REPORTAGE REGARDS DU PILAT
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FEVRIER 2015

Par Rémy ROBERT

 
1628-1632, Peste fut.




Nous sommes dans le premier tiers du XVIIème siècle. Depuis 1347, la peste a frappée notre région à plusieurs reprises. Les lieux dédiés à Saint-Roch (et peut-être notre 8 décembre) en sont témoins. Elle y revient en 1628 couvrant une période de 5 années. Des villes comme Saint-Etienne ou Saint-Chamond vont perdre la moitié de leur population. Elle restera dans les mémoires, à Lyon, sous le nom de Peste de Mantoue.

Y-a-t- il un lien plus direct ?  A cette époque Melchior Mitte de Chevrières, marquis de Saint-Chamond est envoyé en Italie comme ambassadeur extraordinaire par Richelieu et Louis XIII afin de s'assurer de la bonne succession de Mantoue en 1627, au bénéfice du Duc de Nevers.

Durant 5 années épouvantables, la peste conduit l'homme aux portes de l'apocalypse. Un temps où les vivants enterrent les morts risquant leur vie dans des cimetières débordant de cadavres. Les gens devaient être convaincus qu'était venue l'heure du jugement suprême en un temps où ils avaient perdu tout espoir. Dieu, semble –t-il, les avait abandonné.

 

Quelques survivants ont été les chroniqueurs de cet âge désespéré parmi eux un prêtre de Saint-Genest-Malifaux, témoin oculaire du front de la mort. Son récit saisissant est arrivé jusqu'à nous grâce à la pensée éclairée des hommes et l'amour de leur région. C’est un tableau réaliste, choquant et surprenant  d'une des grandes catastrophes de l'histoire de notre pays et notre région que je vais vous dépeindre.

 

Dans un premier temps, je présenterai l'auteur, tenterai d'en dépeindre son profil atypique avant de présenter le document et son parcours jusqu'à notre époque. Enfin, j’interpréterai la situation avec une certaine liberté d'analyse avant de me rapprocher au plus près des témoignages qu'il nous apporte.

 

Un prêtre « indigne ».

Louis Jacquemin qui utilisera un temps le surnom « donnet » est originaire de Saint-Genest-Malifaux, du hameau de Viollet proche de celui de Pléney né entre 1585 et 1592 et décédé peu après le 23 novembre 1652.

Sa date de naissance est incertaine (les registres de baptêmes de Saint-Genest qui auraient été précieux comportent sur cette période des lacunes).II est probable que sa naissance se situe plutôt en 1591 ou 1592 car une peste terrible a déjà frappé le secteur en 1590 et s'il avait été né, il est probable qu'il aurait alors fait un parallèle. Il est ordonné prêtre le 8 mai 1613. Il ne sera pas curé de Saint-Genest mais vicaire. C'est un esprit éclairé qui nous a laissé son empreinte dans notre belle région. Il est à noter que sur les actes paroissiaux de 1623 à 1626 ajoute à son un étonnant qualificatif «  prêtre indigne ».

Nous pouvons lui attribuer l'énigme inscrite sur la Font Ria, fontaine située à Saint-Genest dans le bois Farost certainement à proximité de la demeure  familiale de Jacquemin. Il s'agit d'une source reconstruite dans les années 70, délimitée par des pierres sur lesquelles est gravé un texte énigmatique. Le texte serait une œuvre de jeunesse de Jacquemin écrite entre 1607 et 1610 pendant ses études. On peut envisager une nostalgie, un certain romantisme et un mal du pays. La fontaine sera construite entre 1610 et 1630. Plus probablement avant qu'il prononce ses vœux car la démarche me paraît peu compatible avec sa fonction en l'époque. En effet cette énigme fait référence aux origines locales «proto ou pré-historiques » d'une source sacrée « Vellave ». Jacquemin en connaissait mieux que nous à ce sujet et il apparaît que la mémoire des cultes anciens se soit transmise jusqu'à cette époque.

La référence à cette source est d'autant plus importante que c'est en ce lieu que, pendant la peste, des loges furent utilisées ou construites « aux celles de Tamet » les malades venaient s'isoler et y mourir.

