DOSSIER
JUILLET 2020
|
Pierre-Bernard Teyssier
|
PiLAT
– JAREZ JADiS
« PRé
CARRé » DES ATESUi – OVATES d’ESUS ?
Préambule A
l’été 2018, plusieurs de mes amis, à ma
grande surprise, m’avaient, indépendamment les uns des autres,
fait la même
suggestion. Sans s’être concertés, ni même, je
crois, se connaitre, ce fut avec
les mêmes ruses, de sympathie, qu’ils parvinrent à me
caler le pied à l’étrier
d’une redoutable monture. Depuis ma plus tendre enfance, ne
m’étais-je pas
toujours montré passionné par l’histoire de ma petite
patrie ? N’avais-je
pas déjà souvent risqué ma plume, occitane
à l’occasion, à diverses chroniques et
campé, à ma manière, des personnages tantôt
illustres, tantôt insolites … ou
les deux à la fois ? Bref,
au vu de mes persévérantes
recherches et, sans aucun doute, de ma bonne mine, je n’avais plus,
sans perdre
une minute, qu’à mettre scène une chose
inouïe : l’histoire des premiers
occupants du Pilat. Et, sous-entendu, pour faire bonne mesure, ceux du
Jarez itou ! Mais,
voilà comment, une fois encore, j’allais
devoir, bon gré mal gré, m’immiscer dans
l’intimité de Ponce Pilate ou du roi
Hérode, tendre la joue aux
« Trois-évêques » ou passer à
gué tel
ruisseau… avec Jean-Jacques ! Vu de la sorte, l’excursion ne me
disait pas
trop, à vrai dire. Ou, alors, il m’allait falloir bousculer
hardiment le
décorum. Mais, par à quel
prix ou par
quel miracle ? Quel
que soit l’aboutissement des recherches
envisagées, conférence, publication ou autres media,
j’étais bien décidé à
rechercher non seulement les plus utiles, mais encore les plus
agréables
compagnies. Un tel état d’esprit fut du meilleur effet. Car,
à peine avais-je –
pour quelques temps du moins – faussé compagnie aux vaillants
chasseurs-cueilleurs de la Font-Ria ou changé de trottoir en
croisant le
fantôme de Pilate, que se produisit comme par hasard ma collision
(collusion,
peut-être !) avec Gaius Plinius Secundus, plus connu sous le
nom de Pline
l’Ancien. Pline,
ce n’est pas forcément dans les vestiges,
hélas de plus en plus évanescents, de mes
humanités, que je serais l’aller
quérir. Ce fut, en réalité, des
« Fastes de la Province de
Narbonnaise » (* 1) que le plus
éminent reporter de
l’Antiquité daigna se soustraire en douce et m’adresser comme un
geste de
sympathie. J’en fus, en toute humilité, singulièrement
touché. Pline
l’Ancien, qui,
à la faveur des plus hautes charges de rang équestre dans
la nomenclature
impériale romaine, navigua, parait-il, de la Judée aux
Açores (Tulia
Minor ; cf. Paul RIVET, citant El Nuovo Diario, un
journal de
Caracas/ n° 2728 du 6 août 1920, art. de Alberto J. PORTA) et
de la Germanie à
l’Hispanie fut, sous l’influence de Sénèque, un
fidèle adepte de la philosophie
stoïcienne. En retrait volontaire de la vie publique, sous
l’irascible Néron,
il put opportunément faire progresser une œuvre écrite,
dont n’ont survécu que
ses Histoires Naturelles, soit plus de trente volumes. C’est
sous
Vespasien, dont il était l’ami, que Pline put atteindre son
« floruit ».
Mais, la riche biographie du personnage n’étant pas notre sujet,
c’est un
infime point de sa carrière qui a opportunément
attiré notre attention :
son implication concrète, en 70ap. J.C., à Vienne
(Isère), comme procurateur
chargé des finances de la Narbonnaise. C’est pour nous une
véritable aubaine,
car, quel haut dignitaire eût-il pu, mieux que lui,
établir une matrice aussi fiable
des peuples gaulois existant alors ? Il ne s’agissait plus
seulement,
comme dans le De Bello Gallico de César, un siècle plus
tôt,
d’entonner
la litanie des peuples rangés par les armes sous le joug de
Rome, mais,
principalement ou accessoirement, peu importe, d’authentifier la
matrice
fiscale des quidam qui étaient tenus de verser tribut ou, par
une rare
exception, s’en trouvaient exemptés. Opulent ou non, nous
l’ignorons, mais il
est fait mention, sur cette liste de Pline, d’un peuple (*2)
– hélas,
non situé avec plus de précision – présent, selon
toute vraisemblance, dans la
périphérie de Vienne : les Atesui. Premiers
pas vers les Atesui alias les Atheux Nous
ne sommes pas les premiers à qui la simple
mention, par Pline, des Atesui, ait mis
la puce à l’oreille. Nous n’entendons
pas faire ici, le tour complet des auteurs qui ont tenté d’y
voir plus clair au
sujet de cette peuplade ou ethnie gauloise. Encore, d’ailleurs,
faudrait-il
qu’il s’agisse bien d’une peuplade déterminée, si ce
n’est d’une certaine
fonction ou d’une qualification particulière, telle qu’il nous
reviendrait, en
pareil cas, de la définir au mieux. Et, enseigne au vent, de
tenter, avec le
lecteur, d’en explorer les contours, les finalités et les
vestiges. Voilà qui,
en réalité, au gré des étranges
rebondissements de notre reportage, est bel et
bien devenu notre objectif. Il se
révéla, ainsi, qu’envers ou contre Esus, le divin
Elagueur, il y aurait, en
filigrane de la toponymie et de quelques précieux fragments de
légende, ample matière
à un ouvrage entier. Aussi, un projet d’édition suit-il
désormais son cours,
mais, comme diraient nos voisins italiens : « Goutons
d’abord aux antispasti » ! Avant
d’amorcer notre
expédition, il serait, tout de même, décent de
jeter un œil dans la production
d’auteurs qui se sont intéressés au sujet. Entre certains
d’entre eux, surgirent,
à l’occasion, des polémiques, parfois virulentes, dans
lesquelles nous ne voudrions
absolument pas nous empêtrer ni, encore moins, y exercer un
quelconque
arbitrage, rôle envers lequel, à vrai dire, nous ne nous
ressentons pas un
attrait irrépressible. Parmi
les auteurs
contemporains, le bonus d’antériorité revient de droit au
baron Charles
Athanase WALCKNAER (1771 -1852, Paris). Ce savant polytechnicien,
membre de
l’Institut, véritable monument d’érudition et
mécène des arts,
montra,
une fois pour toutes, (*3) qu’il
était insensé, comme
l’avaient tenté certains, de confondre les Sesuvii
de Normandie avec les Atesui de
Pline. L’argument
est de poids : « Pline
nomme les Atesui immédiatement après les Segusiani
libri :
ils doivent donc être peu éloignés de ces derniers. » Et notre très érudit baron de
préciser ensuite :
« Les Atesui de
Pline me paraissent devoir être placés
aux environs d’Atteux [sic], à 8 km de Saint-Etienne, dans le
département de la
Loire ». On ne discutera pas, ici, par le menu, d’un
développement qui
vient ensuite sur l’éventualité, au-travers d’un ouvrage
de Ptolémée, que les Aetusiates et Atesui aient pu se
trouver incidemment confondus
avec les Segusiani. Ce dernier
point, relié à d’autres
considérations sur le degré de fiabilité de la
carte de Peutinger et sur le
« Forum » des Ségusiaves (si ce n’est
celui des Atesui de Farnay,
village du Jarez ?), avait fait l’objet d’un article
ouvertement assorti de « contre-balancements »,
dans Regards du
Pilat, en septembre 2012, sous la signature de Rémy
ROBERT. Parmi
les érudits qui emboitèrent le pas au
baron WALCKNAER : Pierre-Auguste CALLET (1812,
Saint-Etienne /
Loire – 1883, Châtenay/ Hauts-de-Seine) et sa
« Légende des Gagats »
(Ed. du Bastion 1988, rééd. de l’ouvrage de 1866),
philologue averti des
chausse-trappes sémantiques plus encore que de celles de la
politique.
Ancien
élève de l’Ecole des
Mines, quoique poète à ses
heures, il devint député de la Loire, mais ses
déboires avec l’Empire lui
valurent l’exil et même la prison avant qu’il ne regagnât
son siège de
parlementaire. Ce sont, sans doute, ses vacances forcées qui lui
permirent
d’approfondir de nombreux sujets et, tout à notre avantage, la
délicate
question des Atesui. Chose dont, faute d’une lecture
suffisamment attentive,
je n’avais pas suffisamment pris conscience. Ceci, jusqu’au moment
où, le livre
de Callet dépoussiéré à souhait, je
réussis, moi-même, à localiser certains
points géographiques déterminants, dont il sera question
un peu plus loin. Après
avoir remis à plus tard un rendez-vous
avec les forgerons Eurises de Callet, affairés au pied de
l’Eurton, une colline
stéphanoise au pied de laquelle ils auraient bâti un
hameau du même nom,
suivons hardiment notre éminent coryphée jusqu’à
Tarentaise (Pilat), village
homonyme, de fait, avec une rue de Saint-Etienne. « A
peu près certain que les Gagats
[surnom immémorial des stéphanois] aient adoré
Taran », Callet n’hésite
pas à voir, en Taran, « dans toute sa pureté,
le nom gaulois du dieu
gaulois ». Quant au « caractéristique taise »,
Callet lui accorde volontiers de représenter le
« séjour de Taran »
que nous connaissons plutôt sous le nom de Taranis, dieu du feu
et de la foudre.
