RUBRIQUE
CATHARES-TEMPLIERS

Mai 2016






Par
Christian Doumergue


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Cathares et Templiers

Cathares et Templiers ont laissé une image spectrale d’une rare puissance dans les âmes sensibles au Mystère du monde. Le premier de ces deux mouvements est clairement une hérésie. L’autre a été suspecté et condamné pour hérésie. Appartenant l’un et l’autre aux grands damnés de l’Église, il était difficile qu’ils ne fussent pas rapprochés par certains esprits. Que l’on ne chercha pas à voir une forme de connivence entre eux.

C’est dans la littérature antimaçonnique de la toute fin du XVIIIe siècle, alors que du grand chaos qui secoue l’Europe nait l’Histoire conspirationniste, que l’on commence à trouver des traces d’un lien génétique entre Cathares et Templiers. Le but est alors de créer une véritable généalogie du mal. Cette œuvre, c’est Augustin Barruel (1741-1820) qui l’accomplit. Barruel, un prêtre jésuite, un homme de Dieu entièrement gagné à la cause catholique. Il est celui qui va durablement imposer dans les esprits que la Révolution Française est l’œuvre de la Franc-Maçonnerie. C’est cette dernière qui est la cible de Barruel. Cette dernière qu’il aspire à écraser. Pour cela, il s’attelle à démontrer son origine « diabolique ». Ce qui l’amène à la rattacher à certaines des pires hérésies qu’a combattu l’Église. Barruel défend ainsi l’idée que la Franc-Maçonnerie descend de l’Ordre du Temple. Ce dernier ayant été accusé des pires infamies, la Franc-Maçonnerie ne peut que porter le même mal en ses veines. Pour le prêtre, les Maçons tirent donc leur hérésie des Templiers. Mais à quelle source obscure les Templiers avaient-ils eux-mêmes bu ? Barruel est convaincu que certains Maçons, au cours de leur recherche, ont découvert ce poison originel. Une découverte qu’ils auraient tue, car trop terrible pour être révélée. Barruel aurait cependant réussi à soulever ce voile. Derrière lui, c’est le visage terrible des Cathares qu’il découvre.  Il consacre de longs développements à asseoir cette filiation dans les esprits, inventoriant notamment les similitudes entre Cathares et Maçons. Sous sa plume, les « plus infâmes mystères » des Francs-Maçons, et « ceux des Templiers », trouvent tous leur origine dans le mouvement cathare, et, au-delà de celui-ci, dans le manichéisme – dont les historiens des religions qu’a lu Barruel, reprenant les propos des hérésiologues du moyen-âge, affirment qu’il est l’ancêtre du catharisme.


Tout au long du XIXe siècle, plusieurs études s’attachant à définir l’origine de l’hérésie templière reprendront cette filiation gnostico-manichéenne. Un lien de plus en plus fort sera ainsi tissé entre Cathares et Templiers. On en trouve l’exemple dans les études de Prosper Mignard (1802-1891) consacrées à l’énigmatique coffret du duc de Blacas. Après avoir établi diverses analogies entre Cathares et Templiers, Mignard va jusqu’à affirmer que la répression de l’Église à l’égard des Templiers s’explique par le fait que le Pape avait parfaitement identifié l’origine cathare de l’hérésie templière.

À côté de ces écrits relevant, par leur forme, de l’Histoire religieuse, et par leur fond, d’une haineuse apologie du catholicisme, le lien entre Cathares et Templiers fut évoqué par nombre d’ouvrages ésotériques du XIXe siècle. E. Aroux, dans ses analyses ésotériques de l’œuvre de Dante (1265-1321), revient à plusieurs occasions sur le fait que Cathares et Templiers sont les membres d’une seule et même « église ». L’affirmation est formulée en 1856, dans Clef de la comédie anti-catholique de Dante Alighieri, pasteur de l’Eglise albigeoise dans la ville de Florence, affilié à l’Ordre du Temple, et sera reprise en en 1857, dans ses Preuves de l’hérésie de Dante. Selon l’auteur, une fusion aurait été réalisée entre l’Ordre du Temple et les Cathares, qui aurait donc formés une sorte de fraternité invisible œuvrant dans la clandestinité au réveil de la religion maudite.  Une histoire occulte que l’on retrouvera au sein de certaines sociétés plus ou moins secrètes du XIXe siècle.

Autant les œuvres catholiques sont clairement diffamatoires, autant les écrits émanant d’ésotéristes ou de cénacles ésotériques, interrogent l’Ame appelée par la Grande Quête. N’y a-t-il là que rêveries ? Ou ces affirmations évoquant une invisible et secrète alliance entre damnés ont-elles un fond de vérité ? C’est sur les terres catalanes qu’il est permis de trouver de concrets éléments de réponse à cette question.

Dans les plaines s’étendant sous la silhouette tutélaire du Canigou, les dernières ruines de la commanderie du Mas Déu gardent silencieusement la mémoire de cette histoire occultée. De l’époque templière, il ne reste plus aujourd’hui, au milieu d’un gigantesque domaine abandonné aux lierres et aux arbres, qu’une solitaire chapelle. Seule elle évoque encore une histoire évanouie, une histoire dont le spectral souvenir flotte encore dans cette atmosphère baignée de soleil et dont quelques vieilles archives gardent encore la trace.


