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CATHARES-TEMPLIERS |
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Par
Christian Doumergue
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Cathares et Templiers Cathares
et Templiers ont laissé une image spectrale d’une
rare puissance dans les âmes sensibles au Mystère du
monde. Le premier de ces
deux mouvements est clairement une hérésie. L’autre a
été suspecté et condamné
pour hérésie. Appartenant l’un et l’autre aux grands
damnés de l’Église, il
était difficile qu’ils ne fussent pas rapprochés par
certains esprits. Que l’on
ne chercha pas à voir une forme de connivence entre eux. C’est
dans la littérature antimaçonnique de la toute fin du
XVIIIe siècle, alors que du grand chaos qui secoue
l’Europe nait
l’Histoire conspirationniste, que l’on commence à trouver des
traces d’un lien
génétique entre Cathares et Templiers. Le but est alors
de créer une véritable
généalogie du mal. Cette œuvre, c’est Augustin Barruel
(1741-1820) qui
l’accomplit. Barruel, un prêtre jésuite, un homme de Dieu
entièrement gagné à
la cause catholique. Il est celui qui va durablement imposer dans les
esprits
que la Révolution Française est l’œuvre de la
Franc-Maçonnerie. C’est cette
dernière qui est la cible de Barruel. Cette dernière
qu’il aspire à écraser.
Pour cela, il s’attelle à démontrer son origine
« diabolique ». Ce
qui l’amène à la rattacher à certaines des pires
hérésies qu’a combattu
l’Église. Barruel défend ainsi l’idée que la
Franc-Maçonnerie descend de
l’Ordre du Temple. Ce dernier ayant été accusé des
pires infamies, la
Franc-Maçonnerie ne peut que porter le même mal en ses
veines. Pour le prêtre,
les Maçons tirent donc leur hérésie des Templiers.
Mais à quelle source obscure
les Templiers avaient-ils eux-mêmes bu ? Barruel est
convaincu que
certains Maçons, au cours de leur recherche, ont
découvert ce poison originel.
Une découverte qu’ils auraient tue, car trop terrible pour
être révélée.
Barruel aurait cependant réussi à soulever ce voile.
Derrière lui, c’est le
visage terrible des Cathares qu’il découvre.
Il consacre de longs développements à
asseoir cette filiation dans les
esprits, inventoriant notamment les similitudes entre Cathares et
Maçons. Sous
sa plume, les « plus infâmes mystères » des
Francs-Maçons, et « ceux des
Templiers », trouvent tous leur origine dans le mouvement
cathare, et, au-delà
de celui-ci, dans le manichéisme – dont les historiens des
religions qu’a lu
Barruel, reprenant les propos des hérésiologues du
moyen-âge, affirment qu’il
est l’ancêtre du catharisme.
Tout
au long du XIXe siècle, plusieurs études
s’attachant à définir l’origine de
l’hérésie templière reprendront cette
filiation gnostico-manichéenne. Un lien de plus en plus fort
sera ainsi tissé
entre Cathares et Templiers. On en trouve l’exemple dans les
études de Prosper
Mignard (1802-1891) consacrées à l’énigmatique
coffret du duc de Blacas. Après
avoir établi diverses analogies entre Cathares et Templiers,
Mignard va jusqu’à
affirmer que la répression de l’Église à
l’égard des Templiers s’explique par
le fait que le Pape avait parfaitement identifié l’origine
cathare de l’hérésie
templière. À
côté de ces écrits relevant, par leur forme, de
l’Histoire
religieuse, et par leur fond, d’une haineuse apologie du catholicisme,
le lien
entre Cathares et Templiers fut évoqué par nombre
d’ouvrages ésotériques du XIXe
siècle. E. Aroux, dans ses analyses ésotériques de
l’œuvre de Dante
(1265-1321), revient à plusieurs occasions sur le fait que
Cathares et
Templiers sont les membres d’une seule et même «
église ». L’affirmation est
formulée en 1856, dans Clef de la comédie
anti-catholique de Dante Alighieri, pasteur de l’Eglise albigeoise dans
la
ville de Florence, affilié à l’Ordre du Temple, et
sera reprise en en 1857,
dans ses Preuves de l’hérésie de Dante.
