Cette
pierre me semblait incomplète et était taillée
tel un couvercle …il manquait sa base.
O
Crux, qui l’eut cru ?
Le
mystère demeurait, pour moi, complet. Il se trouve
que peu de temps après, je devais rencontrer notre ami
Gérald ; l’un des
gardiens des plus cartusiens du Pilat. Nous avions rendez-vous chez lui
pour
une balade au milieu de belles roches à cupules. A mon
arrivée, je lui ai
présenté ma découverte qui me semblait insolite.
Mais le plus insolite se présentait :
il se rendit dans son antre et en sortit tel du paradis avec tout un
attirail :
deux autres pierres taillées identiques et leur base. Il
m'annonça que, selon ses informations
c'était des moulins à sel... Après
avoir tous deux longuement débattu d'une
pseudo-signification ésotérique de l'objet, il m'expliqua
que ses pierres avaient
été découvertes dans des domaines chartreux
dépendants de Sainte-Croix-en-Jarez.
Les
moulins se retrouvaient donc au nombre de trois. L’un
était la copie du mien et un troisième plus large.
J’immortalisais la rencontre
d’une photo… photo devenue mortelle suite à un disque dur devenu
plus tard
capricieux.
Nous
étions donc avec les trois renards connus du Jarez,
trois pièces identiques, trois moulins à sel. Il est
à noter que le moulin que
j’ai déterré a été trouvé dans un
domaine qui aurait pu appartenir aux Chartreux
(appartenance qui fait débat).
En
aparté, je ne peux m'empêcher de soulever une nouvelle
fois l'importance de la
pierre dans le Pilat et le Jarez, les
pierres à cupules, les pierres à clou, ces fermes en
pierre ayant traversé les
siècles, l'aqueduc du Gier, ces croix, ces kilomètres de
murs de pierres sèches ancêtres
du barbelé et guidant nos pas sur les chemins secrets …mais
cela me conduisit plutôt sur la route du sel.
Un
usage, une
contrebande, entre goupil et gabelou
Le
sel est connu depuis la Préhistoire surtout pour
ses caractéristiques d'assaisonnement
et de conservation des aliments.
Les
routes du sel
furent les grandes voies de communications et d'échanges depuis
l'Antiquité
pour l'acheminement du sel, transporté depuis les régions
productrices vers les
régions qui en étaient dépourvues.
Le
contrôle de
l'approvisionnement en sel a été l'une des clefs de
l'expansion militaire de l'Empire romain
qui s'en est
attribué le monopole.
Les armées de conquête de César emportaient avec
elles des salaisons qui
assuraient une partie de leur approvisionnement ceci a limité le
pillage des
territoires conquis et donc les résistances et a facilité
une implantation
durable de la civilisation romaine.
Il
a aussi été un moyen
d'échange une monnaie ou un impôt, dont en Chine
et en Europe comme en témoigne
l'étymologie
commune des
mots « sel » et « salaire »
(en latin salarium,
somme
donnée aux soldats pour l'achat du sel).
En
France, il était stocké
dans des greniers à sel puis des
« Dépôts des
sels » et taxé
pendant plusieurs
siècles via un impôt spécifique appelé
gabelle
apparue sous Louis
IX monopole royal. Cette taxe
devenue permanente, variable suivant les provinces et croissante au
point de
rendre le prix du sel élevé, est devenue si impopulaire
qu'elle a entraîné des
exodes ruraux massifs, déclenché des guerres et a
participé au déclenchement de
la Révolution française. Elle
fut supprimée en
1790. Les contrebandiers en sel étaient
appelés « faux sau(l)niers »
et les agents chargés de les traquer, les « gabelous
»
qui se
chargeaient de la récolte de la gabelle.
La
perception de la
gabelle n'était pas uniforme. L'ordonnance
du mois de mai 1680, entérina la
division du royaume en six ensembles obéissant à des
règles différentes :
les pays de grande gabelle, de petite gabelle, de salines,
rédimés, de quart-bouillon et de franc-salé.
