1628-1632, Peste fut.
Nous
sommes dans le premier tiers du XVIIème siècle.
Depuis 1347, la peste a frappée notre région à
plusieurs reprises. Les lieux
dédiés à Saint-Roch (et peut-être notre 8
décembre) en sont témoins. Elle y
revient en 1628 couvrant une période de 5 années. Des
villes comme
Saint-Etienne ou Saint-Chamond vont perdre la moitié de leur
population. Elle
restera dans les mémoires, à Lyon, sous le nom de Peste
de Mantoue.
Y-a-t-
il un lien plus direct ? A cette
époque Melchior Mitte de Chevrières,
marquis de Saint-Chamond est envoyé en
Italie comme ambassadeur extraordinaire par Richelieu et Louis XIII
afin de
s'assurer de la bonne succession de Mantoue en 1627, au
bénéfice du Duc de Nevers.
Durant
5 années épouvantables, la peste conduit
l'homme aux portes de l'apocalypse. Un temps où les vivants
enterrent les morts
risquant leur vie dans des cimetières débordant de
cadavres. Les gens devaient
être convaincus qu'était venue l'heure du jugement
suprême en un temps où ils
avaient perdu tout espoir. Dieu, semble –t-il, les avait
abandonné.
Quelques
survivants ont été les chroniqueurs de cet
âge désespéré parmi eux un prêtre de
Saint-Genest-Malifaux, témoin oculaire du
front de la mort. Son récit saisissant est arrivé
jusqu'à nous grâce à la
pensée éclairée des hommes et l'amour de leur
région. C’est un tableau
réaliste, choquant et surprenant d'une
des grandes catastrophes de l'histoire de notre pays et notre
région que je
vais vous dépeindre.
Dans un premier temps, je
présenterai l'auteur,
tenterai d'en dépeindre son profil atypique avant de
présenter le document et son
parcours jusqu'à notre époque. Enfin,
j’interpréterai la situation avec une
certaine liberté d'analyse avant de me rapprocher au plus
près des témoignages
qu'il nous apporte.
Un prêtre
« indigne ».
Louis
Jacquemin qui utilisera un temps le surnom
« donnet » est originaire de
Saint-Genest-Malifaux, du hameau de Viollet
proche de celui de Pléney né entre 1585 et 1592 et
décédé peu après le 23
novembre 1652.
Sa
date de naissance est incertaine (les registres de
baptêmes de Saint-Genest qui auraient été
précieux comportent sur cette période
des lacunes).II est probable que sa naissance se situe plutôt en
1591 ou 1592
car une peste terrible a déjà frappé le secteur en
1590 et s'il avait été né,
il est probable qu'il aurait alors fait un parallèle. Il est
ordonné prêtre le
8 mai 1613. Il ne sera pas curé de Saint-Genest mais vicaire.
C'est un esprit
éclairé qui nous a laissé son empreinte dans notre
belle région. Il est à noter
que sur les actes paroissiaux de 1623 à 1626 ajoute à son
un étonnant
qualificatif « prêtre indigne ».
Nous
pouvons lui attribuer l'énigme inscrite sur la
Font Ria, fontaine située à Saint-Genest dans le bois
Farost certainement à
proximité de la demeure familiale
de
Jacquemin. Il s'agit d'une source reconstruite dans les années
70, délimitée
par des pierres sur lesquelles est gravé un texte
énigmatique. Le texte serait
une œuvre de jeunesse de Jacquemin écrite entre 1607 et 1610
pendant ses études.
On peut envisager une nostalgie, un certain romantisme et un mal du
pays. La
fontaine sera construite entre 1610 et 1630. Plus probablement avant
qu'il prononce
ses vœux car la démarche me paraît peu compatible avec sa
fonction en l'époque.
En effet cette énigme fait référence aux origines
locales «proto ou
pré-historiques » d'une source sacrée
« Vellave ». Jacquemin en
connaissait mieux que nous à ce sujet et il apparaît que
la mémoire des cultes
anciens se soit transmise jusqu'à cette époque.
La
référence à cette source est d'autant plus
importante que c'est en ce lieu que, pendant la peste, des loges furent
utilisées ou construites « aux celles de
Tamet » les malades venaient
s'isoler et y mourir.
