Le Château du Thoil






Présenté par
Gérard Mathern







Septembre
2018




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Qui connaît encore ce lieu retiré dans la vallée du Ban prenant sa source sous le col de Chaubouret ? Les promeneurs courageux qui osent affronter les pentes abruptes de cette vallée ne sont pas les seuls à se questionner sur ce lieu dont l’orthographe a souvent varié selon les âges (Toil, Thoil, Theil, Thoul, Thoilly, tous issus vraisemblablement du mot « Tilleul »). Les passionnés de l’histoire du Pilat toujours à l’affut des traces, souvent les plus ténues, que les hommes ont laissé derrière eux, font de même. Les négliger et les oublier est un grand dommage porté à leur mémoire. Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, les questions sont beaucoup plus nombreuses que les réponses, et c’est bien là l’intérêt de la recherche historique.

 

Pourquoi un château à cet endroit ? En effet, cette vallée désolée ne le fut pas jadis. Près de cent personnes y vivaient des produits de la terre et des animaux. De plus, nombre de chemins la sillonnaient, en particulier ceux destinés à joindre la vallée du Gier à celle du Rhône par le col de Chaubouret (la « Chaux Borrel », c’est-à-dire du bourreau, les fourches patibulaires, destinées à avertir le voyageur que, dans cette juridiction, on ne plaisantait pas avec les malandrins). Or, construire une place forte sur ce chemin très fréquenté, certainement depuis l’antiquité, revenait à placer un octroi afin de verrouiller le passage et exploiter ainsi le transport marchand très important dans les deux sens (montée des denrées du Rhône vers Lyon en évitant la vallée très riche en péages, et descente de produits « du nord » vers le midi).

 

Que sait-on exactement de sa construction ? Peu de choses en fait, et certainement pas de sa date.

Ce qui est avéré l’est par les textes qui nous sont parvenus. En négatif d’abord. Il n’est fait aucune mention du lieu dans l’accord de 1173, fixant avec précision la frontière entre le Lyonnais et le Forez afin de faire cesser les querelles entre l’Eglise de Lyon et le Comte de Forez. On parle bien des châteaux de Saint-Chamond et de Rochetaillée, mais point de ce coin du Pilat. En revanche, les choses sont claires en 1284 lorsque la veuve de Gaudemard II de Jarez, Béatrice de Roussillon, Dame de Jarez, avoue en 1290, au Comte de Forez « Rochetaillée et Praroy, près du Thoil ». Cette mention indirecte prouve l'existence de la possession, mais n’en mentionne pas le propriétaire. Puis lors du mariage de Jaquemet de Jarez, fils de Gaudemard II, avec Beatrix d'Argental, fille de Guyon PAGAN, en 1292, les châteaux d'Argental, de la Faye, l'arrière-fief de Montchal passèrent en 1296 de la mouvance du Dauphin de Vienne à celle du comte de Forez dans la dot d'Alice de Viennois.  L'héritage était considérable. Il se composait essentiellement « des châteaux d'Argental, de la Faye (sur Marlhes), de Montchal (sur Burdignes), le château du Thoil, apparemment encore allodial ... ». Allodial, c’est-à-dire non avoué à quelque suzerain que ce soit. On serait donc tentés d’avancer que sa construction pourrait se situer entre 1173 et 1284, mais rien ne vient l’appuyer formellement.

 

La « saga » des possesseurs du Toil : Ce que l’on peut déjà dire, c’est que les Pagan en étaient les possesseurs à cette époque. Cette puissante famille était issue de Mahun, en Vivarais. PAGAN vient du latin « Paganus » et signifie païen, mais aussi homme de la terre, paysan. Semblant issue du Dauphiné, elle est alliée aux seigneurs d’Albon. Ceux-ci, en remerciement de services antérieurs rendus, favorisèrent leur implantation en Vivarais à Mahun. C’est à cette époque que l’on retrouve Aymon Pagan, baron de Mahun et seigneur de Vocance, à la fin du Xe siècle. Son fils, Guy Ier, eut un fils, Guillaume qui épousa Bismonde de Mercoeur et ils eurent deux fils : Aymon (né aux environs de 1090) et Arthaud[1]. Aymon II épousa une fille de Tournon et eut un fils, Guy II qui épousa Blismodis de Maldunon. De cette union naquit Aymon III dit « le Violent » (1120-1178/1191). Il épousa Béatrix d’Argental et devint, par ce mariage, maître des terres importantes. Outre Mahun et Vocance, il devint seigneur de Saint-Sauveur-en-rue, St Julien Molin-Molette, Burdignes, Dunières, la Faye, St Genest-Malifaux et Riotord. De son mariage avec Faina de Fay, naquirent six enfants dont l’un – Arthaud – devint prieur de Saint-Sauveur. L’aîné fut Guy IV, dit « le Fourbe ». Son fils, Guy V, dit « le Cruel », en remerciement de services rendus, reçut de l’Eglise de Vienne les terres de Satilleu et de Saint-Symphorien de Mahun. Il épousa Ruphe de Tournon le 18 avril 1245. Il décèda en 1270 et son épouse lui survit quelques années. De cette union étaient nés neuf enfants dont seuls les deux aînés nous intéressent ici.

