DOSSIER MARS 2016



Par Patrick Berlier



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LE BERGER DU PILAT

 

Aux beaux jours, si vous allez randonner ou simplement vous promener sur la zone des crêts du Pilat, vous allez peut-être croiser le chemin d’un troupeau de moutons et de son pâtre. Ne craignez pas d’engager la conversation. Passant le plus clair de son temps seul dans la nature immense avec ses brebis et ses chiens, ce nouveau berger d’Arcadie est heureux quand il peut faire partager sa passion, expliquer son métier et raconter des histoires. Rencontre…

 

Cyril Cote, le berger du Pilat (photo Bernard Jamet)

 

Un matin de septembre… Nous avons rendez-vous avec Cyril Cote, le berger du Pilat. Il fait plutôt frisquet, tout juste 2°... Une bise du nord, et un brouillard à couper au couteau, renforcent l’impression de froid. Une autre planète ! Où est le sentier ? Ah, le voici, à droite de la route conduisant à la Jasserie. Nous passons en contrebas du Crêt de la Perdrix, que nous ne voyons pas… Un carrefour de chemins : notre sentier croise celui montant de la Jasserie. Il faut tourner à droite, puis à gauche un peu plus haut. Heureusement que nous connaissons les lieux, car le brouillard efface les repères habituels, déstabilise. Voici le « Chalet Bourguisan », de son vrai nom Chalet G. Duclos, appartenant au syndicat d’initiatives de Bourg-Argental.

 

Le « Chalet Bourguisan » dans le brouillard (photo Patrick Berlier)

 

Un chien sorti de nulle part vient folâtrer autour de nous, puis un second. Regard intelligent, ce sont des chiens de berger. Cyril n’est pas loin. Le voici qui s’avance sur le chemin. Il nous explique que le « Chalet Bourguisan » est plus vieux qu’on ne le pense, il daterait du XVIIIe siècle au moins, et aurait été en bois à l’origine. Il en sait des choses, notre berger…

Cyril nous explique son parcours. Grands-parents éleveurs de vaches, parents éleveurs de moutons, très jeune il a souhaité prendre leur suite. Après des études dans un lycée agricole, il est parti un an en Irlande se former au métier. Associé avec ses parents, ils ont formé une GAEC, implantée sur la commune de la Terrasse-sur-Dorlay. Cyril élève des moutons pour la viande. Son troupeau est composé de 600 brebis, 85 % de grivettes et 15 % de noires du Velay. De temps en temps, il introduit deux béliers dans le troupeau : leur seule vue suffit pour que les brebis tombent en chaleur. Ensuite, il n’y a plus qu’à laisser faire la nature… Les naissances sont donc programmées pour des périodes choisies. Les agneaux sont nourris exclusivement au lait de leurs mères, ce qui donne à leur viande tendreté et saveur incomparables. Ils sont abattus par l’abattoir de Corbas, dans des conditions de traçabilité optimales, et écoulés en vente directe sur les marchés de Vienne, Saint-Chamond (Fonsala), et Saint-Étienne (place Albert Thomas). Depuis peu, Cyril s’est associé avec d’autres producteurs pour ouvrir un magasin au Sardon, près de Rive-de-Gier.

 

Un agneau vient de naître (B J)

 

Depuis 1997, la famille Cote monte ses brebis en estive sur les crêts du Pilat, de juin à octobre. Au début, cette estive était le fruit d’une collaboration avec la famille Masson, propriétaire de la Jasserie et des terres environnantes, qui fournissait les pâturages, une étable et une chambre pour le berger. Cyril était trop jeune alors, ses parents embauchaient un berger, ou une bergère. La dernière en date, qui n’était pas originaire de la région, a trouvé l’âme sœur dans le Pilat et y est restée… Et puis au début des années 2000, il y a eu l’affaire de la Jasserie : pour fabriquer l’électricité nécessaire à la ferme auberge, les Masson utilisaient une turbine sur le Gier, associée à un groupe électrogène. Solution certes difficile et aléatoire, alors ils réclamaient l’installation d’une ligne électrique. Plus simple à dire qu’à faire, la Jasserie est loin de tout, la ligne électrique la plus proche passe à plus de 3 km. La situation s’enlisait, alors la famille Masson n’a rien trouvé de mieux que de prendre des mesures de représailles contre la famille Cote – qui n’y était pour rien ! – en lui interdisant de monter en estive. Finalement la Jasserie a eu sa ligne électrique, tirée depuis le bâtiment militaire du crêt de Bote, mais Cyril et ses parents ont dû trouver une autre solution.

