DOSSIER

JUILLET 2020








Par notre Ami

Pierre-Bernard Teyssier



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          PiLAT – JAREZ   JADiS « PRé CARRé » DES ATESUi – OVATES d’ESUS ?

 

                                                             Préambule

 

A l’été 2018, plusieurs de mes amis, à ma grande surprise, m’avaient, indépendamment les uns des autres, fait la même suggestion. Sans s’être concertés, ni même, je crois, se connaitre, ce fut avec les mêmes ruses, de sympathie, qu’ils parvinrent à me caler le pied à l’étrier d’une redoutable monture. Depuis ma plus tendre enfance, ne m’étais-je pas toujours montré passionné par l’histoire de ma petite patrie ? N’avais-je pas déjà souvent risqué ma plume, occitane à l’occasion, à diverses chroniques et campé, à ma manière, des personnages tantôt illustres, tantôt insolites … ou les deux à la fois ?

Bref, au vu de mes persévérantes recherches et, sans aucun doute, de ma bonne mine, je n’avais plus, sans perdre une minute, qu’à mettre scène une chose inouïe : l’histoire des premiers occupants du Pilat. Et, sous-entendu, pour faire bonne mesure, ceux du Jarez itou !

Mais, voilà comment, une fois encore, j’allais devoir, bon gré mal gré, m’immiscer dans l’intimité de Ponce Pilate ou du roi Hérode, tendre la joue aux « Trois-évêques » ou passer à gué tel ruisseau… avec Jean-Jacques ! Vu de la sorte, l’excursion ne me disait pas trop, à vrai dire. Ou, alors, il m’allait falloir bousculer hardiment le décorum.  Mais, par à quel prix ou par quel miracle ?

Quel que soit l’aboutissement des recherches envisagées, conférence, publication ou autres media, j’étais bien décidé à rechercher non seulement les plus utiles, mais encore les plus agréables compagnies. Un tel état d’esprit fut du meilleur effet. Car, à peine avais-je – pour quelques temps du moins – faussé compagnie aux vaillants chasseurs-cueilleurs de la Font-Ria ou changé de trottoir en croisant le fantôme de Pilate, que se produisit comme par hasard ma collision (collusion, peut-être !) avec Gaius Plinius Secundus, plus connu sous le nom de Pline l’Ancien.

Pline, ce n’est pas forcément dans les vestiges, hélas de plus en plus évanescents, de mes humanités, que je serais l’aller quérir. Ce fut, en réalité, des « Fastes de la Province de Narbonnaise » (* 1) que le plus éminent reporter de l’Antiquité daigna se soustraire en douce et m’adresser comme un geste de sympathie. J’en fus, en toute humilité, singulièrement touché.

Pline l’Ancien,


qui, à la faveur des plus hautes charges de rang équestre dans la nomenclature impériale romaine, navigua, parait-il, de la Judée aux Açores (Tulia Minor ; cf. Paul RIVET, citant El Nuovo Diario, un journal de Caracas/ n° 2728 du 6 août 1920, art. de Alberto J. PORTA) et de la Germanie à l’Hispanie fut, sous l’influence de Sénèque, un fidèle adepte de la philosophie stoïcienne. En retrait volontaire de la vie publique, sous l’irascible Néron, il put opportunément faire progresser une œuvre écrite, dont n’ont survécu que ses Histoires Naturelles, soit plus de trente volumes. C’est sous Vespasien, dont il était l’ami, que Pline put atteindre son « floruit ». Mais, la riche biographie du personnage n’étant pas notre sujet, c’est un infime point de sa carrière qui a opportunément attiré notre attention : son implication concrète, en 70ap. J.C., à Vienne (Isère), comme procurateur chargé des finances de la Narbonnaise. C’est pour nous une véritable aubaine, car, quel haut dignitaire eût-il pu, mieux que lui, établir une matrice aussi fiable des peuples gaulois existant alors ? Il ne s’agissait plus seulement, comme dans le De Bello Gallico de César, un siècle plus tôt, d’entonner la litanie des peuples rangés par les armes sous le joug de Rome, mais, principalement ou accessoirement, peu importe, d’authentifier la matrice fiscale des quidam qui étaient tenus de verser tribut ou, par une rare exception, s’en trouvaient exemptés. Opulent ou non, nous l’ignorons, mais il est fait mention, sur cette liste de Pline, d’un peuple (*2) – hélas, non situé avec plus de précision – présent, selon toute vraisemblance, dans la périphérie de Vienne : les Atesui.

Premiers pas vers les Atesui alias les Atheux

Nous ne sommes pas les premiers à qui la simple mention, par Pline, des Atesui, ait mis la puce à l’oreille. Nous n’entendons pas faire ici, le tour complet des auteurs qui ont tenté d’y voir plus clair au sujet de cette peuplade ou ethnie gauloise. Encore, d’ailleurs, faudrait-il qu’il s’agisse bien d’une peuplade déterminée, si ce n’est d’une certaine fonction ou d’une qualification particulière, telle qu’il nous reviendrait, en pareil cas, de la définir au mieux. Et, enseigne au vent, de tenter, avec le lecteur, d’en explorer les contours, les finalités et les vestiges. Voilà qui, en réalité, au gré des étranges rebondissements de notre reportage, est bel et bien devenu notre objectif.  Il se révéla, ainsi, qu’envers ou contre Esus, le divin Elagueur, il y aurait, en filigrane de la toponymie et de quelques précieux fragments de légende, ample matière à un ouvrage entier. Aussi, un projet d’édition suit-il désormais son cours, mais, comme diraient nos voisins italiens : « Goutons d’abord aux antispasti » !

Avant d’amorcer notre expédition, il serait, tout de même, décent de jeter un œil dans la production d’auteurs qui se sont intéressés au sujet. Entre certains d’entre eux, surgirent, à l’occasion, des polémiques, parfois virulentes, dans lesquelles nous ne voudrions absolument pas nous empêtrer ni, encore moins, y exercer un quelconque arbitrage, rôle envers lequel, à vrai dire, nous ne nous ressentons pas un attrait irrépressible.

Parmi les auteurs contemporains, le bonus d’antériorité revient de droit au baron Charles Athanase WALCKNAER (1771 -1852, Paris). Ce savant polytechnicien, membre de l’Institut, véritable monument d’érudition et mécène des arts,


montra, une fois pour toutes, (*3) qu’il était insensé, comme l’avaient tenté certains, de confondre les Sesuvii  de Normandie avec les Atesui de Pline.

L’argument est de poids : « Pline nomme les Atesui immédiatement après les Segusiani libri : ils doivent donc être peu éloignés de ces derniers. » Et notre très érudit baron de préciser ensuite : « Les Atesui de Pline me paraissent devoir être placés aux environs d’Atteux [sic], à 8 km de Saint-Etienne, dans le département de la Loire ». On ne discutera pas, ici, par le menu, d’un développement qui vient ensuite sur l’éventualité, au-travers d’un ouvrage de Ptolémée, que les Aetusiates et Atesui aient pu se trouver incidemment confondus avec les Segusiani. Ce dernier point, relié à d’autres considérations sur le degré de fiabilité de la carte de Peutinger et sur le « Forum » des Ségusiaves (si ce n’est celui des Atesui de Farnay, village du Jarez ?), avait fait l’objet d’un article ouvertement assorti de « contre-balancements », dans Regards du Pilat, en septembre 2012, sous la signature de Rémy ROBERT.

Parmi les érudits qui emboitèrent le pas au baron WALCKNAER : Pierre-Auguste CALLET (1812, Saint-Etienne / Loire – 1883, Châtenay/ Hauts-de-Seine) et sa « Légende des Gagats » (Ed. du Bastion 1988, rééd. de l’ouvrage de 1866), philologue averti des chausse-trappes sémantiques plus encore que de celles de la politique.


Ancien élève de l’Ecole des Mines, quoique poète à ses heures, il devint député de la Loire, mais ses déboires avec l’Empire lui valurent l’exil et même la prison avant qu’il ne regagnât son siège de parlementaire. Ce sont, sans doute, ses vacances forcées qui lui permirent d’approfondir de nombreux sujets et, tout à notre avantage, la délicate question des Atesui. Chose dont, faute d’une lecture suffisamment attentive, je n’avais pas suffisamment pris conscience. Ceci, jusqu’au moment où, le livre de Callet dépoussiéré à souhait, je réussis, moi-même, à localiser certains points géographiques déterminants, dont il sera question un peu plus loin.

Après avoir remis à plus tard un rendez-vous avec les forgerons Eurises de Callet, affairés au pied de l’Eurton, une colline stéphanoise au pied de laquelle ils auraient bâti un hameau du même nom, suivons hardiment notre éminent coryphée jusqu’à Tarentaise (Pilat), village homonyme, de fait, avec une rue de Saint-Etienne.

