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DOSSIER


JUILLET 2016









Par Notre Ami


Patrick BERLIER



L'HÉRALDIQUE À SAINTE-CROIX-EN-JAREZ

 

L'héraldique... Un nom un peu barbare sans doute, qui dans notre langue sert à désigner tout ce qui a trait aux blasons. Et si l'on emploie le mot héraldiste pour parler d'un spécialiste du blason, le mot héraldisme par contre n'existe pas en bon français, même si on le trouve employé ici ou là. Héraldique est donc à la fois un nom (féminin) et un adjectif : on parle de l'héraldique pour désigner la science du blason, et l'on peut par exemple dire d'un emblème qu'il est héraldique. Quelles sont les origines de ces mots ? Héraldique dérive du mot héraut, l'officier qui jadis annonçait l'arrivée d'un personnage en déclinant ses titres. Quant à blason, c'est un mot apparenté à l'argot blase, le nom, le patronyme. Un blason doit permettre d'identifier celui qui le porte. On parle aussi d'armes ou d'armoiries pour désigner un blason, puisque celui-ci était à l'origine un bouclier ou écu, dont il a d'ailleurs gardé la forme.

L'héraldique est une science très complexe, avec des règles strictes et un langage particulier, dont les mots sont souvent hérités de la langue arabe, puisque les inventeurs de ces signes distinctifs sont bien les Arabes. Lors des croisades, les chevaliers Francs remarquèrent ces emblèmes peints sur les boucliers de leurs adversaires pour distinguer les membres d'un même clan pendant une bataille. Ils adoptèrent très vite la même habitude.

L'ancienne chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez possède un certain nombre de blasons, que le visiteur curieux et attentif peut découvrir tout au long de sa pérégrination. Petit tour d'horizon.

 

LES ARMES DE LA CHARTREUSE

Comme toute communauté de l'Ancien Régime, qu'elle soit civile ou religieuse, une chartreuse avait droit à son blason. Mais la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez s'est distinguée des autres en adoptant un blason particulier. Selon la règle cartusienne, une chartreuse doit prendre pour armes celles de son fondateur. En l'occurrence, Sainte-Croix-en-Jarez devrait avoir pour armes celles de sa fondatrice Béatrix de la Tour, épouse et veuve de Guillaume de Roussillon, dont le blason était « parti », c'est-à-dire partagé en deux dans le sens vertical. À senestre (gauche) les armes de la famille de Roussillon, de gueules à l'aigle éployée d'argent, et à dextre (droite) les armes de la famille de la Tour, de gueules, à la tour d'argent, et un avant-mur de même.

 

De gauche à droite : armes des familles de Roussillon, de la Tour,
et blason de Béatrix de la Tour

Avant l'aller plus loin, il convient d'expliquer quelques termes héraldiques, en particulier les couleurs. Gueules (toujours au pluriel) = rouge, azur = bleu, argent = blanc, or = jaune. Les armes de la famille de la Tour, qui représentent une tour, sont dites « parlantes », car leur motif principal forme un jeu de mots avec le nom de leur possesseur. L'aigle (mot féminin en langage héraldique) était l'emblème héréditaire des Roussillon. Mais en devenant seigneur d'Annonay, Guillaume de Roussillon adopta pour armes celles de cette ville, échiqueté d'or et d'azur.

Les armes de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez sont bien différentes de celles des personnages liés à sa fondation. Elles sont dûment répertoriées par l'Armorial général du Forez (publié par L.-Pierre Gras en 1874), qui les énonce ainsi : d'azur à la croix dentelée d'argent, cantonnée aux 1er & 3e d'une fleur de lys d'or, aux 2e & 4e d'une étoile d'or. Cantonné signifie que la croix subdivise le blason en quatre zones ou cantons, numérotés de 1 à 4 en partant du canton en haut à gauche et dans le sens des aiguilles d'une montre. Ce blason a sans doute été créé pour rappeler la vision de Béatrix de la Tour, qui vit apparaître une croix scintillante entourée d'étoiles, selon la légende bien connue.