En
1646, il
publie, après l'avoir mise en scène à
Saint-Genest, une pastorale : «Le
triomphe des Bergers ». Bien que l'histoire
évangélique soit
scrupuleusement respectée, Jacquemin y dépeint la
misère accablante des paysans
en référence à son époque (Mazarin, les
impôts, la guerre) et semble avoir pour
objectif de distraire ses paroissiens, les consoler, les
récréer.
Enfin
Louis Jacquemin nous a transmis des écrits
concernant les mœurs de son village durant les années de peste
qu'il a vécu.
Avant d'aborder cette dernière partie, je ne peux
m'empêcher de faire un
parallèle entre Jacquemin et Polycarpe de La Rivière
notre fameux prieur de la
Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez. Ce dernier contemporain de
Jacquemin
serait né à Tence voire peut-être à Marlhes
ou à Jonzieux, villages très
proches de celui de Saint-Genest-Malifaux Il fera des études
à la Maîtrise de
la cathédrale du Puy en Velay, Il entre chez les chartreux en
1608 et sera
prieur à Sainte-Croix de 1618 à 1627. Il me plaît
de croire que les deux hommes
se sont connus, croisés, voire fréquentés.
Un document
perdu, retranscrit au fil du temps.
Les textes auxquels je vais
faire référence ont été publiés
en 1887 par l'abbé JB Vanel, autre prêtre de Saint-Genest,
dans le cadre d'une
note bibliographique sur Louis Jacquemin. Les documents sont
intitulés « Mémoire d’une partie
des bonnes et
mauvaises actions arrivées en la parroisse de Saint Genest de
Mallifaut et
manifestes à chacun durant la peste des années 1628,
1629, 1630 1631» et « Mémoire
de ceux qui ont exposé leur
vie pour sauver autruy » suivi d’une « Addition
de l’an 1632 ». Ces documents était
associé à
un journal de la Peste, donc écrit au quotidien par Jacquemin.
Nous en avons
perdu la trace. Le texte original a disparu. Celui qui est
arrivé jusqu'à nous
a été transcrit en 1768 depuis le manuscrit qui, à
cette époque, se trouvait
encore dans les archives de la marguillerie de l'église de
Saint-Genest. Le
transcripteur, lui aussi Genesien et séminariste, conclue le
document utilisé
par l’abbé Vanel par cette phrase « copié
mot à mot, les premiers
jours de décembre 1768 à Saint-Etienne, ce 6
décembre 1768 ».
Mémoires
Ces
écrits sont une source d'observation locale
pleine d'intérêt, des mœurs d'un village du Pilat dans le
premier quart du
XVIIème siècle. Louis Jacquemin est le Témoin
consignant ses impressions et « distribuant
avec impartialité le blâme ou la Louange à
ceux qui en ont été
dignes ».
(1) Sottise des uns, charité des autres, terreur de tous,
telle une peinture
qui n'a nulle autre pareille pour connaître la situation du pays
et le
caractère de ses habitants.
On
imagine bien volontiers le Pilat de cette époque
au peuple pieux, mobile, face à une maladie effrayante touchant
des gens de
toute condition et portant atteinte à tous les aspects de la
vie : la
société, la religion, la famille. Ceux qui s'attelaient
à soigner les mourants
prenaient le mal à leur tour. Les remèdes sont
inefficaces, il ne restait aux hommes que leur foi en Dieu et le
secours
de l'Eglise. Comment ne pas penser que lorsque une maison comportait un
malade
la tendance était de ne pas s'en approcher et que même les
proches s'en
cachaient pleurant déjà sa perte, le prêtre pris de
panique se hâtant de donner
les derniers sacrements en tremblant de tous ses membres. Nul ne
sachant que
faire ou que dire.
La religion ne protège
pas de la maladie, les prêtres
qui bravaient la mort prenaient le mal à leur tour et
succombaient souvent à la
Peste. Il y a donc eu des ravages dans le clergé. A la peur
s'ajoute
l'ignorance et les croyances sur la transmission de la maladie. A
mesure que la
société se délite, le rythme de la vie est
perturbé. On ne rentre plus les
récoltes, le bétail est laissé à l'abandon
et à la maladie s'ajoute la famine.
Chacun se comporte comme s'il allait mourir le lendemain, c'est une
crise
morale profonde.