 En 1646, il publie, après l'avoir mise en scène à Saint-Genest, une pastorale : «Le triomphe des Bergers ». Bien que l'histoire évangélique soit scrupuleusement respectée, Jacquemin y dépeint la misère accablante des paysans en référence à son époque (Mazarin, les impôts, la guerre) et semble avoir pour objectif de distraire ses paroissiens, les consoler, les récréer.

 

Enfin Louis Jacquemin nous a transmis des écrits concernant les mœurs de son village durant les années de peste qu'il a vécu. Avant d'aborder cette dernière partie, je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre Jacquemin et Polycarpe de La Rivière notre fameux prieur de la Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez. Ce dernier contemporain de Jacquemin serait né à Tence voire peut-être à Marlhes ou à Jonzieux, villages très proches de celui de Saint-Genest-Malifaux Il fera des études à la Maîtrise de la cathédrale du Puy en Velay, Il entre chez les chartreux en 1608 et sera prieur à Sainte-Croix de 1618 à 1627. Il me plaît de croire que les deux hommes se sont connus, croisés, voire fréquentés.

 

Un document perdu, retranscrit au fil du temps.

Les textes auxquels je vais faire référence ont été publiés en 1887 par l'abbé JB Vanel, autre prêtre de Saint-Genest, dans le cadre d'une note bibliographique sur Louis Jacquemin. Les documents sont intitulés « Mémoire d’une partie des bonnes et mauvaises actions arrivées en la parroisse de Saint Genest de Mallifaut et manifestes à chacun durant la peste des années 1628, 1629, 1630 1631» et « Mémoire de ceux qui ont exposé leur vie pour sauver autruy » suivi d’une « Addition de l’an 1632 ». Ces documents était associé à un journal de la Peste, donc écrit au quotidien par Jacquemin. Nous en avons perdu la trace. Le texte original a disparu. Celui qui est arrivé jusqu'à nous a été transcrit en 1768 depuis le manuscrit qui, à cette époque, se trouvait encore dans les archives de la marguillerie de l'église de Saint-Genest. Le transcripteur, lui aussi Genesien et séminariste, conclue le document utilisé par l’abbé Vanel par cette phrase «  copié mot à mot, les premiers jours de décembre 1768 à Saint-Etienne, ce 6 décembre 1768 ».

 

Mémoires

Ces écrits sont une source d'observation locale pleine d'intérêt, des mœurs d'un village du Pilat dans le premier quart du XVIIème siècle. Louis Jacquemin est le Témoin consignant ses impressions et « distribuant avec impartialité le blâme ou la Louange à ceux qui en ont été dignes ». (1) Sottise des uns, charité des autres, terreur de tous, telle une peinture qui n'a nulle autre pareille pour connaître la situation du pays et le caractère de ses habitants.

On imagine bien volontiers le Pilat de cette époque au peuple pieux, mobile, face à une maladie effrayante touchant des gens de toute condition et portant atteinte à tous les aspects de la vie :   la société, la religion, la famille. Ceux qui s'attelaient à soigner les mourants prenaient le mal à leur tour. Les remèdes sont  inefficaces, il ne restait aux hommes que leur foi en Dieu et le secours de l'Eglise. Comment ne pas penser que lorsque une maison comportait un malade la tendance était de ne pas s'en approcher et que même les proches s'en cachaient pleurant déjà sa perte, le prêtre pris de panique se hâtant de donner les derniers sacrements en tremblant de tous ses membres. Nul ne sachant que faire ou que dire.

La religion ne protège pas de la maladie, les prêtres qui bravaient la mort prenaient le mal à leur tour et succombaient souvent à la Peste. Il y a donc eu des ravages dans le clergé. A la peur s'ajoute l'ignorance et les croyances sur la transmission de la maladie. A mesure que la société se délite, le rythme de la vie est perturbé. On ne rentre plus les récoltes, le bétail est laissé à l'abandon et à la maladie s'ajoute la famine. Chacun se comporte comme s'il allait mourir le lendemain, c'est une crise morale profonde.