Selon l’auteur, une fusion aurait été
réalisée entre l’Ordre du Temple et les
Cathares, qui aurait donc formés une sorte de fraternité
invisible œuvrant dans
la clandestinité au réveil de la religion maudite. Une histoire occulte que l’on retrouvera au
sein de certaines sociétés plus ou moins secrètes
du XIXe siècle. Autant les œuvres
catholiques sont clairement diffamatoires,
autant les écrits émanant d’ésotéristes ou
de cénacles ésotériques, interrogent
l’Ame appelée par la Grande Quête. N’y a-t-il là
que rêveries ? Ou ces
affirmations évoquant une invisible et secrète alliance
entre damnés ont-elles
un fond de vérité ? C’est sur les terres catalanes
qu’il est permis de
trouver de concrets éléments de réponse à
cette question. Dans
les plaines s’étendant sous la silhouette tutélaire du
Canigou, les dernières ruines de la commanderie du Mas
Déu gardent
silencieusement la mémoire de cette histoire occultée. De
l’époque templière,
il ne reste plus aujourd’hui, au milieu d’un gigantesque domaine
abandonné aux
lierres et aux arbres, qu’une solitaire chapelle. Seule elle
évoque encore une
histoire évanouie, une histoire dont le spectral souvenir flotte
encore dans
cette atmosphère baignée de soleil et dont quelques
vieilles archives gardent
encore la trace.
Actes
de donations et d’affiliations prouvent que des liens
concrets ont existé entre Templiers du Mas Déu et
familles hérétiques. De
nombreux membres de ces familles, gagnés eux-mêmes
à l’hérésie cathare, sont
des bienfaiteurs du Mas Déu. Ainsi de Pons II de Vernet, qui se
retira au Mas
Déu où il mourra en 1223. Les dominicains Pierre de
Cadireta et Bernard de Bac
conduiront à son encontre un procès pour catharisme.
Suite à celui-ci, il est
jugé et condamné post-mortem – sordide pratique,
courante, de l’entreprise
terroriste ourdie par l’Église. Déterrés, ses
restes sont brûlés en 1263.
Arnaud de Mudagons, autre cathare proche des Templiers du Mas
Déu, connaîtra le
même sort. Le
cas de Pierre de Fenouillet, dont on trouve trace à
Montségur en 1226, et lors de la désespérée
tentative de reconquête occitane
menée en 1240, à côté de Raymond Trencavel
et Olivier de Termes, plus documenté
que les deux précédents, offre une vision plus
saisissante encore de la
parfaite tolérance des Templiers à l’égard des
hérétiques. Retiré au Mas Déu en
1242, Pierre de Fenouillet meurt en ses murs très rapidement
après. En 1261,
l’inquisiteur Pons du Pouget ouvre un procès à son
encontre. Ce dernier accuse
Pierre de Fenouillet d’avoir fréquenté les Cathares et de
s’être rallié à leur
doctrine. Mais plus étonnant, il signale que c’est au sein
même du Mas Dèu,
que, peu avant sa mort, Pierre de Fenouillet épousa
complétement la foi
cathare. Y étant visité par des Cathares, il se prosterne
devant eux et demande
à Dieu d’être fait « bon chrétien » et
conduit par les hérétiques « vers la
vraie foi. » « Les hérétiques lui ayant
répondu à leur manière, il a écouté
leurs sermons. C’est ainsi que durant la maladie qui le conduisit
à la mort,
quatre hérétiques vinrent, deux par deux,
l’hérétiquer » accuse Pons du Pouget.
