LES GUERRES DU PILAT





Septembre 2011









Par Patrick Berlier






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Le combat de Malifaux


Pour ce nouveau dossier consacré aux guerres du Pilat, nous abandonnons provisoirement le récit de batailles historiques pour entrer dans le domaine des batailles légendaires. Mais comme l’a dit un grand penseur : « derrière la fumée des légendes se cache toujours le feu de l’Histoire. »

Avec l’article consacré à l’énigme de la Font-Ria, dans la série sur les eaux du Pilat, nous avions fait la connaissance de Louis Jacquemin, prêtre de la paroisse de Saint-Genest-Malifaux au XVIIe siècle, et poète à ses heures. Il est l’auteur d’un texte, daté de 1623, intitulé « Antiquitez du lieu de Saint-Genez de Mallifaut et environs. » Par modestie (ne signe-t-il pas « L. Jacquemin, prestre indigne », signe d’humilité d’un jeune ecclésiastique encore ému de son tout récent sacerdoce ?), il le fera réciter par le jeune François Rousset, fils du notaire royal Jehan Rousset. C’est dans ce poème qu’il évoque la Font du Roy, devenue par déformation patoise Font-Ria. Le narrateur y est interpellé par une nymphe qui lui enjoint de quitter ce lieu, ou de chanter par ses vers sa renommée, qu’elle va lui faire connaître :

 
Ton pais, ta patrie, que l’oublieux silence

A caché, jusqu’icy, aux peuples de la France.

Je te feray scavant de ses antiquitez ;

Je te veux faire voir toutes ses raretez.

Suit un récit mouvementé, racontant comment le grand Hercule, aidé de ses soldats gaulois, a chassé les brigands des bois du Pilat. Histoire imaginaire mais sans doute inspirée du récit d’une bataille ancestrale, remontant peut-être à l’époque romaine, déformé et enjolivé au fil des siècles. C’est surtout un prétexte à calembours approximatifs, comme on les aimait en ce début de XVIIe siècle, tentant d’expliquer, par les divers épisodes de ce combat, les toponymes rencontrés autour de Saint-Genest-Malifaux.





Vue générale du site de Saint-Genest-Malifaux


Hercule donc, non content d’avoir accompli ses douze travaux, arrive un jour dans les bois de Saint-Genest pour en déloger les brigands qui en avaient fait leur repaire. Louis Jacquemin précise en préambule :

 
Ce n’estoyent pas des boys comme ils sont à présent,

La Tesbaide d’Egipte ils aloyent surpassant

Sans nimphes, sans échos, grandz, désertz et toufus,

Pleins d’espines, de ronces et de buissons confus

On sait en effet que les forêts de jadis n’étaient en réalité que des taillis épineux et touffus, sans grand rapport avec les forêts telles que nous connaissons aujourd’hui. Commence ensuite le récit de la bataille proprement dite, dont nous pouvons facilement suivre le déroulement sur une carte. Tout va mal pour les larrons :

Ce fut au bois Terné où se ternit leur gloire,

Car là on commença à gaigner la victoire,

La plus grande part pourtant s’enfuirent eschapez

Jusqu’au boys de la Trappe où ils furent attrapez.

Le Bois Ternay est au nord-ouest de Saint-Genest-Malifaux, en direction de Saint-Romain-les-Atheux. Son nom ne vient pas du souvenir d’une gloire ternie. Il faut en chercher l’origine à partir de son orthographe ancienne Blaternay (1542), qui semble née de la contraction de deux mots gallo-romains : « blato » - blé – et « terrenum » - terre. Avant d’être une forêt, le Bois Ternay aurait été une vaste terre à blé.





Le Bois de la Trappe (carte postale ancienne)


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Les brigands, poursuivis par les soldats gaulois, s’enfuient plein sud, ils franchissent la Semène, obliquent à l’est et tentent de trouver refuge dans le bois de la Trappe, au sud de Saint-Genest. Là ils sont attrapés, pris au moyen d’une trappe, puisque telle est en effet l’origine du nom Trappe. Dans ce bois devaient se trouver des pièges pour animaux. Les survivants, fuyant toujours vers l’est, sortent du Bois de la Trappe pour gagner le Bois du Sapt :

 Ils gaignent Chaut-daré la prouchaine fondrière :

Fuyons, dit l’un à l’autre, il faict trop chaut derrière.