 

Armes de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez

Suivre une visite guidée de la chartreuse permet de pénétrer dans son ancienne église conventuelle médiévale, où se trouvent les si belles peintures murales, marquant le tombeau de Thibaud de Vassalieu. Mais de nombreux autres vestiges picturaux se remarquent. On sait depuis peu qu'il y en a de trois époques différentes. Il faut lever les yeux pour apercevoir, tout en haut dans un angle, une croix pattée peinte dans les tons de rouge, entourée de fleurs de lys également rouges et d'étoiles bleues. Même si les couleurs et la disposition des éléments ne sont pas conformes aux règles de l'art héraldique, les symboles sont bien ceux des armes traditionnelles de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez. En fait, il ne s'agit pas là d'un blason à proprement parler, mais d'emblèmes héraldiques, représentés avec une certaine liberté.

 

les emblèmes héraldiques de Sainte-Croix-en-Jarez, présents dans la chartreuse dès le début du XIVe siècle. À droite, essai de restitution de ce que devait être la peinture à l'origine

Ensuite, si l'on regarde juste à droite de cette croix aux fleurs de lys et étoiles, on remarque ce qui semble bien être une aile d'oiseau, peinte dans les tons de rouge - rosé. Le reste est effacé. S'agissait-il d'un ange ? Ou avions-nous là plutôt une image de l'aigle des Roussillon ? Ou alors une représentation également assez libre du blason de Béatrix, mélangeant les emblèmes héraldiques des familles de Roussillon et de la Tour ? Difficile de conclure avec certitude. Une observation attentive montre qu'en réalité les motifs de plusieurs couches de peintures s'entrecroisent et se superposent. On aperçoit en particulier ce qu'il reste d'un visage, semblable à celui qui lui fait face dans l'angle opposé.

Ainsi il y avait peut-être, dans l'église des Chartreux, les emblèmes héraldiques de Béatrix de la Tour épouse de Guillaume de Roussillon, et une composition rappelant la vision de Béatrix, la croix et les étoiles, auxquelles on a rajouté des fleurs de lys, peut-être pour conférer un aspect « royal » à ce symbole, lequel est devenu le blason de la chartreuse. En fait on peut imaginer que les armes de la chartreuse aient été celles de Béatrix de la Tour, comme le voulait la règle, pendant un temps, peut-être jusqu'à son décès vers 1307, et qu'ensuite ce soit le blason croix – fleurs de lys – étoiles qui ait prévalu.

 

Interprétations de l'aile d'oiseau peinte à droite de la croix :
l'aigle des Roussillon, ou le blason de Béatrix

Une certaine rumeur insinue que ce blason-là aurait été créé à la fin du XVIIe siècle pour les besoins du célèbre Armorial de Charles d'Hozier. Nous pouvons aujourd'hui rétablir la vérité, en commençant par évoquer l'histoire de cet armorial. En 1696 le roi Louis XIV décréta un édit, obligeant toute personne, organisation, ordre, confrérie, ville, bourg, village, pourvu que ses revenus soient suffisants pour être imposables, à faire enregistrer son blason dans un Grand Armorial du Royaume de France, dont la réalisation et la garde furent confiées à Charles d'Hozier. Ce personnage, présenté comme intègre, prit la tête d'une compagnie financière, dont les agents par contre se révèlèrent souvent trop zélés. Ceux qui tardèrent à déclarer leur blason se virent imposer des armoiries, lesquelles étaient parfois, et même souvent, sans rapport avec leurs emblèmes héraldiques traditionnels.

Les Chartreux de Sainte-Croix-en-Jarez montrèrent sans doute peu d'empressement à accomplir cette démarche administrative. C'est ainsi que la chartreuse de se vit imposer le blason d'azur à une croix de calvaire d'or. Car c'est bien ce blason-là, et non le blason croix – fleurs de lys – étoiles, qui figure dans l'Armorial. Grâce à Internet on peut le consulter en ligne sans bouger de son fauteuil. Il suffit d'aller sur http://gallica.bnf.fr, le site de la Bibliothèque Nationale, pour feuilleter le volume XVII et s'arrêter page 493, où l'on peut voir le blason du “couvent des Chartreux de Ste-Croix”, ce qui nous permet de le reproduire ici. Nous devons aussi remercier le Guichet du Savoir de la Bibliothèque Municipale de Lyon pour son aide précieuse. Ce service qui répond aux questions de culture générale est accessible sur :  http://www.guichetdusavoir.org/index.php.

 
 

Le blason imposé par l'Armorial d'Hozier

Mais en vérité, et comme cela fut bien souvent le cas, ce blason-là ne fut jamais adopté par les Chartreux, qui continuèrent à utiliser leur blason traditionnel mêlant croix dentelée, fleurs de lys et étoiles.