Mais, dans une note, en bas de la page 111, l’auteur lâche une
confidence à
laquelle nous ne pouvons qu’être, pardonnez le jeu de mots, tout (Ates-)ouie :
« (1)
Il y aurait bien encore une
quatrième explication : ce serait « Taran-
Atuez », c’est-à-dire
‘Taran des Atesui’. Je crois, en effet, avec Walkenaer, que les
Atesui
de Pline habitaient cette contrée ; mais Walkenaer
étend, à mon avis, un
peu trop leurs domaines ; je les renfermerais dans le Pagus
Jarensis. Ce
n’est pas le lieu de développer cette opinion. Il suffit de
rappeler qu’il y a,
non loin de Tarentaise, un vieux bourg de Saint-Romain- les-Atheux, une
vallée
de Cotatéis (Koad-Atuez, bois des Atuesi), et à 5
ou 6 lieues au nord,
sur la chaîne de Riverie, un autre hameau des Atheux.» Taran
mis à part, il y a, nous semble-t-il,
dans ce passage, court mais dense, plusieurs points importants à
homologuer,
les uns sans réserve, les autres avec nuances : 1/
Callet est parfaitement d’accord avec Walcknaer
pour loger les Atesui « dans la contrée »,
ce à quoi, bien sûr, nous
adhérons, nous aussi ; 2/
Tout en voulant réduire « les
domaines » que Walknaer a prêté aux Atesui,
Callet, probablement parce
que, lui-même souhaite éviter tout piège
d’interférence avec les
« Ségusiani »,
ne dénie pas, non plus, aux Atesui, un territoire
considérable. A peine
les a-t-il « enfermés » dans le Jarez
qu’immédiatement il les reloge
en plusieurs points du Pilat ; et, même, « sur la
chaîne de
Riverie » ! Nous dévoilerons, par la suite,
pourquoi il serait plus
judicieux non pas de guetter de quelconques
« Atheux » à Riverie
(certes, doté, au Chatelard, de parlants vestiges d’oppidum),
mais, un peu plus
à l’ouest, à la frange du Jarez et du Lyonnais, vers
Pierre-La-Bauche, de
Saint-Héand ; 3/L’évocation
de la vallée du Cotatay
(Cotateis) comme d’un « bois des Atesui »
est d’autant bien
inspirée que le site est à cheval sur les trois communes
de
Saint-Romain-les-Atheux, Saint-Genest-Malifaux et la Ricamarie
(appelée
« Tiregarne » jusqu’au XIVème s.,
quoiqu’ érigée en commune au
XIXème s. seulement, selon Dufour). Cot/cud nous
laisserait facilement
entrevoir (via DOTTIN, « La langue gauloise »,
L.Reprints 985 p.249)
une alléchante alternative au koad
(forêt)
de Callet : cud, cuz, « cachette »
(radical cud + cudio gallois ; /lat. cuditare),
encore plus
prégnante avec certaines
attributions, plus que subodorées, des Atesui ; nous nous
en expliquerons
plus loin. Si
jamais, à eux seuls, ces quelques morceaux
choisis, ne lui avaient pas déjà mis l’eau à la
bouche, que le lecteur se
rassure, d’autres maîtres-queue, au fil de nos
réjouissances, viendront, étape
après étape, mettre leur grain de sel en cuisine ! Le
grain de sel de la Géométrie Aucun
mathématicien – et, je ne revendique nul
autre titre que celui d’investigateur passionné ! - ni
Euclide, ni Newton,
n’a, d’emblée, abordé l’étude de la
géométrie par les polyèdres. Le bon
élève,
partant d’un point, s’exerce, d’abord, en suivant attentivement la
course du
soleil, à faire des « barres », des
traits, etc… Comparativement, c’est
à peu près à ce stade, du reste, que se tint
longtemps cantonnée, chez moi, la
localisation des Atesui. Le
point de mire de Saint-Romain-les-Atheux
n’était dissimulé à ma vue, depuis mon Liré
de Saint-Genest-Malifaux, que par
le Bois Ternay, parfois joliment désigné comme
« Bois Eternel ». Afin
qu’un contexte aussi paradisiaque ne me fasse nullement négliger
l’immense
baratte de la toponymie, je pris, au contraire, très à
cœur, dès l’enfance, de
ne pas laisser la crème des mots se morfondre dans la cuve.
Donc, de tourner
gaiement la manivelle de ladite baratte et de boire, à
l’occasion, du petit
lait ! Bien
que certains n’aient jamais voulu chercher
plus loin que attegia, les « cabanes »,
en gaulois, pour y
abriter les occupants les plus anciens de Saint-Romain, j’ai quasiment
toujours
misé sur l’autre sens de « Atheux », Atesui,
une peuplade errant
au milieu des bois … pour l’éternité ou pas. Mais,
c’est au-travers du patois occitan,
durablement pratiqué avec des locuteurs très
attachés, comme moi, à leur
terroir, que l’affaire prit une tournure inattendue. Mon point, unique,
d’ancrage des Atesui se mua, d’abord, en un trait d’union,
rectiligne
par définition, avant d’engendrer – comme par enchantement – un
quadrilatère
subtilement inscrit dans une batterie indéfinie de cercles. Puisqu’il
vaudrait mieux, au fil de cet exposé,
que le lecteur ne perde de vue une telle figure
géométrique, autant lui
dévoiler, dès à présent, au moins
schématiquement, de quel(s) côté(s) on a le
dessein de l’entraîner. Le
trait d’union, l’isoglosse (en linguistique,
ligne virtuelle reliant certains points d’un même fonds de
langage), qui,
patiemment avait germé dans mon esprit, telle la racine ou le
« gourmand » d’un arbre, s’est propulsée
de Saint-Romain-les-Atheux
(Loire) en direction de Saint-Jacques-d’Atticieux (Ardèche). De
même que la
rivière, la Déôme, après avoir franchi
Bourg-Argental (Sud-Loire), devient très
vite la Deume, en se laissant couler vers l’Ardèche - cela ne
pourra nullement
choquer tout honnête linguiste –
les « Atheux » (qui est également
un hameau de Saint-Romain-les-Atheux) et Atticieux, par un processus
identique, se retrouvent aisément, eux aussi,
logés
à une même enseigne. De
cette première ligne droite n’aurait,
peut-être, jamais surgi, du moins dans mon esprit un peu
distrait, une nouvelle
figure géométrique,
si,
un jour, à la faveur d’une
promenade entre Sorbiers et Saint-Héand, ne s’était
affiché, sous mes yeux, le
panneau indicateur d’un hameau portant, une nouvelle fois, la
dénomination :
« Les Atheux ». Pour
poursuivre mon tracé de la figure, deux
options, au moins, étaient à envisager, selon qu’il
existait ou non un
quatrième point-clé dans la toponymie locale.
Après avoir recherché celui-ci en
vain, je trouvai déjà inespéré de pouvoir
risquer une triangulation entre
« Atticieux » et les deux
« Atheux ». Mais, en dépit de sa
qualité de triangle rectangle, cet isocèle, diable sait
pourquoi, n’eut pas
l’heur, tout de suite, de satisfaire ma gourmandise. C’est
précisément à ce moment-là qu’il m’advint
de glaner, de façon encore une fois inattendue, une information
propre à faire
franchir un nouveau pas au schéma géométrique qui
progressivement s’était imposé
à ma réflexion. Alors que, carte IGN en main, je
m’aventurais à déterminer un
point géographique qui offrirait de parachever en forme de
carré la figure déjà
tracée, la Roue de la fortune, obstinément pendue
à l’une des pointes de mon
compas, se figea sur le nom de Trèves, commune située
dans le Rhône, mais également
en plein cœur du Jarez. De
la sorte, c’est un véritable « pré
carré » qui s’est gracieusement ouvert devant nous,
sans que nous ayons,
d’ailleurs, à ignorer les cercles concentriques voués
à nous révéler, à leur
tour, certaines données périphériques en rapport
très étroit avec le sujet des Atesui. Nous
reviendrons, très vite, sur le cas de
Trèves et de sa légende des Atesui. Nous
parlerons également des
incroyables rebondissements qu’entraîna, au cours de ces
recherches, l’absence,
sur cette commune ou ses voisines limitrophes, du moindre lieu
doté de
l’appellation contrôlée qui nous était
chère, « Atheux » ou Atesui.