 

Paysage de la zone des crêts (B J)

 

Ils ont contacté tous les propriétaires des terrains situés sur les crêts du Pilat. Gros travail, car les parcelles ne font que quelques dizaines de mètres de largeur, pour plusieurs kilomètres de long parfois. Au total, ce sont 94 propriétaires qui ont donné leur accord. Sans difficulté : comme les brebis sont des débroussailleuses hors pair, ils y trouvent leur avantage. Aujourd’hui la zone de pâturage s’étend de l’Hôtel brûlé à la Jasserie. Désormais c’est Cyril qui joue le rôle du berger. Il a installé cinq parcs clôturés, où ses brebis peuvent passer la nuit, sous la garde de Choupette, un impressionnant Montagne des Pyrénées. On dirait un ours blanc en peluche, mais il vaut mieux ne pas se fier à sa bonhomie apparente. Cyril, lui, rentre tout simplement chez lui, et grâce à son « quad » il peut tracer sa route en dehors des chemins. Il faut dire qu’à la maison l’attend le petit Léon, son jeune fils de deux ans et demi.

 

La brave Choupette surveille le troupeau (B J)

 

Le froid s’installe, le soleil tarde à percer. Cyril nous propose de bouger un peu pour nous réchauffer. Direction le Crêt de la Chèvre et le Crêt de l’Arnica, à deux pas de là. Il n’y a pas de chèvres au Crêt de la Chèvre, et pas d’arnica au Crêt de l’Arnica, c’est bien connu… Pour Cyril, ces appellations sont récentes, ce sont des noms familiers qui ont remplacé des noms anciens que les gens ne comprenaient plus. Il nous entraîne un peu à l’écart, vers le Crêt de l’Arnica. Dans un petit chirat, se dégage un fond de cabane circulaire, ce qu’il appelle un igloo. Cyril nous dit en connaître six de ce type. Pour lui, c’étaient des guérites destinées aux soldats de Napoléon, qui depuis ces lieux élevés surveillaient la région, en craignant une éventuelle attaque des Autrichiens.

 

Fond de cabane circulaire dans un chirat du Crêt de l’Arnica (P B)

 

Pourtant Napoléon a perdu… Les Autrichiens sont venus occuper le Pilat. Ils campaient à la Croix de Chaubouret. Les anciens parlent d’un « cimetière des Autrichiens », quelque part. Plus personne ne sait où… Cyril a cherché, il n’a pas trouvé. Maintenant il nous entraîne vers le Crêt de la Chèvre, pour nous raconter la légende des géants. Cette histoire, comme toutes celles qu’il connaît, il les a recueillies auprès des anciens, du côté de Saint-Sabin, en allant rendre visite à ses propriétaires. Certains lui ont montré aussi des vieilles photos, Cyril déplore que ces documents soient perdus parfois, lors de décès.

Alors, il était une fois… Trois géants de pierre vivaient autour du Crêt de la Chèvre. Deux d’entre eux avaient charrié des pierres pour former des chirats, chacun sur un versant. Mais il étaient jaloux l’un de l’autre, chacun prétendant que le chirat de son frère était plus beau que le sien. Alors ils ont fini par se battre. Le troisième frère, qui vivait au Crêt de l’Airellier, a voulu intervenir, les séparer. Ses frères lui ont donné une bourrade qui l’a renversé, il est tombé sur la vieille auberge entre les crêts de la Chèvre et de l’Airellier, et il l’a écrasée. Depuis, on parle de l’auberge perdue, mais plus personne ne sait où elle était. Quant aux deux frères, leur combat à mort s’est soldé par leur éclatement en mille morceaux. Chacun s’est transformé en un éboulis, qui s’est ajouté aux pierres des chirats. On dit que leurs têtes sont toujours là, pour qui sait les voir.