 

UN BLASON PRÉSENT EN DIFFÉRENTS LIEUX

Les armes de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez sont visibles en divers endroits des bâtiments. Elles sont placées bien sûr en façade de l'entrée monumentale, œuvre du XVIIe siècle. Une première fois de façon très ostensible, et selon la mode du temps dans un ovale entouré de guirlandes végétales, juste sous l'emblème de l'ordre des Chartreux, la boule du monde surmontée d'une croix entourée de sept étoiles. Si la croix dentelée est bien visible, étoiles et fleurs de lys paraissent bien érodées, à se demander même si elles ont jamais été représentées.

 

Les armes de la chartreuse en façade de l'entrée monumentale

Plus bas, dans l'ombre du balcon rajouté à la fin du XIXe siècle, on retrouve les emblèmes héraldiques de la chartreuse, mais déstructurés en quelque sorte. La croix dentelée est en clé de voûte de la porte d'entrée, elle est d'ailleurs représentée « ancrée », c'est-à-dire que ses branches se terminent en ancres de marine. De part et d'autre, on remarque aussi, beaucoup plus discrètes, les fleurs de lys et les étoiles.

 

Les armes de la chartreuse déstructurées au-dessus de la porte d'entrée

Il est temps de poser les bonnes questions à propos de ce blason. Pourquoi des fleurs de lys ? L'utilisation de cet emblème a toujours été réglementée. C'était le symbole de la royauté. Seul le roi de France avait le droit aux armes à trois fleurs de lys. Placer deux fleurs de lys dans le blason d'une chartreuse n'a pu se faire que par privilège royal. Il a fallu pour cela l'intervention d'un personnage important ou possédant suffisamment de crédit auprès du roi Philippe IV le Bel.

Pourquoi une croix dentelée, alors que le symbole d'origine, présent dans l'église primitive, était une croix pattée ? Une croix dentelée traduit-elle mieux l'aspect scintillant de la croix dans la vision de Béatrix ? On imagine (mais cela restera du domaine de l'imagination) Philippe le Bel acceptant les fleurs de lys, mais refusant la croix pattée lui rappelant trop celle des Templiers.

Pourquoi la croix en clé de voûte de l'entrée monumentale est-elle ancrée ? La croix ancrée était généralement l'attribut des meuniers. Or la charte de fondation de la chartreuse précisait bien que Béatrix de la Tour donnait le lieu, contigu à sa maison, et s'étendant jusqu'au moulin. En prenant possession du site, les Chartreux devenaient les maîtres de ce moulin, ce qui à l'époque constituait une source de revenus non négligeable, laquelle a perduré au cours des siècles. Représenter une croix ancrée en clé de voûte de l'entrée monumentale au XVIIe siècle était sans doute une manière d'affirmer à nouveau cette maîtrise de la meunerie.

Il est à noter maintenant que l'usage, pour la croix, du terme « engrêlée » prôné à une époque semble heureusement avoir été abandonné. Ce terme était impropre. En héraldique « engrêlé » désigne une crénelure dont les dents sont composées de lignes courbes. « Dentelé » au contraire désigne une suite de dents aux lignes droites. Un petit schéma permettra de comprendre la différence.

 

Comparaison entre dentelé et engrêlé – exemple d'une croix engrêlée

On retrouve le blason de la chartreuse au fond de la première cour, en façade du bâtiment formant l'entrée du long passage permettant d'accéder à la seconde cour. Curieux bâtiment d'ailleurs, dont on remarque, lorsque ses fenêtres sont ouvertes, la singulière épaisseur du mur, et qui surprend par ses belles pierres appareillées placées en parement d'une maçonnerie sans doute plus rustique, laquelle se trouve de fait masquée. Œuvre sans doute du XVIIe siècle, cette façade se caractérise par une niche abritant une statue de la Vierge,  encadrée par des pilastres, soutenant un fronton triangulaire, orné du blason, hélas bien érodé.

 

Bâtiment à l'entrée du corridor (détail). Remarquer l'épaisseur du mur.

Un autre blason de la chartreuse se remarque dans le grand passage, au-dessus de la porte de l'ancien ermitage du prieur. C'est un blason sculpté en bas-relief. On y retrouve les fleurs de lys et les étoiles entourant la croix dentelée. Une curiosité à relever : l'étoile en haut à droite est « descendante », c'est-à-dire qu'elle a la pointe en bas, ce qui est contraire aux règles de l'héraldique qui veulent qu'une étoile soit toujours « montante », pointe en haut, comme l'est la seconde étoile. La raison est que, derrière une étoile descendante peut se cacher une image du pentagramme diabolique, et l'on comprend que par superstition cela ne soit pas la règle. Ce blason étant assez de facture assez médiocre, il est tentant au premier abord de mettre cette singularité sur le compte de la seule maladresse du  sculpteur.

