RUBRIQUE
R-L-C
Septembre
2011


Par
Patrick Berlier



RENNES-LE-CHÂTEAU

L’HYPOTHÈSE DU TRAFIC DE MESSES



    Quelle était l’origine de la fortune colossale de Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-Château à la charnière des XIXe et XXe siècles ? Avait-il trouvé un trésor, comme on le prétend peut-être trop souvent, ou se livrait-il à un trafic de messes particulièrement juteux ? C’est cette dernière hypothèse qui a prévalu officiellement du côté de l’évêché de Carcassonne, lorsque Monseigneur Billard, qui fut toujours le protecteur de l’abbé Saunière, disparut et fut remplacé par Monseigneur de Beauséjour. Mais cette explication est-elle vraiment satisfaisante ?

LE DEBUT DES ENNUIS DE L’ABBE SAUNIERE 

   C’est le 3 décembre 1901 que décède Monseigneur Billard. Le 9 juin 1902 lui succède, à la tête de l’évêché de Carcassonne, Monseigneur de Beauséjour. Celui-ci entend remettre de l’ordre dans son diocèse, administré de manière pas toujours très claire par son prédécesseur, lequel s’était montré particulièrement laxiste envers le curé de Rennes-le-Château. Précisément, ce dernier entame son programme de constructions civiles, après avoir restauré l’église et ses abords. Il paraît évident que le nouvel évêque veut mettre la main sur ce domaine, ignorant que le prêtre ne construit pas pour lui mais au nom de sa servante Marie Dénarnaud. Il va donc attendre plusieurs années avant de lancer son attaque. 

Début janvier 1909, l’abbé Saunière est informé par l’évêché de sa nomination à Coustouge, une bourgade des Corbières. C’est un coup de tonnerre qui s’abat sur Rennes-le-Château. Saunière prend le temps d’aller voir sur place à quoi ressemblerait sa nouvelle affectation, il consulte divers amis, puis fin janvier il répond à son évêque. Sa décision est prise : il ne quittera pas son cher village. La conséquence est inéluctable, il doit démissionner. Ce qui sous-entend qu’il possède des revenus autres que ceux que lui accorde l’évêché, et qu’il peut se passer de son traitement officiel. Mais si le nouvel évêque accepte la démission, il pose pour condition que l’abbé Saunière quitte Rennes-le-Château. C’est inacceptable pour le curé, fort du soutien du conseil municipal. Le maire menace l’évêque par un courrier en date du 6 février 1909 : « quant à l’attitude de la population vis-à-vis du successeur de M. Saunière, elle sera tout à fait claire : l’église désertée et les cérémonies religieuses remplacées par des cérémonies civiles. » 

Un statu quo hypocrite se met en place : l’évêque ne peut en rien obliger Bérenger Saunière à quitter le village, et il va apprendre à ses dépends que son domaine appartient en réalité à la servante Marie Dénarnaud. Son autorité s’étend donc seulement sur l’église et le presbytère, où il nomme un nouveau prêtre, l’abbé Marty. Monseigneur de Beauséjour va devoir trouver autre chose pour contrer son sulfureux abbé. 

En décembre 1909 l’évêché oriente donc différemment son attaque. Il accuse, non sans raison, l’abbé Saunière de continuer à recevoir des dons pour les messes alors qu’il n’y est plus habilité. L’abbé n’hésite pas en effet à faire paraître des annonces dans la presse, comme dans le supplément du n° 13 des « Veillées des chaumières », en date du 14 décembre 1910, où l’on pourra lire : « M. l’abbé Saunière, en retraite à Rennes-le-Château, par Couiza (Aude), France, dit des messes à un Franc et reçoit avec reconnaissance pour œuvre du culte, feuilletons, brochures, timbres, etc. » En réaction, l’évêché se fendra d’une communication officielle en date du 1er février 1911 : « L’autorité diocésaine de Carcassonne croit devoir avertir les fidèles du diocèse et en tant qu’il est en son pouvoir ceux d’autres diocèses, que M. l’abbé Saunière, ancien curé de Rennes-le-Château, n’est nullement autorisé à demander hors du diocèse, ou à recevoir de diocèses étrangers, des honoraires de messes. »