Auparavant, il importe d’assaisonner, un peu plus
généreusement, chacun des
points « chauds » ouverts successivement aux
quatre coins susdits du
pré des Atesui. Les
ancrages du pré carré a)
Saint-Romain-les-Atheux Bien
qu’ayant encensé, comme il se devait, les
trouvailles du baron Athanase WALCKNAER et celles, tout aussi
délectables de
S.E. Auguste CALLET, et fait quelques mises au point jugées
indispensables, il
nous reste, par chance, encore beaucoup à dire. Aussi, tentons
de résumer nos
propres découvertes, sans laisser de côté celles
qui pourraient paraître des
digressions, pour peu qu’elles soient de nature à
éclairer l’histoire des Atesui d’une plus grande
lumière que n’avait daigné,
en vérité, le faire ce cher
Gaïus Plinius Secundus. S’il
n’a guère été consenti, jusqu’ici,
qu’aucune fouille archéologique, en bonne et due forme, n’ait pu
être recensée
qui concernât spécifiquement notre « pré
carré » ou même ses bordures
immédiates, c’est que la dure réalité d’un tel
dénuement n’est, sans doute, pas
irrémédiable. C’est, en
l’attente de
jours meilleurs, la raison essentielle pour laquelle nous n’avons
guère
rechigné à faire feu de tout bois et à puiser dans
la toponymie, l’histoire,
l’épigraphie, la mythologie et, fortuitement, la légende.
Voilà qui est dit. Ce
n’est pas, non plus, que les recherches, les
publications et les chantiers de fouilles sur l’histoire et la
préhistoire en
Loire, Haute-Loire, Rhône ou Ardèche, concernant la
préhistoire ou l’antiquité
fassent défaut. Loin de là, elles abondent et il en est
d’aussi passionnantes
que brillantes ! Ce serait, donc, faire gravement injure aux
innombrables
universitaires, chercheurs et sociétés d’histoire de
Rhône-Alpes que de les
incriminer à ce sujet. Plus simplement : il eût
été vain, de ma part, au
détour de ces quelques lignes, de prétendre rapprocher
mes « notes d’aventure »
chez les Atesui avec un quelconque synopsis des points de vue
exprimés
par moult spécialistes de chacune des thématiques
invoquées ici. Si
ce n’est les très éminents auteurs déjà
expressément sollicités, ainsi que quelques autres
encore, tant pour les
stricts besoins immédiats de la cause que pour « la
beauté du
geste », aucune bibliographie ne viendra, en
conséquence, rallonger
inutilement cet article. Si l’on en est par trop marri, on pourra
toujours, en ultime
ressort, se requinquer, par une lecture du chapitre « Le
Forez dans
l’antiquité » de « Croyances et Foi
foréziennes » (Ed. Forez-Diffusion
1994, ouvrage rare) de M. Henri BEDOIN, certes ségusiave et
décoré, par quelque
érudit sans doute en mal de condescendance, du titre
« d’historien
local », mais néanmoins doté par les dieux
d’un bel esprit de synthèse et
d’une délicieuse faconde. Chemin
faisant, à défaut de telle ou telle trouvaille
archéologique totalement irréfutable et dans l’attente de
pouvoir mieux
survoler le territoire au moyen d’un drone, nous avons
bénéficié de vues
aériennes qui laissent apparaitre, sur une parcelle libre de
récolte, aux Atheux
(ceux de Saint-Romain), d’étonnants alignements de dessins au
sol. De
tels alignements de trous carrés conséquents,
hormis les empreintes en « S » résultant
certainement du passage
récent de gros engins, évoquent les possibles vestiges,
dans le tréfonds, d’une
vaste construction E/O dotée de piliers ou de plots. Ceci,
d’autant que le
toponyme repéré dans le voisinage immédiat
(à l’est) des Atheux est
« Mirande », ce qui, en occitan, signifie
« tour de guet ».
Cela est tout à fait conforme à la configuration des
lieux, dans la mesure où,
de là, on domine la vallée très encaissée
du Valchérie (de cher,rocher,
d’où est tiré chirat, éboulis de roches).
Les
vestiges du prieuré, aujourd’hui rayé du
paysage, des moines de l’Isle-Barbe (le même ordre
bénédictin que ceux de
Saint-Rambert-sur-Loire, jadis « Occiacum »)
seraient, semble-t-il, à
rechercher plutôt dans le bourg même de Saint-Romain. Mais,
peut-être, est-ce à
ces clercs, connaisseurs de nos racines antiques, qu’il faudrait
pouvoir
demander la raison d’un aussi grand nombre de Saint-Romain(s) pour
désigner des
paroisses en Forez, Jarez et Pilat. Certains historiens ne sont-ils pas
allés
jusqu’à prétendre que nombre de druides
persistèrent, après la conquête
romaine, dans l’exercice – discret - de leur mission et, pour certains
d’entre
eux, passèrent, sur le tard, à la foi chrétienne,
voire accédèrent au sacerdoce
de cette nouvelle religion ? Ces
Atesui que, par métathèse, on trouve
parfois nommés Atuesi, auraient donc, ici, entre
Rhône et Loire (i.e. de
Vienne à Occiacum) toute leur place de
« gardiens vigilants »,
ainsi que le verbe latin adtuor, « regarder,
surveiller », le
suggère et ainsi qu’a pu l’entendre, d’une oreille latine, Pline
l’Ancien. Ne
soyons cependant pas déçus de ne pas les y avoir
rencontrés en personne,
tellement nous avons encore d’autres lieux à visiter, où,
marquant plus ou
moins leur passage, ils nous auront précédés. Nous
ne pouvons, d’ailleurs, quitter ce premier
repère/repaire de leur pré carré, sans consentir
un détour par la commune de
Jonzieux limitrophe de Saint-Romain-les-Atheux, où une
véritable intrication de
toponymes fait, elle-même, écho à une
légende locale relatant un passage supposé
de Jules César durant la guerre des Gaules. Nous ferons, donc,
le crochet, via
les CD 22 et 72, par les hameaux de Batailler, Foisset et la Garde
reliés entre
eux par une voirie dont l’assise, pour partie, a récemment
été détectée, par
des historiens locaux, comme une ancienne voie gauloise ou
gallo-romaine (*4).
Deux autres toponymes, tout à côté, Clermondon et
Véricanjon, peuvent
successivement évoquer le thème d’une victoire et la
honte d’une défaite, si ce
n’est les anthroponymes gaulois Clarus, Mundus
ou Verecundius, noms
repérés assez couramment chez les
Allobroges (*5), à Vienne ou dans les parages ;
indice qui n’est
pas sans importance, on s’en doute, si l’on veut obtenir quelque mesure
du
territoire investi par les Atesui de part et d’autre de la voie
plane (odos pedias) que Strabon (60
av. J.C., env./ 20 ap. J.C., env.) a paru situer dans le Jarez et
dédiée à un
trafic commercial entre Rhône et Loire (v. François
DECHELETTE, Les voies de pénétration
de la civilisation
dans la Gaule Celtique et romaine.
In Revue de Géographie de Lyon. Vol. 31 n° 2, 1956, pp.