Actes de donations et d’affiliations prouvent que des liens concrets ont existé entre Templiers du Mas Déu et familles hérétiques. De nombreux membres de ces familles, gagnés eux-mêmes à l’hérésie cathare, sont des bienfaiteurs du Mas Déu. Ainsi de Pons II de Vernet, qui se retira au Mas Déu où il mourra en 1223. Les dominicains Pierre de Cadireta et Bernard de Bac conduiront à son encontre un procès pour catharisme. Suite à celui-ci, il est jugé et condamné post-mortem – sordide pratique, courante, de l’entreprise terroriste ourdie par l’Église. Déterrés, ses restes sont brûlés en 1263. Arnaud de Mudagons, autre cathare proche des Templiers du Mas Déu, connaîtra le même sort.

Le cas de Pierre de Fenouillet, dont on trouve trace à Montségur en 1226, et lors de la désespérée tentative de reconquête occitane menée en 1240, à côté de Raymond Trencavel et Olivier de Termes, plus documenté que les deux précédents, offre une vision plus saisissante encore de la parfaite tolérance des Templiers à l’égard des hérétiques. Retiré au Mas Déu en 1242, Pierre de Fenouillet meurt en ses murs très rapidement après. En 1261, l’inquisiteur Pons du Pouget ouvre un procès à son encontre. Ce dernier accuse Pierre de Fenouillet d’avoir fréquenté les Cathares et de s’être rallié à leur doctrine. Mais plus étonnant, il signale que c’est au sein même du Mas Dèu, que, peu avant sa mort, Pierre de Fenouillet épousa complétement la foi cathare. Y étant visité par des Cathares, il se prosterne devant eux et demande à Dieu d’être fait « bon chrétien » et conduit par les hérétiques « vers la vraie foi. » « Les hérétiques lui ayant répondu à leur manière, il a écouté leurs sermons. C’est ainsi que durant la maladie qui le conduisit à la mort, quatre hérétiques vinrent, deux par deux, l’hérétiquer » accuse Pons du Pouget. La condamnation de ce dernier est ainsi sans appel : « …ses os seront, si on peut les reconnaître et les mettre à part, déterrés du cimetière des fidèles et brûlés… » 

C’est l’esprit habité par ces scènes émouvantes et terribles que je me suis rendu devant les restes de la chapelle, depuis longtemps convertie en grange. Toute drapée de lierre, entourée de vieux arbres, vidée de tout contenu religieux, elle est comme un livre dont les pages auraient été dépouillées de leur encre… On voudrait y lire les secrets dont elle fut jadis le témoin, mais plus rien n’y est lisible du moins par les sens externes. Bien qu’elle reste en grande partie intangible, ici le vent soufflant soulève les voiles d’une histoire interdite. Une histoire obsédante comme un inaccessible souvenir, dont on ne perçoit que quelques bribes sans pouvoir en saisir la totalité.


Une histoire dont la trame occulte se retrouve en d’autres sites d’une Catalogne gardienne de bien des secrets. À Puig Reig, en Catalogne sud, l’église Saint Marti de Puig Reig conserve des fresques datant de l’occupation templière du site. C’est un autre lieu troublant, où là encore se devinent des liens forts entre l’Ordre du Temple et des familles cathares. Or, on trouve, dans la décoration de l’édifice (réalisée par les Templiers) un motif reconnu comme dualiste par les historiens académiques.   Il s’agit d’un amphisbène : un serpent doté de deux têtes, chacune disposée à une extrémité de son corps – ce qui lui permettait de marcher dans les deux sens. C’est de cette particularité que lui vient d’ailleurs son nom, Amphibaina signifiant en grec « celui qui marche des deux côtés »… Si le motif mythologique remonte à l’Antiquité (l’amphisbène et ses vertus magiques y sont alors évoqués par plusieurs auteurs), nombreux sont les historiens qui associent sa représentation dans l’église de Puig Reig à la présence des Cathares et au dualisme de ceux-ci. L’amphisbène, par sa double polarité, est en effet un symbole fort des Deux Principes.

Ainsi les Templiers ont-ils tracé en leur sanctuaire un des symboles majeurs de l’hérésie dualiste. Symbole majeur que je retrouvais dans un des plus saisissants lieux que ma marche dans l’Ombre des Templiers m’ait donné l’occasion de parcourir : la singulière église de Montsaunès (Haute-Garonne). Celle-ci fut longtemps connue pour les 52 têtes énigmatiques de son porche d’entrée. Puis furent découvertes en son sein des fresques remontant à l’époque templière, dont une saisissante vision de la pesée des âmes où apparait, indistinct mais néanmoins perceptible, le grand Anubis. Ailleurs sur ces murs, où se croisent centaures et mystérieux motifs géométriques, l’œil découvre un amphisbène. Là aussi, l’hérésie a déployé ses ailes membraneuses !

Ainsi, en rassemblant un à un les éclats de cette histoire oubliée, il m’apparaissait de plus en plus certain que certains Templiers avaient non seulement protégé des Cathares, mais avaient en outre épousé leur foi. Doit-on dès lors supposer que certains Templiers eurent leur rôle à jouer dans la mise à l’abri du mystérieux Trésor évacué par quatre cathares de Montségur, une certaine nuit de mars 1244 ? Avec cette question, s’ouvre la grande quête du Chemin perdu… Une quête qui conduit jusqu’à un autre singulier monument, l’église de Planès, dans les Pyrénées-Orientales, dans les hautes terres du Vallespir, puis sur le littoral, en l’église de Villelongue-de-la-Salanque… Et encore ailleurs, dans un de ces sanctuaires catalans où le Temps se dissout…


Christian Doumergue

Christian Doumergue a publié L’Ombre des Templiers aux éditions de l’Opportun

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