Le
faux-saunier était un
contrebandier qui allait acheter, par exemple en Bretagne, sur l'autre
rive de la Vilaine, du sel qu'il revendait dans le Maine, après
l'avoir fait passer en fraude sans payer la gabelle. Il
encourait la condamnation aux galères s'il travaillait sans
armes, la peine de mort s'il avait des armes.
Le
terme gabelle a
été emprunté à l'italien gabella, qui
aurait été lui-même emprunté à l'arabe qabāla
qui désignait à l'origine un impôt indirect.
L'énorme
disproportion
entre le prix du sel entre deux provinces entraînait, sur la
frontière, une
contrebande et une guérilla perpétuelle entre les
gabelous et les faux-sauniers
et ce, malgré les rigueurs de la loi.
Des
renards bien de chez nous.
La
poursuite de mes
recherches m’appris que nous retrouvons plus souvent ces moulins en
Auvergne. L'Auvergne
a fait partie des "provinces rédimées" et de "petite
gabelle". Le sel y fut notablement moins cher qu'en Forez.
M’attachant généalogiquement à mes
ancètres,
le hameau de la Cître, Situé
à
l'ouest de Marols, sur la voie Bolène, est un lieu de
frontière. Limite entre
Forez et Auvergne, fut un endroit idéal pour le trafic de sel
entre l'Auvergne,
pays sans gabelle, et le Forez, pays de moyenne gabelle. Les
archives de
la Diana recèlent une pièce intéressante qui
montre que la rivière d'Ance fut
aussi considérée comme une limite naturelle entre les
deux provinces. Il existe
un acte reçu le 28 juin 1760 par Maître Bernard (Fonds des
notaires, Bernard,
1760), notaire royal à Montbrison, par lequel 38 habitants et
deux consuls de
Saint-Anthème prennent un homme de loi pour faire valoir leur
opinion sur leur
appartenance à l'une ou l'autre des deux
provinces…espérant pencher du bon côté.
J’étais donc au cœur d’une enquête de trafic
interrégional, au fil de
la Loire, par la grande route du sel depuis les marais
de l'Atlantique jusqu'au cœur de la France et témoignait d’une contrebande peut-être
effrénée
sur terre comme sur eau.
Par ailleurs, Le
bulletin de la Diana de 1965 (1), nous rappelle :
Les
mésaventures de M. Gabriel Mayol Curé-Archiprêtre
de Bourg-Argental
(2).
En 1776, ce digne
ecclésiastique fut l'objet
de nombreuses contrariétés causées « par son
zèle le plus prudent, le plus
éclairé » et sa charité chrétienne.
Il avait voulu secourir une femme de sa
paroisse que les employés des fermes avaient conduite à
la prison car « elle
tenait dans ses bras une livre de sel sans en avoir acquitté les
droits de
gabelle ».
Pendant
trois mois cette malheureuse, dont le nom n'a jamais
été cité, resta sur la paille. Elle recevait le
« pain des prisonniers », mais
le donnait à ses enfants qui venaient la voir, et « ne
subsistait que par
quelques gouttes de bouillon que lui portaient les dames charitables
».
Le
15 août, M. Mayol venait de dire sa messe ; il entendit
crier « qu'une femme se mourait dans la prison » ; celle-ci
se trouvait en face
de l'église. Il demanda à son vicaire de se rendre au
plus tôt auprès de la
moribonde pour lui donner l'absolution, mais il lui répondit
« qu'il était
occupé ».
Le
curé se précipita à la prison et vit par le
guichet de la
porte « une femme étendue, pâle et sans mouvement
».
Il
réclama la clef, mais le geôlier l'avait emportée
en
allant travailler à la campagne. Cette tâche
supplémentaire lui permettait de
faire subsister sa famille, car son métier ne lui rapportait pas
dix écus par
an. M. Mayol fit prévenir M. Pupil de Sablon, lieutenant
général mais celui-ci
lui fit dire que cette affaire ne le regardait pas. Pas de
réponse du procureur
du Roi, M. Mathon de Forgères, prévenu aussi.
