-Pol-de-Léon en Bretagne et les armes de Robert Jolivet (abbé du Mont-Saint--Michel de 1411 à 1444) sur les remparts du Mont. Le roi Marc est une figure majeure du cycle arthurien et de la quête du Graal. Né près du Mont-Saint-Michel quand Jolivet en était l'abbé, Thomas James fut évêque de Saint-Pol-de-Léon. Ce clin d'œil en couverture est d'autant plus singulier qu'aucun paragraphe des Demeures Philosophales ne se rapporte au Mont-Saint-Michel ou à Saint-Pol-de-Léon. »

 

 

Les armes de Robert Jolivet
(
Les Demeures Philosophales de Fulcanelli)

 

L’association de la cloche Hir-Glas avec le Mont-Saint-Michel serait une clef essentielle dans l’énigme développée dans cet article, ainsi que nous le verrons plus avant.

Retrouvons à présent saint Pol Aurélien dont la mission future apparaît ainsi, pourrions-nous le penser, placée sous le Sceau de Saint Philibert, le Fili. Le problème est que Philibert ne naîtra qu’au siècle suivant ! Nous pouvons évidemment émettre l’hypothèse que les Filid auxquels Philibert et Filibaud son père, se rattachaient, pourraient avoir préparé la mission de saint Pol Aurélien, une mission assurément très importante.

Wmonoc, l’auteur de la Vita sancti Paul Aurelian, fut, il convient de le rappeler, moine de Landévennec, abbaye qui favorisa le culte de saint Philibert dans toute la Bretagne. Les historiens Bretons se sont interrogés sur l’importante présence du culte de saint Philibert en Bretagne. Des marins venus de l’île de Noirmoutier, où il avait fondé une abbaye, seraient à l’origine de son culte en Bretagne. La réalité apparaît néanmoins pour ces chercheurs, beaucoup plus complexe.

Ainsi que nous le découvrons sur différents sites du Net et précisément sur https://mairie-lannedern.bzh/enclos-paroissial-et-eglise/ : « Dans les vieux, les très vieux documents de l’abbaye de Landévennec, il est un texte du cartulaire dont la lecture au premier degré raconte en gros ceci. Un jour, Gradlon, roi des Bretons, reçut la visite de trois émissaires de Charlemagne. Ces trois hommes-là étaient alors des saints en devenir puisqu’il s’agissait, assure l’antique chronique, de Médard, Florent et de notre fameux Philibert, fondateur de l’abbaye de Jumièges en Normandie puis de celle de Noirmoutier. »

Leur mission était d’obtenir l'aide du roi Gradlon qui vécut entre le IVe et Ve siècle ! l’aide face à la race païenne : les Vikings. Le roi Breton en remerciement recevrait quatorze villes franques. La Charte XXe du Cartulaire de Landévennec dans laquelle sont évoqués ces faits, causa bien du tracas parmi les érudits qui pour beaucoup n’y voyaient que fable. Comment, par exemple, saint Philibert – qui vécut quant à lui au VIIe siècle – aurait-il pu représenter Charlemagne, qui plus est en un temps où il ne vivait pas encore ! Les historiens ont convenu que le roi Gradlon en question était en fait Gradlon Plonéour, qui était précisément un contemporain de Charlemagne. Quant aux trois saints missionnés par l’empereur, il s’agissait des abbés des monastères de Saint-Florent à Saumur, de Saint-Médard à Doulon (près de Nantes) et de Saint-Philibert à Noirmoutier. Les compagnons de Gradlon, saint Guénolé et saint Corentin présents lors de cette rencontre, suivant le Cartulaire, étaient respectivement l’abbé fondateur de Landévennec et l’évêque de Quimper.

 

Ruines de l'abbaye de Landévennec et tombeau du roi Gradlon

(carte postale ancienne)

 

Gradlon Plonéour, comte de Cornouaille et grand protecteur de l’abbaye de Landévennec, alla effectivement guerroyer contre les Vikings, à l’embouchure de la Loire. Il a même tenu à finir ses jours à l’abbaye de Noirmoutier. Reste que les moines de Landévennec avaient le sens du raccourci et du mystère qu’ils entretenaient savamment. Deux chroniques de l’abbaye finistérienne de saint Guénolé présentent le roi Childebert sous le nom de Philibert (la Vita sancti Paul Aurelian de Wrmonoc) ou Hilibert (Charte XLIe du Cartulaire de Landévennec). Le roi (P)Hilibert y apparaît en qualité de « suzerain du Léon » !? Des historiens Bretons, tels Albert Le Grand, ont préféré voir dans ce roi Hilibert, un roi de Landerneau dont l’existence reste aujourd’hui encore sans fondement. Quelles étaient les intérêts des moines de Landévennec de confondre ainsi les pistes géographiques, temporelles et humaines ?

Il est certain qu’en mettant en avant saint Philibert, les moines de Landévennec qui s’installèrent un temps à Montreuil-sur-Mer, avaient pour intention de mettre en avant l’aspect plutôt méconnu d’un Philibert (…ses successeurs ainsi que ces prédécesseurs…) émissaire royal. Saint Pol Aurélien monte à Paris et rencontre le roi Childebert. En rencontrant le roi des Francs, il devient à son tour un émissaire royal placé sous la sainte protection de Philibert. Ce missionné philibertin ou pré-philibertin naquit en 490, soit quelques 127 ou 128 années avant Philibert qui ne naîtra qu’en 617 ou 618. Saint Pol Aurélien se place ainsi sous le Sceau des Filid évoqués plus haut.

