LA VÉRITABLE HISTOIRE DE L’ARCHE DE NOÉ

<Retour au Sommaire du Site>

Il va sans dire que l’histoire qui va suivre n’est sans doute qu’un délire, une élucubration, une suite de sophismes pour user d’un terme savant, soit selon la définition du dictionnaire un raisonnement faux qui a l’apparence de la vérité. Disons que c’est tout juste un conte de Noël pour les petits enfants, ou plutôt, en l’occurrence, un conte de Noé. L’histoire n’a pas d’autre prétention que de vous distraire. Alors, selon la formule consacrée : « il était une fois… »

 

Ce soir-là étaient réunis chez Thierry Rollat, à Pélussin, les principaux protagonistes du site Internet Regards du Pilat. Outre Thierry déjà cité, il y avait là Patrick Berlier et Michel Barbot, venu tout exprès de Nantes pour un week-end pilatois. S’était joint à eux l’ami Jacques Patard, l’illustrateur du livre Pilat, terre de grands secrets. Le repas préparé par Nathalie, l’épouse de Thierry, avait été succulent et bien arrosé. Présentement, les amis étaient assis dans le salon autour d’une bouteille d’un excellent alcool de poire, dégoté on ne sait où par le maître des lieux. Les yeux étaient brillants et les langues bien déliées. Sous la grande peinture murale représentant la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, œuvre de Jacques, Michel entretenait l’auditoire de ses dernières théories quant à la venue dans le Pilat, à l’aube de notre histoire, de peuplades sémites, juives ou arméniennes. Il argumentait en citant le petit livre Études d’archéologie préhistorique, d’un certain F. Gabut, paru au début du XXe siècle.

 

            — Voici ce que dit Gabut, je cite de mémoire : « Au crêt de la Perdrix, la montagne par sa forme se suffit à elle-même : cependant c'est un des hauts lieux par excellence, un bouton lithique qui distille aux esprits de l'air le lait mystique de la terre ; c'est une des montagnes sacrées sur lesquelles s'arrêtait l'arche de Noé, c'est-à-dire où hommes et animaux ont trouvé la sécurité, alors que les plaines étaient envahies par les eaux provenant de la fonte des grands glaciers. »

            Michel savourait l’effet de son annonce, et ses amis appréciaient le contenu de la citation, tout en saluant sa mémoire. Puis il reprit :

            — Vous avez noté que Gabut use de périphrases pour dire tout simplement que le Crêt de la Perdrix a la forme d’un sein, d’une mamelle qui distillerait le lait mystique de la terre, les énergies telluriques autrement dit. Et puis, l’air de rien, il affirme que l’arche de Noé s’y est arrêtée. Or pour moi il n’y a aucun doute, c’est bien au Mont Pilat, et non au Mont Ararat comme le dit la Bible, que Noé aborda avec son arche, et il y fit souche.

            Thierry et Jacques, peu convaincus, faisaient une mine mi-figue mi-raisin, mais Patrick, puisant ses ressources dans un nouveau verre de poire, lança sur le ton de la confidence :

            — Michel a raison, Noé est bien venu dans le Pilat, et je peux vous le prouver de manière indubitable. Thierry, tu veux bien aller nous chercher une carte IGN au 25000? La TOP 25 Massif du Pilat fera l’affaire.

 

            Thierry revint de son bureau avec la carte demandée. Patrick la déplia et l’étala sur la table basse, plaçant une lampe dans un coin pour mieux l’éclairer.

            Tout d’abord, imaginez-vous Noé dans son arche, voguant sur les terres inondées par le Déluge. L’eau est montée jusqu’à près de mille mètres d’altitude, seules dépassent les montagnes : les Alpes bien sûr, mais aussi le Pilat. Que voit Noé du Pilat, en arrivant par la Méditerranée surhaussée, donc du sud-est ? Les sommets qui deviendront le Crêt de la Perdrix, le Crêt de l’Œillon, les Trois Dents. Ils sont un peu trop hauts pour y aborder, alors Noé attend que la décrue, qui s’est amorcée, découvre un peu plus de terres. Un matin voici qu’apparaît un plateau, à droite des Trois Dents. Noé s’y dirige et y amarre son bateau. Michel, que dit la Bible du lieu où s’est échouée l’arche de Noé ?