« A peu près certain que les Gagats [surnom immémorial des stéphanois] aient adoré Taran », Callet n’hésite pas à voir, en Taran, « dans toute sa pureté, le nom gaulois du dieu gaulois ». Quant au « caractéristique taise », Callet lui accorde volontiers de représenter le « séjour de Taran » que nous connaissons plutôt sous le nom de Taranis, dieu du feu et de la foudre. Mais, dans une note, en bas de la page 111, l’auteur lâche une confidence à laquelle nous ne pouvons qu’être, pardonnez le jeu de mots, tout (Ates-)ouie :

« (1) Il y aurait bien encore une quatrième explication : ce serait « Taran- Atuez », c’est-à-dire ‘Taran des Atesui’. Je crois, en effet, avec Walkenaer, que les Atesui de Pline habitaient cette contrée ; mais Walkenaer étend, à mon avis, un peu trop leurs domaines ; je les renfermerais dans le Pagus Jarensis. Ce n’est pas le lieu de développer cette opinion. Il suffit de rappeler qu’il y a, non loin de Tarentaise, un vieux bourg de Saint-Romain- les-Atheux, une vallée de Cotatéis (Koad-Atuez, bois des Atuesi), et à 5 ou 6 lieues au nord, sur la chaîne de Riverie, un autre hameau des Atheux.»

Taran mis à part, il y a, nous semble-t-il, dans ce passage, court mais dense, plusieurs points importants à homologuer, les uns sans réserve, les autres avec nuances :

1/ Callet est parfaitement d’accord avec Walcknaer pour loger les Atesui « dans la contrée », ce à quoi, bien sûr, nous adhérons, nous aussi ;

2/ Tout en voulant réduire « les domaines » que Walknaer a prêté aux Atesui, Callet, probablement parce que, lui-même souhaite éviter tout piège d’interférence avec les « Ségusiani », ne dénie pas, non plus, aux Atesui, un territoire considérable. A peine les a-t-il « enfermés » dans le Jarez qu’immédiatement il les reloge en plusieurs points du Pilat ; et, même, « sur la chaîne de Riverie » ! Nous dévoilerons, par la suite, pourquoi il serait plus judicieux non pas de guetter de quelconques « Atheux » à Riverie (certes, doté, au Chatelard, de parlants vestiges d’oppidum), mais, un peu plus à l’ouest, à la frange du Jarez et du Lyonnais, vers Pierre-La-Bauche, de Saint-Héand ;

3/L’évocation de la vallée du Cotatay (Cotateis) comme d’un « bois des Atesui » est d’autant bien inspirée que le site est à cheval sur les trois communes de Saint-Romain-les-Atheux, Saint-Genest-Malifaux et la Ricamarie (appelée « Tiregarne » jusqu’au XIVème s., quoiqu’ érigée en commune au XIXème s. seulement, selon Dufour). Cot/cud nous laisserait facilement entrevoir (via DOTTIN, « La langue gauloise », L.Reprints 985 p.249) une alléchante alternative au  koad (forêt) de Callet : cud, cuz, « cachette » (radical cud + cudio gallois ; /lat. cuditare), encore plus prégnante avec certaines attributions, plus que subodorées, des Atesui ; nous nous en expliquerons plus loin.

Si jamais, à eux seuls, ces quelques morceaux choisis, ne lui avaient pas déjà mis l’eau à la bouche, que le lecteur se rassure, d’autres maîtres-queue, au fil de nos réjouissances, viendront, étape après étape, mettre leur grain de sel en cuisine !

Le grain de sel de la Géométrie

Aucun mathématicien – et, je ne revendique nul autre titre que celui d’investigateur passionné ! - ni Euclide, ni Newton, n’a, d’emblée, abordé l’étude de la géométrie par les polyèdres. Le bon élève, partant d’un point, s’exerce, d’abord, en suivant attentivement la course du soleil, à faire des « barres », des traits, etc… Comparativement, c’est à peu près à ce stade, du reste, que se tint longtemps cantonnée, chez moi, la localisation des Atesui.

Le point de mire de Saint-Romain-les-Atheux n’était dissimulé à ma vue, depuis mon Liré de Saint-Genest-Malifaux, que par le Bois Ternay, parfois joliment désigné comme « Bois Eternel ». Afin qu’un contexte aussi paradisiaque ne me fasse nullement négliger l’immense baratte de la toponymie, je pris, au contraire, très à cœur, dès l’enfance, de ne pas laisser la crème des mots se morfondre dans la cuve. Donc, de tourner gaiement la manivelle de ladite baratte et de boire, à l’occasion, du petit lait !

Bien que certains n’aient jamais voulu chercher plus loin que attegia, les « cabanes », en gaulois, pour y abriter les occupants les plus anciens de Saint-Romain, j’ai quasiment toujours misé sur l’autre sens de « Atheux », Atesui, une peuplade errant au milieu des bois … pour l’éternité ou pas.

Mais, c’est au-travers du patois occitan, durablement pratiqué avec des locuteurs très attachés, comme moi, à leur terroir, que l’affaire prit une tournure inattendue. Mon point, unique, d’ancrage des Atesui se mua, d’abord, en un trait d’union, rectiligne par définition, avant d’engendrer – comme par enchantement – un quadrilatère subtilement inscrit dans une batterie indéfinie de cercles.

Puisqu’il vaudrait mieux, au fil de cet exposé, que le lecteur ne perde de vue une telle figure géométrique, autant lui dévoiler, dès à présent, au moins schématiquement, de quel(s) côté(s) on a le dessein de l’entraîner.

Le trait d’union, l’isoglosse (en linguistique, ligne virtuelle reliant certains points d’un même fonds de langage), qui, patiemment avait germé dans mon esprit, telle la racine ou le « gourmand » d’un arbre, s’est propulsée de Saint-Romain-les-Atheux (Loire) en direction de Saint-Jacques-d’Atticieux (Ardèche). De même que la rivière, la Déôme, après avoir franchi Bourg-Argental (Sud-Loire), devient très vite la Deume, en se laissant couler vers l’Ardèche - cela ne pourra nullement choquer tout honnête linguiste – les « Atheux » (qui est également un hameau de Saint-Romain-les-Atheux) et Atticieux, par un processus identique, se retrouvent aisément, eux aussi, logés à une même enseigne.

De cette première ligne droite n’aurait, peut-être, jamais surgi, du moins dans mon esprit un peu distrait, une nouvelle figure géométrique,


si, un jour, à la faveur d’une promenade entre Sorbiers et Saint-Héand, ne s’était affiché, sous mes yeux, le panneau indicateur d’un hameau portant, une nouvelle fois, la dénomination : « Les Atheux ».  

Pour poursuivre mon tracé de la figure, deux options, au moins, étaient à envisager, selon qu’il existait ou non un quatrième point-clé dans la toponymie locale. Après avoir recherché celui-ci en vain, je trouvai déjà inespéré de pouvoir risquer une triangulation entre « Atticieux » et les deux « Atheux ». Mais, en dépit de sa qualité de triangle rectangle, cet isocèle, diable sait pourquoi, n’eut pas l’heur, tout de suite, de satisfaire ma gourmandise.

C’est précisément à ce moment-là qu’il m’advint de glaner, de façon encore une fois inattendue, une information propre à faire franchir un nouveau pas au schéma géométrique qui progressivement s’était imposé à ma réflexion. Alors que, carte IGN en main, je m’aventurais à déterminer un point géographique qui offrirait de parachever en forme de carré la figure déjà tracée, la Roue de la fortune, obstinément pendue à l’une des pointes de mon compas, se figea sur le nom de Trèves, commune située dans le Rhône, mais également en plein cœur du Jarez. 

De la sorte, c’est un véritable « pré carré » qui s’est gracieusement ouvert devant nous, sans que nous ayons, d’ailleurs, à ignorer les cercles concentriques voués à nous révéler, à leur tour, certaines données périphériques en rapport très étroit avec le sujet des Atesui.

Nous reviendrons, très vite, sur le cas de Trèves et de sa légende des Atesui. Nous parlerons également des incroyables rebondissements qu’entraîna, au cours de ces recherches, l’absence, sur cette commune ou ses voisines limitrophes, du moindre lieu doté de l’appellation contrôlée qui nous était chère, « Atheux » ou Atesui. Auparavant, il importe d’assaisonner, un peu plus généreusement, chacun des points « chauds » ouverts successivement aux quatre coins susdits du pré des Atesui.

Les ancrages du pré carré

a)   Saint-Romain-les-Atheux

Bien qu’ayant encensé, comme il se devait, les trouvailles du baron Athanase WALCKNAER et celles, tout aussi délectables de S.E. Auguste CALLET, et fait quelques mises au point jugées indispensables, il nous reste, par chance, encore beaucoup à dire. Aussi, tentons de résumer nos propres découvertes, sans laisser de côté celles qui pourraient paraître des digressions, pour peu qu’elles soient de nature à éclairer l’histoire des Atesui d’une plus grande lumière que n’avait daigné, en vérité, le faire ce cher Gaïus Plinius Secundus.