109-113.). b)
Les
Atheux de Saint-Héand A
l’est du bourg de
Saint-Héand, la visite des lieux, dès l’approche d’une
grosse ferme isolée
d’apparence anodine, pourrait laisser sceptique quant à
l’importance historique
de ces « Atheux » - là. Comme souvent pour
le profane, c’est qu’il lui
faudra, tout d’abord, trouver le fil par lequel dérouler
l’écheveau. Celui-ci,
on n’y a pas forcément pensé, se trouve, pour ainsi dire,
accroché, 300 m
plus-haut que les Atheux, à une roche sommitale très
singulière :
Pierre-la-Bauche. Et, ce n’est pas l’incroyable faisceau d’antennes,
qui surplombe
le mégalithe, qui risque de nous dissuader de lui
reconnaître son propre
rayonnement électro-magnétique ! De
Pierre-la-Bauche
(alt : 872m), la maîtrise de
l’horizon est à 360°. A plein sud, par exemple, on verrait
nettement
Saint-Romain-les-Atheux tirer quelque feu d’artifice. A l’est, il en
serait
probablement de même pour Trêves ou le
Chatelard de
Riverie. En suivant, vers le sud-est, la diagonale du fameux
quadrilatère, par-dessus un point central vers Chavanol/ Le
Planil/Le
Chatelard, ce serait pareil pour des fusées tirées depuis
de
Saint-Jacques-d’Atticieux, au « bec d’oc » de
l’Ardèche, ancien pays
des Helviens. Du coté de l’ouest, on se demandera combien de
fois les Arvernes,
qui vinrent souvent côtoyer les Allobroges au bord du
Rhône, durent, de part et
d’autre du fleuve Loire, s’harmoniser, sinon se fédérer,
avec ces
« Brigands » (adorateurs de Brigantia/Bergusia)
d’Atesui. Pour,
ensemble, tenir le choc tantôt contre Rome, tantôt contre
Eduens ralliés à
Rome. Essalois, avec son oppidum au bord de la Loire, aurait, un temps,
dit-on,
pris le parti des Eduens, tout dévoués à
César, mais nous ne prétendons pas,
nous-mêmes, avoir contrôlé tout le scenario du film
ni de la série. Quant
aux
Ségusiaves, qui furent très tôt
fédérés avec les Eduens, donc alliés de
Rome,
il faut consentir que, des Hauts du Jarez/ Lyonnais, les Atesui
auraient
eu, a
priori,
l’avantage sur
eux. Mais, on le verra, en raison du mandat politico-religieux
très spécifique
des Atesui
et
de leur raison
profonde d’exister (de leur ikigaï,
pour
parler japonais), l’hypothèse d’un tel affrontement n’est
guère vraisemblable. Du
côté des
Allobroges, il est temps de s’en rapprocher en allant vers
Trèves, dans le
Rhône. c)
Les
Atheux de la légende du Fautre En
janvier 2009,
dans un court article publié par Regards
du Pilat, Lionel
CHEVALLIER, se référant au livre de l’abbé
CHAVANNES qui, au
XIXème siècle, avait retracé l’histoire de
Trèves, en profitait pour, en
quelque sorte, renvoyer dos-à-dos cet historien-là avec
Jean DUCHOUL, le
cardinal DONNET et quelques autres, en particulier à-propos
d’une bataille
prétendument livrée soit au Fautre, soit quelque part
ailleurs dans le Pilat. Tout
à fait
ignorant, au début de mon enquête, de cette anodine
« dispute de
famille », je tombai inopinément sur un article
publié, de façon anonyme,
rapportant, dans un excellent style narratif et sans négliger
d’alternative,
les origines légendaires de Trèves. Un peu de patience et
une once de chance me
permirent alors une rencontre avec Robert BONNARD, de Chassenoud
(commune de
Longes). Ce dernier est l’auteur, avec quelques autres, d’un superbe
ouvrage au
titre imparable, « Longes » publié (2017)
par l’association du Patrimoine
longeard et la Région, qui reprend (en p.11) un texte semblable
à l’anonyme
précité. Sans
avoir à
reprendre in
extenso
la légende telle que retracée dans le livre en question,
il est, du
moins, à noter, à l’appui de ce témoignage
collectif, que sont cités au sein de
l’équipe de rédacteurs : Marcel BOYER, alors
président en exercice,
aujourd’hui président d’honneur, de l’association « Visages
de notre Pilat », ainsi
que Patrick BERLIER, dont l’œuvre écrite, sur le Pilat de toutes
ses dévotions, est, à juste titre, devenue
légendaire, elle aussi. Voici
quelques
extraits, parmi le plus marquants, de la légende de
« la bataille du
Fautre » faufilée, d’ailleurs, mot-à-mot, avec
le texte du De
bello gallico
(Livre VII 6-9) : « Jules
César
croyait avoir dompté la Gaule lorsque celle-ci se souleva
brusquement durant
l’hiver 53 à 52 avant J.C. […] Mais César veillait et
accourut de Rome au moment
le plus rude de l’hiver. Amenant quelques recrues d’Italie, il prit
avec lui,
au passage, une partie des troupes de Provence et du bas
Dauphiné, sommant
l’autre partie de se rendre à Vienne et de l’y attendre […]
il escalada les Cévennes et au prix d’un travail acharné,
attira le chef gaulois [Vercingétorix]
en
pays arverne. Puis,
subitement,
César changea de direction, prenant avec lui une vaillante
garde. Cette simple
compagnie composée des plus braves d’entre les braves […] arriva
alors sur les
bords de la Loire et du Gier » Et
nos chroniqueurs
longeards de prévenir : « Le récit qui va
suivre n’a aucun fondement
historique, mais il nous a plu de retracer cette légende
assez
plaisante : entre
Chateauneuf et
Trèves, l’ensemble de la troupe tourna à droite et
rencontra, sur le plateau du
Fautre, une petite armée de paysans atheux. C’est ainsi que
s’appelaient les
habitants des versants nord et nord-ouest du Pilat. La bataille fit
rage, ces
derniers furent tous décimés dans un véritable
carnage. Gagnant Vienne par les
hauteurs du Pilon et le col de la Croix Régis, César
rejoignit le corps de
cavalerie en attente […].
L’issue de la lutte, nous la
connaissons tous : ce fut la défaite de
Vercingétorix à Alésia. » Nous
avons, ainsi,
pour notre part, un savoureux motif de satisfaction : le
quatrième point
de notre « pré carré »
arraché à la pointe du compas survient à point
nommé. Tout se passe, en effet, comme si nos gaulois d’Atheux/Atesui,
par
une sorte de
ponctuation mythique, tenaient
leur revanche sur le célèbre conquérant de toutes
les Gaules. La
vengeance est un plât… Toutefois,
deux
remarques nous viennent à
l’esprit : d’une part, il importe de souligner, tout de
même, que la
légende est sérieusement confortée par cette
phrase expresse des notes de César
lui-même (VII, 9) : « Les
choses [lesquelles ?] ainsi réglées, il se dirige
à marches forcées (sic)
vers Vienne au grand étonnement de son
escorte. » ; d’autre part,
sauf l’immense respect dû à tous les paysans de la terre,
il est vraisemblable
que ceux de la légende, s’ils avaient revêtu le modeste
habillement du
laboureur, ce ne pouvait être que par ruse ou stratagème
face à la troupe
romaine ; tout, en effet, semble indiquer, via nos propres
recherches, que
ces Atesui,
de
par leur noble mission, devaient, du moins certains d’entre eux,
occuper un rang élevé dans la société
gauloise que, par ailleurs, l’on sait
fortement hiérarchisée. Ainsi,
ce point de
notre exposé s’avère propice pour enfoncer un peu plus le
clou posé sur le
quatrième angle de notre plaisant quadrilatère, car – on
a eu raison, comme
l’aurait fait Platon, de nous le glisser à l’oreille ! –
« nul
n’entre ici s’il n’est géomètre ».
Logiquement, ce serait donc à la
légende de s’incliner devant la géométrie et non
l’inverse. Le doute pouvant parfois
conduire à une
nouvelle découverte, il ne nous restait plus qu’à
taquiner derechef la
géométrie. Tout
en prononçant
le mot « géométrie », il faut
être conscient que les choses ont bien
changé depuis l’époque où « nos
ancêtres les Gaulois », même
magnifiés, à dessein politique, par le troisième
Empire, étaient glogalement
pris pour de pauvres diables. Des demi-sauvages bagarreurs et
ripailleurs que
Rome aurait fort heureusement hissés à un stade minimum
de civilisation. Alors,
hummm … les Gaulois, question géométrie, de la
rigolade ! Une image aussi
erronée, mêlant gloriole et condescendance n’a, certes,
plus cours depuis au
moins un demi-siècle. Non seulement le travail des historiens,
des archéologues
et des sciences humaines en général a
réhabilité les Gaulois – ou les Celtes,
sans entrer dans le détail de l’appellation ; ou les
gallo-romains, sans soupeser s’ils sont
plus gaulois ou plus
romain ou les deux --, mais, de surcroît, de nombreux chercheurs,
y compris des
scientifiques de renom, ont mis au jour l’utilisation, par les peuples
de
l’antiquité, de ce que l’on appelle une
« géométrie sacrée » ;
l’hydronymie également a fait apparaître (sous cet angle,
concernant les Atesui,
v. François Féraud, in Bulletin
n° 12 du Groupe Archéologique Forez-Jarez, pp. 33-48)
que, tout en effectuant des migrations successives, les peuples de
la protohistoire – et même, dans certains cas, de la
préhistoire – avaient pris
en compte des lignes de partage des eaux et n’avaient pas ignoré
certaines
données numériques que beaucoup d’entre nous ont
longtemps cru tombées du ciel d’Attique
via les cerveaux d’Euclide, d’Archimède ou Pythagore. Les
druides ont, dès lors,
pu dégringoler, sans se briser les os, leur escabeau à
cueillir le gui pour
s’ériger, plus justement, en savants, en philosophes ou en
diplomates. Le tout, sans avoir, pour
autant, à renier
Merlin, le sublime Magicien un tantinet enfant du Diable.
Bref,
il n’était
guère question, pour nous, en nous jetant dans bataille du
Fautre, de lâcher le
carré pour l’ombre d’un quelconque polygone. Cependant,
avions-nous mesuré avec
suffisamment de précision les côtés du triangle
isocèle reliant « Atheux, a »
à « Atheux, b »
et « Atticieux, c »
? Devoir accompli,
l’élève échappe à la sanction : la mesure
entre a
et b
donne 3 ; celle entre b
et
c
donne
4,
tandis que l’hypoténuse reliant a
et
c
donne
5
(valeurs approximatives). Par conséquent, il n’est pas
déplacé de considérer
que les commanditaires de l’accréditation de toponymes
« atheux »
- moines,
greffiers ou
autres, nonobstant les Atesui
eux-mêmes
(usant ou non de la corde à nœuds) - aient eu une
connaissance avérée de la géométrie
pythagoricienne (a2 x b2
= c2) ; pour le cas : 52 = 32 +
42. Autre interrogation, susceptible, à
l’évidence, de taquiner certains celtisants avertis :
« Pourquoi les
Atesui, si jamais ils ont eu quelque consistance, ont-ils
été omis tant dans la
liste des peuples mentionnés sur le Trophée des Alpes que
sur l’Arc de Suse,
considérés comme des sources épigraphiques de
référence ? » Le
trophée érigé, au
bord de la Via
Julia Augusta,
à la gloire d’Auguste, censé avoir pacifié les
« belliqueuses
tribus des Alpes », a, soulignons-le, été
scrupuleusement décrit en détail
par Pline l’Ancien dans ses Histoires Naturelles (v. Guy BARRUOL, Les
peuples préromains du sud-est de la Gaule, Ed. de
Boccard, 1969 – p.19),
sans, c’est vrai, que, cette
fois-là, notre Grand reporter ait
gravé dans le marbre le nom des Atesui. Mais,
le très
remarquable ouvrage qui vient d’être cité, de Guy Barruol,
sans avoir voulu spécifiquement
viser à nous complaire, va cependant nous tirer une belle
épine du pied, car il
fait tout un cas, à diverses reprises (p. 35, 40 [2 fois et
360), des Esubiani
que
l’on trouve
parfois cités – y compris chez Pline – comme Vesubiani :
« La
civitas
Vesubianorum de l’arc de Suse doit être identifiée
avec le territoire des Esubiani du Trophée des Alpes.
