Juin 2019








Par
Rémy Robert


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Torna-vira Milad’zeu

Tourne, tourne Petit moulin…

Une découverte

Non, je ne vais pas me lancer dans une comptine, quoi que.....Cette histoire commence par la découverte en 2009, à Farnay, d’une pierre ensevelie dans la terre. Comme cette pierre me semblait avoir été taillée, j’ai décidé de la déterrer. La plus grosse surprise est arrivée lorsque je l’ai retournée.



Dimensions 26 cm et 6 cm (intérieur) de diamètres. Elle est en granit.


En effet, sur sa face était taillé un animal endormi « « dormant en chien de fusil ».




Cette pierre me semblait incomplète et était taillée tel un couvercle …il manquait sa base.

O Crux, qui l’eut cru ?

Le mystère demeurait, pour moi, complet. Il se trouve que peu de temps après, je devais rencontrer notre ami Gérald ; l’un des gardiens des plus cartusiens du Pilat. Nous avions rendez-vous chez lui pour une balade au milieu de belles roches à cupules. A mon arrivée, je lui ai présenté ma découverte qui me semblait insolite. Mais le plus insolite se présentait : il se rendit dans son antre et en sortit tel du paradis avec tout un attirail : deux autres pierres taillées identiques et leur base. Il m'annonça que, selon ses informations c'était des moulins à sel... Après avoir tous deux longuement débattu d'une pseudo-signification ésotérique de l'objet, il m'expliqua que ses pierres avaient été découvertes dans des domaines chartreux dépendants de Sainte-Croix-en-Jarez.

Les moulins se retrouvaient donc au nombre de trois. L’un était la copie du mien et un troisième plus large. J’immortalisais la rencontre d’une photo… photo devenue mortelle suite à un disque dur devenu plus tard capricieux.

Nous étions donc avec les trois renards connus du Jarez, trois pièces identiques, trois moulins à sel. Il est à noter que le moulin que j’ai déterré a été trouvé dans un domaine qui aurait pu appartenir aux Chartreux (appartenance qui fait débat).






En aparté, je ne peux m'empêcher de soulever une nouvelle fois l'importance de la pierre dans le Pilat et le Jarez,  les pierres à cupules, les pierres à clou, ces fermes en pierre ayant traversé les siècles, l'aqueduc du Gier, ces croix, ces kilomètres de murs de pierres sèches ancêtres du barbelé et guidant nos pas sur les chemins secrets …mais cela me conduisit plutôt sur la route du sel.

Un usage, une contrebande, entre goupil et gabelou

Le sel est connu depuis la Préhistoire surtout pour ses caractéristiques d'assaisonnement et de conservation des aliments. Les routes du sel furent les grandes voies de communications et d'échanges depuis l'Antiquité pour l'acheminement du sel, transporté depuis les régions productrices vers les régions qui en étaient dépourvues.

Le contrôle de l'approvisionnement en sel a été l'une des clefs de l'expansion militaire de l'Empire romain qui s'en est attribué le monopole. Les armées de conquête de César emportaient avec elles des salaisons qui assuraient une partie de leur approvisionnement ceci a limité le pillage des territoires conquis et donc les résistances et a facilité une implantation durable de la civilisation romaine.

Il a aussi été un moyen d'échange une monnaie ou un impôt, dont en Chine et en Europe comme en témoigne l'étymologie commune des mots « sel » et « salaire » (en latin salarium, somme donnée aux soldats pour l'achat du sel).

En France, il était stocké dans des greniers à sel puis des « Dépôts des sels » et taxé pendant plusieurs siècles via un impôt spécifique appelé gabelle apparue sous Louis IX monopole royal. Cette taxe devenue permanente, variable suivant les provinces et croissante au point de rendre le prix du sel élevé, est devenue si impopulaire qu'elle a entraîné des exodes ruraux massifs, déclenché des guerres et a participé au déclenchement de la Révolution française. Elle fut supprimée en 1790. Les contrebandiers en sel étaient appelés « faux sau(l)niers » et les agents chargés de les traquer, les « gabelous » qui se chargeaient de la récolte de la gabelle.