S’il n’a guère été consenti, jusqu’ici, qu’aucune fouille archéologique, en bonne et due forme, n’ait pu être recensée qui concernât spécifiquement notre « pré carré » ou même ses bordures immédiates, c’est que la dure réalité d’un tel dénuement n’est, sans doute, pas irrémédiable.  C’est, en l’attente de jours meilleurs, la raison essentielle pour laquelle nous n’avons guère rechigné à faire feu de tout bois et à puiser dans la toponymie, l’histoire, l’épigraphie, la mythologie et, fortuitement, la légende. Voilà qui est dit.

Ce n’est pas, non plus, que les recherches, les publications et les chantiers de fouilles sur l’histoire et la préhistoire en Loire, Haute-Loire, Rhône ou Ardèche, concernant la préhistoire ou l’antiquité fassent défaut. Loin de là, elles abondent et il en est d’aussi passionnantes que brillantes ! Ce serait, donc, faire gravement injure aux innombrables universitaires, chercheurs et sociétés d’histoire de Rhône-Alpes que de les incriminer à ce sujet. Plus simplement : il eût été vain, de ma part, au détour de ces quelques lignes, de prétendre rapprocher mes « notes d’aventure » chez les Atesui avec un quelconque synopsis des points de vue exprimés par moult spécialistes de chacune des thématiques invoquées ici.

Si ce n’est les très éminents auteurs déjà expressément sollicités, ainsi que quelques autres encore, tant pour les stricts besoins immédiats de la cause que pour « la beauté du geste », aucune bibliographie ne viendra, en conséquence, rallonger inutilement cet article. Si l’on en est par trop marri, on pourra toujours, en ultime ressort, se requinquer, par une lecture du chapitre « Le Forez dans l’antiquité » de « Croyances et Foi foréziennes » (Ed. Forez-Diffusion 1994, ouvrage rare) de M. Henri BEDOIN, certes ségusiave et décoré, par quelque érudit sans doute en mal de condescendance, du titre « d’historien local », mais néanmoins doté par les dieux d’un bel esprit de synthèse et d’une délicieuse faconde.

Chemin faisant, à défaut de telle ou telle trouvaille archéologique totalement irréfutable et dans l’attente de pouvoir mieux survoler le territoire au moyen d’un drone, nous avons bénéficié de vues aériennes qui laissent apparaitre, sur une parcelle libre de récolte, aux Atheux (ceux de Saint-Romain), d’étonnants alignements de dessins au sol.

De tels alignements de trous carrés conséquents, hormis les empreintes en « S » résultant certainement du passage récent de gros engins, évoquent les possibles vestiges, dans le tréfonds, d’une vaste construction E/O dotée de piliers ou de plots. Ceci, d’autant que le toponyme repéré dans le voisinage immédiat (à l’est) des Atheux est « Mirande », ce qui, en occitan, signifie « tour de guet ». Cela est tout à fait conforme à la configuration des lieux, dans la mesure où, de là, on domine la vallée très encaissée du Valchérie (de cher,rocher, d’où est tiré chirat, éboulis de roches).

Les vestiges du prieuré, aujourd’hui rayé du paysage, des moines de l’Isle-Barbe (le même ordre bénédictin que ceux de Saint-Rambert-sur-Loire, jadis « Occiacum ») seraient, semble-t-il, à rechercher plutôt dans le bourg même de Saint-Romain. Mais, peut-être, est-ce à ces clercs, connaisseurs de nos racines antiques, qu’il faudrait pouvoir demander la raison d’un aussi grand nombre de Saint-Romain(s) pour désigner des paroisses en Forez, Jarez et Pilat. Certains historiens ne sont-ils pas allés jusqu’à prétendre que nombre de druides persistèrent, après la conquête romaine, dans l’exercice – discret - de leur mission et, pour certains d’entre eux, passèrent, sur le tard, à la foi chrétienne, voire accédèrent au sacerdoce de cette nouvelle religion ?

Ces Atesui que, par métathèse, on trouve parfois nommés Atuesi, auraient donc, ici, entre Rhône et Loire (i.e. de Vienne à Occiacum) toute leur place de « gardiens vigilants », ainsi que le verbe latin adtuor, « regarder, surveiller », le suggère et ainsi qu’a pu l’entendre, d’une oreille latine, Pline l’Ancien. Ne soyons cependant pas déçus de ne pas les y avoir rencontrés en personne, tellement nous avons encore d’autres lieux à visiter, où, marquant plus ou moins leur passage, ils nous auront précédés.

Nous ne pouvons, d’ailleurs, quitter ce premier repère/repaire de leur pré carré, sans consentir un détour par la commune de Jonzieux limitrophe de Saint-Romain-les-Atheux, où une véritable intrication de toponymes fait, elle-même, écho à une légende locale relatant un passage supposé de Jules César durant la guerre des Gaules. Nous ferons, donc, le crochet, via les CD 22 et 72, par les hameaux de Batailler, Foisset et la Garde reliés entre eux par une voirie dont l’assise, pour partie, a récemment été détectée, par des historiens locaux, comme une ancienne voie gauloise ou gallo-romaine (*4). Deux autres toponymes, tout à côté, Clermondon et Véricanjon, peuvent successivement évoquer le thème d’une victoire et la honte d’une défaite, si ce n’est les anthroponymes gaulois Clarus, Mundus ou  Verecundius, noms repérés assez couramment chez les Allobroges (*5), à Vienne ou dans les parages ; indice qui n’est pas sans importance, on s’en doute, si l’on veut obtenir quelque mesure du territoire investi par les  Atesui de part et d’autre de la voie plane (odos pedias) que Strabon (60 av. J.C., env./ 20 ap. J.C., env.) a paru situer dans le Jarez et dédiée à un trafic commercial entre Rhône et Loire (v. François DECHELETTE, Les voies de pénétration de la civilisation dans la Gaule Celtique et romaine. In Revue de Géographie de Lyon. Vol. 31 n° 2, 1956, pp. 109-113.).

b)  Les Atheux de Saint-Héand

A l’est du bourg de Saint-Héand, la visite des lieux, dès l’approche d’une grosse ferme isolée d’apparence anodine, pourrait laisser sceptique quant à l’importance historique de ces « Atheux » - là. Comme souvent pour le profane, c’est qu’il lui faudra, tout d’abord, trouver le fil par lequel dérouler l’écheveau. Celui-ci, on n’y a pas forcément pensé, se trouve, pour ainsi dire, accroché, 300 m plus-haut que les Atheux, à une roche sommitale très singulière : Pierre-la-Bauche. Et, ce n’est pas l’incroyable faisceau d’antennes, qui surplombe le mégalithe, qui risque de nous dissuader de lui reconnaître son propre rayonnement électro-magnétique !

De Pierre-la-Bauche (alt :  872m), la maîtrise de l’horizon est à 360°. A plein sud, par exemple, on verrait nettement Saint-Romain-les-Atheux tirer quelque feu d’artifice. A l’est, il en serait probablement de même pour Trêves ou le Chatelard de Riverie. En suivant, vers le sud-est, la diagonale du fameux quadrilatère, par-dessus un point central vers Chavanol/ Le Planil/Le Chatelard, ce serait pareil pour des fusées tirées depuis de Saint-Jacques-d’Atticieux, au « bec d’oc » de l’Ardèche, ancien pays des Helviens. Du coté de l’ouest, on se demandera combien de fois les Arvernes, qui vinrent souvent côtoyer les Allobroges au bord du Rhône, durent, de part et d’autre du fleuve Loire, s’harmoniser, sinon se fédérer, avec ces « Brigands » (adorateurs de Brigantia/Bergusia) d’Atesui. Pour, ensemble, tenir le choc tantôt contre Rome, tantôt contre Eduens ralliés à Rome. Essalois, avec son oppidum au bord de la Loire, aurait, un temps, dit-on, pris le parti des Eduens, tout dévoués à César, mais nous ne prétendons pas, nous-mêmes, avoir contrôlé tout le scenario du film ni de la série.

Quant aux Ségusiaves, qui furent très tôt fédérés avec les Eduens, donc alliés de Rome, il faut consentir que, des Hauts du Jarez/ Lyonnais, les Atesui auraient eu, a priori, l’avantage sur eux. Mais, on le verra, en raison du mandat politico-religieux très spécifique des Atesui et de leur raison profonde d’exister (de leur ikigaï, pour parler japonais), l’hypothèse d’un tel affrontement n’est guère vraisemblable.