On doit localiser cette tribu
dans la vallée de la
Vésubie […] Ce district serait le plus méridional du
royaume de
Cottius […] ». C’est la note n°1 de la p. 360 qui
comporte, pour
notre propre enquête, un indice extrêmement
intéressant : « La
chute du v initial est assez fréquente, en Provence
en
particulier ». Cette
« chute fréquente du v initial »
ne pouvait échapper aux chercheurs, qui sont, pour la plupart,
un brin, fureteurs.
Fabien REGNIER, par exemple, s’y réfère, lui aussi, dans
son ouvrage « Aux
origines de la Provence, Yoran, 2017 – p.336 ». Mais, pour
revenir, carrément,
à la rescousse des Atesui, quel serait le pas qu’il
nous reste encore à
franchir ? Notre
viatique, pour cela, est à rechercher
auprès d’un autre expert émérite, Georges DOTTIN (La Langue gauloise, grammaire, textes et glossaire 1918, préface de Camille Jullian – rééd.
Slatkin Reprints 1985, préface de François FALC’HUN – p.
94, 115, 296, 358). Rien de moins
indécent que de marcher sur les
brisées de ces experts, qui accréditent Esu-nertus
comme « Force
d’Esus » et Esu-genus comme « Fils
d’Esus », ainsi que vati, vatis ou ouateis
(grec) pour
« vate » ou
« ovate », pour propulser
nos (jusque-là) impénétrables Atheux/
(V)atesui au rang de vates ou d’ovates d’Esus. Aujourd’hui,
le préjugé
selon lequel, les druides ayant boudé l’écriture, il ne
resterait plus qu’une
pelletée de mots de la langue gauloise, ne subsiste (de
façon tenace) que chez
ceux qui n’ont jamais pris le temps ni la peine d’ouvrir le livre de
Georges
Dottin… ni jamais d’aborder l’œuvre du breton Francois Falc’hun ou
d’une
poignée d’autres savants un peu trop méconnus du public.
Cela soit dit en
passant, car mieux vaut ne pas le cacher. « Errare humanum
est, sed… »,
j’ignore comment cela se dit en gaulois ! Dès
que l’on a pu
intégrer la leçon prodiguée par Barruol, à
propos des (V)esubiani et
après l’oracle rendu par Dottin, on n’allait surtout pas
s’aventurer à décrocher
la moindre parenté entre l’ethnie des (V)esubiani et
celle des Atesui. Encore que rien ne soit exclus à ce
sujet, de
même que l’on a pu prêter aux Brigiani de
Briançon des cousinages avec les Brigantes de
Grande-Bretagne. Mais, sur une base tellement plus
solide, plus
rien ne s’oppose à ce que, en toute logique et sans même
un soupçon d’impudence,
nous dotions allègrement leur ethnonyme d’un « v »
initial.
N’hésitons plus, tentons les (V)atesui ! Comme
ça nous parle
subitement, ces Vatesui ! Comme on aurait envie de
partager notre
trouvaille, encore toute neuve, avec ce cher Jean DUCHOUL (qui, vers
1555, dans
son latin de Longes (en Jarez), rendait hommage au Pilat comme à
un authentique
« Olympe des Gaulois ». Car, ce n’est pas Duchoul
qui en disconviendrait :
toute cérémonie conduite en l’honneur des dieux
nécessite des sacerdotes. Les
prêtres des Gaulois étaient, selon le degré requis
pour la cérémonie ou la
divination, des druides, des vates ou ovates. Les
« bardes », plus
souvent convoqués dans la bande dessinée, ce pourrait
être une autre chanson si
la musique n’avait pas déjà, par vocation, un
caractère sacré. Quant
à la divinité digne de la plus grande
vénération entre toutes, en Gaule, n’était-ce
pas Esus ? De la
sorte, c’est sans démériter de Georges Dottin ni
d’Auguste Callet, que nous
pouvons sérieusement désigner les (V)atesui, pour
les plus éminents
d’entre eux à tout le moins, comme étant des vates ou des
ovates d’Esus. d)
Saint-Jacques-d’Atticieux
exempté d’une exhumation Un
temps, l’un des
sites évoquant le village de Saint-Jacques-d’Atticieux faisait
allusion à la
sépulture d’un certain Atisius comme origine possible
du nom de la
localité. Avec plus de circonspection, Wikipédia indique
que « du plomb y
a été exploité dès l’époque romaine
sous la signature Atisius » et
que « des monnaies romaines ont en tout cas
été trouvées dans la partie
basse du village », dont « le clocher
carré est visible de
tous ». C’est
à ce point de
notre récit d’expédition qu’il nous faut enfin
révéler les nombreux contacts
que nous avons pu nouer avec d’autres Atisius (Atisii
au pluriel
latin). Sans devoir les énumérer tous, ni les
différentes sources auxquelles
nous avons puisé pour cela, j’avoue au moins qu’ils m’ont ont
attendri autant
qu’intrigué. Bien qu’ayant, les uns et les autres, quitté
le cadre agreste du « paysan
atheux » ! C’est
au musée
archéologique d’Aoste (Augustum), en Isère que
l’on peut constater
l’abondante production, aux premiers siècles de notre
ère, de
« mortiers » signés Atisius. Les
conclusions des recherches, éminemment
conduites par feu Bernard REMY et Jean-Pascal JOSPIN, ont
justifié, dans le fascicule
édité par le musée, une étrange allusion,
dont l’illustration
donnera
une idée assez claire au lecteur. Et si la
« rébellion contre Rome », telle
qu’évoquée dans le document, n’était
pas sans rapport avec une certaine escarmouche que César aurait
essuyée à
Trèves, durant l’hiver 53 à 52 av. J.C., ainsi que ne
nous l’a chuchoté un peu
fort la légende du Fautre ? Plusieurs
indices du
haut rang de cette vaste « famille »,
« ethnie » ou
« caste » des Atisii ont
pris du relief par le fait que le commerce de poterie de ces Atisii,
malgré une concurrence évidente à l’époque,
se serait exercé sur tout le
pourtour méditerranéen – ce qui suppose un réseau
de premier ordre – et également
parce qu’un certain C.ATISIUS PRIMUS, d’après
l’épigraphie viennoise, devint
« publicain ». Au
sujet de ce
dernier, citons B. Rémy et J.P. Jospin (Recherches […]sur
Vienne ;
Revue archéologique de Narbonnaise /
année 1998 / 31 / pp.
73-86 , dont p. 80) : « Le texte […], où C.
Atisius Primus est
attesté comme publ(icanus) XX libertat(is) p(rovinciae)
G(alliae)
N(arbonensis), montre qu’il y avait à Aoste, au moins au
II° siècle, un
bureau de perception de l’impôt du vingtième des
affranchissements de la province
de Narbonnaise. […] Le gentilice impérial (Aelia) de
l’épouse défunte de Primus
incite à une datation postérieure à Hadrien.
Primus porte le titre de publicanus, ce qui laisse à
penser qu’il n’était pas un
simple employé de bureau, mais
un publicain, responsable plutôt que simple membre d’une societas
publicanorum, qui avait pris en fermage la perception de cette
taxe. La
très probable appartenance de Primus à la grande famille
locale des Atisii
renforce cette hypothèse ». Vu
sous l’angle qui
nous intéresse, Pline étant mort en 79 ap. J.C., à
Véies, dans les fumées
noires du volcan de Pompéi, et Hadrien ayant régné
de 117 à 138, il s’en est
fallu de peu pour que le recrutement du jeune Primus comme
fonctionnaire des
finances de Narbonnaise puisse se produire à l’initiative de
Pline, procurateur
en 70 à Vienne. A moins que Primus soit mort
nonagénaire.... et pourquoi
pas ? Tout cela, au moins, semble nous indiquer, au passage, qu’en
nommant, sans plus de commentaire, les Atesui ou Atisii, dans
ses Histoires naturelles, Pline ne parlait pas en l’air et ne
pouvait
qu’être au fait du rôle éminent de cette
« caste » en Gaule
Narbonnaise. Figurant certainement en bonne place dans la liste de
contribuables qu’il avait eu momentanément à
contrôler, les Atesui, en
fonction de ce qui vient d’être révélé,
Pline ne pouvait manquer de les nommer.