 

Le blason au-dessus de la porte de l'ermitage du prieur.
À droite le pentagramme diabolique, la tête du démon inscrite dans une étoile pointe en bas.

Pourtant, on retrouve ce détail curieux sur le blason représenté à l'intérieur de l'église, au-dessus de la porte d'entrée. Les armes sont sculptées en bas-relief et peintes. Si le champ du blason est bien d'azur, la croix dentelée d'argent, les fleurs de lys et les étoiles semblent avoir perdu leur couleur dorée. Mais surtout, comme dans le couloir, l'étoile en haut à droite est aussi pointe en bas. Or l’œuvre est de belle facture, impossible d'accuser le sculpteur de maladresse. Alors ? Il est possible d'envisager une hypothèse : cette étoile-là symboliserait le monde extérieur, aux mains du diable, et l'autre le monde intérieur du monastère, où seul règne Dieu.

On remarque aussi au-dessus du blason un personnage naïf en prières, émergeant d'une nuée, couvert d'un voile, et surmonté de cinq étoiles.

 

Le blason dans l'église

SCEAUX ET LIVRES

Les emblèmes héraldiques de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez étaient également reproduits sur les sceaux destinés à être apposés sur les documents officiels. Les Archives Départementales de la Loire conservent un tel document, c'est un certificat établi par le prieur Dom Livinhac en 1790. Ce sceau ne reproduit pas le blason de la chartreuse, mais seulement ses emblèmes, fleurs de lys et étoiles, superposées.

 

Sceau n° 1. En haut, détails

Un autre sceau est signalé par le livre d'André Douzet Éléments du passé de Sainte-Croix-en-Jarez, chartreuse, pour servir à son histoire. Les souscripteurs de l'ouvrage dans sa première édition en 1994 avaient même droit en bonus à une empreinte de ce sceau sur un cachet de cire, ce qui nous permet de le montrer ici. On y retrouve le blason traditionnel de la chartreuse, sauf pour la disposition des fleurs de lys et des étoiles : elles sont placées non pas en quinconce mais les unes au-dessus des autres, fleurs de lys en 1 et 2 (en haut) et étoiles en 3 et 4 (en bas).

 

Sceau n° 2

Enfin on retrouve le blason de la chartreuse en bas des frontispices des trois volumes du livre de Dom Polycarpe de la Rivière écrit à Sainte-Croix-en-Jarez : Le Mystère sacré de notre Rédemption. Œuvre du graveur Charles Audran, ce blason se distingue par le fait que les étoiles ont six branches au lieu des cinq traditionnelles.

 

Détail du frontispice avec blason de Sainte-Croix-en-Jarez

AUTRES BLASONS

Outre celles de la chartreuses, d'autres armoiries sont visibles à Sainte-Croix-en-Jarez, peintes, gravées ou sculptées. Celles appartenant à la première catégorie se remarquent sur la scène des funérailles de Thibaud de Vassalieu, faisant partie des peintures murales réalisées peu après le décès de ce bienfaiteur de la chartreuse en 1327. Le défunt repose sur un lit revêtu d'une draperie à écussons. Alternent les armes de ses deux exécuteurs testamentaires, son neveu Guillaume de Vassalieu et son parent Guillaume de Sure. Le blason du premier est fascé d'or et d'azur de dix pièces, c'est-à-dire que de haut en bas alternent des bandes horizontales jaunes et bleues. Le second est d'or semé de billettes de sable au lion du même, soit un champ jaune parsemé de petites billes noires, avec un lion noir également, debout sur une patte. Ces détails sont peu visibles aujourd'hui.