 

Est-ce la tête du géant de pierre de la légende ? (P B)

 

Cyril nous emmène, hors sentier, jusqu’au chirat Vicinet, ou Vicinou, côté est du Crêt de la Chèvre. Certaines cartes postales anciennes parlent du « Pic du Vésinet ». C’est un nom du patois local, cela veut dire « qui fait du bruit », car pour les anciens de Saint-Sabin quand on entend du bruit de ce côté-là c’est signe que l’orage va éclater. Beau chirat, en effet. Un bloc de rocher plus gros que les autres a bien la forme d’une tête de géant, vu de profil…

 

Le chirat Vicinet (P B)

 

À travers bois, nous rejoignons les sentiers balisés. Nous voici au col entre le Crêt de la Chèvre et le Crêt de l’Étançon. Pas de nom sur la carte, mais Cyril nous apprend qu’il s’agit du col des Petites Croix. Pourquoi ce nom ? Jadis, les gens du versant du Gier allaient régulièrement en pèlerinage à Saint-Sabin, à pied bien sûr et par les chemins franchissant la ligne de crête. Les forêts étaient quasiment inexistantes alors sur les sommets, et la vue portait loin. Au retour ils savaient qu’au-delà du col ils n’apercevraient plus la chapelle Saint-Sabin, alors ils confectionnaient des petites croix avec deux branchettes nouées, et les plantaient au bord du chemin. Ces croix veilleraient à leur place et témoigneraient de leur désir de revenir l’année suivante. L’un des propriétaires des terrains se souvient qu’enfant, passant par là, il avait ramassé des petites croix et les avait rapportées chez lui. Son père se mit en colère : c’était un véritable sacrilège, qui allait attirer le malheur sur la maison. Il obligea son fils à repartir, en pleine nuit, pour aller replanter les petites croix…

 

Le troupeau de brebis (B J)

 

Nous avons rejoint « l’autoroute ». Ainsi les familiers des lieux nomment-ils ce large chemin qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, aurait dû devenir la route des crêtes, entre le col du Grand Bois et le col de l’Œillon, projet qui rencontra une vive opposition. Les partisans de la nature finirent par obtenir gain de cause, et la route ne fut jamais goudronnée. Le soleil finit par s’imposer. Cyril nous emmène au-delà du crêt de l’Étançon, vers le col du même nom, où nous rejoignons son troupeau.

 

« L’autoroute », vestige d’une route jamais terminée (P B)

 

Encore un nom oublié, ce col de l’Étançon… Cyril nous explique que, selon les anciens, il y aurait un étang ou lac souterrain sous ce col. C’est un fait que le sol sonne le creux sous le talon… L’étang, ou le lac, sonne. L’étang sonne a donné l’Étançon… Telle est l’origine, toute simple, de ce nom qui interpelle.

Les chiens connaissent leur travail. Les deux border collies, Indy et Dakar, s’occupent à maintenir le troupeau dans la zone fixée. Ils obéissent instantanément aux ordres du berger, qu’ils comprennent parfaitement : « à gauche, derrière », etc… Choupette, de son côté, surveille les abords. Un inconnu s’approche, la voici menaçante, les oreilles en arrière, la gueule entrouverte et grondante. La dissuasion est efficace, l’inconnu passe son chemin. « Les chiens font 75% du travail », nous dit Cyril. Cela lui laisse du temps. En amoureux de la nature, il est incollable sur la botanique, il connaît des plantes rares et protégées, gardant jalousement leur emplacement. Bien sûr il est en relation avec le Parc Naturel Régional du Pilat, qui le visite régulièrement. Ses moutons contribuent largement à maintenir le milieu ouvert, ils sont aujourd’hui des acteurs indispensables de l’écosystème.