Mais, en parfait homme d’état qu’il était, Pline
n’était-il pas tenu au silence
au sujet de certains de leurs agissements passés, voire de leur
éventuel statut
antérieur, de sacerdotes d’Esus. Ultimes
retranchements des (V)atesui Notre
déjà long
rapport d’investigation sur les Atesui ou Vatesui pourrait
fort
bien s’arrêter là et, qui plus est, passer,
littéralement, comme une lettre à
la poste. A moins que ce minuscule
« v » survenu dans l’adresse ne soit pas
de l’humeur du
préposé des Postes. Aussi, vaudrait-il mieux étoffer
encore un peu le
colis, quitte à opter pour le chronopost. -
Tiregarne,
rappelez-vous, est l’ancien nom de la Ricamarie. Dufour, soutenu dans
ses immenses travaux de topographie par deux personnages aussi savants
que
pittoresques (et pas moins héroïques), le comte Guy de
NEUFBOURG et Marguerite
GONON, l’avait écrit noir sur blanc, sans que cela émeuve
beaucoup de Ligériens.
Il y avait pourtant là un superbe indice de celticité
qu’il ne faudrait pas
laisser moisir dans l’ombre. Mais, plutôt le glisser entre les
pattes des trois
grues-prophétesses du Tarvos Trigaranus.
Celui-ci,
voisin
de colonne avec ESUS,
tout en haut du Pilier des Nautes, à Paris, au musée de
l’Hôtel de
Cluny,
continue
encore d’intriguer les historiens, très acharnés à
déterminer
les rôles respectifs de Teutatès, d’Esus et de Taranis. Parmi
les quelques
interprétations que j’ai pu croiser concernant Esus et le
Trigaranus, l’une
d’elles, à vrai dire assez coquine, concerne la Seine (Sequana),
mais,
elle pourrait tout aussi bien s’accommoder avec l’Ondaine qui traverse
Tiregarne/La Ricamarie. Pour illustrer l’idée des crues et
décrues du fleuve,
il est question d’un Esus - mari jaloux, qui voudrait surprendre son
épouse,
Sequana, en délit d’adultère avec son amant, un dieu plus
jeune (Lug,
peut-être), mais n’arrive jamais à temps, malgré
l’élagage de végétation auquel
lui-même se livre avec obstination. Pour en savoir davantage, il
suffit de se
reporter à l’excellent article de Christian SAVIGNAC, en p. 42
de la revue « Mythologies,
Les Celtes, h. série n° 28 ». L’Ondaine,
encore ! La
Pierre Begusieux (à 1099 m
d’altitude), encore en dévotion au début du XXème
siècle, près des Trêves de
Saint-Genest-Malifaux, comme « pierre de
mariage », semble entretenir
un rapport mytho-toponymique avec la rivière Ondaine. En effet,
il n’est pas
difficile d’apercevoir sous le couvert actuel de son nom, qu’il y a
là une
trace de Bergusia, alias Brigantia, « la
Grande
déesse », que la confrérie des
légendaires forgerons
d’Alésia avaient en grande vénération, en
l’associant à Ucuet, un
« parèdre » masculin. Sait-on qu’il existe
une variante (gaélique) d’Ucuet
qui est Ughden.
Sans garantie de prononciation, on ne prend pas un risque énorme
de
prononcer ce mot « undène », non ? On
se doutait bien, il faut
le dire, que cette « vallée du fer », que
l’on a crue sortie de
toutes pièces de l’ère industrielle, jouissait d’un
passé historique beaucoup
plus ancien mettant en jeu artisans et forgerons. Qui plus est, avec
les Nautes
de la Seine (sorte de corporation de charpentiers armateurs),
pourraient bien,
un jour, être mis en parallèle des nautes de l’Ondaine. En
cheville, sans
doute, avec ceux du Rhône. Non pas que l’Ondaine soit
aisément navigable, mais
du fait qu’elle va, à peu de distance, marier ses eaux avec
celles de la Loire,
à Unieux (Ughdenon ?). Le site internet d’Unieux
évoque un certain
« Hunnon », mais comme nom de personne
indéterminé. N’y aurait-il pas
mieux à promouvoir dans la légende du lieu ? Au
confluent, le Chatelard
de la presqu’ile des Echandes,
peu
souvent cité, nous est un témoin, sympathique et
discret, de probables
prérogatives détenues par un peuple de l’antiquité. Encore
faudrait-il citer
de nombreux autres lieux-témoins, mais ce serait à n’en
plus finir. Aussi, pour
aujourd’hui, dernier petit cadeau à glisser dans notre colis
postal, muni du
post-it suivant : «
Saint-Héand
= Esu –
genus ? »,
c’est-à- dire « fils d’Esus ».
Voilà, vraisemblablement, ce que voilait pudiquement,
jusqu’à présent, le « Sancti
Eugendi » attesté en 984 par le Cartulaire
lyonnais. Une
telle
transgression de la tradition, dans sa version récente, ne
surprendra guère
ceux qui se sont déjà, en vain, demandé ce
qu’était venu faire là cet Héand,
généralement assimilé à Saint Oyand de
Condat (auquel est dédiée, soit
dit au passage, une crypte située sous le musée
archéologique de Grenoble). L’une
des clés de cette désignation énigmatique est
peut-être sous-jacente à une inscription
latine : celle qui est à décrypter dans la
pénombre d’un assez étrange
baptistère, en nef droite de l’église de
Saint-Héand : « Exi,
immunde spiritu, da locum spiritui sancto ». Ces
paroles d’exorcisme,
jadis prononcées pour une cérémonie de
baptême (« Va-t-en, esprit immonde,
rends ce lieu à l’esprit saint »), ne manqueraient
pas de sel à les
laisser fulminer contre le Esus gaulois. L’écrivain
latin,
Lucain, croyait, en effet, judicieux de stigmatiser ESUS comme un dieu
barbare,
car « apaisé par des autels sauvages ».
Les (V)atesui, ovates
d’Esus et adeptes de la messe en plein bois, pourtant, ne
dénotaient-ils
pas déjà, avant l’heure, une sage dévotion
à l’écologie ? (*
1) H.G.-PFLAUM
– « Les Fastes de la Province
de Narbonnaise », éd. Du CNRS 1978 ;
préface d’Albert Grenier ;
ouvrage publié sous les auspices de l’Académie des
Inscriptions et
Belles-Lettres. (*
2) Dictionnaire
F. GAFFIOT, éd. 1934 : ATESUI,
peuple de la Narbonnaise ; Pline H.N. 4, 107. (*3)
« Géographie
ancienne et comparée des
Gaules cisalpine et transalpine […] », Librairie de P.
DUFART ; St.
Pétersbourg, chez J.F. Hauer et Cie 1839 – T. I, p.394. (*4)
Bulletin
2019,n° 27, de la Société d’Histoire
du Pays de Saint-Genest-Malifaux. (*5)
pour
l’étude de ces anthroponymes, se reporter
à l’index de l’ouvrage « M. DONDIN-PAYRE et M.-Th.
RAEPSAET-CHARLIER. EDS.,
NOMS, IDENTITES CULTURELLES ET ROMANISATION SOUS LE HAUT-EMPIRE, Le
Livre
Timperman, Bruxelles 2001. " N.B: Toutes
les photos sont de l'auteur et les portraits des dessins originaux de
Muriel Alice TEYSSIER s'inspirant diverses sources" |
Le
Pilat et ses alentours regorgent de lieux et pierres remarquables.
Notre invité, notre Ami Sébastien Luce, vient d'avoir la
bonne idée d'en faire un site Internet qui sort des sentiers
battus. Nous allons longuement nous attarder sur le contenu et les buts
de ce nouveau site Internet des plus prometteurs. Son concepteur,
n'ayons pas peur des mots s'avère être un véritable
aventurier qui se donne les moyens de réussir sur les vastes
terrains qu'il investit. Intrépide, voyageur mais par dessus
tout
perfectionniste, Sébastien reste un Homme que l'on peut classer
dans la catégorie des personnages rares. Le mégalithisme,
puisqu'il en est essentiellement question dans ses études
pointues, n'est pas à la portée du
premier venu lorsque l'on s'y intéresse de manière
sérieuse. Sébastien se pose beaucoup de
questions. Prudent sur les réponses et hypothèses qu'il
propose, il n'en demeure pas moins un authentique spécialiste de
par son expérience et ses grandes compétences.
Nous vous proposons de bien mieux le connaître et ce, notamment
au
travers de Philolithes son site Internet qui n'en doutons pas fera date.
|
1/
Les Regards du Pilat : Bonjour Sébastien. Le passé, nos
plus ou moins lointains ancêtres semblent vous
préoccuper, jusqu’à parfois même vous passionner.
Comment est née en vous cette
motivation qui n’est plus à démentir ? Sébastien Luce :
Bonjour.