 

Aymon, (né aux environs de 1245), Baron de Mahun et seigneur de Satilleu, de Seray, Ozon, Sarras, Saint-Denis sur Coise et coseigneur de Fontaney et d’Ay. Puis son cadet, Guigues dit « le Rapace » (né aux environs de 1246), Baron d’Argental, seigneur de la Faye, de Thuest, coseigneur de Saint-Julien Molin-Molette, de Meys  (par son mariage avec Marguerite de Meys) de Saint-Foy l’Argentière, de Saint-Symphorien sur Coise et de la Vaucance. De cette union naquirent :

- Guyon qui mourut avant 1278.

- Et Béatrix, Dame d’Argental, de la Faye, de Vocance et Montchal. Le 17 septembre 1290, son père fixe sa dot composée de tous ses biens, en vue de son mariage avec Jacquemet de Jarez en 1292. Et c’est ainsi que l’on évoque pour la première fois véritablement l’existence du Toil qui vient des Pagan et se retrouve dans les possessions des Jarez.

 

 

Mais les choses se compliquent encore avec la famille de Jarez :

Le château du Toil étant dans la dot et le couple, il en fut fait aveu au Comte Jean de Forez en 1306 (Charte 886). C'est en qualité de Seigneur de Jarez et d'Argental que Jacquemet fit publier en 1291 (peu avant son mariage, traité depuis 1290) les franchises de St Chamond. Il fit de nouveau hommage du Toil au Seigneur de St Priest en 1324 puis en 1306, « Pour les châteaux et seigneuries de Vocance et du Taoil (Toil) ».

Jacquemet de Jarez mourut en 1325, sans progéniture. Sa veuve avoua de nouveau au Comte de Forez, Rochetaillée et le Toil. Elle  avait fait également donation conditionnelle, en 1299, des châteaux d’Argental,  la Faye, Vocance et son fief de Montchal à son oncle Aymon Pagan. Celui-ci étant décédé en 1303, elle renouvela cette démarche en faveur de Guigon Pagan, petit-fils d’Aymon (et fils de Jean Pagan son cousin germain). Elle mourut en 1351 en déclenchant, du fait des dispositions testamentaires, une querelle qui nécessita l’intervention du Bailli du Velay, au nom du Roi, qui prit possession des châteaux de Vocance et ceux contestés par les opposants afin d’éviter les violences des prétendants[2].   

A la mort de Jacques son mari, en 1325, une partie des possessions fut léguée à Jean de Jarez, destiné à être moine. Celui-ci ayant refusé la bure, il fit en procès avec le reste de la famille et sembla l'emporter puisqu'il avoua Doizieu. Dès son accession à cette fonction, « il confirma les franchises de la ville de Saint-Chamond le 13 mai et rendit hommage au comte de forez, Jean I, pour ses châteaux de Rochetaillée et de Toilly (le Toil) [3]» le 13 juin. Il récidiva le 2 avril 1329. Jean était un incapable, sans arrêt endetté, il fut ruiné et, avec son frère cadet Guyon, ils vendirent pour 15 000 livres leurs biens au mandement de Malleval à Beatrix leur belle-sœur. Il mourut vers 1330 sans postérité et la seigneurie passa à son frère Guy.

A la mort de Guy, vers 1344, sans postérité non plus, les possessions échurent à Mathelonne et Clémence, filles de Gaudemar II. Mathelonne avait épousé Jocerand Durgel, mais celui-ci décèda en 1310. Son riche héritage (la plus grande partie des possessions de ses frères décédés) échut à son fils aîné, Briand Durgel.

Clémence de Jarez, sa sœur, avait épousé Aymar de Beauvoir, de la famille de Beauvoir, seigneurs de Beauvoir-de-Marc et Villeneuve dans le pays viennois. On retrouve la trace du Thoil dans sa dot.