 

Choupette se fâche (B J)

 

À l’aller comme au retour, la transhumance des 600 brebis de Cyril fait toujours sensation. Alors il a su en tirer parti. Chaque fois c’est le prétexte à une fête, avec musiciens, groupes folkloriques, repas campagnard. La montée à l’estive de 2015 a drainé plus de 2000 personnes sur les chemins du Pilat. Nouveauté : elle a été filmée par un drone, ce qui fera l’objet d’un DVD. Moderne, le berger… Il nous avoue aussi être un lecteur fidèle des Regards du Pilat. Merci Cyril !







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    Rémi transmet la joie de vivre. Ce touche à tout s'avère être un véritable humaniste, un Homme qui aime avant tout partager humblement son vécu et transmettre aux générations futures ses expériences. Nous allons nous mettre en quête de mieux le connaître, même si ce n'est pas toujours simple tellement il possède de cordes à son arc. Patient et passionné il a eu la gentillesse de nous recevoir et c'est cet entretien interview que nous vous diffusons aujourd'hui.







Bonjour Rémi, heureux de vous rencontrer dans votre jardin.

1/ Regards du Pilat : Ce lieu de rendez-vous induira notre première question. Comment se fait-il que vous vous présentiez comme jardinier à l’âge de 6 ans ?

Tout petit je me suis aperçu qu’une partie de notre nourriture familiale venait du jardin potager. Alors j’ai demandé à mon père (paysan) si je pouvais avoir mon petit bout de jardin. C’est ainsi que je pus cultiver une douzaine de m2 sous un cerisier. Ainsi a commencé mon cycle de la terre nourricière qui continue à 74 ans. Si on n’aime pas jardiner c’est une corvée par contre si on aime c’est un plaisir.

Ma mère cuisinait très bien pour toute la famille et la nourriture c’est affectif.


2/ Regards du Pilat : Passionné d’écriture, vous semblez véritablement vous ressourcer au milieu de vos plantes aromatiques et autres plantations. Qu’en est-il exactement ?

Les plantes aromatiques ça compte, mais ce que je préfère c’est le potager (salades, radis, tomates, choux, blettes, pommes de terre, haricots, petits pois, courgettes, concombres, pâtissons, cornichons, betteraves rouges etc….).

Je jardine BIO.

J’ai aussi beaucoup de fleurs, des annuelles et des vivaces.

Mon jardin ressemble un peu à un jardin de grand-mère où à un jardin de curé des autrefois.

Le jardin donne un sens aux saisons.

Le jardinage est une vertu physique et mentale

Comme disait Voltaire, riche ou pauvre, pour être heureux il faut d’abord  cultiver son jardin.

3/ Regards du Pilat : Votre enfance vous a décidément marqué et tout particulièrement le monde agricole, celui des paysans pauvres mais jamais miséreux. Que vous inspire l’évocation de ces souvenirs chers à votre cœur ?


Mes parents étaient de simples fermiers pas propriétaires. Vous vous rendez compte qu’avec une ferme de 10 hectares de terrains (pas très riches et à la pendigole) avec 7 vaches et une paire de bœufs……..ils ont élevés 7 enfants et je suis le cinquième.

Adon les petits paysans étaient pauvres et pas miséreux, car ils vivaient en quasi autarcie et en plus ils étaient libres.

C’était l’époque des cultivateurs devenus des agriculteurs.

L’agriculture est devenue l’agro-alimentaire puis l’agrochimie, tout ça pour générer des profits pour une minorité qui ne pensent qu’à la finance et s’en foutent de la bonne santé des gens.

En 2003 à mon musée à Haute-Rivoire un vieux paysan de 85 ans m’a dit : « les paysans ne sont plus des paysans, car dans leur tracteur ils n’ont plus les pieds sur terre ».

Moi qui ai labouré avec les bœufs, avec mon père je suis d’accord avec lui.