Effectivement cela me passionne, cette motivation est née
à l'origine des
histoires que me racontait mon grand père, Polonais,
étant venu en France au
début des conflits pour travailler en Normandie. Le destin a
voulu que cette
destination plonge la famille en plein dedans quelques années
plus tard... Il
nous racontait les histoires et aventures qu'il y avait vécu,
avec un plaisir
non dissimulé à nous exagérer le récit pour
plus de piment. C'est avant tout de
là que m'est venue la motivation de faire des recherches entre
les écrits les
ouï-dire et les faits. Par la suite
en
remontant le temps, le moyen âge m'a d'abord passionné
puis ensuite l'Histoire
dont nous n'avons pas d'archives, que de bien maigres traces, souvent
dans les
pierres muettes, des constructions énigmatiques, laissant le
champ libre à des
interprétations et des légendes. De plus
j'apprécie les chasses aux trésors ou
jeux à énigmes nécessitant astuce et
réflexion, mais moins le principe de
compétition ou il y a forcement un gagnant et des perdants
à la fin. Le lien
c'est fait naturellement, il s'agissait de mener mes propres
enquêtes, le
terrain étant vaste et les sujets d'investigations nombreux, pas
de course au
vainqueur bien au contraire, celui qui découvre un indice permet
de faire
avancer tous les autres. 2/
Les
Regards du Pilat : Le
patrimoine, voire l’Histoire, sont souvent chez vous doublés par
une
approche scientifique que vous recherchez la plus pointue possible.
Comment
positionneriez-vous à sa juste place ce besoin de faire
régulièrement
intervenir la science dans vos recherches ? Sébastien Luce : La science,
j'utiliserai plutôt le terme de bon sens, intervient chaque fois
que nécessaire
dans mes recherches pour éviter le plus possible les
pièges, les voies sans
issues et les affirmations un peu trop alléchantes. Pour ma
part, le terme de
science est un vaste sujet. Science, dans toutes ses disciplines, en
tant
qu'outil, permet d'utiliser les connaissances et observations acquises
au fil
des temps pour les mettre en pratique au moment opportun. Une science
académique et rigide peut être, elle aussi, une
barrière. Beaucoup de
scientifiques ont du mal à dire "je ne sais pas" par crainte que
l'on
remette en question leurs connaissances et leurs travaux. C'est pour
cela que
j'essaie d'être "pointu" et rigoureux, en vérifiant
analysant,
contrôlant, entrecroisant les informations et observations. Utiliser les
sciences ou la technologie, les mathématiques pour asseoir une
hypothèse relève
plus du tour de magie, c'est joli, bluffant mais finalement n'offre pas
de clé
de compréhension. Je m'attriste de les voir parfois
utilisées pour asseoir des
idées et perdre la plupart des gens. J'utilise les sciences, la
plupart dites
'physiques', à des fins explicatives et démonstratives,
pour décrire ce que
l'on peut observer et permettre à d'autres d'utiliser ou non ces
informations recueillies.
Si un doute
apparaît et tant que toutes les réponses ne sont pas
données et confirmées, je
continue à chercher et les soulève une à une ou
sinon je ne m'y plonge pas plus
profondément. S'il subsiste alors des doutes il est temps de
dire "je ne sais
pas" et si une réponse n'est pas celle attendue de dire "je me
suis
trompé". Il faut le dire et l'admettre, sans tricher ni
dissimuler,
remballer son ego, pour le bénéfice de tous. Il m'arrive
de me tromper et
souvent de remettre en question mes propres hypothèses que
l'analyse a fait
voler en éclats, la Science sert à cela. 3/
Les
Regards du Pilat : Depuis
de longs mois, pour ne pas écrire quelques années, vous
en êtes arrivés
à mettre sur orbite un site Internet qui à terme pourrait
être conséquent. Quel
a été le déclic visant à formaliser vos
travaux sur ce site Internet
Philolithes http://philolithes.fr/ ? Sébastien Luce : Lors de mes
balades et randonnées à travers notre région, qui
dans un premier temps
ressemblaient à des boucles sans but précis, je me suis
vite rendu compte qu'il
y a de nombreux sites fabuleux voir, chargés de mystère
à découvrir ou plutôt
redécouvrir. Parfois en ouvrant un peu l'œil, il est possible
d'y repérer des
détails particuliers. J'en prenais des photos, des croquis et
cela me faisait
poser des questions, les balades se sont ainsi transformées
petit à petit
petite en 'quête' personnelle. Mais quoi faire de toute ces
informations? Si ce
n'est les ranger dans un dossier en attendant que la poussière
le recouvre,
comme la mousse sur les pierres? Le peu d'information facilement
trouvable lors
de mes recherches d'archives, ou certaines très floues, laisse
beaucoup de
place au doute ou à la spéculation, due au manque de
documentation sur des
sites dont l'Histoire m'a pas pu ou parfois voulu transmettre de trace
écrites.
Il existe bien des pages internet mais la plupart se limitent à
une description
simple ou uniquement une localisation peu précise de certains
lieux et parfois
des explications farfelues qui ne passent pas à travers les
mailles de
l'analyse. Notre région n'étant malheureusement pas aussi
sondée/catalogué que
peut l'être la Bretagne par exemple. Le déclic
est simplement venu de là, je me suis dit qu'un site
était le meilleur moyen
actuel pour conserver et rendre facilement accessibles les informations
factuelles glanées et permettre à d'autres personnes d'y
avoir accès, le format
livre ne permettant pas la même souplesse et facilité
d'approche pour tout un
chacun. 4/
Les
Regards du Pilat : D’ailleurs
pour commencer, le choix du nom de votre site ne doit apparemment
rien au hasard. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il signifie ? Sébastien Luce : En effet, je
cherchais un nom à mon projet qui soit le moins restrictif
possible et le plus
parlant. Lors de mes lectures, je suis tombé sur une
étude d'archéologie du Pilat
écrite par F. Gabut. Il utilisait le terme de "Philolithes" pour
désigner les peuples et cultures dont on ne sait rien mais qui
ont laissé des
traces de leur passage dans le paysage et surtout dans les pierres. Ce
terme
m'a beaucoup plu car il ne définit, ni encrage temporel ni
culturel ou
fonctionnel. Ces "philolithes" peuvent y avoir vécu à
différentes
époques, chacun ayant laissé une trace qui n'était
pas forcement en lien direct
avec les précédents. Un peuple du néolithique a pu
laisser une trace dans une
pierre, qu'un carrier a débitée pour faire de solides
maisons. Un menhir a pu
être déplacé car il gênait pour le passage de
chars puis transformé en socle de
croix car on l'a trouvé à l'époque de belle
facture. Aujourd'hui, nous ne
travaillons plus la pierre en pleine nature, mais les personnes qui
s'intéressent à ces "monuments" naturels ou non, leur
donnent un nom,
une légende, en soi une existence et l'on peut donc attribuer
à ces personnes
le nom de "Philolithes", littéralement les amis des pierres.
C'est
une invitation aux visiteurs, ce qu'ils ne graveront pas dans la
pierre, peut
être le graveront-ils d'une autre manière, plus
contemporaine, pour le
transmettre et préserver le patrimoine et ainsi la petite ou
grande histoire de
leurs région. 5/
Les
Regards du Pilat : Tout
de suite lorsque l’on commence à peine à surfer sur
Philolithes on se rend compte qu’il représente beaucoup de
travail en
amont ; il y a de la matière et de nombreuses
possibilités de navigation.
Est-ce que c’est seul que vous avez conçu ce site et comment
vous y êtes-vous
pris ? J'ai dû donc
tout apprendre au fur à mesure, j'ai mis sur le papier ce que je
voulais
réussir à faire, techniquement et visuellement,
réalisable ou non, une sorte de
cahier des charges global et ensuite avancer à tâtons,
petits bouts par petits
bouts, les erreurs, les moments de doute et les petites victoires
personnelles,
comme peindre, à l'aveugle, un tableau que l'on a
rêvé. Quand l'idée de départ
s'affiche enfin correctement sur l'écran, c'est une petite
victoire, c'est
magique ! Je ne me rendais pas compte de cela avant d'avoir
commencé, une
page internet qui s'ouvre, c'était "normal",
mais derrière... quelle salade ! Je
me suis
lancé cela un peu comme un défi, partir de rien et
rentrer le codage au fur à
mesure, c'est vraiment comme apprendre une nouvelle langue, avec son
vocabulaire,
sa grammaire et ses subtilités. Cela a
pris forme aujourd'hui, le site a dépassé le stade du
simple projet, le plus
difficile est passé, mais je vais tâcher de le faire
évoluer et de le compléter
dans l'avenir, les deux sections dossiers et études étant
malheureusement vides
pour le moment, m'étant focalisé sur d'autres sujets en
parallèle du site. Le
fond, l'idée générale, est aujourd'hui
réalisé, la forme quant à elle évoluera
au fil du temps et des possibilités qu'offre ce type de
média. 6/ Les Regards du Pilat : Faire vivre un site Internet au fil du temps, n’est pas chose aisée. Il n’y a qu’à voir sur la toile le nombre de ceux-ci qui sont aujourd’hui comme abandonnés. Vous projetez-vous dans le futur et surtout comptez-vous vous appuyer sur des tiers pour contribuer à maintenir et dynamiser des entrées régulières dans les différentes rubriques que vous proposez déjà aujourd’hui ? Sébastien Luce : Je ne me projette pas
trop loin dans l'avenir, pour le site, il vivra si des internautes y
trouvent
leur intérêt et l'envie de le voir évoluer. C'est
un projet personnel pour les
autres... Je ne sais pas si il y aura un public pour s'y
intéresser et de
quelle manière, cela fait partie de mes doutes, l'essentiel
c'est que cela
existe désormais, c'est gratuit et accessible et chacun pourra y
ajouter sa
contribution. Pour la
contribution, c'est une des bases du site justement, pour recenser le
maximum
de lieux, d'informations pertinentes et si des légendes s'y
rattachent, avant
qu'elle ne soit oubliées, j'espère de tout cœur que les
visiteurs auront
l'envie de partager leurs connaissances, pour permettre à
d'autres visiteurs de
les découvrir sur ce site. J'aimerais en effet que le site
devienne une sorte
de plate-forme, voire pourquoi pas qu'il devienne une sorte de concept que d'autres pourront reprendre,
j'essaie au mieux de consolider les bases et d'y fournir le maximum
d'informations que j'ai pu ou pourrais récolter, aux visiteurs
d'y ajouter
leurs pierres. 7/
Les
Regards du Pilat : Philolithes
se veut couvrir un vaste territoire. Pouvez-vous nous développer
un
peu comment vous avez sélectionné celui-ci et si
d’après vous les richesses en
présence sont comme réparties de manière
homogène ? Sébastien Luce : Le
territoire est celui du département de la Loire
"étendue". Étant
originaire de Roanne et ayant passé quelques années dans
le bassin stéphanois.