Du côté des Allobroges, il est temps de s’en rapprocher en allant vers Trèves, dans le Rhône.

c)    Les Atheux de la légende du Fautre

En janvier 2009, dans un court article publié par Regards du Pilat, Lionel CHEVALLIER, se référant au livre de l’abbé CHAVANNES qui, au XIXème siècle, avait retracé l’histoire de Trèves, en profitait pour, en quelque sorte, renvoyer dos-à-dos cet historien-là avec Jean DUCHOUL, le cardinal DONNET et quelques autres, en particulier à-propos d’une bataille prétendument livrée soit au Fautre, soit quelque part ailleurs dans le Pilat.

Tout à fait ignorant, au début de mon enquête, de cette anodine « dispute de famille », je tombai inopinément sur un article publié, de façon anonyme, rapportant, dans un excellent style narratif et sans négliger d’alternative, les origines légendaires de Trèves. Un peu de patience et une once de chance me permirent alors une rencontre avec Robert BONNARD, de Chassenoud (commune de Longes). Ce dernier est l’auteur, avec quelques autres, d’un superbe ouvrage au titre imparable, « Longes » publié (2017) par l’association du Patrimoine longeard et la Région, qui reprend (en p.11) un texte semblable à l’anonyme précité.

Sans avoir à reprendre in extenso la légende telle que retracée dans le livre en question, il est, du moins, à noter, à l’appui de ce témoignage collectif, que sont cités au sein de l’équipe de rédacteurs : Marcel BOYER, alors président en exercice, aujourd’hui président d’honneur, de l’association « Visages de notre Pilat », ainsi que Patrick BERLIER, dont l’œuvre écrite, sur le Pilat de toutes ses dévotions, est, à juste titre, devenue légendaire, elle aussi.

Voici quelques extraits, parmi le plus marquants, de la légende de « la bataille du Fautre » faufilée, d’ailleurs, mot-à-mot, avec le texte du De bello gallico (Livre VII 6-9) :

« Jules César croyait avoir dompté la Gaule lorsque celle-ci se souleva brusquement durant l’hiver 53 à 52 avant J.C. […] Mais César veillait et accourut de Rome au moment le plus rude de l’hiver. Amenant quelques recrues d’Italie, il prit avec lui, au passage, une partie des troupes de Provence et du bas Dauphiné, sommant l’autre partie de se rendre à Vienne et de l’y attendre […] il escalada les Cévennes et au prix d’un travail acharné, attira le chef gaulois [Vercingétorix] en pays arverne. Puis, subitement, César changea de direction, prenant avec lui une vaillante garde. Cette simple compagnie composée des plus braves d’entre les braves […] arriva alors sur les bords de la Loire et du Gier »

Et nos chroniqueurs longeards de prévenir : « Le récit qui va suivre n’a aucun fondement historique, mais il nous a plu de retracer cette légende assez plaisante : entre Chateauneuf et Trèves, l’ensemble de la troupe tourna à droite et rencontra, sur le plateau du Fautre, une petite armée de paysans atheux. C’est ainsi que s’appelaient les habitants des versants nord et nord-ouest du Pilat. La bataille fit rage, ces derniers furent tous décimés dans un véritable carnage. Gagnant Vienne par les hauteurs du Pilon et le col de la Croix Régis, César rejoignit le corps de cavalerie en attente […]. L’issue de la lutte, nous la connaissons tous : ce fut la défaite de Vercingétorix à Alésia. »

Nous avons, ainsi, pour notre part, un savoureux motif de satisfaction : le quatrième point de notre « pré carré » arraché à la pointe du compas survient à point nommé. Tout se passe, en effet, comme si nos gaulois d’Atheux/Atesui, par une sorte de ponctuation mythique, tenaient leur revanche sur le célèbre conquérant de toutes les Gaules. La vengeance est un plât…

Toutefois, deux remarques nous viennent  à l’esprit : d’une part, il importe de souligner, tout de même, que la légende est sérieusement confortée par cette phrase expresse  des notes de César lui-même (VII, 9) : « Les choses [lesquelles ?] ainsi réglées, il se dirige à marches forcées (sic) vers Vienne au grand étonnement de son escorte. » ; d’autre part, sauf l’immense respect dû à tous les paysans de la terre, il est vraisemblable que ceux de la légende, s’ils avaient revêtu le modeste habillement du laboureur, ce ne pouvait être que par ruse ou stratagème face à la troupe romaine ; tout, en effet, semble indiquer, via nos propres recherches, que ces Atesui, de par leur noble mission, devaient, du moins certains d’entre eux, occuper un rang élevé dans la société gauloise que, par ailleurs,  l’on sait fortement hiérarchisée.

Ainsi, ce point de notre exposé s’avère propice pour enfoncer un peu plus le clou posé sur le quatrième angle de notre plaisant quadrilatère, car – on a eu raison, comme l’aurait fait Platon, de nous le glisser à l’oreille ! – « nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». Logiquement, ce serait donc à la légende de s’incliner devant la géométrie et non l’inverse.  Le doute pouvant parfois conduire à une nouvelle découverte, il ne nous restait plus qu’à taquiner derechef la géométrie. 

Tout en prononçant le mot « géométrie », il faut être conscient que les choses ont bien changé depuis l’époque où « nos ancêtres les Gaulois », même magnifiés, à dessein politique, par le troisième Empire, étaient glogalement pris pour de pauvres diables. Des demi-sauvages bagarreurs et ripailleurs que Rome aurait fort heureusement hissés à un stade minimum de civilisation. Alors, hummm … les Gaulois, question géométrie, de la rigolade ! Une image aussi erronée, mêlant gloriole et condescendance n’a, certes, plus cours depuis au moins un demi-siècle. Non seulement le travail des historiens, des archéologues et des sciences humaines en général a réhabilité les Gaulois – ou les Celtes, sans entrer dans le détail de l’appellation ; ou les gallo-romains,  sans soupeser s’ils sont plus gaulois ou plus romain ou les deux --, mais, de surcroît, de nombreux chercheurs, y compris des scientifiques de renom, ont mis au jour l’utilisation, par les peuples de l’antiquité, de ce que l’on appelle une « géométrie sacrée » ; l’hydronymie également a fait apparaître (sous cet angle, concernant les Atesui, v. François Féraud, in Bulletin n° 12 du Groupe Archéologique Forez-Jarez, pp. 33-48) que, tout en effectuant des migrations successives, les peuples de la protohistoire – et même, dans certains cas, de la préhistoire – avaient pris en compte des lignes de partage des eaux et n’avaient pas ignoré certaines données numériques que beaucoup d’entre nous ont longtemps cru tombées du ciel d’Attique via les cerveaux d’Euclide, d’Archimède ou Pythagore. Les druides ont, dès lors, pu dégringoler, sans se briser les os, leur escabeau à cueillir le gui pour s’ériger, plus justement, en savants, en philosophes ou en diplomates.  Le tout, sans avoir, pour autant, à renier Merlin, le sublime Magicien un tantinet enfant du Diable. 

Bref, il n’était guère question, pour nous, en nous jetant dans bataille du Fautre, de lâcher le carré pour l’ombre d’un quelconque polygone. Cependant, avions-nous mesuré avec suffisamment de précision les côtés du triangle isocèle reliant « Atheux, a » à « Atheux, b » et « Atticieux, c » ? Devoir accompli, l’élève échappe à la sanction : la mesure entre a et b donne 3 ; celle entre b et c donne 4, tandis que l’hypoténuse reliant a et c donne 5 (valeurs approximatives). Par conséquent, il n’est pas déplacé de considérer que les commanditaires de l’accréditation de toponymes « atheux » - moines, greffiers ou autres, nonobstant les Atesui eux-mêmes (usant ou non de la corde à nœuds) - aient eu une connaissance avérée de la géométrie pythagoricienne (a2 x b2 = c2) ; pour le cas : 52 = 32 + 42.

 Autre interrogation, susceptible, à l’évidence, de taquiner certains celtisants avertis : « Pourquoi les Atesui, si jamais ils ont eu quelque consistance, ont-ils été omis tant dans la liste des peuples mentionnés sur le Trophée des Alpes que sur l’Arc de Suse, considérés comme des sources épigraphiques de référence ? »

Le trophée érigé, au bord de la Via Julia Augusta, à la gloire d’Auguste, censé avoir pacifié les « belliqueuses tribus des Alpes », a, soulignons-le, été scrupuleusement décrit en détail par Pline l’Ancien dans ses Histoires Naturelles (v. Guy BARRUOL, Les peuples préromains du sud-est de la Gaule, Ed. de Boccard, 1969 – p.19), sans, c’est vrai,  que, cette fois-là, notre Grand reporter ait gravé dans le marbre le nom des Atesui.  