Jacquemin
nous raconte que pendant la contagion, il
se partageait avec le curé et l'un de ses
confrères le soin des malades et la visite des mourants.
L’auteur
est traversé par ce que nous pourrions
qualifier de nos jours de superstition, de naïveté. A
l’image de ceux de son
époque, il évoque les croyances de son temps pour
expliquer le fléau (une vengeance
du ciel pour laver les péchés, la conjonction des
planètes, l’air corrompu, les
fruits avariés) et des signes préalables dans son
environnement (excès de jeux
de cartes, faux monnayeurs, libertinage).
Le
premier Mémoire commence par les mauvaises
actions. Les noms des coupables ne sont jamais donnés : « une servante qui s’est exposé pour
soigner sa maîtresse prit le mal duquel dieu la guéri mais
au lieu d’en rendre
grâce à Dieu elle eut un enfant de son
maître ».
Ceux
qui blasphèment sont punis comme les prétentieux,
les mécréants, les insolents ou ceux qui refusent la
confession. Il témoigne
que la contagion s’est accompagnée de libertinage, de famine, de
violence, de
fêtes et d’excès d’alcool.
Un
cimetière est improvisé à la croix des Rameaux, il
sera vite complet. L’idée d’un nouveau cimetière à
l’extérieur du bourg est
avancée mais ne sera pas suivie d’effet. Louis Jacquemin
dénonce alors ces
corps déterrés par les chiens, les loups ou risquant
d’être labourés.
Il
conclura cette partie en évoquant ses propres
fautes (sans les décrire) puis en déclarant que « ceux qui malgré leurs fautes en ont
réchappé car Dieu attend
leur pénitence et s’ils ne la font pas, il leur garde les peines
éternelles de
l’enfer ».
Est-ce pour cette raison ou pour
un plus simple vœu que
l’auteur, se rendra, après la peste, à Santa Casa de
Lorette en voyage pour un pèlerinage
à la sainte vierge ?
Les
bonnes actions sont ensuite citées, chaque
protagoniste est alors nommé. On peut noter que l’auteur
commence par les prêtres
(le curé en premier), puis les notables (notaires et ceux qui
ont donné aumône
aux pauvres)et c’est avec fierté que j’ai pu y lire que mon
ancêtre « Jean Tamet de la
Gerbodière, fit
aussi beaucoup de bien aux pauvres ». Les autres
n’étant pas cités,
j’imagine donc le pire….
Nous
pouvons noter que « Philippa Rousset qui a
déjà eut la peste de 1586, en a guéri,
l’a repris et en aguéri une seconde fois ».
Jacquemin semble y trouver
une raison : « elle ne s’est
jamais marié et aide les pauvres ».
Le
second mémoire qui présente « ceux
qui ont exposés leur vie pour servir autruy » est
une succession de témoignages de ceux qui ont affronté la
maladie pour soigner
leurs proches. J’y découvrirai qu’Antoinette Courbon, la femme
de mon Jean
Tamet, forte de sa charité n’y survivra pas. C’est un
récit troublant que je ne
peux que citer « aussitôt qu’elle se
vit frappée, elle sortit de la maison afin de n’affecter
personne et se fit
faire une loge au chemin sur la maison, où elle se confessa, fit
son testament
et puis mourut ».
Jacquemin
conclura en énonçant qu’en 1630 certains
hameaux comme celui de Viollet (berceau de l’auteur ?) sont
décimés. Le
mal qui a commencé dans le secteur de Font-freide y a fini. On
peut alors
regretter la disparition du journal qui est cité.
En
dépit du traumatisme, le lieu n’a pas sombré dans
un âge des ténèbres, au contraire. L’horreur et la
tragédie de la peste
porteront les germes d’un renouveau progressif. Ceux qui survivent vont
bénéficier de la saignée démographique et
des familles modestes vont ainsi
s’enrichir.
Cette
somme de témoignages est toutefois assez
effroyable et résonne encore au cœur de notre XXIème
siècle. Nous avons nous
aussi nos propres fléaux en un temps où croyance rime
parfois avec folie, je ne
peux, même dans ma laïcité, qu’honorer cette foi qui
a été un support d’amour
et de fraternité.
(1) Abbé JB Vanel