Carte du combat de Malifaux



Chaudaret est à 2 km au sud de Saint-Genest, c’est un petit hameau de quelques maisons isolées sur un replat en bordure du Bois du Sapt. Si son nom est bien la forme patoise de chaud derrière, ici le mot chaud doit se comprendre comme toutes les nombreuses « Chaux » du Pilat : du latin « calmis » - plateau dénudé. C’est donc la « chaux derrière », le plateau dénudé situé derrière le bois, ce qui est la parfaite description du lieu. Louis Jacquemin laisse les brigands à leur triste sort pour s’intéresser à leur chef, posté sur une éminence sans doute, comme tout bon chef de guerre en compagnie de son état-major :

 
Leur chef sur Mont-Bouffict, tout boufy d’arogance,

Bien qu’il perdît des siens, ne perd pas l’espérance,

Se jete en Mont-reveil, où plusieurs ses amys

Au doux zéphir du boys s’estoient là endormis.

Il les réveille tous, au combat les exorte :

Il faut mourir ou vaincre, ainsi l’honneur s’emporte ;

On chercherait en vain un Mont-Bouffict sur la carte de Saint-Genest-Malifaux. Il faut sans doute y voir Montboissier, éminence allongée dominant le coude de la Semène, au sud du village, où s’est implanté un lotissement dans les années soixante. Certes on peut imaginer qu’un u se soit transformé en i, deux f en deux s, un c en e, un t en r, et ainsi Mont-Bouffict serait devenu Montboissier. Mais trop c’est trop, et ce Mont-Bouffict semble né uniquement de l’imagination de Louis Jacquemin, dans la volonté de faire un calembour avec le mot bouffi. Montboissier désigne en réalité un mont couvert de buissons ou de buis.






Le coude de la Semène et les premières pentes de Montboissier


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Le chef des bandits descend alors plein est pour gagner Mont-reveil, autre toponyme qui semble né de l’imagination de l’auteur, aux fins de calembour, puisqu’il s’agit en réalité de Montravel, jadis propriété d’une famille Ravel. Le chef et ses troupes fraîches poursuivent plein est, tandis que l’autre partie depuis Chaudaret traverse le Bois du Sapt d’ouest en est, puis oblique plein nord dans le Bois Frison pour gagner le Bois Cognet. Les deux colonnes de brigands se rejoignent alors vers le hameau de la Pauze, aux abords du Grand Bois, sur les rives de la Semène. Mauvais choix car là les attend Hercule et le gros de sa troupe. Le combat s’annonce farouche : 

Puis les ayant rangé, gaignent vers le Grand-Boys.

Mais Hercules premier y avoyt ses Gauloys,

Qui là, en embuscade, avoit faict une pause.

 Le hameau de la Pauze, connu depuis 1337, ne doit évidemment pas son nom à une pause qu’auraient marqué en ce lieu les Gaulois d’ Hercule. Même s’il est placé sur le vieux chemin muletier de Saint-Étienne à Bourg-Argental, tout près du Château du Bois, en un lieu où il était effectivement loisible de marquer une pause. Ce nom est plus vraisemblablement dérivé de l’ancien français « pose » - mesure agraire.





La Pauze en hiver, siège du combat principal (photo P. Berlier)


Louis Jacquemin nous livre alors le récit « de ce mortel combat, qui fuit, qui suit, qui tue, qui abat, qui débat », au long d’une quinzaine de vers librement inspirés des Odes de Ronsard. Au final les brigands sont décimés :

 Le ruisseau de Semène fut tout semé de corps

Et leur sang frais versé fit tout rougir ses bordz ;

 La Semène, nom déjà attesté aux alentours de l’an mille, n’a jamais été semée de corps ! Elle doit son nom au gaulois « sam » - tranquille. Il en est de même pour les multiples rivières de France composées sur la racine sam – sem – som. Les brigands rescapés se regroupent et fuient vers le nord-ouest, tentant de gagner le Bois Farost, au nord de Saint-Genest. Mais les vainqueurs les rattrapent à Maurianne, hameau près du château de Pérusel, et les achèvent à coups d’arcs et de hallebardes :

 Les fuards ramassez font un gros en Morianne

Où les soldatz vaincueurs, d’arc et de pertuisanne

Les pamairent de vie, et Moriane, pour lors,

Fut toute ensanglantée et couverte de mortz,

 Le hameau de Maurianne doit plus vraisemblablement son nom au latin « maurus » - sombre – pour la couleur de son bois.