Une chose m'a frappé, lorsque l'on est dans la plaine, au
lointain, on aperçoit
les monts environnants. On leur a donné des noms poétique
et chargés de sens,
montagnes du soir, montagnes du matin, mont de la Madeleine, Pilat. La
Loire est
une sorte d'enclave géologique, il y a des sites magnifiques et
préservés un
peu partout sur les hauteurs et parfois qui se répondent en
miroir de part et
d'autre de la plaine. Je ne pouvais donc pas me restreindre aux limites
administratives du département. Les sommets sont comme la limite
naturelle, dès
lors que l'on rejoint la plaine suivante, de l'Allier ou du Rhône
par exemple,
l'archivage s'arrête, il s'agit d'un nouveau territoire. 8/
Les
Regards du Pilat : Le
Pilat s’avère posséder très peu de sites
mégalithiques authentifiés comme
tels. Avec le recul et vos connaissances actuelles, pensez-vous que
c’est
injuste et que les autorités compétentes feraient bien
d’y regarder de plus
près tant l’archéologie pratiquée
par
les amateurs semble prouver que de très nombreux sites sont en
réalité
néolithiques, mégalithiques voire
paléolithiques ? Sébastien Luce : Le Pilat
présente une géologie très particulière,
comme par exemple les chirats que l'on
ne retrouve pas sur les autres sommets du département. D'une part,
il y est très difficile de faire la part des choses entre
paréidolie et réalité
mégalithique, c'est à dire une structure ou un
élément aménagés de manière
pensée et volontaire. D'autre
part, les carriers de toute époque ont taillé,
découpé, réorganisé les massifs
de roche. L'exploitation forestière quant à elle a
transformé la forêt primaire
en monoculture, créant parfois des alignements de pierres
diverses que le bon
sens invite à ne pas s'attarder sur la question. Il s'agit ,
pour chaque lieu
de démêler la réalité de l'érosion et
du temps des hypothèses ou idées reçues. Exemple de
'tour de magie mathématique' au 'cadran du Pilat' traité
par un logiciel
affichant tous les points possibles pouvant exprimer un triplets de
Pythagore
exprimé en 'yard mégalithique' en partant de la pierre
des trois évêques. Pour les
lieux d'intérêt non négligeable, et il en existe de
nombreux en Pilat , il
s'agit la plupart du temps d'un véritable puzzle physique et
historique à
reconstruire.
Les archéologues
cherchent des preuves de
"mobiliers"
archéologiques, pointes de flèches, haches, fibules, etc.
Il s'agit souvent de
la base de départ à toutes autres investigations. Sans
ces points d'appui
avérés et identifiables comme de facture humaine, il est
difficile voire
impossible d'émettre des hypothèses et donc d'organiser
un travail sur le long
terme. Il faut aussi avouer que certains lieux se méritent et
peut être que les
étudiants en archéologie ne sont pas de fervents adeptes
de la randonnée. Il
est possible que les 'scientifiques' aient publié des
écrits mais qu'ils n'ont
pas été relayés, parfois car ils vont à
l'encontre de croyances. Le Pilat
offre ses secrets à qui souhaite vraiment y offrir son temps et
son cœur, mais
il ne faut pas y confondre, comme ailleurs, mégalithes
et 'paréidolithes', ces derniers sont très joueurs et l'un de ces 'couples de
pierre',
croisé au détour d'un chemin est devenu sans plus
d'hésitation, le logo du
site, tout à fait naturel mais mon imagination a perçu
qu'ils voulaient un peu
sortir de leur bois et jouer les vedettes, ils étaient mignons
tous les deux,
c’était entendu. 9/
Les
Regards du Pilat : Philolithes
semble donc avoir vocation à archiver le plus massivement
possible
et ceci avec autant de qualité, des données
archéologiques sur les secteurs
géographiques retenus. Comptez-vous vous rapprocher des
spécialistes pour
valider ce que vous mettrez en ligne sur le site ? Sébastien Luce : J'espère que
le site fera la passerelle en effet, actuellement je ne fais que des
observations à titre personnel. Je souhaite que ce qui sera
présenté sur le
site soit une vision objective des différents lieux, ce que l'on
connaît, ce
que l'on peut y observer. J'essaie d'y inscrire mes observations mes
interrogations et évite au maximum les spéculations. Si
des personnes sont en
mesure d'apporter un éclairage et des compléments ce ne
sera que plus
intéressant pour tous. Pour les
légendes par exemple, elles ne sont pas factuelles mais elles
ont été
transmises de génération en génération. Je
ne peux pas dire si la légende est
réelle, imaginaire, d'origine ou modifiée, juste qu'elle
fait partie intégrante
du lieu, elle a traversé les âge, parfois elle
révèle une morale, comme une
fable et fait partie du patrimoine et le site la recueille donc aussi.
Pour une
trace dans la roche, il est parfois difficile de dire si cela est
naturel ou si
il s'agit d'une modification voulue et pensée, un
géologue permettrait de
trancher, mais s'il le fait, ce n'est pour ma part pas suffisant
d'annoncer :
"c'est naturel", ce sera donc avec une explication des indices qui
permettent de l'affirmer ou l'infirmer. Si un site est totalement
naturel, il
ne sera pas supprimé de l'archivage du site pour autant, bien au
contraire
puisqu'il reste remarquable dans sa forme. 10/
Les
Regards du Pilat : Vous
parcourez de nombreux kilomètres sur une année au service
de votre
passion. Êtes-vous seulement inspiré par la motivation du
moment présent ou au
contraire avez-vous une sorte de planning préétabli
visant à étudier de manière
structurée les secteurs que vous explorez et que vous explorerez
demain ? Sébastien Luce : Pour le
moment je n'ai pas de planning prédéfini. J'essaie d'en
visiter un maximum, dès
que le temps le permet en limitant mes déplacements entre mon
lieu d'habitation
et un secteur. Si je vais sur le Pilat par exemple, je cadre sur une
carte
topographique, un secteur à explorer sur la journée, je
regroupe par exemple 3
ou 4 lieux différents dans un périmètre restreint
de quelques kilomètres à pied
ou rapidement relié entre eux en voiture, me donnant la
possibilité d'une
observation sur place d'une demi-heure en élargissant aux
environs du lieu, ce
qui permet souvent de faire des observations très
intéressantes et inédites. En
scrutant la carte, je tombe souvent sur des toponymes
évocateurs, je les
ajoutes à mon parcours si cela ne me fait pas faire de
détour et des kilomètres
supplémentaire en voiture, sinon je les mets de coté pour
les regrouper avec
d'autres lors d'une prochaine sortie. Du moment que je suis à
pied il n'y a de
limite que la course soleil et l'accessibilité de certains
lieux, j'ai pu par
exemple passer une journée entière dans les bois autour
de Saint-Sabin ou des
Trois-Dents, à monter par un versant, redescendre par un autre,
couper hors
sentier, suivre un relief ou aller voir un détail du paysage de
plus près, là
oui il s'agit d'inspiration du moment et du lieu. Actuellement
j'essaie surtout d'asseoir une base fournie de lieux tout autour de la
Loire,
finalement je rectifie ma première réponse, oui il y a
effectivement une sorte
de planning. Une fois cela fait, je
pourrai, je pense, approfondir certains points que j'ai pu noter ou
suivre une
ligne directrice, comme les organisations des lieux, leurs
différences ou
points communs, leurs concentrations, par exemple au Pilat un
foisonnement de
sites potentiellement ouvragés côté versant
sud/sud-est alors que très pauvre
côté nord. Monts du Lyonnais (alias Montagnes du matin),
Monts du forez, Monts
de la Madeleine (alias Montagnes du soir), sites abondant sur les
crêtes et
dispersés d'est en ouest. Il faut avant toute chose rassembler
le plus de
pièces possibles, même si elles ne font pas parties du
même puzzle, le jeu sera
de les trier et de voir si une ou plusieurs images
se révèlent. Le site sera une
boîte où tous ceux qui le
souhaitent pourront y emprunter des pièces susceptible de les
intéresser et
auront loisir en découvrir de nouvelles. Les
Regards du Pilat : Sébastien
nous vous remercions pour l’ensemble
de vos réponses. |