Je me dis qu’ils sont pris dans un système qui les place entre le marteau et l’enclume.

A Brignais où j’habite depuis 1964, à 12 km de Lyon, j’ai conservé mon âme paysanne en élevant des poules et des lapins pour ma consommation personnelle (au moins on sait ce qu’on mange).

4/ Regards du Pilat : Vous êtes tourné vers le passé mais indéniablement avec  un regard constant vers demain. Vous avez d’ailleurs un slogan : « Il faut connaître le passé, pour comprendre le présent et préparer l’avenir. » N’est-ce pas tout simplement là  la symbolique d’un éternel optimisme ?

Il ne faut pas oublier le passé, mais ne pas y rester enfermer sinon on est passéiste et négatif.

En s’inspirant du passé on comprend le présent et on s’adapte.

Si on est optimiste on pense à l’avenir que l’on prépare avec le passé et le présent.

5/ Regards du Pilat : Touche à tout, (ne vous inquiétez pas nous allons en venir aux livres), vous avez occupé la fonction de correspondant de presse depuis votre retraite. Comment vous êtes-vous parvenu à cette fonction prenante ?


Lorsque en 2004 le Journal Le Progrès m’a demandé si tous les dimanches je pouvais faire une chronique dans l’Edition 69 B, j’ai cru rêvé, moi qui possède que mon Certif et mon C.A.P de carreleur-mosaïste. En plus chaque semaine je pouvais écrire sur le thème de mon choix. D’emblée j’acceptai et en tant que chroniqueur, j’avais le statut de correspondant.

Pour moi c’était que du bonheur et ma chronique : « Les belles histoires de Rémi » dura pendant 7 ans de 2004 à 2011 (même en 2009 quand j’avais le cancer) et ma chronique s’arrêta quand Le Progrès réduit le format du journal.

Pendant toutes ces années des lectrices et des lecteurs découpaient et classaient toutes mes chroniques et parfois je les dédicaçais.

Dans ma famille depuis 1859 nous lisons ce journal républicain.

6/ Regards du Pilat : Maintenant, venons-en à vos livres, comme promis, et d’abord au premier, intitulé « Mon enfance à Haute Rivoire. » Comment est né ce besoin d’écrire, qui va vous porter jusqu’à l’édition de 11 ouvrages ?


Lorsque j’étais gamin j’écrivais déjà en gardant les vaches. A l’école j’aimais bien la Rédaction et l’Histoire de France.

Dès le Certif obtenu, à l’âge de 14 ans, ceux des Monts du Lyonnais étaient les émigrés qui travaillaient en ville. Ainsi en 1955 je fus placé comme commis épicier, nourri, logé et blanchi (notre patronne devait nous laver notre linge) au n° 247 rue Paul Bert à Lyon. Je faisais des livraisons de vin et d’épicerie avec un triporteur à pédales et je servais les clients à l’épicerie. C’était le temps où le charbonnier poussait une carriole à bras, le vitrier passait dans la rue, le Cep Vermeil livrait les caisses de vin avec une grande charrette tirée par un cheval percheron. Enfin toute une époque, dans ce quartier ouvrier dans la commune libre : Villette Paul-Bert.

A ce moment je me suis promis que plus tard j’écrirai un livre sur mon enfance à Haute-Rivoire, si pauvre et si riche.

Les dernières années que j’étais artisan carreleur à Brignais j’économisais 52.000 francs et c’est ainsi que je publiai en 1998 mon premier livre « mon enfance à Haute-Rivoire 1941-1955 ». Le Progrès me surnommait le Passeur de Mémoire et je dédicaçais mon livre chez Decitre Place Bellecour à Lyon. Je passais à la télé à TLM dans l’émission Vie de Quartiers.

Je recevais une centaine de lettres et les gens me demandaient de continuer à écrire. Je répondais « d’accord si financièrement  je retombe sur mes pattes ».

Ce qui fut fait et c’est ainsi qu’au fil du temps j’écrivais et publiais 11 livres.  