 

Blasons de Guillaume de Vassalieu et Guillaume de Sure (peintures murales)

C'est dans le seconde cour de la chartreuse que se trouvent les blasons suivants. D'abord les armes gravées au bas de l'inscription placée sous le bas-relief représentant saint Bruno en prières. Ce texte bien effacé aujourd'hui rappelle que cette cellule avait été fondée par Antoine Mazenod, seigneur de Pavezin, et son épouse Dame Étiennette Berthon. À gauche le blason d'Antoine Mazenod : d'azur à trois molettes d'or, au chef cousu de gueules à trois bandes d'argent. Les molettes sont des molettes d'éperon, ressemblant à des étoiles mais trouées en leur centre. Les règles de l'héraldique stipulent que l'on ne doit pas poser couleur sur couleur, aussi pour pouvoir juxtaposer le rouge du chef (partie supérieure du blason) sur le bleu du champ (couleur de fond de l'écu), on précise que ce chef est « cousu ». À droite le blason de son épouse, qui est donc selon la règle « parti », composé à gauche du blason de l'époux, à droite du blason de la demoiselle Berthon, à savoir un écu avec un dauphin et un chef avec trois étoiles (les couleurs n'étant pas connues, il n'est pas possible de l'énoncer en langage héraldique).

 

Bas-relief de la cellule fondée par les Mazenod.
En médaillons, agrandissements des blasons.

Toujours dans cette cour dite des pères, deux autres beaux blasons sculptés attirent l'attention. Ils ornent les portes des ermitages reconstruits par Marguerite de l'Estang, veuve de Gabriel de Fay, seigneur de Virieu, Malleval et Chavanay, suite à un violent incendie qui détruisit cette partie de la chartreuse en 1629.

L'une des portes est ornée du blason de la famille de l'Estang : d'azur à trois fasces crénelées d'argent, celle de la pointe ouverte à une porte.

 

Blason de la famille de l'Estang

L'autre porte est ornée du blason de Marguerite de l'Estang, qui est naturellement parti, composé des armes de la famille de l'Estang à droite, accolées à celles de Gabriel de Fay à gauche, assez complexes : écartelé, au 1er et au 4e d’azur à la croix d’argent, au 2e et 3e fascé d’argent et d’azur au lion de gueules brochant, et le tout chargé d'un écu de gueules à la bande d’or chargée d'une fouine. La fouine était l'emblème héraldique primitif des Fay, par analogie des noms : fouine comme Fay viennent du latin fagus, le fayard ou hêtre. Ce sont donc des armes parlantes. On retrouve ce blason dans l'église de Malleval.

 

Blason de Marguerite de l'Estang

C'est dans la première cour que se cache un ultime blason. Très discret, il ne semble pas avoir été remarqué par ceux qui ont écrit sur la chartreuse. Il orne une porte dont le linteau est formé d'une accolade portant la date 1627. Sous la pointe de l'accolade un blason, ou plutôt cet écusson vu sa taille, est orné d'une croix légèrement pattée. Peut-être est-ce le d'azur à la croix d'argent formant une partie du blason des Fay. Ou une croix de Savoie. Ou plus simplement un rappel du nom de la chartreuse : Sainte-Croix.

 

Porte de 1627. En médaillon: agrandissement de l'écusson

Il y aurait encore bien d'autres blasons à remarquer dans l'ancienne chartreuse, ornant les portes des ermitages en particulier. Mais ce sont des écus simples, sans armoiries, seulement encadrés par des guirlandes végétales ou florales. Laissons au visiteur curieux le soin de les découvrir...




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     Nous ressentons un grand plaisir en accueillant Martine Mazoyer ; en la découvrant, nous ne doutons pas un instant que celui-ci sera partagé. Il reste bien trop rare, nous devons largement le reconnaître, que de recevoir une Dame en tant qu'Invitée sur votre site favori. Alors non sans humour, nous dirons que là elle comptera pour dix tant elle est pleine de vie ! Vous allez vraiment apprendre à mieux connaître un personnage dynamique ; notre Amie est entreprenante et toujours partante pour s'impliquer sans compter là où il y a une volonté humaine de construire en groupe. Martine demeure l'image même d'un moteur, le synonyme énergique visant à mener à bien donc à terme toute entreprise associative, culturelle, patrimoniale ou encore historique, souvent au travers d'un hommage rendu, d'une célébration symbolique, d'un passage de mémoire ... etc . Nous la remercions pour la générosité de ses réponses et nous vous proposons maintenant de faire la connaissance d'une personne attachante.





1/ Regards du Pilat : Ces dernières années, vous venez d’effectuer une sorte de retour aux sources en venant vous installer dans le Pilat. Qu’est-ce qui a motivé ce nouvel enracinement ?