 Les chevaux délaissés pour leurs playes mortelles

                  Furent mangés des loups, n’en restant que les selles,

Louis Jacquemin tente d’expliquer ce toponyme Les Selles, proche du château de Pérusel, dont l’orthographe ancienne La Celle (1542) indique en réalité un ermitage, du latin « cella » qui a donné le mot cellule, au sens monastique du terme. Mais comme beaucoup de toponymes de cette origine, le nom incompris a été transformé en « selle », un mot beaucoup plus familier.





Le Bois Farost (carte postale ancienne)


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Quelques survivants tentent alors de se cacher dans le tout proche Bois Farost, mais Hercule les y attend pour les « dépescher » (exterminer, en ancien français). L’auteur nous explique alors que quelques très rares rescapés s’installent sur le lieu où ils sont et s’y enracinent pour échapper à la guerre, ce qui serait à l’origine de quelques toponymes des environs. C’est ainsi que le Bois Farost devrait son nom au fait que le roi des brigands y avait trouvé refuge :

 Et ce nom Farao fut donné à ce boys,

Qui avoit honnoré en Egipte les roys ;

 Il est vrai que le nom Farost (Farouz en 1243) est obscur. Faut-il y voir le germain « fara » - famille, dans le sens de domaine, le provençal « far » - phare, lieu de signalisation, ou le celtique « fara » - lointain ? Aucun rapport, en tous cas, avec l’Égypte et ses pharaons, et l’orthographe Farao bien fantaisiste semble être une fois de plus une invention de Louis Jacquemin. Dans le même esprit de calembour plus qu’approximatif, l’auteur affirme aussi :

 
Un des siens que le Ciel avoit tant fortunné

Qu’il estoit plein de biens avant que d’estre nay,

Premier bastit Pléné et les champs d’alentour

Lors luy furent donnés pour estre son séjour.

 Le hameau de Pléney ou Pleiney, sur la route du Treyve à la Ricamarie (Planoy en 1343) doit son nom en réalité au latin « platanus » - platane, désignant un lieu planté de ces arbres. Pour rendre grâce aux dieux de leur avoir donné la victoire, Hercule et ses Gaulois auraient alors dressé un autel au milieu de ces lieux, à l’emplacement de Saint-Genest-Malifaux, nom que l’auteur tente d’expliquer par un ultime jeu de mots alambiqué :

 
Ce lieu s’appeloit lors Malliatrop [mal y a trop], par mistère,

À cause des grands maux que l’on y souloit faire [qu’on avait l’habitude d’y faire] ;

Mais lon changea son nom, son malheur en bonheur,

L’appelant Mallifaut [mal y faut, y fait défaut], privé de tout malheur,

 
On sait aujourd’hui que Malifaux est probablement dérivé de « mille faux » - mille fayards, nom local du hêtre. Mais ce nom merveilleux a vu naître bien des versions, comme celle – toujours au XVIIe siècle – du chanoine Jean-Marie de la Mure, qui y voyait le latin « malis falcibus » - la faux de la mort. Il imaginait le ravin de la Semène comme le lieu du suicide de Ponce Pilate.





Le village de Saint-Genest-Malifaux aujourd’hui


Un détail à la fin du poème attire l’attention :

 
Puis, peupla de soldatz, des premiers de ses troupes,

Les plaines d’alentour, les vallons et les crouppes,


Cela ne rappelle-t-il pas la vieille coutume romaine qui voulait que l’on donne aux légionnaires vétérans quelques lopins de terre pris à l’ennemi ? Certes la région de Saint-Genest ne semble guère avoir intéressé les Romains : on n’y trouve en particulier aucune voie romaine, la plus proche venait de Chaubouret par les Trois Croix et se dirigeait sur Marlhes en passant très au large du village actuel, ce qui semble prouver qu’il n’existait pas alors en temps que tel. Néanmoins l’implantation d’une colonie romaine, même modeste, consécutive à une bataille, n’est pas à exclure. D’ailleurs n’a-t-on pas trouvé des céramiques gallo-romaines près de la Font-Ria ?

 Tel est bien le souvenir que semble rapporter le poème de Louis Jacquemin, une fois débarrassé de ses calembours qui devaient tout au plus amuser le petit cercle de ses familiers.



 Sources :

- « Deux sources qui parlent – l’énigme de la Font-Ria », par le Père Jean Granger, édité par ses soins en 1971.

- « Dictionnaire topographique du Forez », J.-E. Dufour, Macon, imprimerie Protat frères, 1946.

- « Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France », Albert Dauzat, Larousse 1963. Et du même auteur « Dictionnaire étymologique des noms de rivières et de montagnes en France », éditions Klincksieck 1982.


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