BRAS DE FER ENTRE SAUNIERE ET SON EVÊQUE

   Pendant ce temps, l’abbé Saunière poursuit ses dépenses extraordinaires. Il se fait livrer des alcools fins, commande un service en faïence de 122 pièces, et surtout se fait aménager, par la Maison Faraco de Carcassonne, un oratoire sous la véranda de la villa Béthania. C’est dans cette chapelle privée qu’il dira la messe pour les paroissiens qui, dit-on, désertent l’église et boycottent les offices de l’abbé Marty. Mais cette histoire paraît quand même bien édulcorée : quand on voit la taille de la véranda, on se rend compte que seule une poignée de personnes pouvait y prendre place.

L’évêché persiste à accuser Saunière d’encaisser illégalement des honoraires de messes. Menace particulièrement hypocrite, car bon nombre de ces honoraires proviennent de l’évêché même ! L’abbé nie, naïvement sans doute. L’évêque ne décolère pas, et porte l’affaire devant le tribunal de l’Officialité, qui convoque Saunière pour le 16 juillet 1909. L’abbé ne s’y présente pas, prétextant une santé fragile. Nouvelle convocation pour le 23 juillet, sans plus de résultat. Dès lors la sanction tombe : l’abbé est condamné à une suspense a divinis (privation des pouvoirs sacerdotaux) d’une durée de un mois. Saunière prend un premier avocat, maître Mis, qui parvient à reporter au 15 octobre 1910 la convocation devant le tribunal. On accuse cette fois clairement l’abbé Saunière de trafic de messes. Celui-ci se présente alors en victime et reconnaît s’être adressé à des communautés religieuses pour obtenir un grand nombre d’intentions de messes, plutôt qu’à l’évêché qui les lui refusait, dit-il. Il axe sa défense sur le fait que ce n’est pas avec ces maigres revenus qu’il aurait pu édifier son domaine : « où aurais-je donc pu trouver les 140 / 150 mille francs de messes pour solder ce que coûtent tous ces travaux réunis […] Oui il faut être toqué de prétendre cela », écrit-il à son avocat.

L’abbé Saunière oppose à ses accusateurs l’absence d’archives pour expliquer son incapacité à prouver l’origine de sa fortune. « Personne ne m’a jamais demandé le moindre reçu pour des messes données, et de mon côté je n’en ai pas exigé des autres. Je n’ai donc pas de reçu à leur montrer pas plus que de cahier ou livre de messe que je n’ai jamais possédé, ni senti le besoin d’en avoir », écrit-il encore. En réalité, Saunière tient de minutieux cahiers de messes, dont plusieurs seront conservés dans le fonds Corbu-Captier, ou par les Archives Départementales de l’Aude. On y voit par exemple en regard de la date du 9 janvier 1893 la mention « arrêté là » rajoutée par l’abbé, car c’est seulement le 5 septembre de cette année qu’il dira effectivement les messes encaissées le 9 janvier, ce qui est contraire à l’usage ecclésiastique qui veut que l’on n’attende pas plus de six mois avant de dire les messes commandées.

S’il « arrête là », cela signifie qu’à partir de cette date il encaisse les honoraires sans dire les messes de manière effective. On sait également que pour le second semestre de l’année 1909, l’abbé Saunière reçoit 4754 messes à dire : plus de 26 messes par jour, ce qui est bien sûr irréalisable. Il est évident que l’abbé reçoit plus de dons qu’il ne peut dire de messes, le trafic est dès lors bien établi. Pire : pour un prêtre, c’est le péché de simonie, passible de l’excommunication. Le fait qu’on lui inflige seulement une suspension temporaire prouve bien que l’évêché n’est sans doute pas étranger au trafic.