Nous pouvons et nous devons placer sous ce Sceau des Filid, Withur de Léon, le premier roitelet du Léon, cousin de Paul Aurélien, et chez qui la cloche miraculeuse fut apportée par un poisson. Withur ou MorWithur, soit en vieux breton Withur le Grand, serait venu en Léon, d’après l'historien Arthur Le Moyne de la Borderie, Monsieur Jourdan de la Passardière et l’abbé Thomas (auteur d’une histoire de Saint Pol Aurélien), vers l’an 510 et aurait régné sur le Léon jusqu’à sa mort vers 530. Si le nom de WITHUR aurait, d’après François Jaffrédou, le sens de « victorieux », il devient plus parlant de décomposer son nom en With-Ur, soit l’Homme (Ur, Uur, Uros) des Bois, des Forêts (With). Le terme With, présent dans la langue des Germains, apparaît en vieux breton sous la forme Guid, en gallois sous la forme Gwydd, en gaulois sous la forme Vidu et en celtique sous la frome Uidhu. L’anglais Wood y puise son origine. La forme Ur, Homme, se retrouve dans le nom du roi Arthur, l’Homme-Ours.

Withur, l’Homme des Bois, premier « roi » du Léon, apparaît comme la CLEF qui nous permet de connaître l’identité du premier Roi du Pilat. En effet, suivant le conte présenté par Noël Gardon, le premier Roi du Pilat ou du pays nommé Forêt (Forez) se nomme Henry de Léon qui est pour lui : « le Roi persécuté ». Il n’est pas non plus de le canoniser mais de rappeler que suivant cet historien Forézien, le « Premier Roi » fut le Comte Sylvain, soit le Comte des Forêts ! Pour Noël Gardon, le premier roi du Pays de Forêt Henry de Léon, correspond à ce Sylvain le roi de la Forêt. Bien que le Withur, premier Roitelet du Léon n’ait occupé les lieux que vers l’année 510, il apparaît – il convient de le signaler – comme un contemporain de Sylvain, premier Roi du Pilat ou du Forêt/Forez. L’effet miroir s’affirme ainsi entre Withur le « Premier Roi du Léon » et Sylvain le « Premier Roi » du Pays de Forêt qui mit son sceau à la loi Gombette en 501 ou 502. Comment et surtout pourquoi, ce Sylvain, membre de la puissante famille des Chapteuil, peut-il apparaître dans le conte présenté par Noël Gardon, sous le titre hautement hermétique de LÉON ? Il est difficile de démêler cet écheveau des plus hermétiques. Le vrai nom des Léon serait Ursolis, soit les Roussillon… Mais Léon reste quoiqu’il en soit le nom de ce pays Breton du Finistère et de la noble famille qui l’occupait.

Je ne puis que remercier Éric Charpentier qui dans un mail m’informait qu’à l’époque de la Loi Gombette, le royaume Burgonde était administré par 31 comtes :

« Notre contrée faisait partie des plus grandes cités du royaume Burgonde, avec alternativement Vienne et Lyon pour capitales, c’était la cité du confin du Royaume, elle embrassait le Lyonnais, le Viennois et la vallée du Rhône, le Forez et les premiers contreforts du Massif central. Pour l’administrer, les rois Burgondes avaient confié ce vaste territoire au Duc Burgonde Ancemond ou Ennemond (Aunemundus qui signe la loi Gombette en seconde position fixant ainsi sa position hiérarchique parmi les 31 comtes signataires) et dont la résidence était Vienne sur le Rhône. Le Duc Ennemond avait pour le seconder dans l’administration de son territoire, deux comtes d’origine Gallo-romaine : le comte Sylvain ou comte des forêts (Forez), 26è signataire, et le comte Dauphin (Offinis) ou comte ‘’del finis’’ (le comte des confins), 29è signataire. Tous deux étaient probablement frères et fils de Sylvanus 1er : ce sont les deux fils d’Henry de Léon mentionnés dans la légende de Mélusine, à savoir le comte de Forez et son frère Raymondin de Forez…. »

Le titre du second frère : le comte Dauphin (Offinis) ou comte ‘’del finis’’, s’applique au comte des confins. Noël Gardon écrivit à propos du mot ‘’Fines’’ : « Ce mot est d’ailleurs resté dans note langage actuel avec confins, ou Finistère, sans parler de Finage terme utilisé dans certaines régions.

« Personne ne met en doute que le titre de ‘’marquis’’ vient de ‘’marche’’. Le comte marquis est le comte délégué à la gestion de la ‘’marche’’ c’est le comte ‘’mark’es’’. Si la ‘’Marche’’ est un ‘’Fines’’ le comte qui s’en occupe est le comte ‘’del fines’’, le ‘’comte Dauphin’’. »

Nous pouvons affirmer que si le Tiern du Léon l’était du Finistère, le comte Dauphin, fils de Sylvain, l’était DU FINES qui correspondait au Forez.

 

À suivre...





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