Pendant ces pourparlers, des
personnes avaient fait venir un serrurier, qui crocheta la serrure.
« Des
demoiselles charitables firent absorber à la malade les plus
fortes liqueurs
sans qu'elle donna signe de vie ». Un chirurgien prit sur lui de
la faire
transporter à l'hôpital.
Elle
y fut bien soignée, et même la femme du receveur du
grenier à sel vint tous les jours la voir et l'assister.
Grâce à ces bons
traitements, l'inculpée se rétablit très vite ;
mais, craignant d'être de
nouveau incarcérée « elle profita d'un moment
favorable et s'enfuit » « Les juges
des Traites de Montbrison prenant cet évènement au
tragique » firent arrêter le
geôlier, ainsi que le serrurier. Ils contraignirent le
curé et le chirurgien à
« venir répondre au tribunal comme accusés ».
L'inquiétude
de M. Mayol augmenta singulièrement devant la
tournure que prenait l'affaire.
Il
multiplia des mémoires, qu'il adressa entre autres à M.
Turgot, à l'archevêque de Vienne et à l'Intendant.
Ce dernier reçut aussi des
lettres de MM. Pupil de Sablon, et de La Plagne, minimisant les faits
reprochés
aux inculpés. Devant ces témoignages, il fit
arrêter la procédure.
Il
est agréable de penser que la si triste histoire de la
femme « sans nom » se soit relativement bien
terminée.
(1)
(Tome XXXIX-n°4, M. F. De La Plagne)
(2) M. Mayol
avait été nommé curé de
Bourg-Argental par l'archevêque de Vienne et devait appartenir
à la famille
Mayol de Lupé.
Le
Renard, un nom et tout un symbole
Dans
l'imaginaire
européen, le renard est associé à la flatterie, au
mensonge, à la malice et à
la ruse il peut également se présenter comme un maitre
rusé qui montre la voie
pour dépasser les obstacles. Chez les
peuples du nord de l'Europe, le renard
est l'un des animaux emblématiques de Loki,
dieu scandinave du
feu et de la malveillance. Il aurait, selon certaines sources,
guidé Orphée
dans sa descente
aux Enfers.
Renart
est un anthroponyme
d'origine germanique : Reginhard (ragin
ou regin « conseil » + hard
« dur, fort,
hardi » avec le suffixe français -ard.
Le substantif renart
est au départ un prénom ; c'est la popularité
du goupil prénommé Renart (Le Roman de Renart) qui
en fait un substantif ayant peu à peu évincé le
terme
d'origine goupil, qui subsiste cependant dans certains
dialectes d'oïl.
Mais
la sagesse populaire nous dit aussi :
A
renard endormi, il ne tombe rien dans la gueule (si
l'on ne fait
pas d'effort, on ne peut espérer obtenir de bon).
Il ne faut pas se confesser au renard. (
il faut
éviter de faire des confidences à quelqu'un qui pourrait
s'en servir à des fins
néfastes.
Le renard cache sa queue (
l'homme rusé cache ses véritables intentions).
Il
se dit aussi qu'autrefois on devait payer la
gabelle sur le sel alors les auvergnats, très rusés, ont
trouvé une solution
pour cacher le moulin à sel. Ainsi, les vieilles paysannes
pouvaient s'asseoir
dessus et avec leurs longues jupes cacher l'objet. Mais comment
faisaient nos
moines ?
Au
final, ces moulins auraient-ils été rapportés par
les Chartreux
de Sainte-Croix –en-Jarez depuis le Puy de dôme ? d’une
chartreuse à
l’autre ?
Il
est vrai que ce fut surtout, un outil fort
précieux, pour
transformer les pains de sel, en sel fin.
Notre
moulin découvert, comme ses frères, peut
être
daté du XVIIe-XVIIIe siècle.
Au
fil des époques et des continents on retrouve ce type de
moulin
pour moudes sel et céréales mais sans renard…