7/ Regards du Pilat : L’Assassin des Bergères reste une véritable référence dans votre bibliographie. Expliquez-nous un peu comment vous avez réussi à vous mettre littéralement dans la peau d’un détective ou même inspecteur de police pour arriver à reconstituer le parcours précis d’un assassin peu singulier ?

Tout d’abord j’ai entendu parler de Vacher l’assassin des bergères par ma mère lorsque j’étais gamin et jeune berger et que je gardais nos vaches.

Il est vrai qu’une cinquantaine d’années plus tôt cet odieux individu avait assassiné à Courzieu, les Haies, Sain Bel, Tassin la Demi-Lune, et à Joux : en tout cinq crimes rien que dans le département du Rhône. La peur de ce loup-garou était restée tenace.

Au début des années 2000 je décidais de me lancer dans de nombreuses recherches et sans m’en rendre compte, pour exorciser ma peur d’enfant je me  suis sans doute mis dans la peau d’un inspecteur de police…………et je n’ai pas lâché Vacher.

Aux Archives départementales du Rhône et surtout aux Archives départementales de l’Ain j’ai épluché minutieusement le remarquable dossier de Cour d’Assises sur ce tueur en séries, qui avait sévi dans toute la France.

J’ai consulté tous les journaux de l’époque, en me rendant sur les lieux de plusieurs crimes, en passant par la mémoire collective, j’ai retrouvé des descendants des victimes et des descendants des innocents que l’on jeta en prison.

Alors qu’on attribuait à Vacher une centaine de crimes, avec certitude j’en répertoriais 53 ainsi qu’une cinquantaine de viols et de tentatives d’assassinats dans toute la France.

Vacher a été guillotiné, à Bourg en Bresse, le 31 décembre 1898 : il n’avait que 29 ans.

Vacher est le plus grand tueur en séries des deux derniers siècles en France.

J’ai fait toutes ces recherches et j’ai écrit ce livre à la mémoire des victimes et de tous les innocents que l’on mit en prison.

8/ Regards du Pilat : Moins connu, mais tout autant documenté, « Paysans et moines cisterciens », vous a également demandé un investissement considérable. La mémoire collective, celle que justement vous retranscrivez si souvent dans vos œuvres, pose ici une sorte de problème. Effectivement,  cette dernière en était arrivée à complètement faire disparaître l’existence de ce petit monastère que vous avez retrouvé grâce à votre travail et votre efficacité. Est-ce bien ainsi que se sont déroulées les différentes étapes qui ont jalonné ce beau projet ?


Lorsque qu’en 1997 je fis des recherches historiques pour écrire mon 1er livre «  mon enfance à Haute-Rivoire », à la Diana à Monbrison je trouvais l’existence d’un prieuré cistercien à Thorenche à Haute-Rivoire et il était écrit que début 1800 on en voyait encore les ruines. Thorenche est situé juste au-dessus d’où je gardais les vaches.

Quelle surprise !

Je poursuivais mes recherches aux Archives départementales du Rhône, où je trouvais un magnifique terrier en peau de veau, de 306 parchemins. Ce terrier datait de 1448.

Comme c’était du latin juridique je le fis transcrire par mon paléographe.

Ce qui me permit d’apprendre beaucoup de choses sur Haute-Rivoire.

Comme ce prieuré de moines cisterciens dépendait de Mazan en Vivarais, je me rendais sur place, ainsi qu’aux Archives départementales de l’Ardèche à Privas……..où je trouvais beaucoup de faits de l’histoire de Haute-Rivoire.

J’ai appris à bien aimer ces moines cisterciens car ils aidaient les paysans et les pauvres.

Il ne reste pas grand-chose de ce prieuré qui avait été vendu comme bien national et les gens se sont servis de ce patrimoine comme dans une carrière  (comme à beaucoup d’endroits en France).

En effet en parcourant les environs j’ai retrouvé des fermes et des habitations construites avec les matériaux de ce prieuré (grenier à sel, chapelle etc..).