La perception de la gabelle n'était pas uniforme. L'ordonnance du mois de mai 1680, entérina la division du royaume en six ensembles obéissant à des règles différentes : les pays de grande gabelle, de petite gabelle, de salines, rédimés, de quart-bouillon et de franc-salé.

Le faux-saunier était un contrebandier qui allait acheter, par exemple en Bretagne, sur l'autre rive de la Vilaine, du sel qu'il revendait dans le Maine, après l'avoir fait passer en fraude sans payer la gabelle. Il encourait la condamnation aux galères s'il travaillait sans armes, la peine de mort s'il avait des armes.

Le terme gabelle a été emprunté à l'italien gabella, qui aurait été lui-même emprunté à l'arabe qabāla qui désignait à l'origine un impôt indirect.

L'énorme disproportion entre le prix du sel entre deux provinces entraînait, sur la frontière, une contrebande et une guérilla perpétuelle entre les gabelous et les faux-sauniers et ce, malgré les rigueurs de la loi.



Des renards bien de chez nous.

La poursuite de mes recherches m’appris que nous retrouvons plus souvent ces moulins en Auvergne. L'Auvergne a fait partie des "provinces rédimées" et de "petite gabelle". Le sel y fut notablement moins cher qu'en Forez. M’attachant généalogiquement à mes ancètres, le hameau de la Cître, Situé à l'ouest de Marols, sur la voie Bolène, est un lieu de frontière. Limite entre Forez et Auvergne, fut un endroit idéal pour le trafic de sel entre l'Auvergne, pays sans gabelle, et le Forez, pays de moyenne gabelle. Les archives de la Diana recèlent une pièce intéressante qui montre que la rivière d'Ance fut aussi considérée comme une limite naturelle entre les deux provinces. Il existe un acte reçu le 28 juin 1760 par Maître Bernard (Fonds des notaires, Bernard, 1760), notaire royal à Montbrison, par lequel 38 habitants et deux consuls de Saint-Anthème prennent un homme de loi pour faire valoir leur opinion sur leur appartenance à l'une ou l'autre des deux provinces…espérant pencher du bon côté.

J’étais donc au cœur d’une enquête de trafic interrégional, au fil de la Loire, par la grande route du sel depuis les marais de l'Atlantique jusqu'au cœur de la France et témoignait d’une contrebande peut-être effrénée sur terre comme sur eau.

 

Par ailleurs, Le bulletin de la Diana de 1965 (1), nous rappelle :

Les mésaventures de M. Gabriel Mayol Curé-Archiprêtre de Bourg-Argental (2).

En 1776, ce digne ecclésiastique fut l'objet de nombreuses contrariétés causées « par son zèle le plus prudent, le plus éclairé » et sa charité chrétienne. Il avait voulu secourir une femme de sa paroisse que les employés des fermes avaient conduite à la prison car « elle tenait dans ses bras une livre de sel sans en avoir acquitté les droits de gabelle ».

Pendant trois mois cette malheureuse, dont le nom n'a jamais été cité, resta sur la paille. Elle recevait le « pain des prisonniers », mais le donnait à ses enfants qui venaient la voir, et « ne subsistait que par quelques gouttes de bouillon que lui portaient les dames charitables ».

Le 15 août, M. Mayol venait de dire sa messe ; il entendit crier « qu'une femme se mourait dans la prison » ; celle-ci se trouvait en face de l'église. Il demanda à son vicaire de se rendre au plus tôt auprès de la moribonde pour lui donner l'absolution, mais il lui répondit « qu'il était occupé ».

Le curé se précipita à la prison et vit par le guichet de la porte « une femme étendue, pâle et sans mouvement ».