Mais, le très remarquable ouvrage qui vient d’être cité, de Guy Barruol, sans avoir voulu spécifiquement viser à nous complaire, va cependant nous tirer une belle épine du pied, car il fait tout un cas, à diverses reprises (p. 35, 40 [2 fois et 360), des Esubiani que l’on trouve parfois cités – y compris chez Pline – comme Vesubiani : « La civitas Vesubianorum de l’arc de Suse doit être identifiée avec le territoire des Esubiani du Trophée des Alpes. On doit localiser cette tribu dans la vallée de la Vésubie […] Ce district serait le plus méridional du royaume de Cottius […] ». C’est la note n°1 de la p. 360 qui comporte, pour notre propre enquête, un indice extrêmement intéressant : « La chute du v initial est assez fréquente, en Provence en particulier ».

Cette « chute fréquente du v initial » ne pouvait échapper aux chercheurs, qui sont, pour la plupart, un brin, fureteurs. Fabien REGNIER, par exemple, s’y réfère, lui aussi, dans son ouvrage « Aux origines de la Provence, Yoran, 2017 – p.336 ». Mais, pour revenir, carrément, à la rescousse des Atesui, quel serait le pas qu’il nous reste encore à franchir ?

Notre viatique, pour cela, est à rechercher auprès d’un autre expert émérite, Georges DOTTIN (La Langue gauloise, grammaire, textes et glossaire 1918, préface de Camille Jullian – rééd. Slatkin Reprints 1985, préface de François FALC’HUN – p. 94, 115, 296, 358).  Rien de moins indécent que de marcher sur les brisées de ces experts, qui accréditent Esu-nertus comme « Force d’Esus » et Esu-genus comme « Fils d’Esus », ainsi que vati, vatis ou ouateis (grec) pour « vate » ou « ovate », pour propulser nos (jusque-là) impénétrables Atheux/  (V)atesui au rang de vates ou d’ovates d’Esus.

Aujourd’hui, le préjugé selon lequel, les druides ayant boudé l’écriture, il ne resterait plus qu’une pelletée de mots de la langue gauloise, ne subsiste (de façon tenace) que chez ceux qui n’ont jamais pris le temps ni la peine d’ouvrir le livre de Georges Dottin… ni jamais d’aborder l’œuvre du breton Francois Falc’hun ou d’une poignée d’autres savants un peu trop méconnus du public. Cela soit dit en passant, car mieux vaut ne pas le cacher. « Errare humanum est, sed… », j’ignore comment cela se dit en gaulois !

Dès que l’on a pu intégrer la leçon prodiguée par Barruol, à propos des (V)esubiani et après l’oracle rendu par Dottin, on n’allait surtout pas s’aventurer à décrocher la moindre parenté entre l’ethnie des (V)esubiani et celle des Atesui. Encore que rien ne soit exclus à ce sujet, de même que l’on a pu prêter aux Brigiani de Briançon des cousinages avec les Brigantes de Grande-Bretagne. Mais, sur une base tellement plus solide, plus rien ne s’oppose à ce que, en toute logique et sans même un soupçon d’impudence, nous dotions allègrement leur ethnonyme d’un « v » initial. N’hésitons plus, tentons les (V)atesui !

Comme ça nous parle subitement, ces Vatesui ! Comme on aurait envie de partager notre trouvaille, encore toute neuve, avec ce cher Jean DUCHOUL (qui, vers 1555, dans son latin de Longes (en Jarez), rendait hommage au Pilat comme à un authentique « Olympe des Gaulois ». Car, ce n’est pas Duchoul qui en disconviendrait : toute cérémonie conduite en l’honneur des dieux nécessite des sacerdotes. Les prêtres des Gaulois étaient, selon le degré requis pour la cérémonie ou la divination, des druides, des vates ou ovates. Les « bardes », plus souvent convoqués dans la bande dessinée, ce pourrait être une autre chanson si la musique n’avait pas déjà, par vocation, un caractère sacré.  Quant à la divinité digne de la plus grande vénération entre toutes, en Gaule, n’était-ce pas Esus ? De la sorte, c’est sans démériter de Georges Dottin ni d’Auguste Callet, que nous pouvons sérieusement désigner les (V)atesui, pour les plus éminents d’entre eux à tout le moins, comme étant des vates ou des ovates d’Esus.

d)  Saint-Jacques-d’Atticieux exempté d’une exhumation

Un temps, l’un des sites évoquant le village de Saint-Jacques-d’Atticieux faisait allusion à la sépulture d’un certain Atisius comme origine possible du nom de la localité. Avec plus de circonspection, Wikipédia indique que « du plomb y a été exploité dès l’époque romaine sous la signature Atisius » et que « des monnaies romaines ont en tout cas été trouvées dans la partie basse du village », dont « le clocher carré est visible de tous ».

C’est à ce point de notre récit d’expédition qu’il nous faut enfin révéler les nombreux contacts que nous avons pu nouer avec d’autres Atisius (Atisii au pluriel latin). Sans devoir les énumérer tous, ni les différentes sources auxquelles nous avons puisé pour cela, j’avoue au moins qu’ils m’ont ont attendri autant qu’intrigué. Bien qu’ayant, les uns et les autres, quitté le cadre agreste du « paysan atheux » ! 

C’est au musée archéologique d’Aoste (Augustum), en Isère que l’on peut constater l’abondante production, aux premiers siècles de notre ère, de « mortiers » signés Atisius. Les conclusions des recherches, éminemment conduites par feu Bernard REMY et Jean-Pascal JOSPIN, ont justifié, dans le fascicule édité par le musée, une étrange allusion, dont l’illustration


donnera une idée assez claire au lecteur. Et si la « rébellion contre Rome », telle qu’évoquée dans le document, n’était pas sans rapport avec une certaine escarmouche que César aurait essuyée à Trèves, durant l’hiver 53 à 52 av. J.C., ainsi que ne nous l’a chuchoté un peu fort la légende du Fautre ?   

Plusieurs indices du haut rang de cette vaste « famille », « ethnie » ou « caste » des Atisii  ont pris du relief par le fait que le commerce de poterie de ces Atisii, malgré une concurrence évidente à l’époque, se serait exercé sur tout le pourtour méditerranéen – ce qui suppose un réseau de premier ordre – et également parce qu’un certain C.ATISIUS PRIMUS, d’après l’épigraphie viennoise,  devint « publicain ».

Au sujet de ce dernier, citons B. Rémy et J.P. Jospin (Recherches […]sur Vienne ; Revue archéologique de Narbonnaise / année 1998 / 31 / pp. 73-86 , dont p. 80) : « Le texte […], où C. Atisius Primus est attesté comme publ(icanus) XX libertat(is) p(rovinciae) G(alliae) N(arbonensis), montre qu’il y avait à Aoste, au moins au II° siècle, un bureau de perception de l’impôt du vingtième des affranchissements de la province de Narbonnaise. […] Le gentilice impérial (Aelia) de l’épouse défunte de Primus incite à une datation postérieure à Hadrien. Primus porte le titre de publicanus, ce qui laisse à penser qu’il n’était pas un simple employé de bureau, mais un publicain, responsable plutôt que simple membre d’une societas publicanorum, qui avait pris en fermage la perception de cette taxe. La très probable appartenance de Primus à la grande famille locale des Atisii renforce cette hypothèse ».

Vu sous l’angle qui nous intéresse, Pline étant mort en 79 ap. J.C., à Véies, dans les fumées noires du volcan de Pompéi, et Hadrien ayant régné de 117 à 138, il s’en est fallu de peu pour que le recrutement du jeune Primus comme fonctionnaire des finances de Narbonnaise puisse se produire à l’initiative de Pline, procurateur en 70 à Vienne. A moins que Primus soit mort nonagénaire.... et pourquoi pas ? Tout cela, au moins, semble nous indiquer, au passage, qu’en nommant, sans plus de commentaire, les Atesui ou Atisii, dans ses Histoires naturelles, Pline ne parlait pas en l’air et ne pouvait qu’être au fait du rôle éminent de cette « caste » en Gaule Narbonnaise. Figurant certainement en bonne place dans la liste de contribuables qu’il avait eu momentanément à contrôler, les Atesui, en fonction de ce qui vient d’être révélé, Pline ne pouvait manquer de les nommer. Mais, en parfait homme d’état qu’il était, Pline n’était-il pas tenu au silence au sujet de certains de leurs agissements passés, voire de leur éventuel statut antérieur, de sacerdotes d’Esus.

Ultimes retranchements des (V)atesui

Notre déjà long rapport d’investigation sur les Atesui ou Vatesui pourrait fort bien s’arrêter là et, qui plus est, passer, littéralement, comme une lettre à la poste.  A moins que ce minuscule « v » survenu dans l’adresse ne soit pas de l’humeur du préposé des Postes. Aussi, vaudrait-il mieux étoffer encore un peu le colis, quitte à opter pour le chronopost.