9/  Regards du Pilat : Décidément pluridisciplinaire, vous avez ouvert, à Haute Rivoire, en 2003 le Musée Rémi Cuisinier. Comment se présentent vos collections et quelles sont vos objets de prédilection ?


A Lyon-Villeurbanne place Rivière tous les dimanches matins il y avait le marché aux puces. En 1957 (j’avais 16 ans) je m’y rendais et avec mes modestes moyens financiers, j’achetais des objets et ustensiles avant qu’ils n’existent plus. Au fil du temps je continuais à parcourir les puces et les brocantes, pour faire un musée dans le sous-sol de ma maison à Brignais, pour mes enfants et petits-enfants.

Lorsqu’en 1998, j’appris que la plus vieille maison (aussi la plus sale) du bourg de Haute-Rivoire, allait être démolie pour faire un parking, j’allais trouver le Maire (un copain d’enfance). Il me dit que cette maison sans eau et sans électricité était à vendre depuis très longtemps et personne n’en voulait. Je lui dis que je voulais la sauver et en faire un musée. La municipalité leva le droit de préemption et avec mes économies j’achetais cette vieille maison.

Pendant quelques années j’économisais et sans aucune subvention, je la faisais rénover par les artisans locaux.

C’est ainsi qu’en 2003 pour la foire du dernier samedi d’avril j’ouvrais mon musée dont l’entrée était gratuite (c’est toujours le cas en 2015).

Au rez de chaussée j’ai reconstitué une pièce comme en 1903 et à l’étage c’est le musée de tout ce qui concerne la terre nourricière.

J’ai plus d’un millier d’objets, d’outils et d’ustensiles.

Ce que je préfère ce sont tous les paniers, une faux à arçon datant d’avant 1789, une caisse à outils d’un coiffeur-barbier ambulant qui parcourait les Monts du Lyonnais il y a plus de 100 ans, un fourneau datant de 1903, un creuseu (lampe à huile) : la même que du temps des gaulois………..et aussi une belle Fanny pour les boulistes etc………..

Depuis 1941 que je suis né, on a inventé beaucoup de choses, mais à mon humble avis on en a perdu beaucoup plus.

En montrant aux générations futures la vie de nos ancêtres, j’espère avoir fait mon devoir.

10/ Regards du Pilat : Rémi, nous vous remercions chaleureusement de vous êtes prêté à cet entretien-interview pour Les Regards du Pilat,  et pour conclure ; pourriez-vous nous parler de vos projets pour les années à venir ?


Je viens de sortir mon 11ème livre : « Brignais des Gaulois à nos jours » qui est le fruit d’une cinquantaine d’années de recherches.

Je suis aussi membre de l’Association « Les Amis du Vieux Brignais » et en 2012 j’ai consacré l’année entière pour les aider à solutionner l’origine des 247 rues, places ou chemins et à écrire un livre : « Brignais au fil des rues et des chemins ». Il y a encore du pain sur la planche pour préserver un maximum de patrimoine.

Le socle de notre société étant la famille, je consacre, dans la mesure du possible, un peu de temps à mes 4 enfants, 9 petits-enfants et mon arrière-petit-fils.  Et puis surtout tant que je pourrais, je jardinerais et je m’occuperais de mes poules et de mes lapins.

Je vais continuer à faire des causeries, à ouvrir mon musée et à tâcher moyen de transmettre la mémoire pour les générations futures.

Je pense continuer à faire mon devoir avec passion et humilité.

Cet entretien a été pour moi un plaisir et je rends un hommage sincère, en tirant un grand coup de chapeau, aux chercheurs de « Regards du Pilat » qui s’intéressent passionnément au Patrimoine et à l’Histoire du Pilat.

Et j’adresse un clin d’œil particulier et amical à Thierry Rollat.

A la revoyure

Rémi Cuisinier écrivain autodidacte surnommé par la presse « Le passeur de Mémoire »  remi.cuisinier@wanadoo.fr

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