La condamnation de ce dernier est ainsi sans appel : « …ses os
seront, si on
peut les reconnaître et les mettre à part,
déterrés du cimetière des fidèles et
brûlés… » C’est
l’esprit habité par ces scènes émouvantes et
terribles
que je me suis rendu devant les restes de la chapelle, depuis longtemps
convertie en grange. Toute drapée de lierre, entourée de
vieux arbres, vidée de
tout contenu religieux, elle est comme un livre dont les pages auraient
été
dépouillées de leur encre… On voudrait y lire les secrets
dont elle fut jadis
le témoin, mais plus rien n’y est lisible du moins par les sens
externes. Bien
qu’elle reste en grande partie intangible, ici le vent soufflant
soulève les
voiles d’une histoire interdite. Une histoire obsédante comme un
inaccessible
souvenir, dont on ne perçoit que quelques bribes sans pouvoir en
saisir la
totalité.
Une
histoire dont la trame occulte se retrouve en d’autres
sites d’une Catalogne gardienne de bien des secrets. À Puig
Reig, en Catalogne
sud, l’église Saint Marti de Puig Reig conserve des fresques
datant de
l’occupation templière du site. C’est un autre lieu troublant,
où là encore se
devinent des liens forts entre l’Ordre du Temple et des familles
cathares. Or,
on trouve, dans la décoration de l’édifice
(réalisée par les Templiers) un
motif reconnu comme dualiste par les historiens académiques. Il s’agit d’un amphisbène : un
serpent doté
de deux têtes, chacune disposée à une
extrémité de son corps – ce qui lui
permettait de marcher dans les deux sens. C’est de cette
particularité que lui
vient d’ailleurs son nom, Amphibaina
signifiant en grec « celui qui marche des deux côtés
»… Si le motif
mythologique remonte à l’Antiquité (l’amphisbène
et ses vertus magiques y sont
alors évoqués par plusieurs auteurs), nombreux sont les
historiens qui
associent sa représentation dans l’église de Puig Reig
à la présence des
Cathares et au dualisme de ceux-ci. L’amphisbène, par sa double
polarité, est
en effet un symbole fort des Deux Principes. Ainsi
les Templiers ont-ils tracé en leur sanctuaire un des
symboles majeurs de l’hérésie dualiste. Symbole majeur
que je retrouvais dans
un des plus saisissants lieux que ma marche dans l’Ombre des Templiers
m’ait
donné l’occasion de parcourir : la singulière
église de Montsaunès
(Haute-Garonne). Celle-ci fut longtemps connue pour les 52 têtes
énigmatiques
de son porche d’entrée. Puis furent découvertes en son
sein des fresques
remontant à l’époque templière, dont une
saisissante vision de la pesée des
âmes où apparait, indistinct mais néanmoins
perceptible, le grand Anubis.
Ailleurs sur ces murs, où se croisent centaures et
mystérieux motifs
géométriques, l’œil découvre un amphisbène.
Là aussi, l’hérésie a déployé ses
ailes membraneuses ! Ainsi, en
rassemblant un à un les éclats de cette histoire
oubliée, il m’apparaissait de plus en plus certain que certains
Templiers
avaient non seulement protégé des Cathares, mais avaient
en outre épousé leur
foi. Doit-on dès lors supposer que certains Templiers eurent
leur rôle à jouer
dans la mise à l’abri du mystérieux Trésor
évacué par quatre cathares de
Montségur, une certaine nuit de mars 1244 ? Avec cette
question, s’ouvre
la grande quête du Chemin perdu… Une quête qui conduit
jusqu’à un autre
singulier monument, l’église de Planès, dans les
Pyrénées-Orientales, dans les
hautes terres du Vallespir, puis sur le littoral, en l’église de
Villelongue-de-la-Salanque… Et encore ailleurs, dans un de ces
sanctuaires
catalans où le Temps se dissout…
Christian Doumergue
![]() Christian
Doumergue a publié L’Ombre des Templiers aux
éditions de l’Opportun <
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