Clémence eut deux enfants, deux filles :

L'une Jeanne de Beauvoir épousa Briand de Retourtour, lié à la seigneurie d'Argental, en 1355, héritier des Pagan dont le nom s'était éteint et les possessions passées à ce nom. Jeanne de Beauvoir/Retourtour se dit Dame d'Argental et avoue la moitié du Thoil au Comte Louis de Forez en 1363. De cette union naquit tardivement une fille. Alix née vers 1373. Briand avait déjà des enfants de son premier mariage avec Eléonore de Canillac : Arnaud et Odon décédés en bas âge et deux filles, Dauphine qui épousa Jacques de Roussillon d’Anjo et Daudonne qui épousa Geoffroy de Chaste en 1363. Ces deux filles aînée ayant contracté de beaux mariages, Briand de Retourtour, dont les possessions vont du Rhône au sud de Tournon, jusqu’à Firminy, désigne sa petite dernière, Alix, comme sa légataire universelle. Mais seul l’avenir compte. Se sentant âgé, le père décide d’unir sa famille aux Tournon, puissant par le lignage et leur relations avec le pouvoir, mais plus limités en possessions. Guillaume III de Tournon en est bien conscient et accepte avec plaisir un rapprochement avec les Retourtour. Une promesse de mariage entre Alix (trois ans) et Jacques de Tournon (deux ans) est fixée en 1376. La petite fille est installée dans le château de son « mari », tandis que Briand, son père, décède en 1379.

Alors se manifestent ses deux sœurs aînées, peu satisfaites de voir s’échapper leur part de la succession des Retourtour. Il s’ensuit et long et très onéreux procès où les sœurs ont gain de cause. Alix est éloignée de Tournon sous bonne garde.

Puis un autre prétendant se réveille : le seigneur de Crussol à qui on aurait promis jadis une part des biens des Retourtour. Un nouveau procès vient, une fois de plus, entacher cette affaire. Crussol est débouté mais ces procédures menées depuis Paris ont coûté fort cher aux Tournon.

Il semble qu’Alix, à cette époque, gênait beaucoup de monde. Toujours héritière d’une part majeure des biens des Retourtour, elle semble aiguiser les appétits. Son décès à l’âge de 10 ans (aux environs de 1383) rend aux Tournon l’ensemble de son héritage. Le Toil est donc désormais dans leurs mains.



 
Blason des Retourtour

 

 

Possessions de Pagan, Retourtour, Tournon et Crussol au XIVe siècle[4]

 

Dans l’intervalle, Guillaume de Tournon meurt presque ruiné et son fils Jacques « veuf » d’Alix de Retourtour lui succède avant de périr devant les Turcs dans l’actuelle Bulgarie. Son frère Guillaume (IV) lui succéda à l’issue d’un procès contre la deuxième épouse de Jacques et c’est un seigneur « pauvre » qui doit vendre certains biens de son père, Argental en particulier. On apprend par James Condamin qu’il facilita l’implantation des Gayotti à Luzernod, sur le territoire de Saint-Andéol- la-Valla, mandement du Toil, qui allaient être à l’origine de l’industrie la soie dans toute la région. Son fils Guillaume V n’eut de cesse de conforter la situation de la Maison. Il fut remarqué à la Cour et fit même partie de l’escorte de Charles VII et de Jeanne d’Arc. Jacques qui lui succéda fut chambellan du roi Louis XI et chevalier d’honneur de la reine Anne de Bretagne. Il fut l’auteur des abénévisations des forêts de la Valla, c’est-à-dire de la possibilité pour les habitants de jouir de ces biens, avantages qui persistèrent jusqu’à la Révolution. Son arrière-petit-fils, Just II, toujours « seigneur de Tournon et du Toil », épousa Claudine de la Tout-Turenne, fille du vicomte de Turenne. S’il convient de l’évoquer, c’est essentiellement en référence aux traces qu’elle a laissées dans notre contrée et notre Histoire. En effet, en adjoignant ses armes à celles des Tournon, on les retrouve sur les cloches de la Valla, rescapées de la Révolution. On les retrouvait également, jusqu’à un passé récent, sur une pierre au linteau de la première maison du village, à droite en venant de Saint-Chamond. Hélas, la vénérable armoirie n’a pas résisté à l’agressivité du temps et l’ignorance des hommes, disparaissant ces dernières années pour ne laisser qu’une cicatrice anonyme. Une autre évocation ne peut nous échapper : celle d’une femme de caractère. A la mort de son mari, puis de son fils, elle assume la tutelle de ses enfants, puis de ses petits-enfants. Elle fait renforcer les fortifications de Tournon afin de résister aux assauts des protestants et la légende raconte qu’elle participa même activement, hachette à la main, à la défense de sa ville faisant naître, selon certains fabulistes, la légende de Jeanne Hachette.

