REPORTAGE SUR LE TERRAIN
SEPTEMBRE 2015




Par Patrick Berlier



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DANS LES PAS DES TEMPLIERS DU PILAT

 

 

Les Regards du Pilat ont déjà consacré une page aux Templiers du Pilat, mais c’était en 2005, dix ans déjà. De nouvelles découvertes nous amènent à revenir sur le sujet pour célébrer cet anniversaire. C’est au cours de sa balade annuelle, le 11 août 2015, que l’équipe a fini par trouver un chaînon manquant essentiel.

 

LE LINTEAU DE PORTE DE LA CHAPELLE DU TEMPLE ENFIN COMPLÈTE

La commanderie de Marlhes possédait une église conventuelle, ou chapelle, inventoriée par les révolutionnaires de 1789 comme étant dédiée à saint Jean-Baptiste, un vocable que l’on doit plutôt aux Hospitaliers ou chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, qui succédèrent aux Templiers. Vendue comme bien national, puis démolie quelque temps plus tard, ses pierres avaient été récupérées et intégrées à de nouvelles constructions. En particulier, on le savait depuis longtemps, un fragment du monumental linteau de porte avait été remployé pour une ferme au hameau du Rozet. Depuis notre dernière visite, une auberge s’est installée dans l’ancienne étable, mais le linteau est toujours en place, au-dessus de la porte d’entrée du restaurant.

 

Le Rozet aujourd’hui

 

À partir de ce vestige, j’avais tenté une restitution de la totalité du portail, que vous retrouverez dans la page Balade dans le Pilat médiéval. Je savais qu’un autre fragment tout aussi important avait été réutilisé quelque part dans le village de Marlhes, selon ce que signale l’ouvrage Le pays de Saint-Genest édité par la Société d’Histoire du Pays de Saint-Genest-Malifaux. Quelqu’un de bien informé m’avait même dit : « je sais où il est… » Mais cet informateur ne m’en avait pas dit plus… C’est finalement notre ami Antoine Herrgott, qui, intrigué par une pierre de remploi intégrée à la maçonnerie d’un petit immeuble de Marlhes, a tenu à nous la montrer. Le doute n’est plus possible, il s’agit bien du second morceau du linteau de porte de la chapelle du Temple. Comme celui du Rozet, il a été placé à l’envers par rapport à son sens d’origine.

 

Façade d’un immeuble de Marlhes avec pierre de remploi

 

Nous l’avons naturellement photographié. Pas facile d’ailleurs, car il s’agit d’une façade secondaire qui n’est pas parallèle à la rue. Impossible alors de se placer en face, comme c’est le cas pour le linteau du Rozet. De plus la pierre est un peu en hauteur. Donc il s’en suit que le cliché présente une double déformation due à la perspective, dans le sens horizontal comme dans le sens vertical. Heureusement, un bon logiciel de retouche photo permet corriger le problème, et de restituer ce fragment comme s’il était photographié de face. Le voici donc après traitement…

 

En haut : le fragment de linteau intégré à la façade.

En bas : le même fragment détouré et retourné.

 

Quelques observations s’imposent, avant d’aller plus avant et de tenter une nouvelle reconstitution. D’abord, comme son homologue du Rozet, ce fragment est constitué d’une moitié d’arc surbaissé et d’une accolade. Le portail de la chapelle était donc, contrairement à ce que j’imaginais à l’origine, constitué de trois portes : deux étroites portes latérales – coiffées chacune d’une accolade – encadrant une grande porte centrale – arc surbaissé. L’accolade de Marlhes est ornée de deux symboles circulaires. Disons des « cibles » pour faire simple et pour user d’une comparaison facile, en fait des triples cercles concentriques. L’accolade du fragment du Rozet est elle aussi ornée d’un triple cercle, ainsi que d’une rouelle à six rais. Le linteau complet possédait donc une rouelle et trois triples cercles, d’inégales grandeurs. Il y a aussi au Rozet un octogone engrêlé, absent à Marlhes. En réalité, il devait y être à l’origine, car un examen attentif montre qu’un morceau du fragment de Marlhes a disparu, et son extrémité détachée a été raboutée au reste. Était-ce comme au Rozet un octogone, ou un autre symbole ? Nous ne le saurons jamais sans doute. De même a disparu la clé de voûte qui devait se placer entre les deux moitiés de l’arc. Enfin on remarque la présence, dans la pointe de l’accolade, d’un cœur renversé, au Rozet comme à Marlhes. Sans doute cette manière de placer un cœur renversé dans une accolade est-elle assez commune, car on la retrouve dans la maison des Chartreux de Prarouet à Tarentaise, qui – a priori – ne doit rien aux Templiers.

 

Les éléments du décor du linteau de porte

 

Le fragment de Marlhes paraît au premier coup d’œil moins long que celui du Rozet. Normal, puisqu’il manque un morceau. Il paraît aussi moins large. En fait, il manque aussi un morceau dans l’épaisseur, ce qui se remarque au fait que les deux anneaux et la pointe de l’accolade sont « rabotés », ce qui n’est pas le cas au Rozet. En conclusion, le demi linteau du Rozet a été remployé intact, alors que celui de Marlhes, plus abîmé, a subi plusieurs transformations. Toutes ces observations me permettent de proposer une première restitution du linteau complet.