 - Tiregarne, rappelez-vous, est l’ancien nom de la Ricamarie. Dufour, soutenu dans ses immenses travaux de topographie par deux personnages aussi savants que pittoresques (et pas moins héroïques), le comte Guy de NEUFBOURG et Marguerite GONON, l’avait écrit noir sur blanc, sans que cela émeuve beaucoup de Ligériens. Il y avait pourtant là un superbe indice de celticité qu’il ne faudrait pas laisser moisir dans l’ombre. Mais, plutôt le glisser entre les pattes des trois grues-prophétesses du Tarvos Trigaranus.


Celui-ci, voisin de colonne avec ESUS, tout en haut du Pilier des Nautes, à Paris, au musée de l’Hôtel de Cluny,


 continue encore d’intriguer les historiens, très acharnés à déterminer les rôles respectifs de Teutatès, d’Esus et de Taranis.

Parmi les quelques interprétations que j’ai pu croiser concernant Esus et le Trigaranus, l’une d’elles, à vrai dire assez coquine, concerne la Seine (Sequana), mais, elle pourrait tout aussi bien s’accommoder avec l’Ondaine qui traverse Tiregarne/La Ricamarie. Pour illustrer l’idée des crues et décrues du fleuve, il est question d’un Esus - mari jaloux, qui voudrait surprendre son épouse, Sequana, en délit d’adultère avec son amant, un dieu plus jeune (Lug, peut-être), mais n’arrive jamais à temps, malgré l’élagage de végétation auquel lui-même se livre avec obstination. Pour en savoir davantage, il suffit de se reporter à l’excellent article de Christian SAVIGNAC, en p. 42 de la revue « Mythologies, Les Celtes, h. série n° 28 ».

L’Ondaine, encore ! La Pierre Begusieux (à 1099 m d’altitude), encore en dévotion au début du XXème siècle, près des Trêves de Saint-Genest-Malifaux, comme « pierre de mariage », semble entretenir un rapport mytho-toponymique avec la rivière Ondaine. En effet, il n’est pas difficile d’apercevoir sous le couvert actuel de son nom, qu’il y a là une trace de Bergusia, alias Brigantia, « la Grande déesse », que la confrérie des légendaires forgerons d’Alésia avaient en grande vénération, en l’associant à Ucuet, un « parèdre » masculin. Sait-on qu’il existe une variante (gaélique) d’Ucuet qui est Ughden. Sans garantie de prononciation, on ne prend pas un risque énorme de prononcer ce mot « undène », non ? On se doutait bien, il faut le dire, que cette « vallée du fer », que l’on a crue sortie de toutes pièces de l’ère industrielle, jouissait d’un passé historique beaucoup plus ancien mettant en jeu artisans et forgerons. Qui plus est, avec les Nautes de la Seine (sorte de corporation de charpentiers armateurs), pourraient bien, un jour, être mis en parallèle des nautes de l’Ondaine. En cheville, sans doute, avec ceux du Rhône. Non pas que l’Ondaine soit aisément navigable, mais du fait qu’elle va, à peu de distance, marier ses eaux avec celles de la Loire, à Unieux (Ughdenon ?). Le site internet d’Unieux évoque un certain « Hunnon », mais comme nom de personne indéterminé. N’y aurait-il pas mieux à promouvoir dans la légende du lieu ? Au confluent, le Chatelard de la presqu’ile des Echandes,


peu souvent cité, nous est un témoin, sympathique et discret, de probables prérogatives détenues par un peuple de l’antiquité.

Encore faudrait-il citer de nombreux autres lieux-témoins, mais ce serait à n’en plus finir. Aussi, pour aujourd’hui, dernier petit cadeau à glisser dans notre colis postal, muni du post-it suivant : « Saint-Héand = Esu – genus ? », c’est-à- dire « fils d’Esus ». Voilà, vraisemblablement, ce que voilait pudiquement, jusqu’à présent, le « Sancti Eugendi » attesté en 984 par le Cartulaire lyonnais.

Une telle transgression de la tradition, dans sa version récente, ne surprendra guère ceux qui se sont déjà, en vain, demandé ce qu’était venu faire là cet Héand, généralement assimilé à Saint Oyand de Condat (auquel est dédiée, soit dit au passage, une crypte située sous le musée archéologique de Grenoble). L’une des clés de cette désignation énigmatique est peut-être sous-jacente à une inscription latine : celle qui est à décrypter dans la pénombre d’un assez étrange baptistère, en nef droite de l’église de Saint-Héand : « Exi, immunde spiritu, da locum spiritui sancto ». Ces paroles d’exorcisme, jadis prononcées pour une cérémonie de baptême (« Va-t-en, esprit immonde, rends ce lieu à l’esprit saint »), ne manqueraient pas de sel à les laisser fulminer contre le Esus gaulois.

L’écrivain latin, Lucain, croyait, en effet, judicieux de stigmatiser ESUS comme un dieu barbare, car « apaisé par des autels sauvages ». Les (V)atesui, ovates d’Esus et adeptes de la messe en plein bois, pourtant, ne dénotaient-ils pas déjà, avant l’heure, une sage dévotion à l’écologie ?

(* 1) H.G.-PFLAUM – « Les Fastes de la Province de Narbonnaise », éd. Du CNRS 1978 ; préface d’Albert Grenier ; ouvrage publié sous les auspices de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

(* 2) Dictionnaire F. GAFFIOT, éd. 1934 : ATESUI, peuple de la Narbonnaise ; Pline H.N. 4, 107.

(*3) « Géographie ancienne et comparée des Gaules cisalpine et transalpine […] », Librairie de P. DUFART ; St. Pétersbourg, chez J.F. Hauer et Cie 1839 – T. I, p.394.

(*4) Bulletin 2019,n° 27, de la Société d’Histoire du Pays de Saint-Genest-Malifaux.

(*5) pour l’étude de ces anthroponymes, se reporter à l’index de l’ouvrage « M. DONDIN-PAYRE et M.-Th. RAEPSAET-CHARLIER. EDS., NOMS, IDENTITES CULTURELLES ET ROMANISATION SOUS LE HAUT-EMPIRE, Le Livre Timperman, Bruxelles 2001.

" N.B: Toutes les photos sont de l'auteur et les portraits des dessins originaux de Muriel Alice TEYSSIER s'inspirant diverses sources"





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A présent nous vous proposons de retrouver notre nouvel invité, notre Ami Sébastien Luce.





     Le Pilat et ses alentours regorgent de lieux et pierres remarquables. Notre invité, notre Ami Sébastien Luce, vient d'avoir la bonne idée d'en faire un site Internet qui sort des sentiers battus. Nous allons longuement nous attarder sur le contenu et les buts de ce nouveau site Internet des plus prometteurs. Son concepteur, n'ayons pas peur des mots s'avère être un véritable aventurier qui se donne les moyens de réussir sur les vastes terrains qu'il investit. Intrépide, voyageur mais par dessus tout perfectionniste, Sébastien reste un Homme que l'on peut classer dans la catégorie des personnages rares. Le mégalithisme, puisqu'il en est essentiellement question dans ses études pointues, n'est pas à la portée du premier venu  lorsque l'on s'y intéresse de manière sérieuse. Sébastien se pose beaucoup de questions. Prudent sur les réponses et hypothèses qu'il propose, il n'en demeure pas moins un authentique spécialiste de par son expérience et ses grandes compétences. Nous vous proposons de bien mieux le connaître et ce, notamment au travers de Philolithes son site Internet qui n'en doutons pas fera date.







1/ Les Regards du Pilat : Bonjour Sébastien. Le passé, nos plus ou moins lointains ancêtres semblent vous préoccuper, jusqu’à parfois même vous passionner. Comment est née en vous cette motivation qui n’est plus à démentir ?

Sébastien Luce : Bonjour. Effectivement cela me passionne, cette motivation est née à l'origine des histoires que me racontait mon grand père, Polonais, étant venu en France au début des conflits pour travailler en Normandie. Le destin a voulu que cette destination plonge la famille en plein dedans quelques années plus tard... Il nous racontait les histoires et aventures qu'il y avait vécu, avec un plaisir non dissimulé à nous exagérer le récit pour plus de piment. C'est avant tout de là que m'est venue la motivation de faire des recherches entre les écrits les ouï-dire et les faits.  Par la suite en remontant le temps, le moyen âge m'a d'abord passionné puis ensuite l'Histoire dont nous n'avons pas d'archives, que de bien maigres traces, souvent dans les pierres muettes, des constructions énigmatiques, laissant le champ libre à des interprétations et des légendes. De plus j'apprécie les chasses aux trésors ou jeux à énigmes nécessitant astuce et réflexion, mais moins le principe de compétition ou il y a forcement un gagnant et des perdants à la fin.