Martine Mazoyer : Enracinement, le terme est exact. C’est bien dans le Pilat que se situent mes racines maternelles. Je ne le savais pas vraiment ne connaissant que Chavanay pour avoir été le lieu de naissance et des vingt premières années de vie de ma mère. Je vais le découvrir peu à peu après qu’un élément déclencheur m’ait conduit à vivre là.

2/ Regards du Pilat : Véritable passionnée, vous dévorez le moment présent toujours en quête du passé et en gérant multiples dossiers simultanément. Systématiquement menés à terme, ces derniers restent les symboles d’un certain accomplissement personnel. D’où provient cette énergie débordante ?

Martine Mazoyer : Passionnée, je le suis et je ne sais guère vivre autrement. Je voudrais avoir plusieurs vies pour mener à bien tous mes projets. Mais je sais n’en avoir qu’une à vivre et je n’en connais pas la durée. En tenant plusieurs choses en même temps peut-être que je cherche à conjurer le sort. Plus sérieusement les dossiers comme vous dites sont dans des tiroirs. Mais dans un même meuble. Ils se croisent, se répondent, s’interrogent, ils font partie en fait d’une même histoire.

Ma vie professionnelle a été un peu à cette image. Après mon bac (j’ai eu 18 ans en 1968 à Paris !) j’ai fait des histoires d’histoire à la Sorbonne, davantage interéssée à l’époque par le mouvement ouvrier du 19ème siècle. Après cinq années de professorat, je n’ai pas voulu rester dans ce qui me paraissait un lieu d’enventuelle sclérose. Quelques diplômes complémentaires plus tard, je me suis orientée vers l’information des jeunes pour finir par la direction d’un centre pour l’insertion des jeunes Parisiens en difficultés.

3/ Regards du Pilat : La guerre de 14/18, s’avère vous intéresser particulièrement. Vous êtes avec une poignée d’amis la clef de la plus belle exposition de la grande guerre proposée à Véranne en 2014 et ce à une échelle géographique qui dépasse de très loin ce seul village du Pilat rhodanien. Pourquoi une telle implication dans ce qui reste normalement un devoir de mémoire commun à tout un chacun ?

Martine Mazoyer : Voilà la vraie question ou plutôt où se niche la vraie réponse à mon enracinement, et à mon énergie. Petite, privée de grands parents tous morts avant ma naissance, j’interrogeais mes parents sur leurs pères et mères. Mon père m’en livrait de nombreux détails me les faisant presque revivre. Ma mère avait perdu la sienne à 21 ans, quelques mois avant d’épouser mon père, à Paris. Son père, il était résumé dans une formule : il était mort à Verdun, porté disparu. Je me rappelle être allée avec mes parents au sanctuaire de Douaumont et courir entre les croix pour trouver peut être celle de mon grand père, en vain, évidemment. Ma mère se perdait dans son propre souvenir : j’allais sur la route, devant la maison pour voir si mon père réapparaissait, disait elle, puisqu’il avait disparu.

Un jour de 2003, j’entends une information dans le 20 heures de David Pujadas. Monsieur Hamlaoui Mékachera, Ministre délégué aux Anciens combattants, a inauguré aujourd’hui le site Mémoire des Hommes, avec la mise en ligne de la base des "Morts pour la France" de la Première Guerre mondiale. J’ouvre immédiatement mon ordinateur, je tape le nom de mon grand-père, sa date et son département de naissance. Ça me donne une fiche où j’apprends qu’il est mort le 22 août 1918 à côté de Soissons. Je trouve peu après son lieu d’inhumation dans une nécropole de l’Aisne. Le voilà qui réapparaissait. J’en informe mes frères et ma mère et nous partons ensemble rendre visite à mon grand-père. Ma mère, née en février 1915 et près de fêter ses 90 ans retrouve son père éternellement âgé de 32 ans.

A cette époque, les archives ne sont pas encore numérisées. Je me rends régulièrement dans le Pilat. Les mairies m’ouvrent leurs portes. Je fouille les registres d’état civil, je visite chaque hameau portant la trace de mes ancêtres. C’est parti.

Le centenaire de ce qu'on appelle la Grande Guerre m'a chopée alors que j'étais installée à Véranne depuis quatre ans. Il allait de soi que j'allais élargir mes recherches. J'ai ainsi réalisé celles qui intéressaient les villages de Véranne, bien entendu, et aussi La Chapelle Villars avec mon frère qui s'y est installé et aussi de Lupé, faute de combattants en 2014, mais pas de morts pendant cette guerre !