Mais l’abbé Saunière est tenace et poursuit sa résistance contre l’évêché. Il a désormais un nouvel avocat, le chanoine Huguet, qui connaît parfaitement la juridiction ecclésiale et possède une certaine notoriété. Début 1911 ce nouveau défenseur est résolu à porter l’affaire Saunière en cour de Rome. Mais l’évêché ne cède pas à cette menace. L’abbé doit fournir ses comptes. Le 13 mars Saunière acculé envoie ses justificatifs à Carcassonne. Ces documents représentent à peine plus de 40 000 F de dépenses avouées : on est loin, bien loin de la réalité…








UNE RETRAITE ET DE NOUVEAUX ENNUIS

   Une autre sanction tombe : on oblige l’abbé Saunière à effectuer une retraite religieuse. Il choisit le monastère de Prouille, près de Fanjeaux, où il résidera du 25 avril au 3 mai 1911. Chaque jour il écrit une lettre à sa fidèle Marie, correspondance qui sera conservée et nous révèle les liens très forts unissant le prêtre et sa servante. L’abbé y traite son évêque, Monseigneur de Beauséjour, de « peu intéressant personnage qui n’a de beau que son nom ».

De retour à Rennes-le-Château, Bérenger Saunière y est confronté à de nouvelles accusations. On le somme d’expliquer la différence entre ses dépenses avouées et ses dépenses réelles. L’été se passe et l’affaire s’enlise. L’abbé ne répond même plus aux convocations. Le 5 décembre il est à nouveau condamné à une suspense a divinis de trois mois, renouvelable jusqu’à ce qu’il ait restitué les biens détournés selon l’évêché.

Son avocat l’abbé Huguet réussit à intéresser Rome à l’affaire, et les premiers résultats semblent encourageants. Bérenger Saunière se fait vieux lorsque la première guerre mondiale éclate. Mais ses démêlés avec l’évêché ne se calment pas pour autant. C’est finalement une attaque cardiaque qui aura raison de l’abbé. Il meurt le 22 janvier 1917.

LE TRAFIC DE MESSES ETAIT-IL SUFFISANT ?

   Que l’abbé Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-Château, ait perçu plus de dons qu’il lui était possible de dire des messes, cela est aujourd’hui établi clairement. Ce trafic ne peut plus être nié. Toute une organisation s’était mise en place, par le biais de congrégations religieuses comme les Lazaristes, installés à Notre-Dame de Marceille à Limoux. Ces congrégations recueillaient des promesses de messes dans la France entière et les redonnaient à de pauvres curés de campagne pour qui cela constituait une rente appréciable. Lorsqu’ils ne pouvaient assurer toutes les messes, les prêtres redistribuaient les messes à leurs collègues. L’abbé Saunière, lui, gardait tous les dons, d’où l’accusation de trafic de messes.

Cependant, les sommes rapportées par ce trafic correspondent-elles aux dépenses de l’abbé ? Là est la vraie question. Reprenons l’exemple de 1909 : près de 4800 messes encaissées pour le second semestre, à un Franc la messe comme le précisait l’annonce parue à la même époque, ont rapporté au final moins de 5 000 Francs. Il aurait fallu que l’abbé Saunière encaisse des centaines de milliers de demandes de messes pour atteindre les sommes qu’il a effectivement dépensées. Pas impossible certes, mais était-ce réellement envisageable ? S’arrêter à la seule hypothèse du trafic de messe, même si elle est facile à étoffer, est peut-être trop simpliste finalement. Et si c’était le but recherché ? Certains chercheurs se demandent aujourd’hui si l’abbé Saunière n’aurait pas établi une comptabilité truquée, afin de détourner l’attention de ses accusateurs vers le trafic de messes pour les empêcher de pointer du doigt la véritable origine de sa fortune. Si c’est le cas, il a parfaitement réussi son coup.

   Alors nous ne pouvons écarter les autres hypothèses, même si, hélas, celles-ci ont fait l’objet de fantasmes en tous genres et de tentatives de récupération assez troubles qui les engluent encore aujourd’hui. Ce sera l’objet des prochains articles.

Patrick BERLIER


Sources :

- Christian Doumergue, « L’affaire de Rennes-le-Château », Arqa éditions 2006

- Franck Daffos, « Rennes-le-Château, le puzzle reconstitué », éditions Pégase 2007

- Franck Daffos, « L’affaire des carnets, réponse à M. Octonovo », Arqa éditions 2008

- http://www.octonovo.org