Le lien c'est fait naturellement, il s'agissait de mener mes propres enquêtes, le terrain étant vaste et les sujets d'investigations nombreux, pas de course au vainqueur bien au contraire, celui qui découvre un indice permet de faire avancer tous les autres.

2/ Les Regards du Pilat : Le patrimoine, voire l’Histoire, sont souvent chez vous doublés par une approche scientifique que vous recherchez la plus pointue possible. Comment positionneriez-vous à sa juste place ce besoin de faire régulièrement intervenir la science dans vos recherches ?

Sébastien Luce : La science, j'utiliserai plutôt le terme de bon sens, intervient chaque fois que nécessaire dans mes recherches pour éviter le plus possible les pièges, les voies sans issues et les affirmations un peu trop alléchantes. Pour ma part, le terme de science est un vaste sujet. Science, dans toutes ses disciplines, en tant qu'outil, permet d'utiliser les connaissances et observations acquises au fil des temps pour les mettre en pratique au moment opportun. Une science académique et rigide peut être, elle aussi, une barrière. Beaucoup de scientifiques ont du mal à dire "je ne sais pas" par crainte que l'on remette en question leurs connaissances et leurs travaux. C'est pour cela que j'essaie d'être "pointu" et rigoureux, en vérifiant analysant, contrôlant, entrecroisant les informations et observations.

Utiliser les sciences ou la technologie, les mathématiques pour asseoir une hypothèse relève plus du tour de magie, c'est joli, bluffant mais finalement n'offre pas de clé de compréhension. Je m'attriste de les voir parfois utilisées pour asseoir des idées et perdre la plupart des gens. J'utilise les sciences, la plupart dites 'physiques', à des fins explicatives et démonstratives, pour décrire ce que l'on peut observer et permettre à d'autres d'utiliser ou non ces informations recueillies.

 

Si un doute apparaît et tant que toutes les réponses ne sont pas données et confirmées, je continue à chercher et les soulève une à une ou sinon je ne m'y plonge pas plus profondément. S'il subsiste alors des doutes il est temps de dire "je ne sais pas" et si une réponse n'est pas celle attendue de dire "je me suis trompé". Il faut le dire et l'admettre, sans tricher ni dissimuler, remballer son ego, pour le bénéfice de tous. Il m'arrive de me tromper et souvent de remettre en question mes propres hypothèses que l'analyse a fait voler en éclats, la Science sert à cela.

3/ Les Regards du Pilat : Depuis de longs mois, pour ne pas écrire quelques années, vous en êtes arrivés à mettre sur orbite un site Internet qui à terme pourrait être conséquent. Quel a été le déclic visant à formaliser vos travaux sur ce site Internet Philolithes http://philolithes.fr/ ?

Sébastien Luce : Lors de mes balades et randonnées à travers notre région, qui dans un premier temps ressemblaient à des boucles sans but précis, je me suis vite rendu compte qu'il y a de nombreux sites fabuleux voir, chargés de mystère à découvrir ou plutôt redécouvrir. Parfois en ouvrant un peu l'œil, il est possible d'y repérer des détails particuliers. J'en prenais des photos, des croquis et cela me faisait poser des questions, les balades se sont ainsi transformées petit à petit petite en 'quête' personnelle. Mais quoi faire de toute ces informations? Si ce n'est les ranger dans un dossier en attendant que la poussière le recouvre, comme la mousse sur les pierres? Le peu d'information facilement trouvable lors de mes recherches d'archives, ou certaines très floues, laisse beaucoup de place au doute ou à la spéculation, due au manque de documentation sur des sites dont l'Histoire m'a pas pu ou parfois voulu transmettre de trace écrites. Il existe bien des pages internet mais la plupart se limitent à une description simple ou uniquement une localisation peu précise de certains lieux et parfois des explications farfelues qui ne passent pas à travers les mailles de l'analyse. Notre région n'étant malheureusement pas aussi sondée/catalogué que peut l'être la Bretagne par exemple.

Le déclic est simplement venu de là, je me suis dit qu'un site était le meilleur moyen actuel pour conserver et rendre facilement accessibles les informations factuelles glanées et permettre à d'autres personnes d'y avoir accès, le format livre ne permettant pas la même souplesse et facilité d'approche pour tout un chacun.

4/ Les Regards du Pilat : D’ailleurs pour commencer, le choix du nom de votre site ne doit apparemment rien au hasard. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il signifie ?

Sébastien Luce : En effet, je cherchais un nom à mon projet qui soit le moins restrictif possible et le plus parlant. Lors de mes lectures, je suis tombé sur une étude d'archéologie du Pilat écrite par F. Gabut. Il utilisait le terme de "Philolithes" pour désigner les peuples et cultures dont on ne sait rien mais qui ont laissé des traces de leur passage dans le paysage et surtout dans les pierres. Ce terme m'a beaucoup plu car il ne définit, ni encrage temporel ni culturel ou fonctionnel. Ces "philolithes" peuvent y avoir vécu à différentes époques, chacun ayant laissé une trace qui n'était pas forcement en lien direct avec les précédents. Un peuple du néolithique a pu laisser une trace dans une pierre, qu'un carrier a débitée pour faire de solides maisons. Un menhir a pu être déplacé car il gênait pour le passage de chars puis transformé en socle de croix car on l'a trouvé à l'époque de belle facture. Aujourd'hui, nous ne travaillons plus la pierre en pleine nature, mais les personnes qui s'intéressent à ces "monuments" naturels ou non, leur donnent un nom, une légende, en soi une existence et l'on peut donc attribuer à ces personnes le nom de "Philolithes", littéralement les amis des pierres. C'est une invitation aux visiteurs, ce qu'ils ne graveront pas dans la pierre, peut être le graveront-ils d'une autre manière, plus contemporaine, pour le transmettre et préserver le patrimoine et ainsi la petite ou grande histoire de leurs région.

5/ Les Regards du Pilat : Tout de suite lorsque l’on commence à peine à surfer sur Philolithes on se rend compte qu’il représente beaucoup de travail en amont ; il y a de la matière et de nombreuses possibilités de navigation. Est-ce que c’est seul que vous avez conçu ce site et comment vous y êtes-vous pris ?
Sébastien Luce : Seul, pas tout à fait, je me suis aidé de beaucoup de tutoriels, d'exemples simples présents sur internet et de livres pour concevoir le site et tout ce que cela implique au niveau de la programmation de la présentation et du fonctionnement. Je n'avais que quelques connaissances en langage programmation et elles se résumait surtout à programmer des automates pour l'industrie, qui ne parlent malheureusement pas du tout la même langue qu'internet.

J'ai dû donc tout apprendre au fur à mesure, j'ai mis sur le papier ce que je voulais réussir à faire, techniquement et visuellement, réalisable ou non, une sorte de cahier des charges global et ensuite avancer à tâtons, petits bouts par petits bouts, les erreurs, les moments de doute et les petites victoires personnelles, comme peindre, à l'aveugle, un tableau que l'on a rêvé. Quand l'idée de départ s'affiche enfin correctement sur l'écran, c'est une petite victoire, c'est magique ! Je ne me rendais pas compte de cela avant d'avoir commencé, une page internet qui s'ouvre, c'était  "normal", mais derrière... quelle salade ! Je me suis lancé cela un peu comme un défi, partir de rien et rentrer le codage au fur à mesure, c'est vraiment comme apprendre une nouvelle langue, avec son vocabulaire, sa grammaire et ses subtilités.

Cela a pris forme aujourd'hui, le site a dépassé le stade du simple projet, le plus difficile est passé, mais je vais tâcher de le faire évoluer et de le compléter dans l'avenir, les deux sections dossiers et études étant malheureusement vides pour le moment, m'étant focalisé sur d'autres sujets en parallèle du site. Le fond, l'idée générale, est aujourd'hui réalisé, la forme quant à elle évoluera au fil du temps et des possibilités qu'offre ce type de média.

6/ Les Regards du Pilat : Faire vivre un site Internet au fil du temps, n’est pas chose aisée. Il n’y a qu’à voir sur la toile le nombre de ceux-ci qui sont aujourd’hui comme abandonnés. Vous projetez-vous dans le futur et surtout comptez-vous vous appuyer sur des tiers pour contribuer à maintenir et dynamiser des entrées régulières dans les différentes rubriques que vous proposez déjà aujourd’hui ?

Sébastien Luce : Je ne me projette pas trop loin dans l'avenir, pour le site, il vivra si des internautes y trouvent leur intérêt et l'envie de le voir évoluer. C'est un projet personnel pour les autres... Je ne sais pas si il y aura un public pour s'y intéresser et de quelle manière, cela fait partie de mes doutes, l'essentiel c'est que cela existe désormais, c'est gratuit et accessible et chacun pourra y ajouter sa contribution.