            — Très clairement, la Bible situe ce lieu au sommet du Mont Ararat…

            — Exact, sauf que le Mont Ararat, celui où arrive Noé je veux dire, n’est pas en Asie mais dans le Pilat.

 

Il pointa du doigt un point précis sur la carte.

— Voyez ce sommet aplati, au nord-est des Trois Dents, sous Dentillon : le Plateau de Margarat. Le voilà, notre Mont Ararat.

            Voyant ses amis peu convaincus, Patrick poursuivit son argumentation.

— Comme la décrue se poursuit rapidement, Noé et sa famille partent en exploration dans des embarcations légères à fond plat, des barges. Elles viennent finalement s’échouer près de ce qui sera Maclas. Alors regardez bien sur la carte. Voyez-vous, écrit en petites lettres, le lieu-dit « les Barges » non loin de la croix d’Adon et Zénon qui a tant inspiré Michel ? Croyez-moi, c’est ici précisément que s’échouèrent les barges de Noé, la mémoire collective en a conservé le souvenir à travers ce toponyme.

            Patrick se désaltéra, si l’on peut dire, avec un nouveau verre de poire, puis il poursuivit sa démonstration.

— Vous ne me croyez toujours pas ? Alors de votre doigt suivez la route de Pélussin en partant de Maclas ; vous passez Goëly et au carrefour de l’Aucize regardez juste à gauche : le lieu-dit « le Grand-Noé. » C’est pas une preuve, ça ?

 

Là les amis accusèrent le coup. Il était irréfutable qu’il y avait bien sur la carte, à l’endroit indiqué, un tel nom bien étonnant. Mais Patrick était visiblement parti pour déballer tout son savoir. Après une nouvelle lampée il asséna d’autres preuves.

— Lorsque la décrue du déluge fut terminée, Noé retrouva le soleil et des terres grasses où il put planter de la vigne. Ça, c’est pas moi qui le dit, c’est la Bible ! Mais regardez sur votre carte, juste au nord de Maclas : « le Soleil », et à côté « Terres Grasses. » Et quel genre de culture trouve-t-on encore aujourd’hui à cet endroit ? Je vous le demande un peu ?

— Ben, de la vigne, convint Jacques.

 

Patrick continuait :

— Lorsque Noé sortit de son arche, et c’est toujours la Bible qui le dit, il offrit un holocauste à l’Éternel, comme demandé par le Livre des Lois, la Thora en hébreu. En quel endroit dégagé et près du ciel offrit-il ce sacrifice ? Au Crêt de Thorée, entre Maclas et le Rhône. Et puis Noé ouvrit son arche et tous les couples d’animaux se répandirent dans la nature, chacun à la recherche d’un habitat. Regardez aux environs le nombre de noms d’animaux, c’est incroyable : Touchebœuf, les Écureuils, les Alouettes, le Saut de l’Agneau, le sentier des Cigales, la Ratte, la Poulalière, Loye, Gampaloup, l’Épervier, la Grange du Merle…

 

Depuis un moment, Michel s’agitait sur son siège, visiblement tarabusté par un détail.

— Patrick, d’après toi que sont devenus Noé et ses enfants par la suite, finit-il par demander.

— Noé a fait souche, au propre comme au figuré. Quant à ses trois fils, Sem, Cham et Japhet, ils quittèrent leur père et s’étendirent sur la terre. Sem partit vers l’ouest et s’installa modestement sur les rives d’une rivière à qui il donna son nom : la Semène. Cham plus ambitieux s’installa dans la vallée du Gier où il fonda une ville à qui il donna lui aussi son nom : Saint-Chamond. Japhet fut « dilaté », selon le terme de la Bible, lui seul quitta le Pilat pour aller « peupler les îles des nations. » Telle est l’histoire vraie, mes amis, la véritable histoire de l’arche de Noé.


 <Retour au Sommaire du Site>