 

Jacquemin nous raconte que pendant la contagion, il se partageait avec le curé et l'un de ses  confrères le soin des malades et la visite des mourants.

L’auteur est traversé par ce que nous pourrions qualifier de nos jours de superstition, de naïveté. A l’image de ceux de son époque, il évoque les croyances de son temps pour expliquer le fléau (une vengeance du ciel pour laver les péchés, la conjonction des planètes, l’air corrompu, les fruits avariés) et des signes préalables dans son environnement (excès de jeux de cartes, faux monnayeurs, libertinage).

Le premier Mémoire commence par les mauvaises actions. Les noms des coupables ne sont jamais donnés : « une servante qui s’est exposé pour soigner sa maîtresse prit le mal duquel dieu la guéri mais au lieu d’en rendre grâce à Dieu elle eut un enfant de son maître ».

Ceux qui blasphèment sont punis comme les prétentieux, les mécréants, les insolents ou ceux qui refusent la confession. Il témoigne que la contagion s’est accompagnée de libertinage, de famine, de violence, de fêtes et d’excès d’alcool.

Un cimetière est improvisé à la croix des Rameaux, il sera vite complet. L’idée d’un nouveau cimetière à l’extérieur du bourg est avancée mais ne sera pas suivie d’effet. Louis Jacquemin dénonce alors ces corps déterrés par les chiens, les loups ou risquant d’être labourés.

Il conclura cette partie en évoquant ses propres fautes (sans les décrire) puis en déclarant que « ceux qui malgré leurs fautes en ont réchappé car Dieu attend leur pénitence et s’ils ne la font pas, il leur garde les peines éternelles de l’enfer ».

Est-ce pour cette raison ou pour un plus simple vœu que l’auteur, se rendra, après la peste, à Santa Casa de Lorette en voyage pour un pèlerinage à la sainte vierge ?

 

Les bonnes actions sont ensuite citées, chaque protagoniste est alors nommé. On peut noter que l’auteur commence par les prêtres (le curé en premier), puis les notables (notaires et ceux qui ont donné aumône aux pauvres)et c’est avec fierté que j’ai pu y lire que mon ancêtre « Jean Tamet de la Gerbodière, fit aussi beaucoup de bien aux pauvres ». Les autres n’étant pas cités, j’imagine donc le pire….

Nous pouvons noter que « Philippa Rousset qui a déjà eut la peste de 1586, en a guéri, l’a repris et en aguéri une seconde fois ». Jacquemin semble y trouver une raison : « elle ne s’est jamais marié et aide les pauvres ».

 

Le second mémoire qui présente « ceux qui ont exposés leur vie pour servir autruy » est une succession de témoignages de ceux qui ont affronté la maladie pour soigner leurs proches. J’y découvrirai qu’Antoinette Courbon, la femme de mon Jean Tamet, forte de sa charité n’y survivra pas. C’est un récit troublant que je ne peux que citer « aussitôt qu’elle se vit frappée, elle sortit de la maison afin de n’affecter personne et se fit faire une loge au chemin sur la maison, où elle se confessa, fit son testament et puis mourut ».

 

Jacquemin conclura en énonçant qu’en 1630 certains hameaux comme celui de Viollet (berceau de l’auteur ?) sont décimés. Le mal qui a commencé dans le secteur de Font-freide y a fini. On peut alors regretter la disparition du journal qui est cité.

En dépit du traumatisme, le lieu n’a pas sombré dans un âge des ténèbres, au contraire. L’horreur et la tragédie de la peste porteront les germes d’un renouveau progressif. Ceux qui survivent vont bénéficier de la saignée démographique et des familles modestes vont ainsi s’enrichir.

 

Cette somme de témoignages est toutefois assez effroyable et résonne encore au cœur de notre XXIème siècle. Nous avons nous aussi nos propres fléaux en un temps où croyance rime parfois avec folie, je ne peux, même dans ma laïcité, qu’honorer cette foi qui a été un support d’amour et de fraternité.

 


(1) Abbé JB Vanel



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