Pour la contribution, c'est une des bases du site justement, pour recenser le maximum de lieux, d'informations pertinentes et si des légendes s'y rattachent, avant qu'elle ne soit oubliées, j'espère de tout cœur que les visiteurs auront l'envie de partager leurs connaissances, pour permettre à d'autres visiteurs de les découvrir sur ce site. J'aimerais en effet que le site devienne une sorte de plate-forme, voire pourquoi pas qu'il devienne une sorte de  concept que d'autres pourront reprendre, j'essaie au mieux de consolider les bases et d'y fournir le maximum d'informations que j'ai pu ou pourrais récolter, aux visiteurs d'y ajouter leurs pierres.

7/ Les Regards du Pilat : Philolithes se veut couvrir un vaste territoire. Pouvez-vous nous développer un peu comment vous avez sélectionné celui-ci et si d’après vous les richesses en présence sont comme réparties de manière homogène ?

Sébastien Luce : Le territoire est celui du département de la Loire "étendue". Étant originaire de Roanne et ayant passé quelques années dans le bassin stéphanois. Une chose m'a frappé, lorsque l'on est dans la plaine, au lointain, on aperçoit les monts environnants. On leur a donné des noms poétique et chargés de sens, montagnes du soir, montagnes du matin, mont de la Madeleine, Pilat. La Loire est une sorte d'enclave géologique, il y a des sites magnifiques et préservés un peu partout sur les hauteurs et parfois qui se répondent en miroir de part et d'autre de la plaine. Je ne pouvais donc pas me restreindre aux limites administratives du département. Les sommets sont comme la limite naturelle, dès lors que l'on rejoint la plaine suivante, de l'Allier ou du Rhône par exemple, l'archivage s'arrête, il s'agit d'un nouveau territoire.

 

8/ Les Regards du Pilat : Le Pilat s’avère posséder très peu de sites mégalithiques authentifiés comme tels. Avec le recul et vos connaissances actuelles, pensez-vous que c’est injuste et que les autorités compétentes feraient bien d’y regarder de plus près tant l’archéologie  pratiquée par les amateurs semble prouver que de très nombreux sites sont en réalité néolithiques, mégalithiques voire paléolithiques ?

Sébastien Luce : Le Pilat présente une géologie très particulière, comme par exemple les chirats que l'on ne retrouve pas sur les autres sommets du département.

D'une part, il y est très difficile de faire la part des choses entre paréidolie et réalité mégalithique, c'est à dire une structure ou un élément aménagés de manière pensée et volontaire.

D'autre part, les carriers de toute époque ont taillé, découpé, réorganisé les massifs de roche. L'exploitation forestière quant à elle a transformé la forêt primaire en monoculture, créant parfois des alignements de pierres diverses que le bon sens invite à ne pas s'attarder sur la question. Il s'agit , pour chaque lieu de démêler la réalité de l'érosion et du temps des hypothèses ou idées reçues.

 

Exemple de 'tour de magie mathématique' au 'cadran du Pilat' traité par un logiciel affichant tous les points possibles pouvant exprimer un triplets de Pythagore exprimé en 'yard mégalithique' en partant de la pierre des trois évêques.

 

Pour les lieux d'intérêt non négligeable, et il en existe de nombreux en Pilat , il s'agit la plupart du temps d'un véritable puzzle physique et historique à reconstruire.


Les archéologues cherchent des preuves de "mobiliers" archéologiques, pointes de flèches, haches, fibules, etc. Il s'agit souvent de la base de départ à toutes autres investigations. Sans ces points d'appui avérés et identifiables comme de facture humaine, il est difficile voire impossible d'émettre des hypothèses et donc d'organiser un travail sur le long terme. Il faut aussi avouer que certains lieux se méritent et peut être que les étudiants en archéologie ne sont pas de fervents adeptes de la randonnée. Il est possible que les 'scientifiques' aient publié des écrits mais qu'ils n'ont pas été relayés, parfois car ils vont à l'encontre de croyances.

Le Pilat offre ses secrets à qui souhaite vraiment y offrir son temps et son cœur, mais il ne faut pas y confondre, comme ailleurs, mégalithes et 'paréidolithes', ces derniers sont très joueurs et l'un de ces 'couples de pierre', croisé au détour d'un chemin est devenu sans plus d'hésitation, le logo du site, tout à fait naturel mais mon imagination a perçu qu'ils voulaient un peu sortir de leur bois et jouer les vedettes, ils étaient mignons tous les deux, c’était entendu.

9/ Les Regards du Pilat : Philolithes semble donc avoir vocation à archiver le plus massivement possible et ceci avec autant de qualité, des données archéologiques sur les secteurs géographiques retenus. Comptez-vous vous rapprocher des spécialistes pour valider ce que vous mettrez en ligne sur le site ?

Sébastien Luce : J'espère que le site fera la passerelle en effet, actuellement je ne fais que des observations à titre personnel. Je souhaite que ce qui sera présenté sur le site soit une vision objective des différents lieux, ce que l'on connaît, ce que l'on peut y observer. J'essaie d'y inscrire mes observations mes interrogations et évite au maximum les spéculations. Si des personnes sont en mesure d'apporter un éclairage et des compléments ce ne sera que plus intéressant pour tous.

Pour les légendes par exemple, elles ne sont pas factuelles mais elles ont été transmises de génération en génération. Je ne peux pas dire si la légende est réelle, imaginaire, d'origine ou modifiée, juste qu'elle fait partie intégrante du lieu, elle a traversé les âge, parfois elle révèle une morale, comme une fable et fait partie du patrimoine et le site la recueille donc aussi. Pour une trace dans la roche, il est parfois difficile de dire si cela est naturel ou si il s'agit d'une modification voulue et pensée, un géologue permettrait de trancher, mais s'il le fait, ce n'est pour ma part pas suffisant d'annoncer : "c'est naturel", ce sera donc avec une explication des indices qui permettent de l'affirmer ou l'infirmer. Si un site est totalement naturel, il ne sera pas supprimé de l'archivage du site pour autant, bien au contraire puisqu'il reste remarquable dans sa forme.

10/ Les Regards du Pilat : Vous parcourez de nombreux kilomètres sur une année au service de votre passion. Êtes-vous seulement inspiré par la motivation du moment présent ou au contraire avez-vous une sorte de planning préétabli visant à étudier de manière structurée les secteurs que vous explorez et que vous explorerez demain ?

Sébastien Luce : Pour le moment je n'ai pas de planning prédéfini. J'essaie d'en visiter un maximum, dès que le temps le permet en limitant mes déplacements entre mon lieu d'habitation et un secteur. Si je vais sur le Pilat par exemple, je cadre sur une carte topographique, un secteur à explorer sur la journée, je regroupe par exemple 3 ou 4 lieux différents dans un périmètre restreint de quelques kilomètres à pied ou rapidement relié entre eux en voiture, me donnant la possibilité d'une observation sur place d'une demi-heure en élargissant aux environs du lieu, ce qui permet souvent de faire des observations très intéressantes et inédites. En scrutant la carte, je tombe souvent sur des toponymes évocateurs, je les ajoutes à mon parcours si cela ne me fait pas faire de détour et des kilomètres supplémentaire en voiture, sinon je les mets de coté pour les regrouper avec d'autres lors d'une prochaine sortie. Du moment que je suis à pied il n'y a de limite que la course soleil et l'accessibilité de certains lieux, j'ai pu par exemple passer une journée entière dans les bois autour de Saint-Sabin ou des Trois-Dents, à monter par un versant, redescendre par un autre, couper hors sentier, suivre un relief ou aller voir un détail du paysage de plus près, là oui il s'agit d'inspiration du moment et du lieu.

Actuellement j'essaie surtout d'asseoir une base fournie de lieux tout autour de la Loire, finalement je rectifie ma première réponse, oui il y a effectivement une sorte de planning.  Une fois cela fait, je pourrai, je pense, approfondir certains points que j'ai pu noter ou suivre une ligne directrice, comme les organisations des lieux, leurs différences ou points communs, leurs concentrations, par exemple au Pilat un foisonnement de sites potentiellement ouvragés côté versant sud/sud-est alors que très pauvre côté nord. Monts du Lyonnais (alias Montagnes du matin), Monts du forez, Monts de la Madeleine (alias Montagnes du soir), sites abondant sur les crêtes et dispersés d'est en ouest. Il faut avant toute chose rassembler le plus de pièces possibles, même si elles ne font pas parties du même puzzle, le jeu sera de les trier et de voir si une ou plusieurs  images se révèlent. Le site sera une boîte où tous ceux qui le souhaitent pourront y emprunter des pièces susceptible de les intéresser et auront loisir en découvrir de nouvelles.

Les Regards du Pilat : Sébastien nous vous remercions pour l’ensemble de vos réponses.