 

Première restitution du linteau de porte de la chapelle des Templiers

 

Sans entrer dans les détails, il est intéressant de relever le symbolisme de ce décor, lequel nous laisse penser que la chapelle remontait bien aux Templiers.

La rouelle est un symbole solaire qui fut utilisé entre autres par les Templiers. Elle représente d’une manière stylisée à la fois le soleil et son rayonnement, exprimé par l’ondulation des rayons.

L’octogone est la figure dans laquelle s’inscrit naturellement la croix pattée des Templiers. L’architecture templière s’en est beaucoup inspirée.

Le triple cercle, c’est la triple enceinte, les trois cercles de l’existence des croyances celtiques. Sous une forme circulaire ou carrée, la triple enceinte a été représentée en particulier par les Templiers prisonniers de Chinon.

Enfin il faut noter les nombres qui découlent de ces symboles. Le 3 généré par les trois triples cercles, c’est la Trinité, également exprimée par le nombre de portes. Le 6 généré par les six rais de la rouelle, les six jours de la création. Le 8 généré par l’octogone, chiffre de perfection.

Voici pour conclure une nouvelle reconstitution virtuelle du portail de la chapelle du Temple. Sans prétendre être le reflet exact de la réalité historique, elle s’en rapproche sans doute encore un peu.

 

Nouvelle reconstitution du portail de la chapelle du Temple

 

DE MARLHES À L’ESPINASSE, À LA RECHERCHE DES CROIX PATTÉES

Notre balade commençait sous les meilleurs auspices. Nous avons décidé de poursuivre, dans les pas des Templiers du Pilat.

à Marlhes, la petite rue Traversière, parallèle à la grande place Saint Marcellin Champagnat, recèle une belle croix pattée, inscrite dans un cercle, gravée en creux dans la pierre d’angle d’un petit immeuble. Par le linteau de porte, nous savons que cette maison ne date que de 1854. Il s’agit donc, soit d’une pierre de remploi, soit plutôt d’un hommage aux Templiers, à deux pas de la rue qui leur est dédiée.

 

Croix pattée à Marlhes

 

Ensuite direction Marlhette, et plus précisément le hameau du Temple. De l’ancienne commanderie, il reste la disposition générale en octogone, et le bâtiment dans lequel les Hospitaliers avaient établi leur maladrerie. Au début du XXe siècle on y voyait encore toute une série de lits-placards. Un arc en anse de panier surmonte la porte. Ses pierres sont gravées : à gauche la date 1611, à droite une croix pattée inscrite dans un octogone, au centre un blason portant ces simples initiales :

I S I P

Puis nous suivons l’ancien bief qui alimentait le moulin, et servait aussi de fossé de défense, d’abreuvoir et de vivier. Du moulin des Templiers il ne reste que quelques pierres, mais le bief, sa retenue et sa levée (remblai) sont par contre toujours bien visibles.

 

L’ancien bief du moulin

 

L’ouvrage déjà cité Le pays de Saint-Genest mentionne l’existence d’une pierre tombale du XIVe siècle avec cette inscription en caractères gothiques :

L’AN DU SEIGNEUR 1371

CHEVALIER RELIGIEUX

JEAN ARNAUD

DE L’ORDRE DE SAINT JEAN

REPOSE EN PAIX

Vraisemblablement il doit s’agir d’une traduction car à l’époque de telles épitaphes étaient rédigées en latin ; de plus les dates étaient écrites en chiffres romains. Antoine connaît un habitant du hameau, qui aurait chez lui d’autres pierres ornées d’inscriptions. Malheureusement nous ne pourrons pas les voir.

Nous poursuivons par une petite route jusqu’au hameau de l’Espinasse. C’est un toponyme fréquent aux abords des commanderies templières. Là aussi une croix pattée toute simple, peu marquée, orne une pierre d’angle, dans la partie basse d’une maison. Nous la cherchons longuement, mais une voiture est garée devant, impossible de la photographier. Il me faut ressortir une diapo vieille de plus de quinze ans pour vous la montrer !

 

A gauche : croix pattée dans l’octogone au hameau du Temple.

À droite : croix pattée au hameau de l’Espinasse (photo 1999)

 

Dans ce hameau de l’Espinasse, une vieille bâtisse en partie ruinée est désignée comme l’ancienne possession des Templiers. Elle présente une belle et grande ouverture en plein cintre, et la trace d’une seconde aujourd’hui murée.

 

L’ancien bâtiment des Templiers

 

Juste en face, un autre bâtiment, à vocation agricole, possède une impressionnante pierre d’angle, gravée de cette inscription :

TOVT • VIENT

DE  DIEV

 

Pierre d’angle gravée

 

Notre balade se poursuit par le hameau du Monteil. Là aussi, la pierre d’angle d’une maison est ornée d’une croix pattée, en relief celle-là, inscrite dans un cercle. Difficile de dire, une fois encore, s’il s’agit d’une pierre de remploi ou d’une gravure hommage. Toutes ces croix pattées témoignent au moins, discrètement, du souvenir laissé par les Templiers.

 

Croix pattée au hameau du Monteil

 

La journée se termine au hameau de l’Allier où Antoine veut nous montrer le tombeau d’un Hospitalier. C’est un sarcophage en pierre, transformé en bac à fleurs…

 

 

Quand les cercueils deviennent des bacs à fleurs




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