 

 

Les armoiries de Claudine de la Tour-Turenne sur l’une des cloches de la Valla.

 

Elle cède le Toil à Christophe de Saint-Chamond en 1566, avec une clause de faculté de rachat, ce qui survient quelques années plus tard. Just III, seigneur de Tournon est le dernier « seigneur du Toil » en tant que tel. En effet, lors de l’acquisition de la terre et seigneurie du « Toil en Forest » par Jacques Mitte de Chevrières, on évoque la « masure du château du Toil » qui avait certainement perdu son importance stratégique et économique, les chemins commerciaux ayant, depuis longtemps, changé d’itinéraire.

 

 

Qu’était donc ce mystérieux château ? Depuis sa construction dont nous ne savons rien, Il  n'aurait alors cessé de se développer pour constituer au fil des siècles un important mandement, c'est à dire une juridiction. L'analyse des parcelles fiscales du Forez (E. FOURNIAL) nous apprend en effet que les sommes versées par le mandement du Toil étaient importantes au regard des seigneuries voisines. En 1381 par exemple, était versée une somme de 27 Francs et demi, Montbrison en versant 80, Rochetaillée 20. Sachant que cette aide financière versée aux Comtes de Forez, puis au Duc de Bourbon à partir de 1392, était proportionnelle au nombre de foyers, il faut en conclure que le mandement du Toil était aussi important que celui de Rochetaillée.  L'analyse des chiffres montre que cet état de fait dura longtemps puisque au cours du XIVe et XVe siècles, les sommes versées par les deux mandements sont restées identiques entre elles. On apprend par ailleurs que le Seigneur du Toil avait le pouvoir de Haute Justice c'est à dire des peines relevant de plus de 60 sous, Moyenne Justice, d'introduction tardive, et enfin de Basse Justice, pour les peines inférieures à 60 sous. Cette dernière reste une somme importante sachant que le minimum vital pour une année était de 5 livres (100 sous).

Nous n’avons cependant aucune trace de ce qu’il fut, encore construit. L’examen du terrain montre à l’évidence des empêchements de pierre sur le premier sommet, au sud, des trois qui constituent le piton rocheux qui l’a accueilli. Les pierres ont été, comme le plus souvent, réutilisées afin de construire les grosses fermes alentour dont il ne reste que quelques reliefs. Si l’on a parlé en permanence de « château », le terrier Gorgeron (1625)[5] évoque un « manoir », c'est-à-dire d’une demeure seigneuriale, ici très probablement fortifiée. Mais nul ne sait si les différents seigneurs qui en furent les propriétaires y séjournèrent un jour. D’ailleurs, la carte de Cassini datant du XVIIe siècle confirme, par la représentation de sa tour penchée, l’aspect de ruine du site.

 

Aujourd’hui, le site du Toil n’est plus qu’une étape sur les chemins de promenade dont le Pilat est si riche. Un panneau indicateur signale sa présence et il faut un peu d’adresse pour accéder au somment des rochers, mais la vue constitue un belle récompense. On ne saura sans doute jamais les origines de cette construction, outre qu’elle se situait à un endroit stratégique sur des voies vraisemblablement très anciennes dont on commence à entrevoir les traces. Mais on ne peut oublier la longue lignée de ses possesseurs qui, au fil de siècles, ont marqué l’histoire de notre pays. Et puis, ayons une pensée pour la petite Alix de Retourtour qui paya sans doute de sa vie l’avidité des hommes qui, il faut bien le constater, n’ont pas beaucoup changé depuis.

 

 

Gérard Mathern, le 14 juillet 2018

 

 

 



[1]
                        [1] Marc Gauer. Histoire généalogique de la famille Pagan et de ses alliances. Collections "Cahiers ardéchois". 2012

[2]
                        [2] James Condamin, "Histoire de Saint-Chamond" p. 103.

[3]
                        [3] Ibid. P. 115

[4]
                        [4] M.C. Chavarot, "Mentalités nobiliaires en Vivarais au XIVe siècle : La succession de Briand de Retourtour" - Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, t. 144. 1986.

[5]
                        [5] Le terrier Gorgeron (1625 - 1626) de la seigneurie du Toil-La Valla cite Melchior Mitte de Chevrières: « Lors de l'acquisition, en 1595, de la seigneurie de Jacques, son père, le manoir du Thoil n'était qu'un souvenir ».
 





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