J’ai rencontré des collectionneurs, Jacques Gamet et Eymeric Gache qui ont mis à disposition des objets et des uniformes. Des habitants nous ont confié de nombreux documents. Les recensements de population ou militaires m’ont permis de réaliser une exposition avec Jacques Patard, lui-même collectionneur et érudit. Elle a permis aux Vérannaires de retrouver leur village avant la guerre, son histoire pendant les longues années de conflit, et de connaître les parcours des hommes.

4/ Regards du Pilat : Vous vous êtes très rapidement rapprochée de l’association patrimoniale et historique Visages de notre Pilat ; aujourd’hui vous êtes membre actif de son CA. Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette structure ?

Martine Mazoyer : Une société historique locale et quelqu’un qui s’intéresse au passé de la région, la rencontre était inévitable. Je la connaissais déjà pour avoir acheté plusieurs numéros de la revue qu’elle édite, et ceci bien avant de savoir que je m’installerais là. J’ai trouvé beaucoup d’articles intéressants et j’ai pensé que je pouvais peut-être apporter quelque chose de mon enthousiasme.

5/ Regards du Pilat : Une remarquable bâtisse historique, « les Camiers », toujours sur la commune de Véranne possède une histoire plusieurs fois centenaire. A présent et en vous impliquant à nouveau beaucoup sur ce sujet, vous êtes en mesure de récrire quelque pans historiques de cette construction d’un autre temps. Pouvez-vous nous en toucher quelques mots ?

Martine Mazoyer : Récrire, je ne sais pas. Ce qui l’est déjà est tout à fait digne d’intérêt. Mais il est vrai que j’aime réinterrogé les sources. La famille m’a confié quelques documents primaires anciens qui livrent des informations intéressantes. Par ailleurs on rencontre des écrits plusieurs fois repris avec des inexactitudes qui sont devenues des vérités. C’est bien de les revisiter. Mais il manque surtout de nombreux documents pour faire un bon historique. La demeure reste un bon départ pour tenter de reconstituer ses différents usages.

6/ Regards du Pilat : Votre dynamisme naturel doublé d’un esprit convivial ne peuvent passer inaperçus. Presque logiquement (nous nous permettrons d’écrire), vous êtes à présent élue au Conseil Municipal de votre village. Est-ce là une sorte d’aboutissement ou au contraire plutôt un concours de circonstances qui a fait  que vous vous retrouviez embarquée dans cette nouvelle aventure ?

Martine Mazoyer : Je vous sais gré de qualifier de qualités ce qui pourrait paraître des défauts. J’ai mûrement réfléchi à mon installation dans le Pilat après avoir vécu soixante ans à Paris. Quand on veut s’intégrer il me semble qu’il ne faut pas attendre que les gens vous attendent même si cette région est très accueillante. Je suis allée vers différentes associations locales. Au sein de la bibliothèque de Véranne et celles du réseau, j’ai participé, avec des bénévoles très généreux, à la mise en œuvre d’animations et d’expositions sur des thèmes locaux : randonnée sur les lieux dits et leurs étymologies, histoire des activités textiles, exposition sur les éléments du patrimoine, etc J’y ai connu des personnes que je n’aurais pas pu rencontrer spontanément.

Il faut aussi que je précise que j’occupe une maison dans le village, qui a connu une partie de mes aïeux. Elle a fini d’être rénovée fin 2009 par un membre d’une branche familiale qui me la loue pour mon grand plaisir.

Le premier adjoint de l’ancien maire m’a fait l’honneur et le plaisir de me demander si je voulais faire partié du prochain conseil dont il deviendrait le maire. Je voulais être intégrée. Quatre ans après mon installation, j’étais exhaucée. J’ai accepté avec mon enthousiasme habituel. Je suis en effet embarquée dans une nouvelle aventure. Active au sein du conseil municipal, j’ai l’opportunité de participer à des commissions de la Communauté de Communes et des groupes de travail du Parc du Pilat.

Mon meuble à tiroirs a de plus en plus de dossiers mais on voit bien qu’ils se complètent !

7/ Regards du Pilat : Femme de Culture, entre toutes les cordes à votre arc, vous ne pouviez laisser de côté les journées européennes du Patrimoine. A ce titre, vous vous impliquez chaque année en ce sens. Comment concevez-vous ces journées symboliques là où, en somme, on rapproche l’espace d’un week-end, le citoyen avec son Patrimoine et aussi son Histoire ?