Il réclama la clef, mais le geôlier l'avait emportée en allant travailler à la campagne. Cette tâche supplémentaire lui permettait de faire subsister sa famille, car son métier ne lui rapportait pas dix écus par an. M. Mayol fit prévenir M. Pupil de Sablon, lieutenant général mais celui-ci lui fit dire que cette affaire ne le regardait pas. Pas de réponse du procureur du Roi, M. Mathon de Forgères, prévenu aussi. Pendant ces pourparlers, des personnes avaient fait venir un serrurier, qui crocheta la serrure. « Des demoiselles charitables firent absorber à la malade les plus fortes liqueurs sans qu'elle donna signe de vie ». Un chirurgien prit sur lui de la faire transporter à l'hôpital.

Elle y fut bien soignée, et même la femme du receveur du grenier à sel vint tous les jours la voir et l'assister. Grâce à ces bons traitements, l'inculpée se rétablit très vite ; mais, craignant d'être de nouveau incarcérée « elle profita d'un moment favorable et s'enfuit » « Les juges des Traites de Montbrison prenant cet évènement au tragique » firent arrêter le geôlier, ainsi que le serrurier. Ils contraignirent le curé et le chirurgien à « venir répondre au tribunal comme accusés ».

L'inquiétude de M. Mayol augmenta singulièrement devant la tournure que prenait l'affaire.

Il multiplia des mémoires, qu'il adressa entre autres à M. Turgot, à l'archevêque de Vienne et à l'Intendant. Ce dernier reçut aussi des lettres de MM. Pupil de Sablon, et de La Plagne, minimisant les faits reprochés aux inculpés. Devant ces témoignages, il fit arrêter la procédure.

Il est agréable de penser que la si triste histoire de la femme « sans nom » se soit relativement bien terminée.

(1) (Tome XXXIX-n°4, M. F. De La Plagne)

(2) M. Mayol avait été nommé curé de Bourg-Argental par l'archevêque de Vienne et devait appartenir à la famille Mayol de Lupé.

Le Renard, un nom et tout un symbole

Dans l'imaginaire européen, le renard est associé à la flatterie, au mensonge, à la malice et à la ruse il peut également se présenter comme un maitre rusé qui montre la voie pour dépasser les obstacles. Chez les peuples du nord de l'Europe, le renard est l'un des animaux emblématiques de Loki, dieu scandinave du feu et de la malveillance. Il aurait, selon certaines sources, guidé Orphée dans sa descente aux Enfers.

Renart est un anthroponyme d'origine germanique : Reginhard (ragin ou regin « conseil » + hard « dur, fort, hardi » avec le suffixe français -ard. Le substantif renart est au départ un prénom ; c'est la popularité du goupil prénommé Renart (Le Roman de Renart) qui en fait un substantif ayant peu à peu évincé le terme d'origine goupil, qui subsiste cependant dans certains dialectes d'oïl.

Mais la sagesse populaire nous dit aussi :

A renard endormi, il ne tombe rien dans la gueule (si l'on ne fait pas d'effort, on ne peut espérer obtenir de bon).

Il ne faut pas se confesser au renard. ( il faut éviter de faire des confidences à quelqu'un qui pourrait s'en servir à des fins néfastes.

Le renard cache sa queue ( l'homme rusé cache ses véritables intentions).

 

Il se dit aussi qu'autrefois on devait payer la gabelle sur le sel alors les auvergnats, très rusés, ont trouvé une solution pour cacher le moulin à sel. Ainsi, les vieilles paysannes pouvaient s'asseoir dessus et avec leurs longues jupes cacher l'objet. Mais comment faisaient nos moines ?


Au final, ces moulins auraient-ils été rapportés par les Chartreux de Sainte-Croix –en-Jarez depuis le Puy de dôme ? d’une chartreuse à l’autre ?

Il est vrai que ce fut surtout, un outil fort précieux, pour transformer les pains de sel, en sel fin.

Notre moulin découvert, comme ses frères, peut être daté du XVIIe-XVIIIe siècle.

Au fil des époques et des continents on retrouve ce type de moulin pour moudes sel et céréales mais sans renard…







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