Martine Mazoyer : Si être femmme de culture c’est se rendre compte de l’immensité de son ignorance et de tenter de combler quelques trous je veux bien en être une. Les journées du patrimoine rassemblent chaque fois un grand nombre de personnes qui côtoient parfois quotidiennement des bâtiments ou des éléments du paysage sans vraiment les voir. Il en va des croix, des maisons, des écoles, des mairies, qui tous racontent l’histoire des hommes qui les ont érigés, bâtis, utilisés. Chaque fois je suis émue par la curiosité des habitants, les abecdotes que les anciens ne manquent pas de rapporter, et le plaisir qu’ils ont à découvrir de nouveaux détails. La culture, c’est justement la jonction entre ce patrimoine existant, fruit de l’histoire des hommes d’hier et les habitants d’aujourd’hui. Les gens que je rencontre à ces occasiosn m’en apprennent autant que les livres et les vieux grimoires.

8/ Regards du Pilat : Toujours entre deux enquêtes à travers le passé, vous appréciez de glisser dans le texte le résultat de vos travaux. Localement, on vous retrouve régulièrement dans la revue Dan l’Tan de « Visages de notre Pilat » ou encore dans le trimestriel distribué dans tout le Pilat, « la Pie du Pilat ». Est-ce à vos yeux une manière incontournable de laisser une trace certaine aux générations à venir ?

Martine Mazoyer : Si les générations à venir sont intéressées par nos recherches, nous en sommes ravis. C’est le cas de mon fils qui aime à mettre ses pas dans les chemins empruntés par ses ancêtres. Quand j’écris, je le fais d’abord pour ceux qui s’y intéressent au sein de ma famille. Cependant j’ai mis à disposition des habitants de Chavanay l’histoire de mon grand-père. C’est autant pour leur faire disposer de l’histoire d’un Chavanois que pour remettre Jean Baptiste, sa femme, sa fille et son fils dans la vie et leur village.

L’opportunité qui m’est faite de publier quelques articles dans la revue Dan l’Tan ou la Pie du Pilat me donne le plaisir de partager mes découvertes avec un public plus large.

9/ Regards du Pilat : En restant sur l’écriture, finalement une synthèse pratique et bigrement utile pour entériner le bienfait de vos recherches en tout genre, envisagez-vous dans un proche avenir de publier un ou plusieurs ouvrages et si oui, quels en seront les thèmes ?

Martine Mazoyer : Pour publier, il ne faut pas se contenter de raconter et de reprendre des éléments historiques. Il faut analyser, contextualiser, et surtout avoir une écriture propre et personnelle. Je m’y efforce, j’y travaille mais je pense que l’ouvrage tissé sur le métier n’est pas assez abouti pour une publication qui n’est pas forcément mon ambition. Il faut que je laisse reposer la pâte comme pour les crêpes et peut-être arriverai je un jour à dépasser ce que je considère comme des notes ou des brouillons.

Par contre j’ai l’ambition de réaliser avec un cousin une monographie sur l’ancien pont de Chavanay. Maintenant que c’est écrit ici, nous sommes obligés de mener notre projet à terme.

10/ Regards du Pilat : Martine avant de vous quitter et non sans vous avoir vivement remerciée, nous souhaiterions encore aborder le sujet en vogue de la « Généalogie », là où humblement vous aimez faire avancer les choses ?

Martine Mazoyer : La généalogie, une passion de vieux englués dans le passé ? Une passion certes, mais pour relier le passé avec le présent, trouver des explications à la vie d’aujourd’hui.

Quand on commence dans la recherche généalogique, on ne sait pas dans quoi on va être entraîné ! Chaque information induit un nouveau questionnement. Des découvertes dans les registres nous font revisiter l’Histoire. Cela rend un peu justice à ceux dont on ne parle pas dans les livres.

Pour ma part cela m’a fait aussi découvrir des cousins insoupçonnés qui sont bien vivants. J’ai pu aussi reconstituer l’histoire de la maison que j’occupe aujourd’hui. Construite entre 1705 et 1710, une famille de Maclaires qui y a vécu entre 1940 et 1960 est venue la redécouvrir il y a quelques mois. Je leur ai raconté l’histoire de la maison, ils m’ont fait partager leurs souvenirs avec émotion.

Enfin je voudrais conclure tout simplement sur le plaisir qui ressort de tout cela. Et vous remercier du regard bienveillant que vous voulez bien me porter et qui m’encourage à poursuivre recherches et transmissions.




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